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délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1ère chambre sociale
ARRET DU 18 AVRIL 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/06665 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OLI5
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 16 SEPTEMBRE 2019
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG F17/00378
APPELANTE :
Association CGEA DE TOULOUSE UNEDIC Délégation AGS CGEA de Toulouse
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître Delphine CLAMENS-BIANCO de la SELARL CHATEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Maître Guilhem PANIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [T] [W]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Maître Claire Maguelonne LEROY, avocat au barreau de MONTPELLIER
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/019789 du 08/01/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
S.E.L.A.R.L. MJ ALPES venant aux droits de la SELAS MJ PERSPECTIVES
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Maître Thibault GANDILLON de la SCP LES AVOCATS DU THELEME, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 07 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre et Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère
Madame [M] CHICLET, Conseillère
Greffière lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT
ARRET :
– Contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Monsieur Philippe CLUZEL, Greffier.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
M. [T] [W] a, par requête enregistrée le 7 avril 2017, saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier à l’encontre de la SARL Les Sens Ciel, faisant valoir qu’il avait travaillé pour cette dernière en tant que chef cuisinier salarié depuis le 5 mai 2016, que la rupture notifiée par lettre du 30 septembre 2016 à effet au 30 octobre 2016 était irrégulière et abusive et que des heures supplémentaires ainsi que l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé lui étaient dues.
Par décisions successives des 19 janvier 2018 et 19 janvier 2019, le tribunal de commerce de Montpellier a prononcé le redressement judiciaire de la SARL Les Sens Ciel puis la liquidation judiciaire de l’entreprise, désignant la SELAS MJ Perspectives représentée par Maître [M] [P] en qualité de mandataire liquidateur.
Par jugement du 16 septembre 2019, le conseil de prud’hommes a
– dit que le licenciement de M. [T] [W] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– dit que la moyenne des salaires était de 3 291,31 € par mois,
– fixé les créances de M. [T] [W] à
* 5 000 € net au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 19 747,86 € net au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
* 3 291 € net au titre de la procédure irrégulière,
– dit que ces sommes devaient être portées par Maître [P] de la SELAS MJ Perspective en sa qualité de liquidateur judiciaire, sur l’état des créances de la SARL Sens Ciel et ce au profit de M. [T] [W],
– dit qu’à défaut de fonds suffisant dans l’entreprise, les créances seront payées par l’AGS dans les limites de la garantie prévue par les articles L 3253-6 et L 3253-17 du Code du travail,
– dit que Maître [P] ès qualités devra établir et délivrer à M. [T] [W] le certificat de travail et l’attestation Pôle emploi rectifiés, conformes à la décision et correspondant à la période d’emploi,
– débouté M. [T] [W] du surplus de ses demandes ainsi que de l’article 700 du Code de procédure civile,
– mis les éventuels dépens de l’instance à la charge de la SARL Sens Ciel et dit qu’ils seront inscrits sur l’état des créances par Maître [P] ès qualités.
Par déclaration enregistrée au RPVA le 7 octobre 2019, l’Association Unedic délégation AGS CGEA a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 5 mai 2021, l’association Unédic Délégation AGS CGEA de Toulouse demande à la Cour :
A titre principal ,
– d’infirmer le jugement attaqué ;
– de dire et juger que M. [W] a été embauché le 1er juillet 2016, que la rupture de la période d’essai est parfaitement valable et de le débouter de l’intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire, de
– ramener le montant des dommages et intérêts éventuellement dus pour rupture
abusive ou pour non-respect de la procédure de licenciement, à de plus justes proportions ;
En tout état de cause, de
– constater qu’en tout état de cause, la garantie de l’AGS est plafonnée toutes créances avancées pour le compte du salarié à l’un des trois plafonds définis par l’article D. 3253-5 du Code du travail et qu’en l’espèce, c’est le plafond 4 qui s’applique ;
– exclure de la garantie AGS les sommes éventuellement fixées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ou 37 de la loi du 10 juillet 1991, dépens et astreinte ;
– dire que toute créance sera fixée en brut et sous réserve de cotisations sociales et contributions éventuellement applicables, conformément aux dispositions de l’article L. 3253-8 in fine du Code du travail ;
– donner acte au CGEA de ce qu’il revendique le bénéfice exprès et d’ordre public des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan des conditions de la mise en ‘uvre du régime d’assurance de créances des salariés que de l’étendue de ladite garantie.
Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 6 mai 2021, M. [T] [W] demande à la Cour de
– statuer ce que de droit sur la régularité de l’appel ;
– accueillir son appel incident ;
– débouter l’Unedic AGS CGEA de l’ensemble de ses demandes fins et prétentions et confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre des heures supplémentaires ;
– fixer sa créance au passif de la société de la façon suivante :
* 5 000 € net de prélèvement à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*19 747,86 € au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
* 3 291 € net au titre de la procédure irrégulière,
* 7 345 € brut au titre des heures supplémentaires ;
– condamner l’Unedic CGEA AGS aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions enregistrées au RPVA le 11 février 2020, la SARL Les Sens Ciel à l’enseigne le Cosy Beach, et la SELARL MJ Alpes venant aux droits de la SELAS MJ Perspectives représentée par Maître [M] [P] mandataire judiciaire ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Les Sens Ciel, demandent à la Cour de
– statuer ce que de droit sur la recevabilité de l’appel ;
A titre principal, d’infirmer le jugement ;
– dire et juger que le contrat de travail a débuté le 1er juillet 2016, que la rupture intervenue le 30 septembre 2016 l’a été durant la période d’essai et débouter M. [T] [W] de toutes demandes afférentes à la rupture du contrat de travail, que l’infraction de travail dissimulé n’est pas constituée ;
– confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a débouté M. [W] de ses dernandes au titre des heures supplémentaires ;
A titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions les montants indemnitaires alloués et statuer ce que de droit sur les dépens.
Pour l’exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 7 février 2023.
MOTIFS
Sur la relation salariée et sa rupture.
L’article L 1221-10 alinéa 1 du Code du travail dispose que « l’embauche d’un salarié ne peut intervenir qu’après déclaration nominative accomplie par l’employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet ».
Il résulte de ces dispositions légales qu’une déclaration préalable à l’embauche fait présumer l’existence d’un contrat de travail.
Le mandataire liquidateur, qui conteste l’existence d’un tel contrat de travail apparent, doit établir le caractère fictif de ce dernier.
En l’espèce, le salarié fait valoir qu’il a été engagé en tant que chef cuisinier dès le 5 mai 2016 pour préparer l’ouverture d’un établissement de restauration sans contrat de travail écrit, qu’il a été payé par chèques et produit la déclaration préalable à l’embauche réalisée par la SAS Les Sens Ciel ainsi que des chèques et l’attestation régulière de M. [R] [U] ex-salarié responsable du personnel, lequel indique avoir constaté que l’intimé avait commencé à travailler dans l’entreprise dès le 2 mai 2016.
Ainsi que l’a justement retenu le conseil de prud’hommes, l’appelante et le mandataire liquidateur ne versent aucun élément au dossier susceptible de renverser la présomption de relation salariée résultant de la déclaration préalable à l’embauche.
La relation de travail salariée a dès lors débuté le 5 mai 2016 dans le cadre d’un contrat de travail réputé à durée indéterminée et à temps complet.
La rupture de la relation de travail est intervenue par lettre du 30 septembre 2016 de la SARL Les Sens Ciel. Celle-ci fait référence à une période d’essai de quatre mois qui serait en cours depuis le 1er juillet 2016, date de la signature d’un contrat de travail entre M. [T] [W] et la SAS Les Associés, personne morale distincte qui n’est pas attraite en la cause.
Dans la mesure où aucun contrat de travail n’a été rédigé le 5 mai 2016 par la SARL Les Sens Ciel, la rupture est nécessairement intervenue en dehors de toute période d’essai.
L’employeur ou son mandataire liquidateur ne sauraient se prévaloir d’une période d’essai prévue par un contrat de travail à durée indéterminée du 1er juillet 2016 conclu par le salarié avec une tierce personne non appelée en la cause.
Ils ne sauraient non plus invoquer un « transfert » du contrat de travail du 1er juillet 2016 au profit de la SARL Les Sens Ciel en l’absence de tout élément objectif et alors que la relation de travail débutée le 5 mai 2016 avec la SARL Les Sens Ciel était toujours en cours d’exécution.
Il s’ensuit que, ainsi que l’a jugé le conseil de prud’hommes, la rupture est abusive et irrégulière, faute de respect des dispositions légales relatives au licenciement.
Sur les conséquences pécuniaires de la rupture.
Compte tenu de l’âge du salarié (né le 15/03/1966), de son ancienneté à la date de la rupture (plus de 5 mois), du nombre de salariés habituellement employés (moins de 11 salariés), de sa rémunération mensuelle brut (3 291 €) et de l’absence de tout justificatif relatif à sa situation actuelle, il convient de fixer les sommes suivantes à son profit :
– 3 291 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3 291 € au titre de la procédure irrégulière.
Sur le rappel de salaires au titre des heures supplémentaires.
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du Code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, le salarié fait valoir qu’en juillet et août 2016, période au cours de laquelle l’établissement « Le Cosy Beach » était ouvert, il a accompli 330 heures de travail étant précisé qu’il indique que la durée de travail hebdomadaire était fixée à 39 heures.
Il verse aux débats les pièces suivantes :
– les plannings de chaque semaine à compter du 1er juillet 2016 jusqu’au 31 août 2016, signés par l’employeur en la personne de M. [R] [U], responsable du personnel, et par lui-même, dont il ressort qu’il a accompli sur cette période 257,95 heures supplémentaires,
– un tableau récapitulatif relatif aux heures accomplies entre les semaines 27 et 34 (du lundi 4 juillet au dimanche 28 août 2016), dont il ressort qu’il aurait dû percevoir la somme de 8 080,21, qu’il n’a perçu que 735,05 € au titre des majorations pour heures supplémentaires et qu’une somme de 7 345,16 € lui est due,
– les bulletins de salaire de septembre et octobre 2016 établis par la SARL Les Sens Ciel, dont il ressort qu’il a perçu pour chacun des mois de septembre et octobre 2016, les sommes de 2 923,74 € au titre du salaire de base et de 367,48€ brut au titre des 17,33 heures supplémentaires inclus dans les 169 heures mensuelles,
– une capture d’écran de l’avis d’un client sur l’établissement « Le Cosy Beach », mentionnant notamment qu’en fin de saison, le personnel se relâchait, sept personnes en salle chantaient et dansaient « alors que le chef (était) seul en cuisine à assurer l’ensemble des postes ! ».
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre au mandataire liquidateur ès qualités de répondre.
Celui-ci rétorque que les relevés d’heures ont été établis par le salarié, qu’ils ne portent aucun élément d’identification tels un tampon, une signature ou un visa de l’employeur, qu’ils ont été signés par un autre salarié, M. [U] dont il n’est pas justifié qu’il aurait bénéficié d’une délégation de signature ou de fonction de la part de l’employeur, qu’il n’est pas établi que les heures supplémentaires alléguées auraient été demandées par l’employeur et que le salarié ne prouve pas avoir sollicité le paiement d’heures supplémentaires auprès de l’employeur.
Les arguments liés à la contestation du nombre d’heures de travail accompli et à l’absence de réclamations de la part du salarié sont inopérants en ce que le mandataire liquidateur ès qualités ne produit aucun élément objectif relatif au contrôle des heures de travail du salarié.
Dès lors, il y a lieu d’accueillir la demande en rappel de salaire à hauteur de 7.345 €.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande.
Il doit être relevé que le salarié ne sollicite pas l’indemnité compensatrice de congés payés afférents au rappel de salaire.
Sur le travail dissimulé.
La dissimulation d’emploi salarié prévue à l’article L 8221-5 du Code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, omis d’accomplir la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche ou de déclarer l’intégralité des heures travaillées.
L’article L 8223-1 du même Code, dans sa version applicable, prévoit qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié concerné par le travail dissimulé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l’espèce, l’absence de délivrance de bulletins de salaire pour les mois de mai à juin 2016 inclus et l’importance du volume d’heures supplémentaires démontrent l’intention de dissimulation des heures de travail accomplies par le salarié.
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a fixé l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé à la somme de 19 747,86 €.
Sur la garantie de l’AGS.
Il y aura lieu de constater que le plafond de la garantie de l’AGS est le plafond 4 et il sera donné acte au CGEA de ce qu’il revendique le bénéfice des textes légaux et réglementaires applicables.
Sur les demandes accessoires.
L’association Unédic délégation AGS CGEA, appelante, sera tenue aux entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe ;
INFIRME le jugement du 16 septembre 2019 du conseil de prud’hommes de Montpellier en ce qu’il a débouté M. [T] [W] de sa demande au titre des heures supplémentaires ;
Statuant à nouveau sur ce seul chef infirmé,
FIXE à la liquidation judiciaire de la SARL Les Sens Ciel représentée par la SELARL MJ Alpes venant aux droits de la SELAS MJ Perspectives, représentée par Maître [M] [P], mandataire judiciaire, la somme de 7.345 € au titre du rappel de salaire correspondant aux heures supplémentaires ;
CONDAMNE l’association Unedic Délégation AGS CGEA aux entiers dépens de l’instance ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT