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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 AVRIL 2023
N° RG 21/01557 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UQZY
AFFAIRE :
S.A.R.L. [R] ……
C/
[S] [Y]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu
le 26 Avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes de MONTMORENCY
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : F 19/00232
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE
Me Nicolas SANFELLE de la SARL AVOCATS SC2
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.R.L. [R] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
N° SIRET : 392 517 009
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat constitué au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 — Représentée par : Me Stéphanie ZAKS de la SELEURL Cabinet ZAKS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0277 substitué par Me ALIESANDEVOIR Alexis avocat au barreau de Versailles
APPELANTE
****************
Monsieur [S] [Y]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par : Me Nicolas SANFELLE de la SARL AVOCATS SC2 SARL, Plaidant/Constitué , avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 445 –
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Mme Florence SCHARRE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [S] [Y] a été engagé, par contrat de travail à durée indéterminée compterdu 14 juillet2015 en qualité de chauffeur poids lourd, par la société à responsabilité limitée [R], qui a pour activité la location de camions avec chauffeur, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires de transports.
Le 5 avril 2016, M. [Y] a été placé en arrêt de travail pour accident du travail, dont l’origine professionnelle, reconnue par la CPAM après enquête, le 29 juin 2016, a été contestée par l’employeur, et confirmée par arrêt du 9 janvier 2020 de la cour d’Angers.
Convoqué le 6 avril 2016 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 15 avril suivant avec mise à pied conservatoire, M. [Y] a été licencié par lettre du 20 avril 2016 énonçant une faute grave.
Contestant son licenciement, M. [Y] a saisi, le 18 avril 2018, le conseil de prud’hommes du Mans aux fins d’entendre annuler sa mise à pied ainsi que son licenciement pour faute grave et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 20 décembre 2018, le conseil de prud’hommes du Mans s’est déclaré territorialement incompétent et a renvoyé le dossier devant le conseil de prud’hommes de Montmorency.
Par jugement rendu le 26 avril 2021, ce conseil a statué comme suit :
Dit que le licenciement est nul ;
Annule la sanction disciplinaire prononcée le 6 avril 2016 ;
Condamne la société [R] à verser à M. [Y] les sommes suivantes :
– 8 742 euros au titre de dommages-et-intérêts pour rupture abusive
– 5 000 euros à titre de dommages-et-intérêts pour violence physique, insulte et menace,
– 1 475,75 euros à titre d’indemnité pour absence d’IRP
– 464 euros au titre des salaires de juillet 2015 à avril 2016,
– 2 238 euros au titre des heures supplémentaires ;
Dit que les sommes dues en exécution du présent jugement porteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception par la SARL [R] de sa première convocation devant le Conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter de la date de la mise à disposition du greffe du présent jugement pour les créances indemnitaires ;
Dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire est de 1 475,75 euros bruts,
Déboute M. [Y] du surplus de ses demandes,
Déboute la société de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 26 mai 2021, la société [R] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 15 novembre 2022, la société [R] demande à la cour de :
Sur le bien-fondé du licenciement :
A titre principal,
Juger que le licenciement qui a été notifié à M. [Y] n’est entaché d’aucune cause de nullité
Juger que les faits reprochés à M. [Y] sont constitutifs d’une faute grave
En conséquence,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [Y] était nul, en ce qu’il a annulé la mise à pied à titre conservatoire qui a été notifiée à M. [Y] le 6 avril 2016, en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [Y] la somme de 8 742 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et en ce qu’il l’a déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Juger que le licenciement pour faute grave qui a été notifié à M. [Y] est bien fondé,
Débouter M. [Y] de ses demandes d’indemnité pour licenciement nul, d’indemnité légale de licenciement et d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,
Condamner M. [Y] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner M. [Y] aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour confirmait le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement était nul
Juger que le montant de la demande formée par M. [Y] à titre d’indemnité pour licenciement nul est excessif,
Juger que M. [Y] ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué,
Juger que le montant de la demande formulée à titre d’indemnité légale de licenciement est excessif,
