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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 19 AVRIL 2023
(n° 2023/ , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06724 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEDNK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juin 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F 17/05647
APPELANTE
S.A.S.U. BIGBEN CONNECTED
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
INTIMÉ
Monsieur [R] [O]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Sophie TRANCHANT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1955
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 07 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
M. [O] a été engagé le 25 septembre 2009 par la société Modelabs Group selon contrat à durée indéterminée en qualité de chef de projet technique, statut cadre, position 3.1, coefficient 170 de la convention collective dite syntec.
Un avenant a été signé le 1er avril 2012.
A la suite de transferts de son contrat de travail, M. [O] travaillait pour la société Bigben Connected .
Par courrier du 29 juin 2015, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement fixé au 10 juillet suivant, avec mise à pied conservatoire.
Le licenciement pour faute grave de M. [O] a été prononcé le 20 juillet 2015.
M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 18 juillet 2017 aux fins de contester le licenciement et demander des rappels d’heures supplémentaires.
Par jugement du 30 juin 2021, le conseil de prud’hommes statuant en formation de départage a :
Condamné la société Bigben Connected à payer à M. [O] les sommes de :
– 15 000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 500 euros au titre des conges payés afférents,
– 12 170 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 3 461,85 euros au titre de la période de mise à pied,
– 346,18 euros au titre des congés payés afférents,
– 50 000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonné le remboursement par la société Bigben Connected des indemnités de chômage versées à M. [O] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois ;
Dit qu’une copie du jugement serait adressée à Pôle Emploi ;
Déclaré recevable mais mal fondée la demande en paiement d’heures supplémentaires ;
Ordonné l’exécution provisoire de la décision ;
Dit que les intérêts dus pour une année entière produiront intérêts ;
Condamné la société Bigben Connected au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de 1’article 700 du code de procédure civile ;
Débouté la société Bigben Connected de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.
La société Bigben Connected a formé appel par acte du 22 juillet 2021.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 10 octobre 2022, auxquelles la cour fait expressément référence, la société Bigben Connected demande à la cour de :
Confirmer la décision déférée en ce qu’elle a débouté le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, des congés payés y afférents, de contrepartie obligatoire en repos, du travail dissimulé, des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté, de sa demande au titre du rappel de prime trimestrielle et des congés payés sur prime trimestrielle,
L’infirmer sur le surplus,
Y ajoutant,
Débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes, dont son appel incident,
Le condamner reconventionnellement au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Le condamner aux entiers frais et dépens.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 31 mai 2022, auxquelles la cour fait expressément référence, M. [O] demande à la cour de :
Recevoir la société Bigben Connected en son appel, mais l’y déclarer mal fondée,
Recevoir M. [O] en son appel incident, et l’y déclarer recevable et bien fondé,
Dire et juger prescrits tous les faits fautifs antérieurs au 29 avril 2015,
Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :
Dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse
Condamné la société Bigben Connected à lui payer les sommes de :
– 15 000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 500 euros au titre des congés payés afférents,
– 12 170 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 3 461,85 euros au titre de la période de mise à pied,
– 346,18 euros au titre des congés payés afférents,
Ordonné le remboursement par la société Bigben Connected des indemnités de chômage versées à M. [O] du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 6 mois,
Dit qu’une copie du présent jugement sera adressée à Pôle Emploi,
Dit que les intérêts dus pour une année entière produiront intérêt,
Condamné la société Bigben Connected au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Débouté la société Bigben Connected de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens,
Réformer le montant alloué à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamner la société Bigben Connected à ce titre à la somme de 72 298,08 euros (12 mois) nets de cotisations sociales et de CSG et de CRDS,
Infirmer le jugement pour le surplus,
Et statuant à nouveau :
Condamner la société Bigben Connected à verser à M. [O] avec intérêts de droit (article 1153 du code civil) à compter du prononcé de l’arrêt :
Rappel de prime trimestrielle correspondant au préavis : 3 333,33 euros bruts,
Congés payés afférents : 333,33 euros bruts,
Dommages-intérêts au titre des manquements de l’employeur à l’exécution de bonne foi du contrat de travail (article L.1222-1 du code du travail) : 36 149,04 euros (6 mois) nets de cotisations sociales et de CSG et de CRDS,
Rappel d’heures supplémentaires : 27 435,82 euros bruts,
Congés payés afférents : 2 7435,82 euros bruts,
Contrepartie obligatoire en repos : 10 674,75 euros bruts,
Indemnité de travail dissimulé (articles L.8221-1 et suivants et L.8223-1 du code du travail): 36 148,80 euros (6 mois) nets de charges sociales,
Article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros,
Débouter la société Bigben Connected de l’ensemble de ses demandes,
Condamner la société Bigben Connected aux entiers dépens y compris les frais éventuels d’exécution de l’arrêt à intervenir.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023.
MOTIFS
Sur la demande formée par l’appelant de rejet de pièces produites par l’intimé
Dans la partie de ses conclusions relative à la discussion, la société Bigben Connected demande que les pièces 49a et 49b produites par M. [O] soient écartées des débats, sans que cette demande ne soit mentionnée dans le dispositif de ses conclusions.
En application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande.
Sur le licenciement
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Elle implique une réaction de l’employeur dans un délai bref à compter de la connaissance des faits reprochés au salarié.
En application des articles L1232-1 et L 1235-1 du code du travail dans leur rédaction applicable à l’espèce, l’administration de la preuve du caractère réel et donc existant des faits reprochés et de leur importance suffisante pour nuire au bon fonctionnement de l’entreprise et justifier le licenciement du salarié, n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
En revanche la charge de la preuve de la qualification de faute grave des faits reprochés qui est celle correspondant à un fait ou un ensemble de faits s’analysant comme un manquement du salarié à ses obligations professionnelles rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et le privant de tout droit au titre d’un préavis ou d’une indemnité de licenciement, pèse sur l’employeur.
La lettre de licenciement, qui fige l’objet du litige, mentionne plusieurs motifs. Elle indique que :
– le 25 septembre 2014 M. [O] avait été chargé du changement de la version du logiciel Navision pour le 1er avril 2015, avec l’assistance de la société Absys Cyborg, projet qui a pris du retard avec deux reports successifs, la mise en oeuvre ayant eu lieu le 8 juin 2015 ;
– le prestataire en charge de l’assistance n’a été sélectionné qu’avec retard ;
– de nombreuses et graves anomalies ont été constatées après le changement de version, consécutives à une absence de tests préalables, notamment l’absence de possibilité d’impression de factures clients pendant 15 jours, des données erronées et des dysfonctionnements concernant les informations, qui ont impacté l’activité de la société, et l’outil étant inadapté au nombre d’utilisateurs,
– une absence d’information du responsable quant à l’avancée des opérations.
La société Bigben Connected fait valoir que le licenciement est fondé sur un motif disciplinaire, et non sur une insuffisance professionnelle, soulignant l’absence de test réalisé par M. [O] avant la mise en oeuvre du nouveau logiciel, qu’en outre il est possible de prononcer un licenciement pour des motifs de natures différentes.
La qualification de faute grave retenue par l’employeur est par nature disciplinaire.
M. [O] invoque en premier lieu la prescription de plusieurs faits.
L’article L. 1332-4 du code du travail dispose : ‘Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.’
La société Bigben Connected explique n’avoir eu connaissance des différents griefs qu’après la mise en oeuvre du logiciel, après laquelle les nombreuses difficultés sont apparues et ont révélé les manquements du salarié.
La convocation à l’entretien préalable été adressée à M. [O] le 29 juin 2015. En conséquence les faits reprochés qui auraient été commis à partir du 29 avril 2015 ne sont pas atteints par la prescription.
Par mail du 25 septembre 2014 le supérieur hiérarchique de M. [O], M. [P], a informé de nombreux salariés de l’entreprise de la mission de migration du logiciel Navision vers un nouveau logiciel au 1er avril 2015, qui serait menée par M. [O] en qualité de chef de projet. Les membres de l’équipe y sont désignés ainsi que plusieurs personnes en qualité d’expert métier, par spécialité, avec comme sponsor M. [P], outre un conseil externe.
Après rappel adressé à M. [O], qui était en charge de faire établir plusieurs devis à cette fin, le contrat avec la société Absys Cyborg pour accompagner la migration informatique a été signé le 30 décembre 2014 par M. [P], son responsable. Il comporte un descriptif du déroulement des opérations, ainsi qu’une évaluation du nombre de jours, estimée à 179 jours pour un redémarrage, délai qui était ainsi incompatible avec le respect de la date initiale de mise en oeuvre. Le supérieur de M. [O] en était ainsi informé dès la date de signature du contrat et ce grief du retard au démarrage du projet est atteint par la prescription.
Le grief d’absence de reporting au supérieur de M. [O], consigne qui lui avait été donnée dans le mail du 25 septembre 2014, est un comportement continu se poursuivant au delà du 29 avril 2015 et qui n’était pas atteint par la prescription.
L’intimée produit plusieurs comptes rendus du comité de pilotage qui ont été établis par la société Absys Cyborg. Celui du 20 mars 2015 ne mentionne que M. [O] pour représenter la société Bigben Connected. Le document suivant indique un comité de pilotage tenu au mois d’avril 2015 ; si la date n’est pas précisée il comporte cependant des informations arrêtées au 30 avril 2015. Ce document mentionne la présence de M. [O] et de son supérieur M. [P], précise le déroulement des opérations ainsi que les différents éléments de progrès, inquiétants ou satisfaisants. Le comité de pilotage suivant est du 4 mai 2015 et mentionne également la présence de M. [O] et de M. [P] ; il détaille également l’avancée des opérations, ce qui a été réalisé et ce qui reste à faire avant la migration. Il en est de même pour le comité de pilotage du 22 mai 2015, document qui a en outre été adressé par mail à M. [P] le 22 mai 2015, bien que noté présent à la réunion.
M. [O] a échangé plusieurs mails avec son supérieur fin mai, pour demander que le lancement des opérations du 1er juin 2015 soit repoussé au 8 juin pour prévoir une journée de tests le samedi 30 mai 2015, et un mail adressé le 30 mai à 23 heures lui donnant un compte rendu de cette journée. De nombreux autres échanges ont ensuite eu lieu au mois de juin 2015 sur l’avancée des opérations.
Ainsi, le supérieur de M. [O] a toujours été informé du déroulement des opérations, étant présent aux comités de pilotage et destinataire de messages de son salarié. Le grief de défaut de reporting n’est pas caractérisé.
L’appelante fait valoir que M. [O] a été défaillant dans les tests préalables à l’opération, qui auraient permis de remédier aux importantes difficultés rencontrées dans le fonctionnement de l’entreprise après la migration . Elle produit de nombreux mails de salariés de services différents qui font état de problèmes concernant l’édition de factures, la gestion des commandes, les stocks, la rédaction des documents bancaires. Ces difficultés, réelles, sont survenues au cours du mois de juin, après la date du 8 juin 2015.
Contrairement à ce qui est soutenu par l’employeur, il s’agissait d’un projet important et non d’une simple mise à jour, ce qui résulte des comptes rendus des comités de pilotage, mais également de l’attestation d’un salarié, devenu le nouveau DSI en charge de l’informatique, qui indique que ‘compte tenu de l’importance de ce projet pour l’entreprise, il aurait été nécessaire de formaliser par des documents, les différents changements apportés et de faire plus de tests, car c’est malheureusement à la mise en production que nous avons identifié les problématiques restantes.’ Ce salarié, qui faisait partie du groupe de travail de l’entreprise, indique bien que des tests avaient été préalablement effectués avant la migration du logiciel.
M. [O] justifie par un échange de mails du 30 mars 2015 qu’un membre de son équipe a organisé des ateliers pratiques avec les salariés qui utiliseraient le nouveau logiciel. Un autre échange des 18 et 19 mai 2015 porte sur l’analyse de tests effectués sur les éléments comptables.
Le 29 mai 2015 M. [O] a signalé à M. [P] qu’il restait ‘2 points chauds sur la mise en production de Nav 15 ce lundi, qui sont bloquants sur la possibilité de lancement de Nav 15. Si le décalage au 8 juin se confirme, je souhaite garder la journée de samedi 30 mai avec Absys pour faire un dry run de mise en production.’ Son supérieur lui a répondu ‘merci [R]. On décide demain.’, message dont il résulte que la décision sur la date de mise en oeuvre du projet ne relevait pas de M. [O].
Le mail du 30 mai 2015 adressé par M. [O] à son supérieur donne un compte rendu de la journée de tests réalisés, en présence de salariés de la société Absys Cyborg. Il fait référence à des opérations préalables, et signale la survenance de difficultés qui restaient à résoudre, notamment liées à un manque de validation des données par les utilisateurs du logiciel. Des opérations restaient à accomplir avant la réalisation de la migration.
Il résulte bien de ces éléments que M. [O] a procédé à des tests avant l’opération de migration.
Le compte rendu du comité de pilotage du 22 mai 2015, qui a été adressé par mail au supérieur de M. [O], annonce explicitement que des difficultés vont survenir après la mise en oeuvre du nouveau logiciel. Il signale que les développements ont été peu testés, le manque de pratique des utilisateurs, de prévoir un accompagnement au démarrage avec la présence d’une personne ressource dont le temps de présence est planifié jusqu’au début du mois d’août, que la ‘fiche de suivi validation démarrage’ a été ‘peu ou pas renseigné par les responsables de service’. Parmi les préconisations le rapport prévoit la validation d’un ‘plan de rollback’ et d’un scenario de plan de transition pour la reprise des données.
Il doit être relevé que les personnes qui ont remonté des difficultés dans les mails qui ont été adressés au cours du mois juin faisaient pratiquement toutes partie du groupe de travail, qu’elles étaient associées aux opérations préalables, formations et à la validation du processus.
Le système informatique a été détaillé dans ses caractéristiques et son nombre d’utilisateurs, ce dont le supérieur de M. [O] a été informé par les comités de pilotage.
Compte tenu de ces éléments, aucune faute grave de M. [O] n’est caractérisée, ni manquement justifiant la rupture de son contrat de travail.
Le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les heures supplémentaires
M. [O] forme une demande de paiement de rappel d’heures supplémentaires à compter du mois de mars 2014.
La société Bigben Connected expose en premier lieu une observation sur la prescription de la demande, sans formuler de demande d’irrecevabilité à ce titre dans le dispositif de ses conclusions. En outre, conformément à l’article L. 3245-1 du code du travail, le délai de prescription est de trois années et la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail.
En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence de rappels de salaire, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Le contrat de travail de M. [O] en date du 1er janvier 2013 conclu dans le cadre de son transfert indique un temps de travail mensuel de 151,67 heures à raison de 37 heures hebdomadaires réparties sur cinq jours, en contrepartie de 11 jours de RTT par année civile.
M. [O] produit un tableau qui précise pour chaque journée son horaire d’arrivée, son horaire de sortie, la durée quotidienne de son temps de travail, la durée hebdomadaire et le nombre d’heures supplémentaires sollicitées. Ce tableau a été établi par le salarié sur la base d’un document qu’il présente comme étant le relevé de la badgeuse dans l’entreprise. Pour plusieurs journées le tableau indique un horaire en mentionnant que l’horaire d’entrée ou de sortie est manquant sur le relevé de la badgeuse.
La société Bigben Connected conteste le document du relevé de badgeuse et produit plusieurs attestations de salariés qui indiquent que l’entreprise n’en était pas dotée, le système de badge ne permettant que l’accès aux locaux. La société gestionnaire de ce dispositif indique quant à elle que l’extraction des données correspondantes ne serait pas présentée selon le document produit par le salarié et ne contiendrait pas les informations qui y figurent. Compte tenu de ces éléments, le relevé produit par M. [O] est dénué de valeur probante.
M. [O] produit par ailleurs un relevé précis des heures de travail qu’il revendique, qui permet à l’employeur de répondre à sa demande, dont le contenu est corroboré par les horaires d’expédition de nombreux mails, notamment ceux des journées de tests.
La société Bigben Connected ne produit pas d’élément permettant de vérifier le temps de travail accompli par son salarié. Elle fait justement valoir que le tableau produit par M. [O] mentionne des dates auxquelles il était absent de l’entreprise, ce qui résulte des mentions sur les bulletins de paie.
Il résulte ainsi de éléments produits par l’une et l’autre des parties que M. [O] a accompli des heures supplémentaires qui n’ont pas été rémunérées, dans une moindre mesure que celles dont il demande le paiement.
Compte tenu du taux horaire résultant de la rémunération mensuelle et des majorations applicables, la société Bigben Connected doit être condamnée à payer à M. [O] la somme de 13 621,25 euros au titre du rappel des heures supplémentaires, outre la somme de 1 362,12 euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
Pour caractériser le travail dissimulé prévu par l’article L.8221-5 du code du travail la preuve de l’élément intentionnel de l’employeur doit être rapportée.
Si une condamnation en paiement de rappel d’heures supplémentaires est prononcée, la preuve de l’élément intentionnel de l’employeur n’est pas rapportée.
La demande d’indemnité formée à ce titre par M. [O] doit être rejetée.
Le jugement sera confirmé de chef.
Sur la contrepartie obligatoire en repos
Compte tenu du nombre d’heures supplémentaires retenues, M. [O] n’a pas dépassé le contingent annuel d’heures supplémentaires de 220h prévue par la convention collective.
Le jugement qui a débouté M. [O] de cette demande sera confirmé de ce chef.
