Heures supplémentaires : 13 avril 2023 Cour d’appel d’Orléans RG n° 21/00137

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Heures supplémentaires : 13 avril 2023 Cour d’appel d’Orléans RG n° 21/00137
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C O U R D ‘ A P P E L D ‘ O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE – A –

Section 2

PRUD’HOMMES

Exp + GROSSES le 13 avril 2023 à

la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES

la SELARL 2BMP

ABL

ARRÊT du : 13 AVRIL 2023

N° : – 23

N° RG 21/00137 – N° Portalis DBVN-V-B7F-GIZ7

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOURS en date du 21 Décembre 2020 – Section : INDUSTRIE

ENTRE

APPELANTE :

S.A.S. ST MICROELECTRONICS TOURS agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me François VACCARO de la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS

ET

INTIMÉE :

Madame [F] [C]

née le 24 Juillet 1970 à [Localité 3]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Philippe BARON de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS

Ordonnance de clôture :15 OCTOBRE 2023

A l’audience publique du 12 Janvier 2023

LA COUR COMPOSÉE DE :

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,

Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,

Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.

Assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.

Puis ces mêmes magistrats ont délibéré dans la même formation et le 13 avril 2023 (délibéré initialement prévu le 30 mars 2023) Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l’arrêt par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [F] [C], née en 1970, a été engagée à compter du 21 février 2000 par la SAS STMicroelectronics Tours en qualité d’assistante de production niveau 1, échelon 3, coefficient 155 en équipe 2 X 8 de semaine, suivant contrat de travail à durée indéterminée.

La relation contractuelle est régie par la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne du 16 juillet 1954.

Selon avenant du 22 septembre 2000, elle a été amenée à travailler selon les horaires d’équipe de week-end jour puis par un nouvel avenant, elle a du assurer à compter du 1er mars 2007, en plus de ses horaires, une présence de 2 heures en semaine la veille de sa prise de poste. Enfin, à compter du 1er mars 2011, elle a travaillé selon les horaires d’équipe bloquée de week-end nuit.

Du 14 mars au 2 novembre 2014, Mme [C] a été placée en arrêt de travail pour un syndrome anxio dépressif réactionnel et a alerté la direction de sa souffrance au travail.

Le 3 novembre 2014, elle a réintégré la société dans une autre équipe selon des horaires d’équipe bloquée de week-end jour aux termes d’un avenant à son contrat de travail signé le 29 décembre 2014, la salariée mentionnant ‘dans l’attente de précisions que vous pourriez m’apporter quant à mon évolution profesionnelle au sein

de ST’.

Du 3 au 30 avril 2015, Mme [C] a de nouveau fait l’objet d’un arrêt maladie d’origine non professionnelle pour syndrome dépressif réactionnel aux termes duquel il lui a été proposé une mission temporaire au sein du service sécurité. Elle a ensuite connu une autre arrêt maladie du 26 juin 2015 au 10 janvier 2016 pour syndrome anxio-dépressif réactionnel et souffrance au travail.

Lors de la visite de reprise, le 11 janvier 2016, elle a été déclarée inapte temporaire au poste d’opérateur de production par le médecin du travail et a vu son arrêt de travail initial prolongé. Une contre visite demandée par l’employeur a confirmé le 15 janvier 2016 que son arrêt de travail était médicalement justifié.

Le 3 mars 2016, Mme [C] a été convoquée à un entretien préalable pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé initialement au 23 mars 2016 et reporté au 18 avril suivant. Elle a finalement été licenciée le 27 avril 2016 pour insubordination.

Par requête du 15 juin 2016, Mme [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Tours d’une demande tendant à reconnaître son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse en raison d’un harcèlement moral ainsi que le paiement de diverses sommes en conséquence.

Par jugement du 21 décembre 2020, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le conseil de prud’hommes de Tours a :

> Dit que Mme [C] a été victime de harcèlement moral durant l’exécution de son contrat de travail de la part de la SAS STMicroelectronics entre janvier 2014 et avril 2016 ;

> Dit que le licenciement de Mme [C] est nul sur le fondement de l’article L.1152-3 du code du travail ;

> Condamné la SAS STMicroelectronics à payer à Mme [C] les sommes suivantes:

– 1 572,50 euros brut au titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

– 157,25 euros brut au titre des congés payés afférents,

– 40 000 euros net à titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 10 000 euros net à titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

> Ordonné à la SAS STMicroelectronics de remettre à Mme [C] les bulletins de paie, le certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi rectifiés en application des dispositions qui précèdent, dans un délai de 30 jours à compter de la notification du jugement ;

> Condamné la SAS STMicroelectronics à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômages versées à Mme [C] dans la limite de six mois ;

> Condamné la SAS STMicroelectronics à verser à Mme [C] la somme de 1 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

> Débouté la SAS STMicroelectronics de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

> Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement ;

> Condamné la SAS STMicroelectronics aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais éventuels d’exécution forcée.

Selon déclaration du 15 janvier 2021, la SAS STMicroelectronics Tours a régulièrement relevé appel de cette décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 14 décembre 2022, la SAS STMicroelectronics Tours demande à la cour de :

> la Recevoir en son appel, le Déclarer recevable et bien-fondé,

> Infirmer la décision dont appel et statuant à nouveau,

> Débouter Mme [C] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

> Condamner Mme [C] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 13 décembre 2022, Mme [C] demande à la cour de :

> Recevoir la SAS STMicroelectronics en son appel mais l’y déclarer mal fondée,

> Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Tours du 21 décembre 2020 en ce qu’il a :

– dit qu’elle a été victime de harcèlement moral,

– dit que son licenciement est nul,

– condamné la société STMicroelectronics à lui payer les sommes suivantes :

* 1 572,50 euros brut à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

* 157,25 euros au titre des congés payés afférents,

* 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

> la Recevoir en son appel incident quant au quantum des dommages et intérêts pour harcèlement moral et de l’indemnité pour licenciement nul, et l’y déclarer bien fondée.

En conséquence :

> Condamner la société STMicroelectronics au paiement des sommes suivantes :

– 20 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 50 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul.

> Condamner la société STMicroelectronics aux entiers dépens qui comprendront les frais éventuels d’exécution et au paiement d’une somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 15 décembre 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières conclusions conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

– Sur la demande en paiement d’heures supplémentaires

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, Mme [C] demande à la cour de condamner son employeur à lui payer la somme de 1 572,50 euros à titre de rappel de salaire pour des heures supplémentaires prétendument accomplies entre le 18 juin 2011 et le 9 mai 2014, outre 157,25 euros de congés payés afférents. Elle prétend en effet qu’alors qu’elle était bay leader en week-end de nuit, elle n’a pas été réglée de l’intégralité de ses heures de travail effectif dans la mesure où les pointages avant 18 heures et après 6 heures n’étaient pas rémunérés bien qu’elle était à la disposition de son employeur sans pouvoir vaquer librement à ses occupations. La société demande le rejet de cette prétention, dont elle soulève la prescription considérant que les demandes antérieures au 15 juin 2013 sont prescrites ; elle ajoute, le cas échéant que la réalité des heures supplémentaires n’est nullement démontrée.

> sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de rappel de salaire

Aux termes de l’article L. 3245-1 du code du travail, l’action en répétition de salaires se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Le nouveau délai de prescription s’applique aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (article 21 V de la loi du 14 juin 2013).

Mme [C] ayant saisi le conseil de prud’hommes le 15 juin 2016, elle est bien fondée à solliciter l’application des dispositions transitoires issues de la loi du 14 juin 2013 et ses créances nées avant le 16 juin 2013 ne sont pas prescrites. Il y a donc lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action.

> au fond

Au soutien de ses prétentions, Mme [C] produit un relevé de ses week-ends travaillés avec les heures supplémentaires réclamées.

Ces éléments sur les horaires de travail que la salariée prétend avoir accomplis sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Or ce dernier se montre totalement taisant sur les horaires de la salariée.

Dès lors, à l’examen de ces constatations, la cour a la conviction que Mme [C] a accompli des heures supplémentaires qui n’ont pas donné lieu à rémunération. Il y a donc lieu de faire droit à la demande de rappel de salaires à ce titre, confirmant la décision déférée sur ce point.

– Sur la demande au titre du harcèlement moral

Aux termes des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail dans leur version antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, le harcèlement moral d’un salarié se définit par des agissements répétés, ayant pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application de l’article L. 1154-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au cas d’espèce, il incombe au salarié d’établir des faits permettant de présumer l’existence d’un tel harcèlement, éléments au vu desquels la partie défenderesse doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux, éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’article L. 1152-3 du code du travail ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissances des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 est nulle.

En l’espèce, Mme [C] se plaint d’un harcèlement moral caractérisé à compter du mois de janvier 2014 et sollicite à ce titre, outre la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice en découlant, la nullité de son licenciement avec les indemnités afférentes. L’employeur prétend quant à lui que Mme [C] n’évoque ni faits ou propos précis déplacés et strictement datés ou actions susceptibles de caractériser un comportement harcelant de sa part.

A l’appui de ses prétentions, elle invoque :

– le comportement de son N+2, M. [M], entre la mi-janvier le 10 mars 2014, consistant en une attitude brutalement critique et autoritaire suivie d’actions visant à l’isoler, lui rendre le travail plus difficile et à la discréditer aux yeux de son équipe avec des manifestations ostensibles d’hostilité voire d’agressivité à son égard, ce qui a conduit à son arrêt maladie pour syndrome anxiodépressif réactionnel du 14 mars au 2 novembre 2014 ;

– l’attitude de son employeur, via Mme [G] responsable des ressources humaines, lequel a refusé d’accorder entièrement foi à son récit et a affiché clairement sa volonté de lui imposer une reconversion interne, de sorte qu’à la reprise du travail le 3 novembre 2014, elle a accepté par défaut un poste en production en week-end jour, perdant ses responsabilités de bay leader ainsi qu’une partie de sa rémunération ;

– les reproches de sa nouvelle responsable d’équipe, Mme [P], le 29 mars 2015 de trop bien faire son travail et par suite de ralentir la productivité de l’équipe, de sorte a été placée en arrêt maladie pour syndrome anxiodépressif réactionnel du 3 au 30 avril 2015 ;

– la réponse dubitative de son employeur, via Mme [G] responsable des ressources humaines, quant à ces nouveaux faits et sa reprise du travail sur une mission temporaire au sein du service sécurité avec un impact sur sa rémunération avant un ultime arrêt maladie, pour syndrome anxiodépressif réactionnel attribué à une souffrance au travail, qui a commencé à courir le 26 juin 2015 ;

– la négation de sa souffrance par son employeur et la défiance à son égard ainsi que l’illustre la contre-visite médicale dont elle a fait l’objet le 15 janvier 2016 à sa demande outre son licenciement, prétendument pour insubordination, pour avoir pourtant légitimement décliné le poste de production en défectivité au sein de l’équipe D.

S’agissant des faits dont elle aurait été victime de la part de M. [M], Mme [C] verse aux débats un tract de la CGT daté du 25 mai 2012 qui dénonce ‘le management militarisé’ de plusieurs managers et dit notamment attendre ‘beaucoup de l’entretien entre la Direction et [Z] [M]…pour débloquer la situation’ ; elle invoque également le compte rendu de la réunion des délégués du personnel du 31 mai 2012 tirant ‘la sonnette d’alarme sur les pressions permanentes du management sur les salariés’, le malaise s’étendant à plusieurs équipes. La salariée s’appuie aussi sur ses évaluations des 26 février 2012, 16 mars 2013 et 10 mars 2014 qui montrent une dégradation de ses performances de communication avec son équipe et sa hiérarchie, initialement de bon niveau et adéquate avant de devenir de mauvaise qualité étant relevé ‘[F] manque de dynamisme et d’enthousiasme…elle se braque trop rapidement et elle semble rancunière face aux remarques faites par ses managers. [F] ne doit pas douter du soutien et de la confiance de la part de sa hiérarchie. Bon niveau de communication avec les AMM. Niveau relationnel en baisse avec les équipes.’ Il s’avère qu’en réponse à ses deux courriers des 18 mars et 12 mai 2014 à la direction pour l’informer des incidents avec M. [M], la direction indique : ‘Ceux-ci se sont déroulés à l’occasion de votre entretien annuel début mars. Cet entretien avait pour objet de mettre en évidence vos points forts et vos axes de développement avec notamment vos difficultés dans le management de votre équipe. Cet entretien n’a pas pu être mené à son terme par [W] [J], votre manager direct, en raison du mutisme dans lequel vous êtes réfugié. C’est alors que [W] [J] a demandé le support de [Z] [M] afin de tenter de débloquer la situation. Ce dernier aurait aimé pouvoir discuter avec vous des difficultés rencontrées. Face à votre silence, M. [M] a tenté en vain de vous faire réagir. Vous avez mal vécu son intervention. M. [M] regrette la tournure de cet événement. Il reste ouvert à la reprise du dialogue et souhaite apaiser ce climat conflictuel’. Il s’en déduit que si les incidents rapportés par la salariée dans ses courriers avant la tenue de son entretien annuel ne sont corroborés par aucun élément extrinsèque, en revanche il est avéré ainsi qu’elle l’indique que M. [M] a cherché à la provoquer, ce qui accrédite ses dires lorsqu’elle relate ses propos en ces termes : ‘ qu’est-ce que qui ne va pas encore avec toi…dis-moi va te faire foutre ainsi l’abcès sera crevé’, la salariée expliquant avoir alors préféré se taire. Les faits sont donc avérés.

Sur l’attitude de la direction à réception de ces courriers mais aussi en prévision de sa reprise du travail, il ressort des échanges que communique la salariée qu’elle a été reçue par Mme [G], responsables des ressources humaines, à deux reprises pour parler des circonstances de son entretien annuel mais aussi de ses possibilités de travailler dans une autre équipe et qu’il lui a été conseillé de faire un bilan de compétences. Elle justifie d’autres correspondances et entretiens mais atteste qu’à sa reprise le 3 novembre 2014, par un nouvel avenant à son contrat de travail, elle a été affectée en équipe bloquée de week-end jour de janvier à décembre, période à l’issue de laquelle elle devait retourner dans un poste équivalent au sien ; il était prévu pour compenser la perte des majorations de nuit une dégressivité ; la salariée justifie avoir noté sur cet avenant avant signature ‘dans l’attente de précisions que vous pourriez m’apporter quant à mon évolution professionnelle au sein de ST’. Il s’en déduit que les faits tenant à l’acceptation par défaut par Mme [C] d’un poste en production en week-end jour avec la perte de ses responsabilités de bay leader et d’une partie de sa rémunération sont avérés.

Mme [C] produit encore aux débats un courrier du 8 avril 2015 de sa main relatant les critiques de Mme [P], shom deputy, à son égard, celle-ci lui reprochant de ne pas travailler assez vite et de ralentir la production outre le fait qu’elle soit la seule à se plaindre des vapeurs du xylène. Elle justifie que l’employeur lui a répondu le 29 avril suivant que la valeur limite d’exposition professionnelle au xylène n’avait pas été dépassée et qu’en toute hypothèse, il mettait en place un plan d’action pour réduire les désagréments possibles liés à ces émanations ; quant à l’échange avec la responsable adjointe de l’équipe D, il ne remettait pas en cause la matérialité des faits, indiquant : ‘il y a vraisemblablement un décalage significatif entre l’objectif initial et ce que vous avez ressenti’. Les faits sont donc démontrés.

Quant à la rupture de la relation de travail, il ressort de la lettre du 26 avril 2016 que Mme [C] a été licenciée pour avoir refusé de prendre un poste en défectivité et contrôle IPD qu’elle avait prétendûment accepté, l’employeur voyant dans cette attitude un acte d’insubordination. La salariée atteste qu’à son retour d’arrêt maladie en avril 2015, elle a effectué une mission au sein du service sécurité jusqu’en juin 2015, à l’issue de laquelle elle a de nouveau été placée en arrêt maladie puis déclarée inapte temporaire le 11 janvier 2016. Le 16 février 2016, elle a rappelé à son employeur qu’elle n’a jamais souhaité redevenir opératrice de production après sa promotion de bay leader et n’a accepté ce type de poste que de façon provisoire dans l’attente du règlement de sa situation, ce qui a amené l’employeur le 3 mars 2016 à considérer qu’elle n’avait pas l’intention de reprendre son poste d’opératrice de production. Au regard de la situation particulière induite par l’inaptitude, même temporaire, de la salariée, les faits apparaissent établis.

Enfin, Mme [C] communique l’extrait de son dossier médical santé au travail qui confirme ses dires quant à la dégradation de son état de santé, conduisant notamment le Dr [X] [I], médecin du travail à adresser à l’employeur le 26 mai 2014 le mail suivant : ‘Je reviens vers vous pour vous alerter d’une situation préoccupante, qui perdure et pour laquelle je pense qu’il n’y a pas eu d’action réelle, d’autant que je reçois Mme [F] [C] ce jour en visite de pré-reprise en état de souffrance au travail. Elle subit un dénigrement permanent de la part de son N+2, M. [M] avec intimidation gestuelle, propos méprisants, elle est dans un état psychologique inquiétant, je l’adresse au psychologue du travail avec son accord. Aussi, en tant que conseiller de votre entreprise je me permets de vous alerter sur l’existence de cette situation de souffrance au travail en vous rappelant qu’il est de vos obligations d’employeur, article L. 4121-1 du code du travail, de prendre les dispositions nécessaires, afin de rétablir des conditions de travail dans le respect de la dignité et de la santé morale des salariés. PS ci-joint le mail du 10 mars 2014, ce n’est malheureusement pas un cas isolé.’ La salariée joint une attestation de M. [A] [I], psychologue au travail, qui déclare : ‘Au cours de ces entretiens, nous avons pu mettre en évidence l’origine professionnelle du mal-être ressenti par Mme [F] [C]’. Son médecin traitant atteste que tout au long de son suivi, la patiente ne lui a rapporté aucun autre élément de souffrance, notamment dans sa vie privée.

Il s’ensuit que ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral et qu’il appartient dès lors à l’employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que ses décisions ont été justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’employeur observe que le dossier médical versé aux débats par la salariée démontre que ses troubles médicaux sont antérieurs aux faits allégués de même que ses problèmes relationnels. Il est exact que le 4 mars 2002, le médecin du travail a relevé une situation conflictuelle avec des collègues et qu’en 2005 et 2006, il a porté dans ses comptes-rendus ‘anxieuse’ ou ‘stress’ puis en 2009 ‘est isolée dans l’équipe de sa faute à elle et de plus mauvaise ambiance’ et encore en 2010/2011 ‘est stressée par son responsable’ ou se dit ‘fataliste’ après deux arrêts de travail d’un mois, révélant à cette occasion que la salariée prenait des cours de comptabilité pour aider son mari. Il n’en demeure pas moins que ces éléments sont antérieurs aux faits querellés, qui étaient en germe dès mai 2012, et sont inopérants à justifier l’attitude de l’employeur à l’égard de sa salariée ultérieurement alors qu’elle avait montré des signes de fragilité.

Il critique également le positionnement du Dr [I], médecin du travail, à laquelle il reproche ‘un relai systématique d’accusations gratuites’ mais affirme avoir traité son alerte du 26 mai 2014 ainsi que l’illustre selon lui son courrier du 5 octobre 2020 adressé au conseil de prud’hommes de Tours ; aux termes de celui-ci, l’employeur souligne que le CHSCT et les syndicats n’ont pas été mis en oeuvre par Mme [C] et qu’en tout état de cause, un comité RPS extraordinaire a été réuni sur le site le 27 mai 2014 en présence du Dr [I] et de M. [T], dont le compte rendu a été donné à la salariée selon courrier du 28 mai suivant. Il ajoute que postérieurement, le Dr [I] n’a pas donné de suites particulières. Le courrier d’octobre 2020 ne saurait néanmoins être sérieusement considéré comme un compte-rendu du dit comité, qui s’est, au surplus, tenu 6 ans auparavant ; quant à la restitution qui en faite à la salariée le 28 mai 2014, elle confirme en tous points les dires de la salariée quant à l’existence d’un incident vec M. [M], lequel de l’aveu de l’employeur, a tenté de la faire réagir et regrette la tournure de cet événement tout en indiquant ‘vous avez mal vécu son intervention’ et en lui proposant de la changer d’équipe et de faire un bilan de compétences. Enfin, il est faux d’affirmer que le CHSCT et les syndicats n’ont pas été saisis de la situation de la salariée au vu des pièces communiquées.

Il conteste par ailleurs toute potentielle rétrogradation de la salariée à son retour d’activité le 3 novembre 2014 aux motifs que ses souhaits n’ont jamais porté sur un poste de bay leader mais sur celle d’un technicien outre le fait qu’aucune diminution de salaire n’est prétendument intervenue. Il produit les courriers de la salariée des 11 juin et 7 juillet 2014 où elle indique qu’elle serai prête à accepter un autre poste dans l’ordre de ses souhaits ainsi que les échanges entre la salariée et le service des ressources humaines à l’issue desquels il sera fait à la salariée deux propositions:

– un mission temporaire en équipe A sur un poste de bay leader en étant accompagnée par un bay-leader référent, ce jusqu’en décembre avec possibilité d’être affectée sur un poste identique dans une autre équipe en cas de succès,

– un poste en production en équipe D ou toute autre équipe.

Il s’avère toutefois, qu’attache prise avec le médecin et le psychologue du travail, dont il n’est pas justifié, la responsable des ressources humaines a considéré que ces deux postes ne semblaient pas convenir, sans autre précision pour finalement proposer et retenir d’intégrer la salariée à l’équipe D selon avenant du 27 novembre 2014 prévoyant à compter de janvier 2015 un retour dans un poste équivalent à celui quitté et la perte dégressive des majorations de nuit, ce qui confirme en tout point le grief allégué, étant précisé que jusqu’à son nouvel arrêt de travail en avril 2015, il n’est pas certifié de l’évolution professionnelle annoncée de la salariée, notamment comme formatrice.

L’employeur avance encore que Mme [C] lui a fait part de nouvelles difficultés relationnelles le 8 avril 2015 alors qu’elle se trouvait dans une autre équipe avec des personnes différentes et affirme avoir cherché des solutions dès le 29 avril suivant. Il apparaît toutefois qu’il a considéré que la responsable adjointe de l’équipe D, Mme [P], était dans son rôle de manager et qu’une nouvelle fois ‘il y a vraisemblablement un décalage significatif entre l’objectif initial et ce que vous avez ressenti’ ; il a alors proposé à Mme [C] une mission temporaire au sein du service sécurité (EHS) jusqu’au 30 juin 2015 dans l’attente de l’évocation d’un projet de formation pour reconversion professionnelle sans chercher à rétablir la salariée dans un poste équivalent à ses précédentes attributions, adoptant le même comportement critiquable que précédemment.

Le 26 juin 2015, Mme [C] a de nouveau été placée en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif réactionnel et souffrance au travail avant d’être déclarée inapte temporaire au poste d’opérateur production le 11 janvier 2016. Il ressort des échanges entre les parties pendant cette période, qu’après avoir affecté provisoirement la salariée au service EHS, l’employeur lui a indiqué les 22 octobre et 3 décembre 2015 qu’il n’y avait aucune opportunité de création d’un tel poste en son sein, sans cependant en attester, mais qu’il était d’accord pour l’accompagner dans un projet de formation de reconversion vers ces métiers dans le cadre d’un projet de changement d’entreprise. Il lui a alors demandé d’intégrer un poste en équipe de week-end en défectivité et contrôle IPD, où elle avait été affectée temporairement en novembre 2014 dans la perspective d’un retour en équipe 2 x 8 de semaine dans un poste équivalent à celui quitté. Il n’a pas revu sa position à l’issue de l’entretien préalable qui s’est tenu le 18 avril 2016, faisant grief à la salariée de refuser ce poste en dépit de l’avis d’inaptitude temporaire au poste d’opérateur production intervenu le 11 janvier 2016.

Il s’évince de l’ensemble de ces éléments, et non du seul arrêt de travail du 30 mai 2014 dressé par le Dr [D], médecin généraliste et contesté par l’employeur devant le conseil de l’ordre, que les agissements répétés invoqués ont eu pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail de Mme [C] jusqu’à porter atteinte à ses droits et à sa dignité, altérer sa santé physique ou mentale, ou compromettre son avenir professionnel, de sorte que les faits de harcèlement moral sont constitués, confirmant la décision déférée sur ce point.

Mme [C] sollicite en réparation de son préjudice la somme de 20 000 euros. Elle atteste que son état de santé a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels après avis du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) et qu’elle bénéficie d’un taux d’incapacité permanente partielle de 10 % depuis le 9 novembre 2017. Elle a toutefois entrepris une formation et une reconversion professionnelle. Il lui sera donc alloué la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts, infirmant la décision déférée en son quantum.

La salariée est également bien fondée à solliciter en conséquence la nullité de son licenciement. Elle réclame la somme de 50 000 euros à ce titre. Il sera rappelé qu’au regard des dispositions des articles L. 1152-3 et L.1235-3 du code du travail dans leur version applicable au cas d’espèce, l’indemnité à ce titre ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Mme [C] justifie de son indemnisation par Pôle emploi à compter du 24 novembre 2016, de sa reconversion professionnelle et son parcours professionnel avant de retrouver un emploi suivant contrat de travail à durée indéterminée le 16 mars 2022. Lors de son licenciement, elle était âgée de 46 ans et présentait 16 ans d’ancienneté.

En considération de sa situation particulière, notamment de son âge, de son ancienneté au moment de la rupture, des circonstances de celle-ci, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de sa formation et en l’état des éléments soumis à l’appréciation de la cour, il lui sera alloué la somme de 25 000 euros en réparation de la perte injustifiée de son emploi.

– Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles :

Il convient de réformer le jugement en ce qu’il a condamné la société rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [C] du jour de son licenciement au jour de l’arrêt, ce, dans la limite de six mois d’indemnités, en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, celles-ci n’étant pas applicables en cas de nullité du licenciement prononcé avant l’entrée en vigueur de la loi 2016-1088 du 8 août 2016.

Le jugement querellé est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel ainsi qu’à payer à Mme [C] la somme complémentaire de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sera en conséquence déboutée de sa propre demande d’indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :

Confirme le jugement du 21 décembre 2020 sauf en ce qu’il a condamné la SAS MTMicroelectronics Tours à payer à Mme [F] [C] les sommes de 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la SAS MTMicroelectronics Tours à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [C] du jour de son licenciement au jour de l’arrêt, ce, dans la limite de six mois d’indemnités, en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la SAS MTMicroelectronics Tours à payer à Mme [F] [C] les sommes suivantes :

– 5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

Condamne la SAS MTMicroelectronics Tours à payer à Mme [F] [C] une somme complémentaire de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Condamne la SAS MTMicroelectronics Tours aux dépens d’appel et la déboute de sa propre demande d’indemnité de procédure ;

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier

Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET

 


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