En conséquence,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [Y] la somme de 8 742 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive
Statuant à nouveau,
Ramener la condamnation de la société à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ou nulle à de plus justes proportions,
Juger que la condamnation à titre d’indemnité légale de licenciement ne saurait excéder la somme de 323,90 euros,
Sur les demandes de rappels de salaires :
Juger qu’elle a versé l’intégralité de la rémunération due à M. [Y] au cours de la relation de travail,
Juger que M. [Y] ne démontre pas que l’ensemble des heures supplémentaires qu’il a accomplies ne lui auraient pas été réglées,
Juger qu’aucun rappel de salaire ni d’heures supplémentaires ne sont dus,
En conséquence,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [Y] la somme de 464 euros à titre de rappel de salaire pour la période allant de juillet 2015 à avril 2016 et la somme de 2 238 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires
Statuant à nouveau,
Débouter M. [Y] de sa demande à titre de rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents,
Sur la demande au titre du préjudice distinct corporel et moral :
Juger que M. [Y] n’a subi aucune agression physique de la part de son employeur,
Juger que la demande formée par M. [Y] est redondante avec celle formée au titre du licenciement nul,
Juger que M. [Y] ne justifie pas du quantum de sa demande,
En conséquence,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [Y] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violence physique, insulte et menace,
Statuant à nouveau,
Débouter M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct corporel et moral,
Sur l’absence de manquement commis dans le cadre de la mise en place d’institutions représentatives du personnel :
A titre principal,
Juger qu’aucun manquement ne saurait lui être reproché dans le cadre de la mise en place des institutions représentatives du personnel,
Juger que M. [Y] ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué,
En conséquence,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [Y] la somme de 1 475,75 euros à titre de dommages et intérêts pour absence d’institution représentative du personnel,
Statuant à nouveau,
Débouter M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour absence d’institution représentative du personnel infondée,
A titre subsidiaire,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a réduit la condamnation à titre de dommages et intérêts pour absence d’institution représentative du personnel à la somme de 1 475,75 euros,
Sur la demande au titre de l’obligation de sécurité :
Sur la demande au titre de la règlementation liée aux visites médicales
Juger que M. [Y] a bénéficié d’une visite d’information et de prévention le 20 octobre 2015,
Juger que M. [Y] ne rapporte pas la preuve d’un quelconque préjudice,
Sur la demande au titre des menaces et injures :
Juger qu’elle n’a ni menacé, ni insulté M. [Y] au cours de la relation de travail,
Juger que M. [Y] ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué,
Juger que la demande formée par M. [Y] est redondante avec celles formées au titre de la nullité de son licenciement et du préjudice distinct corporel et moral,
En conséquence,
Débouter M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
En tout état de cause:
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les sommes dues en exécution du jugement porteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception par la société de sa première convocation devant le conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter de la date de la mise à disposition du greffe du présent jugement pour les créances indemnitaires.
Selon ses dernières conclusions notifiées le 15 avril 2022, M. [Y] demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré nul le licenciement et en ce qu’il a fait droit à ses demandes,
L’infirmer sur les montants retenus,
En conséquence, statuant à nouveau,
Dire et juger que la moyenne de salaires bruts s’élevait à 2.159,33 euros sur les trois derniers mois précédant son licenciement,
Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
– 27 000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement nul,
– 431,80 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 2 159,33 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 215,93 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct corporel et moral subi suite à son agression,
– 5 000 euros à titre de dommages-et-intérêts pour préjudice distinct lié au défaut de représentants du personnel élu au sein de la société [R] au moment du licenciement,
– 5 000 euros à titre de dommages-et-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
– 4 702,29 euros bruts au titre des heures supplémentaires non rémunérées et 223,80 euros au titre des congés payés y afférents,
En tout état de cause,
– 3 000 euros à titre de l’article 700 du code de procédure civile
Condamner la société aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 14 décembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 31 janvier 2023, laquelle a été reportée au 7 mars suivant.
Alors, le conseiller rapporteur a soulevé d’office les moyens d’une éventuelle irrecevabilité de :
– la demande en réparation du préjudice corporel dérivant de l’accident du travail du 5 avril 2016 qui relèverait des dispositions de l’article L.451-1 du code de la sécurité sociale évinçant l’action de droit commun,
– la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité en ce qu’elle serait nouvelle en cause d’appel en méconnaissance des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile,
– l’appel incident, par combinaison des dispositions des articles 909, 914 et 641 du code de procédure civile, en ce que les premières conclusions de l’appelant incident ont été remises au greffe le mercredi 20 octobre 2021, quand celles émanées de l’appelant principal étaient notifiées le 19 juillet 2021, et qu’il serait tardif.
Par note en délibéré autorisée parvenue le 13 mars, le salarié indiquait ne pas former une demande en réparation de son accident du travail mais des préjudices subis du fait du comportement fautif de l’employeur, distincts de la rupture du contrat de travail.
Il estime que sa demande pour manquement à l’obligation de sécurité n’est pas nouvelle, mais qu’il l’avait soutenue sous l’intitulé : réparation de la violence physique, des insultes et menaces, en invoquant le défaut de visite médicale et son travail de nuit.
Sur le dernier moyen, il précise s’être constitué après la signification des conclusions adverses le 21 juillet 2021 par acte d’huissier et disposer en vertu de l’article 911 d’un délai de 3 mois dès cette date pour former appel incident. Il en déduit avoir formée appel incident dans le juste délai.
Par note en délibéré reçue le 15 mars, la société demande, du premier chef, l’application de l’article L.451 1 du code de la sécurité sociale évinçant la compétence prud’homale.
Elle observe, sur le second, que l’intéressé n’a jamais sollicité de dommages-intérêts en réparation de son manquement allégué à l’obligation de sécurité, si bien que sa demande, nouvelle en cause d’appel, est irrecevable.
Elle considère enfin que les premières conclusions adverses étaient recevables du même motif qu’énoncé par l’intimé.
MOTIFS
I – Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
‘Le mardi 5 avril 2016, aux alentours de 16h45, vous étiez présent à notre atelier et siège de [Localité 6], d’où vous partiez habituellement pour prendre vos services de nuit.
Ce jour-là, vous êtes monté dans l’un des bureaux de notre société et Monsieur [R] [N] vous a demandé de bien vouloir nettoyer la cabine de camion présent ce jour-là à notre atelier, qui vous avez été attribué à plusieurs reprises auparavant, car notre mécanicien avait constaté que celle-ci n’était pas propre.
Vous avez commencé à vociférer en lui répondant « non je dois rouler mes cigarettes pour ce soir », « de toute façon je le ferai pas, qu’est ce que ça peut te foutre de toute façon c’est pas toi qui dort dedans ».
Monsieur [R] vous a répondu que cela faisait partie de votre travail et que de toute façon étant le Gérant de la société, vous donnant une directive et que le camion appartenant à sa société, vous deviez y procéder.
Sur ce, vous avez continué à grogner et êtes descendu en bas de notre atelier pour y remonter quelques instants plus tard et retourner dans le bureau où se trouvait Monsieur [R].
[C]’est alors que vous vous êtes montré particulièrement violent et agressif.
Vous avez commencé par lui jeter, en visant sa tête et sans l’atteindre, un paquet de lingettes désinfectant et lui criant de toute façon « tu vas arrêter de me baiser la gueule et tu vas commencer par me donner mes congés ».
Monsieur [R] a alors fait le tour du bureau derrière lequel il se trouvait assis à ce moment-là et vous a fait sortir du bureau en vous prenant par le t-shirt, à l’aide de notre mécanicien car vous lui avez formé ferme opposition physique.
Etaient présentes en plus ce jour-là, Mademoiselle [R] et Madame [K], toutes deux salariées de la société et qui ont toutes les deux assistées à cette scène dans ce même bureau pour l’une, et depuis le bureau d’à côté pour l’autre à travers la fenêtre communicante de ces deux bureaux.
Votre comportement a été particulièrement violent et inacceptable de sorte qu’il était alors dans ces conditions impossible de vous garder au sein de notre société ce jour là et vous laisser prendre le soir même votre poste de travail.
Monsieur [R] vous a donc signifié immédiatement et oralement votre mise à pied conservatoire, à effet instantanée.
Vous avez pris l’ensemble de vos affaires personnelles qui se trouvaient dans notre vestiaire et dans le camion puis vous êtes parti à bord de votre véhicule personnel.
Notre exploitation a été fortement perturbée et nous avons dû mettre en place in extremis un chauffeur pour vous remplacer le soir même, causant de ce fait une désorganisation certaine du planning, de l’attribution des tournées et des chauffeurs et des véhicules qui avaient déjà été mis en place bien auparavant.
Monsieur [N] [R] a été contraint de déposer une main courante au commissariat de [Localité 6] à votre encontre pour tous ces faits, propos et gestes que vous aviez alors tenus à son encontre personnellement, et donc à l’encontre de la société qu’il représente, cet après-midi du 5 avril 2016.
Vous comprendrez donc que l’ensemble de ces faits, menaces physiques et insultes, à l’encontre du Gérant et la société [R], constituent une faute grave’.
Au rappel des dispositions de l’article L.1226-9 du code du travail, la société exprime que le licenciement prononcé en raison d’une faute grave ne saurait pas être entaché de nullité. Elle soutient les faits d’insubordination et d’agression dénoncés dans la lettre de licenciement dont elle estime la preuve rapportée par les témoignages concordants versés aux débats, qu’éludèrent, sans motivation, les juges de première instance, et qui portent en eux-mêmes la marque de leur gravité, qu’accuse encore une précédente sanction en dépit d’une faible ancienneté. Elle dénie la version adverse d’une agression par le gérant, contraire aux témoignages.
M. [Y], qui rappelle la nécessité vu la suspension de son contrat pour accident du travail de voir caractériser une faute grave à peine de nullité, conteste la sincérité d’attestations adverses non conformes, falsifiées, à l’occasion apocryphes et au demeurant contradictoires, et plaide la provocation de l’employeur qu’accréditent ses contusions comme sa plainte. A défaut, il considère que les faits, en partie justifiés par le comportement de son interlocuteur, étaient isolés.
L’article L.1226-9 du code du travail dit qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.
Il est acquis aux débats que le contrat de travail du salarié fut suspendu dès le 5 avril 2016 par un arrêt maladie prolongé au-delà du 20 avril alors qu’il faisait suite à un accident du travail.
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du code du travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute, et le doute profite au salarié.
En l’occurrence, il ressort des attestations précises et concordantes des employés présents ce jour, soutenues de leur document d’identité dont la signature y est conforme et que l’intimé ne conteste pas sérieusement au motif de leurs intérêts réciproques, que M. [Y] s’est entretenu avec M. [R], le gérant, Mmes [R] et [K] occupant, selon leurs témoignages corroborés par les photographies, les bureaux adjacents ouverts sur celui du gérant au milieu d’une mezzanine en surplomb de l’atelier, se faisant écho de sa demande d’avoir à nettoyer le camion utilisé, que M. [Y], refusant, quittait alors les lieux en marmottant, et qu’il revint précipitamment dans le bureau du gérant, « complètement hystérique » (Mme [K]), « comme une furie », « hors de lui, hors de contrôle » (Melle [R]), « très énervé » (M. [U]), que ce dernier et M. [O], présents dans l’atelier où le salarié était redescendu, le voyant avec un paquet de lingettes que le premier, ainsi que Mme [K], vit jeter en direction du gérant « tellement fort [qu’il l’a] entendu ricocher sur le carrelage du bureau » (M. [U]), et tous l’entendant hurler, plusieurs plus spécifiquement « tu vas arrêter de me prendre pour un con ». M. [R] expose s’être « senti menacé et en danger », Mme [K] et Melle [R], se disant apeurées, évoquent l’idée, à laquelle elles renoncèrent, d’en appeler à la police, enfin M. [U], précisant avoir « compris que M. [R] était menacé » atteste être « vite monté à l’étage et [être] rentré dans le bureau pour aider », quand M. [O] indique être « resté en bas dans l’atelier tout le temps parce que je ne voulais pas assister à cela, je déteste la violence. »
La version contraire de l’intéressé disant que le gérant l’aurait empoigné par le cou ainsi qu’en témoigneraient les contusions effectivement constatées aux urgences, « prêt à le frapper », ne saurait contredire le discours commun des témoins, lesquels confirment d’ailleurs, à l’instar de la lettre de licenciement, que le salarié fut sorti de force du bureau.
C’est vainement qu’il conteste la sincérité de l’attestation de M. [B] [O] qui n’aurait pas été présent, alors qu’il soutient dans sa plainte déposée devant les services de police le 6 avril 2016 qu’un chauffeur [B] était sur place.
Son reproche d’avoir été sollicité durant son temps de pause pour nettoyer le camion est par ailleurs sans portée eu égard aux faits dénoncés.
Dès lors, l’employeur justifie suffisamment de la matérialité de faits objectifs, imputables au salarié.
S’agissant de violence verbale et physique, ils rendaient impossibles le maintien du salarié dans l’entreprise, et c’est ainsi à tort que les premiers juges n’y ont vu de faute grave, le licenciement étant fondé dans ses termes.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit que le licenciement est nul, a annulé la « sanction disciplinaire » du 6 avril 2016 et a ordonné le paiement d’une indemnité pour rupture abusive.
En tout état de cause, il n’y a lieu par ailleurs d’examiner le surplus des prétentions financières de M. [Y], dérivant de sa nullité alléguée.
II ‘ sur les rappels de salaire
Sur les heures supplémentaires
L’employeur, relevant l’adéquation du temps décompté à celui déclaré par le salarié moyennant le chronotachygraphe, fait valoir la carence probatoire de son contradicteur rémunéré chaque mois à raison de 180 heures en partie éludées, et M. [Y] estime que ses tableaux dressés à partir de son agenda laissent voir un supplément de 255,43 heures, non rémunérées, tout en relevant la vacuité d’une preuve adverse.
A la société qui dément par ailleurs que le temps de trajet entre le domicile du salarié, au Mans et son lieu de son travail à [Localité 6] puisse participer d’un temps de travail effectif, il lui oppose la nécessité d’aller chercher les véhicules nécessaires à sa prestation, stationnés à [Localité 5] ou à [Localité 4], à plusieurs centaines de kilomètres de son lieu de travail conventionnel, dont le temps de trajet, de 2 à 3 heures, ne fut jamais rémunéré.
L’article L.3171-4 du code du travail exprime qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Est stipulé au contrat de travail que M. [Y] est tenu d’un service de 180 heures par mois, majorées du quart de la 152ème à la 180ème.
Le rapport mensuel d’activité est chaque fois joint aux bulletins de paie, sur lequel figure les heures de conduite enregistrées selon un système mécanique.
De leur comparaison avec les tableaux du salarié exposant chaque jour ses horaires d’embauche et de débauche, ne s’en détache d’autre divergence que celle des arrondis que ne cache pas l’intéressé, la différence résultant en réalité des heures de trajet dont il se prévaut, de sorte que leur sommation dépasse la quantité effectivement comptabilisée par la société [R].
Or, il n’est pas démontré que M. [Y] était tenu de se présenter au siège de l’entreprise avant de rejoindre les camions qu’il dit stationnés ailleurs, et qu’il occupait à des fins privées, puisqu’il avait demandé, résidant au Mans, l’autorisation d’y dormir durant la semaine.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble des éléments versés aux débats au regard des exigences légales et réglementaires. 1Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Cela étant, il ne résulte pas des documents versés aux débats que l’intimé aurait effectué des heures supplémentaires au-delà de celles contractualisées.
Ses prétentions doivent être rejetées et le jugement infirmé en ce qu’il a fait droit à ses demandes en paiement d’heures supplémentaires et de rappel de salaire, qui les contenait.
III ‘ sur les autres demandes
Sur le préjudice corporel
La société conteste la faute dérivant des violences qu’aurait commises son gérant comme le dommage qu’aurait subi le salarié, et M. [Y] se prévaut des troubles de sa santé, y compris psychologiques.
Cela étant, l’article L.451-1 du code de la sécurité sociale énonce que « sous réserve des dispositions prévues aux articles L.452-1 à L.452-5, L.454-1, L.455-1, L.455-1-1 et L.455-2, aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit. »
Dès lors, l’action de M. [Y] seulement fondée sur les faits ayant fait l’objet d’une reconnaissance d’accident du travail par la cour d’appel d’Angers le 9 janvier 2020 n’est pas recevable devant le conseil de prud’hommes et le jugement sera infirmé en ce qu’il lui a alloué de ce chef 5.000 euros de dommages-intérêts pour violence physique, insulte et menace, sous la motivation suivante : « attendu qu’il est établi que M. [S] [Y] a été victime de menaces et de la violence physique de la part de son employeur qui ont donné lieu à un accident du travail reconnu par la CPAM ».
Sur la mise en place d’institutions représentatives du personnel
La société se prévaut de précédentes élections, et dénie, en tout état de cause, le dommage allégué, ce à quoi M. [Y] objecte que les dernières élections d’un mandat de 4 ans non prolongé par accord s’étaient tenues le 23 novembre 2011. Il en déduit nécessairement son préjudice.
Cela étant, il ressort du procès-verbal des élections à la délégation unique du personnel tenues les 6 et 29 juin 2016 que les précédentes eurent lieu le 23 novembre 2011.
L’article L.2314-26 ancien du code du travail fixant à 4 ans la durée du mandat des délégués du personnel, et l’employeur ne produisant aucune autre pièce, il s’en déduit qu’il a manqué, au moment du licenciement, à son obligation de mettre en place les institutions représentatives du personnel.
Or, l’employeur qui met en ‘uvre une procédure de licenciement sans avoir accompli les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel et sans que soit établi un procès-verbal de carence, commet une faute qui cause un préjudice au salarié, ainsi privé d’une possibilité de représentation et de défense de ses intérêts.
Il convient d’adopter pour le surplus les motifs des premiers juges dont la décision sera confirmée à cet égard.
Sur l’obligation de sécurité
Le salarié fait valoir le non-respect par l’employeur de la réglementation liée aux visites médicales préalables en dépit de son travail de nuit, ainsi que « l’attitude néfaste et harcelante de sa hiérarchie » déclinée en menaces, injures, interdiction d’utiliser les toilettes durant le temps de repos.
L’article 564 du code de procédure civile énonce qu’« à peine d’irrecevabilité soulevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. »
Si l’intéressé prétend avoir déjà formé une telle demande, les mentions portées au jugement n’en justifient pas.
Cela étant, M. [Y] n’est pas habile à solliciter en cause d’appel des dommages-intérêts pour le manquement, ancien, de l’employeur à satisfaire aux obligations nées de la loi ou du contrat, qu’il n’avait pas demandés devant le conseil de prud’hommes.
Ses prétentions, sous cet aspect, sont irrecevables.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en ce qu’il a condamné la société à responsabilité limitée [R] à payer à M. [S] [Y] la somme de 1 475,75 euros à titre d’indemnité pour absence « d’IRP » ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés ;
Dit irrecevable la demande de M. [S] [Y] d’indemnisation de son préjudice corporel ;
Dit le licenciement fondé sur une faute grave ;
Rejette le surplus de ses prétentions ;
Y ajoutant ;
Dit irrecevable la demande formée par M. [S] [Y] de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [S] [Y] aux dépens d’appel.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,