Sur les conséquences financières du licenciement
M. [O] est fondé à demander le paiement du rappel de salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire et des congés payés afférents, l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, l’indemnité de licenciement et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [O] demande la confirmation de ces chefs de jugement, à l’exception de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont il demande la réformation. La société Bigben Connected ne formule pas d’observation sur les montants qui ont été retenus par le conseil de prud’hommes, hormis celui qui a été alloué au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans les limites des demandes, le jugement sera confirmé des chefs de condamnation relatifs au rappel de salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire et aux congés payés afférents, à l’indemnité compensatrice de préavis pour une durée de trois mois et aux congés payés afférents, à l’indemnité de licenciement.
L’indemnité de licenciement prévue par l’article L1235-3 du code du travail applicable à l’instance ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
M. [O] avait une ancienneté de près de six années au moment de son licenciement. Il percevait un salaire mensuel de base de 5 000 euros complété d’une rémunération variable annuelle pouvant atteindre 10 000 euros, versée par trimestre, pour laquelle la somme de 2 000 euros lui a été versée au mois d’avril 2015. Il justifie avoir perçu des indemnités de Pôle Emploi jusqu’au 9 janvier 2019, mais ne produit pas d’élément concernant ses recherches ou démarches professionnelles.
Compte tenu de ces éléments, le conseil de prud’hommes a justement évalué à 50 000 euros le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement qui a condamné la société Bigben Connected à payer cette somme et a ordonné le remboursement des sommes versées par Pôle Empoi dans la limite de six mois sera confirmé de ces chefs.
Sur le manquement de l’employeur à l’obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi
M. [O] expose qu’il a été mis à l’écart du projet au cours du mois de juin 2015 et que dès l’opération son éviction était décidée, ce qui résulterait de la transmission de mails et de l’audit qui a été demandé à la société Absys Cyborg.
Les échanges de mail produits par les parties démontrent que M. [O] a continué d’être sollicité et à intervenir sur le projet Nav 15 après sa mise en oeuvre.
En considération des difficultés survenues, l’échange du supérieur hiérarchique avec le service des ressources humaines et la demande qu’un audit soit effectué ne caractérisent pas un manquement de l’employeur.
La demande de dommages et intérêts formée par M. [O] doit être rejetée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de rappel de prime variable
M. [O] forme une demande de rémunération variable pour la période de son préavis, qui était de trois mois.
La société Bigben Connected s’oppose à la demande, au motif de l’absence d’élément produit par le salarié.
En plus de la rémunération fixe, le contrat de travail prévoit une rémunération annuelle variable brute calculée au prorata de la réalisation de l’objectif défini annuellement par la direction, calculée sur 100% de l’objectif. Le versement devait intervenir le mois suivant chaque trimestre civil. Le contrat prévoit que les primes incluent une majoration de 10% au titre de l’indemnité de congés payés.
L’employeur ne produit pas d’élément justifiant de la fixation d’objectifs à M. [O] pour l’année 2015. M. [O] a toujours perçu la totalité de sa prime, à l’exception de celle versée au mois d’avril 2015 pour laquelle son supérieur a diminué le montant de 2 500 euros qui était proposé à 2 000 euros en raison de l’absence de rapport. Cette décision ne saurait justifier l’absence de prime pour le trimestre correspondant à la durée du préavis, en l’absence de tout objectif fixé et alors que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur doit être condamné au versement de la prime correspondante à trois mois, soit 2 500 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Il est expressément prévu que le montant inclut les congés payés et aucune autre somme ne sera allouée à ce titre.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les intérêts
Par application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les dommages et intérêts alloués à compter du jugement du conseil de prud’hommes pour le montant qui avait été alloué.
La capitalisation des intérêts ordonnée par le conseil de prud’hommes selon les dispositions de l’article 1343-2 du code civil par année entière sera confirmée.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La société Bigben Connected qui succombe supportera les dépens et sera condamnée à verser à M. [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en plus de l’indemnité allouée par le conseil de prud’hommes, qui sera confirmée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes, sauf en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande de rappel d’heures supplémentaires et de congés payés afférents et de rappel de prime variable,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
CONDAMNE la société Bigben Connected à payer à M. [O] les sommes suivantes :
-13 621,25 euros au titre du rappel des heures supplémentaires et1 362,12 euros au titre des congés payés afférents,
– 2 500 euros au titre de la prime variable,
DIT que les créances salariales sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision, avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
CONDAMNE la société Bigben Connected aux dépens,
CONDAMNE la société Bigben Connected à payer à M. [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT