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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 AVRIL 2023
N° RG 21/01596 – N° Portalis DBV3-V-B7F-URAK
AFFAIRE :
[I] [W]
C/
S.A.S. TELEPILOTE…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Mai 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES
N° Section : E
N° RG : 18/00928
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sofia CAMERINO de la SARL DEPLANTES & CAMERINO AVOCATES ASSOCIEES
Me Jean D’ALEMAN de la SELAS BRL AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [I] [W]
né le 19 Juin 1957 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Sofia CAMERINO de la SARL DEPLANTES & CAMERINO AVOCATES ASSOCIEES, avocat constitué, au barreau de GRENOBLE, substituée par Me Gilberte DEPLANTES, avocat au barreau de GRENOBLE
APPELANT
****************
S.A.S. TELEPILOTE Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean D’ALEMAN de la SELAS BRL AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0305, substitué par Me Grégoire DE COURSON, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Mme Florence SCHARRE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE, et en présence de Maxime PLANCHENAULT, greffier stagiaire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [I] [W] a été engagé en qualité de formateur/instructeur, par la société par actions simplifiée Télépilote, afin d’assurer des formations théoriques d’ULM en novembre et décembre 2015, ainsi qu’en juillet, août, septembre, octobre, novembre et décembre 2016.
Le 16 mai 2017, il a été engagé selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 février 2017 en qualité de « formateur expert/responsable d’enseignement aéronautique », cadre de classe F, coefficient 310, à temps partiel à raison de 63 heures forfaitaires par mois correspondant à 49 heures de « face à face pédagogique (sessions d’instruction théorique aéronautique ULM/Drone) ».
L’entreprise, qui exploite un centre de formation des pilotes de drones, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des organismes de formation.
M. [W] a été licencié par lettre datée du 25 octobre 2017 énonçant une insuffisance professionnelle faute d’avoir établi les supports pédagogiques adaptés aux nouvelles exigences du certificat d’aptitude institué par la direction de l’avion civile dont la tâche lui était assignée.
Estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, M. [W] a saisi, le 26 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins d’entendre requalifier ses contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et ses contrats à temps partiel en temps plein et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 5 mai 2021, le conseil a statué comme suit :
Dit l’affaire recevable ;
Fixe le salaire mensuel brut de M. [W] à 2 693,77 euros ;
Dit et juge que les contrats à durée déterminée établis en 2016 doivent être qualifiés en contrat à durée indéterminée ;
Condamne la société Télépilote à payer à M. [W] les sommes suivantes :
– 2 693,77 euros au titre de l’indemnité prévue par l’article L.1245-1 du code du travail ;
– 4 597,29 euros au titre de complément de l’indemnité légale de licenciement ;
– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute le demandeur du surplus de ses demandes, fins et conclusions ;
Rappelle qu’en vertu de l’article 514 du code de procédure civile, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire ;
Ordonne à la société Télépilote de remettre à M. [W] les documents légaux corrigés de la décision de ce jugement sous peine d’une astreinte de 10 euros par jour et par document à compter du 30ème jour du prononcé par mise à disposition du présent jugement ;
Déboute la société Télépilote de sa demande reconventionnelle ;
Condamne la société Télépilote aux entiers dépens.
Le 28 mai 2021, M. [W] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2022, M. [W] demande à la cour de :
Réformer le jugement en ce qu’il a fixé le salaire mensuel brut à 2 693,77 euros, en ce qu’il a dit et jugé que les contrats à durée déterminée établis en 2016 doivent être qualifiés en contrat de travail à durée indéterminée, en ce qu’il a condamné la société à lui payer les sommes suivantes : 2 693,77 euros au titre de l’indemnité prévue par l’article L 1245-1 du code du travail ; 4 597,29 euros au titre de complément de l’indemnité légale de licenciement ; et en ce qu’il l’a débouté du surplus de ses demandes, fins et conclusions,
Confirmer l’octroi de la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
Dire et juger que l’action est recevable et que les demandes doivent être examinées depuis le 11 novembre 2015, date du premier contrat de travail irrégulier,
Dire et juger que la société a violé les dispositions sur les contrats de travail à durée déterminée,
Dire et juger que la société a violé les dispositions sur le travail à temps partiel,
Dire et juger que la société a violé les dispositions conventionnelles sur la durée du travail,
Dire et juger que la société s’est rendue coupable de travail dissimulé,
Dire et juger que les contrats de travail à durée déterminée doivent être requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée, avec effet au 11 novembre 2015
Dire et juger que le travail à temps partiel doit être requalifié en travail à temps plein,
Dire et juger que M. [W] n’a pas été payé de ses salaires à hauteur de son temps de travail pour les années 2016 et 2017 et janvier 2018, en application des dispositions conventionnelles,
En conséquence,
Condamner la société à lui payer les sommes suivantes :
– indemnité de requalification des CDD en CDI : 7 461 euros
– rappel de salaires bruts suite à requalification des CDD en CDI et du temps partiel en temps plein et application des dispositions conventionnelles : 154.226 euros bruts, outre l’indemnité de congés payés afférents pour 15.422 euros bruts
– indemnité de précarité sur les CDD : 11 191,50 euros bruts
– complément de l’indemnité de licenciement : 14 598 euros nets
– dommages-intérêts pour travail dissimulé (6 mois de salaire) : 44 766 euros nets
– dommages-intérêts pour inexécution déloyale du contrat : 10 000 euros
A titre subsidiaire, si la cour venait, à titre extraordinaire, à ne pas retenir un temps plein sur toute la période d’emploi requalifiée en CDI,
Condamner la société à lui payer, la somme de 74.221,63 euros, au titre de la régularisation des salaires impayés 11 novembre 2015 au 25 janvier 2018,
Et aux sommes sus énoncées,
En tout état de cause,
Condamner la société à lui rembourser le montant des sommes qu’il aura éventuellement restituées à Pôle Emploi,
Condamner la société à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Ordonner la rectification des bulletins de salaire et documents de fin de contrat et remise sous astreinte de 100 euros par jour de retard et se réserver le droit de faire procéder à la liquidation de l’astreinte,
Rejeter la demande d’infirmation du jugement faite par la société au titre du complément de l’indemnité de licenciement et de l’article 700 du code de procédure civile en ce qu’elle n’est pas fondée,
Laisser les dépens à la charge de l’intimée.
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 21 juillet 2022, la société Télépilote demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il :
– l’a condamnée à payer à M. [W] les sommes suivantes :
– 4 597,29 euros au titre de complément de l’indemnité légale de licenciement ;
– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens
– l’a déboutée de sa demande reconventionnelle ;
Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié du surplus de ses demandes, fins et conclusions et jugé l’admission de la société à verser l’indemnité de requalification de CDD en CDI à hauteur de 2 693,77 euros au titre de l’indemnité prévue par l’article L.1245-1 du code du travail ;
Statuant à nouveau :
Débouter M. [W] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Et donc,
Juger qu’une partie des demandes de M. [W] est prescrite
Juger que le temps partiel de M. [W] est parfaitement régulier
Juger que la demande de salaire de référence de M. [W] est infondée
Juger qu’aucune déloyauté de la Société n’a entaché l’exécution du contrat de travail
Limiter la condamnation au rappel de l’indemnité de licenciement à hauteur de 522,59 euros
Condamner M. [W] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
A titre subsidiaire,
Juger que M. [W] ne justifie pas du montant de son préjudice.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 14 décembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 31 janvier 2023, laquelle a été reportée au 7 mars 2023.
MOTIFS
I ‘ Sur la requalification des contrats
Sur la durée
Au visa des articles L.1471-1 et L.3245-1 du code du travail, M. [W] dispute le point de départ de la requalification retenue par les premiers juges au 20 décembre 2016, alors qu’ayant saisi le conseil le 26 décembre 2018 et ses contrats s’étant prolongés jusqu’au 19 février 2017, il a poursuivi l’action dans le délai biennal permettant que l’ensemble des contrats irréguliers dès le 11 novembre 2015 soient examinés, du moment que le point de départ du délai s’établit au terme de la relation.
Cela étant, la société Télépilote n’opposant désormais aucune fin de non-recevoir à cet égard et n’ayant pas formé appel incident du chef de dispositif disant que les contrats à durée déterminée établis en 2016 doivent être qualifiés en contrat à durée indéterminée, il n’y a pas lieu de statuer sur la prescription.
M. [W] fait valoir, au fond, la méconnaissance par l’employeur des dispositions de l’article L.1242-12 du code du travail obligeant à établir par écrit le contrat d’une durée déterminée, énonçant son motif, puisqu’il ne signa aucun contrat.
L’article L.1242-12 du code du travail dit que « le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée. »
Il est constant qu’aucun contrat à durée déterminée ne fut jamais signé avec le salarié en 2015 ou 2016, en sorte qu’il convient d’ordonner la requalification de la relation en un contrat à durée indéterminée dès le 11 novembre 2015.
Sur le rappel de salaire en conséquence de la requalification des contrats précaires en une relation à durée indéterminée, que la société Télépilote déplace au reste dans le débat sur le temps partiel mais qui doit être ici considéré dans la mesure où M. [W] fait valoir s’être tenu à la disposition de l’employeur durant les périodes interstitielles entre les contrats, elle oppose la prescription biennale pour les périodes antérieures au 26 décembre 2016, au visa de l’article L.1471-1 du code du travail et au rappel de la prescription triennale, M. [W] considère que l’employeur lui doit paiement de l’ensemble des périodes intermédiaires depuis le 11 novembre 2015.
Cela étant, la demande de rappel de salaire, auquel le salarié peut prétendre au titre des périodes non travaillées entre deux contrats à durée déterminée est soumise au délai triennal de l’article L 3245-1 du code du travail, si bien que la fin de non-recevoir manque en droit.
Sur le mérite de l’action, l’appelant fait valoir le faible écart entre les contrats, le non-respect du planning prévisionnel et les sollicitations impromptues quoique régulières dont il était l’objet, démentant avoir eu, sur la période, plusieurs employeurs, ce à quoi la société lui objecte la prévision annuelle des formations, à la marge modifiée un mois à l’avance, dont l’intéressé avait connaissance et elle nie qu’il dût se tenir en permanence à sa disposition durant les périodes interstitielles.
Il appartient au salarié, qui se prévaut d’une créance salariale durant les périodes entre deux contrats, d’apporter la preuve de s’être tenu à la disposition de la société en vue d’effectuer un travail.
M. [W] énonce avoir travaillé sans discontinuité depuis juillet 2016 pour la société Télépilote.
Cela étant, les fiches de présence, le cas échéant corroborées par les bulletins de paie, laissent voir qu’il était occupé par l’intimée l’année 2015 du 11 au 22 novembre puis du 8 au 15 décembre, l’année 2016, du 18 au 25 juillet, du 22 au 30 août, du 19 au 27 septembre, du 3 au 11 octobre, du 24 octobre au 1er novembre, du 12 au 20 décembre, pour l’année 2017, du 2 au 10 janvier.
Il était ensuite employé sans mention d’une durée dès le 20 février 2017.
Il ressort des bulletins de paie qu’il était aussi occupé les 26 juillet, 31 août, 1er septembre, du 14 au 22 novembre 2016, du 16 au 24 janvier 2017.
Il apparait, vu la demande d’une convention d’aide individuelle à la formation faite auprès du Pôle emploi et des attestations de présence établie par la société Télépilote, que M. [W] suivait auprès d’elle, en qualité de stagiaire, des formations de drone civil, de prise de vue expert, de thermographie infrarouge et de photogrammétrie, du 28 novembre au 9 décembre 2016, du 21 au 23 décembre 2016, du 11 au 13 janvier 2017, du 25 au 27 janvier 2017.
Cela étant, M. [C], formateur de la partie drone de mars 2015 à mars 2017, témoigne que M. [W] n’intervenait qu’en qualité d’instructeur durant la partie théorique ULM que requérait le certificat, et jamais sur la partie touchant au drone.
Dès lors, M. [W] ne peut prétendre être resté à disposition de l’employeur dans le temps où il était lui-même stagiaire d’une formation qui n’était pas la sienne, et il importe peu que l’employeur ait soumis la conclusion d’une relation pérenne au suivi de cette formation complémentaire.
Mme [H], commerciale dès octobre 2016, indiquait que les plannings de formation, affichés, étaient établis l’année précédente pour la suivante, ce que confirme M. [L], chargé de leur établissement d’août 2015 à octobre 2016.
M. [W] qui ne nie pas la prévenance de ces plannings, prétend à leur modification incessante. Cependant, il ne saurait pas l’établir par la photographie de ses calendriers personnels marqués de plusieurs couleurs, dont il administre, en la cause, la légende.
Les quelques mails qu’il produit durant cette période précédant son contrat à durée indéterminée, à l’occasion adressés lors de ses journées de formation, sont issus de personnes dont le lien avec l’employeur ne peut pas être fait.
Il n’établit pas que sa présence au salon des 12 au 13 octobre 2016 n’aurait pas été prévue par avance. Il ne démontre pas que le tournage dont il parle et qui se serait tenu à [Localité 4] le 16 février 2017 ait un lien avec l’intimée.
Il ne justifie pour cette période d’aucun déplacement impromptu d’une session de formation.
Au surplus, sa qualité de demandeur d’emploi dont témoigne sa demande d’aide à une formation faite le 10 novembre 2016 heurte sa disposition permanente au service de l’intimée.
Il ne ressort pas de l’ensemble de ces éléments que l’appelant établît être resté à la disposition de l’employeur durant les périodes interstitielles entre deux contrats.
Dès lors ses prétentions doivent être rejetées.
Sur le temps
Au rappel des dispositions de l’article L.3123-6 du code du travail, M. [W], se disant à sa disposition et sans autonomie car appelé pour des sessions de formation déterminées tardivement par l’employeur et incessamment modifiées, estime qu’il ne renverse pas la présomption d’un temps plein dérivant de l’absence de contrat écrit jusqu’au 16 mai 2017. Il se prévaut des dispositions de la convention collective sur la répartition du temps de cours et de préparation.
Si la société oppose la prescription biennale aux prétentions relatives aux périodes antérieures au 26 décembre 2016, au visa de l’article L.1471-1 du code du travail, l’action en requalification du temps s’analyse en une action en paiement d’un rappel de salaire, soumise au délai de prescription de l’article L. 3245-1 du code du travail, et le moyen manque en droit.
Le contrat de travail à temps partiel doit, selon l’article L. 3123-6 du code du travail, être établi par écrit et préciser la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les intervalles du mois.
Cela étant, le contrat de travail, agissant au 20 février précédent, mais ayant été signé le 16 mai 2017, n’a pu régir jusqu’à sa date la durée hebdomadaire ou mensuelle, ni la répartir dans la période.
Il y est stipulé une durée de 63 heures correspondant à 49 heures de cours, la précision étant ainsi apportée « il est entendu que les horaires journaliers sont donnés à titre purement informatif (‘) le salarié reconnaissant que l’employeur pourra les adapter suivant les nécessités et besoins du service et du bon fonctionnement de l’entreprise. La répartition mensuelle pourra être modifiée par l’employeur sous réserve de respecter : le délai de prévenance pour informer le salarié de la modification apportée, de sa nature et les modalités de communication/information du salarié par l’employeur quant à la modification apportée. »
Force est de constater qu’il prévoit une durée mensuelle mais non sa répartition dans le mois.
Pour autant, l’absence d’écrit n’entraîne pas une requalification de plein droit du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, mais pose une présomption simple de travail à temps complet que l’employeur peut renverser en démontrant, d’une part qu’il s’agissait d’un contrat à temps partiel et d’autre part que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler.
Pour renverser cette présomption, l’employeur doit rapporter la preuve distincte d’une part de la durée exacte mensuelle de travail convenue, d’autre part que le salarié avait connaissance des rythmes de travail et qu’il ne devait pas rester à la disposition permanente de l’employeur.
A cet égard, la société Télépilote défend la pluralité d’employeurs du salarié, son emploi occasionnel pour des sessions de formation de 7 jours, souvent une fois par mois, précisément planifiées un an à l’avance sous un même format de 7 heures par jour pendant 7 jours, porté à sa connaissance. Elle soutient qu’aucun travail n’était effectué en dehors des formations de 49 heures, ce qui fut d’ailleurs cause, non contestée, du licenciement.
Cela étant, M. [O], formateur de la partie ULM durant 2 ans, atteste que cette formation théorique durait 7 jours ouvrés, du lundi au vendredi puis du lundi au mardi suivants.
M. [L] atteste que M. [W], était arrivé après M. [O] « d’abord pour assurer des remplacements puis de manière plus récurrente dû à un accroissement de l’activité. Néanmoins cela ne dépassait pas 7 jours par mois, ce qui correspond à une session de formation », mais qu’il était arrivé, exceptionnellement, qu’il fit 14 jours.
Ces témoignages sont corroborés d’une part par le mail du 13 mars 2017 que M. [W] adressait à son employeur sur la prévision de son intervention dans ce format, en fixant ses jours (1ère semaine : du lundi au vendredi ; 2ème semaine : du lundi au mardi) et ses horaires (« matin 10h à 13h, après-midi 14h30 à 18h30 »), d’autre part par la brochure de l’établissement à destination des stagiaires, qui n’est pas querellée, fait état d’horaires de cours similaires (10h-13h et 14h-18h).
Au demeurant, il n’est pas sérieusement discuté que la formation était soumise aux exigences de la direction de l’avion civile et donc normée. Il est ainsi suffisamment établi qu’elle durait par session 7 jours ouvrés, dont les horaires de cours étaient encadrés et invariants.
Alors que le contrat stipulait ensuite la durée exacte de travail mensuelle convenue, il doit être tenu pour acquis que M. [W] en avait dès avant pleine connaissance.
Ensuite, comme il a été dit Mme [H] témoigne de l’affichage des plannings établis un an à l’avance, pour information et qu’il était consultable par tout le personnel. Elle précise avoir mis en place en avril 2017 un calendrier informatique. M. [L] précise qu’il avait pour objectif de permettre aux instructeurs de s’organiser et de valider leur présence.
Mme [I], assistante administrative de février à décembre 2017, indique que M. [W] donnait ses cours « en général une fois par mois pendant 7 jours » « selon le planning de la formation ».
Au surplus, la société Télépilote justifie avoir adressé les plannings de formation le 25 septembre 2017, pour la session commencée le 2 octobre, le 25 octobre pour celle du 13 novembre, le 14 novembre pour celle du 27 novembre, et l’avertissement du 14 septembre 2017 suite à absence injustifiée corrobore, sans être critiqué sous cet aspect, que M. [W] avait reçu en mains propres celui des 31 août et 1er septembre.
Par ailleurs, il dérive des mails échangés le 5 août 2017 à l’occasion de la demande de l’employeur de l’adaptation des cours théoriques que M. [W] lui répondait en faisant égard à ses prochaines interventions en septembre, octobre et novembre, témoignant en cela qu’il en était parfaitement informé à l’avance.
Dès lors, il est suffisamment établi que M. [W] connaissait son rythme de travail, dans un délai adéquat, dès l’origine et il n’établit aucunement que le planning de ses interventions était régulièrement modifié, alors que les témoins insistent sur leur régularité
Au reste, si les parties débattent du temps partiel des périodes antérieures à celle régie par le contrat, du moment qu’il n’y a la démonstration d’un travail durant les périodes interstitielles et que les formations, planifiées par avance, étaient d’un même format, ce moyen est sans portée.
Par ailleurs, M. [W] ne saurait sérieusement critiquer son manque d’autonomie, au seul motif qu’il ne décidait pas des dates des sessions de cours. Il était au contraire libre de préparer ses cours et ses supports à l’envi, et les échanges ou leurs traces qu’il produit à cet égard sont inopérants, alors que son temps de travail était partagé entre ses interventions et leur préparation. Au demeurant, la seule circonstance que l’employeur ait pu lui écrire hors des temps de sessions n’établit nullement sa sollicitation. De même, les nombreux échanges de tierces personnes, notamment la fédération professionnelle du drone civil, ne sont pas utilement produits en la cause.
Enfin, son moyen tiré des dispositions de la convention collective sur la répartition du temps entre les cours et leur préparation n’est pas utilement invoqué pour établir le temps plein, qui est une donnée factuelle, et ce d’autant plus que le temps de cours devrait, selon lui, s’établir à 72% du total, en sorte que les 28% restant appliqués aux 49 heures de cours ne retrouvent pas un temps plein.
II ‘ Sur les demandes financières
Sur les heures supplémentaires ou complémentaires
M. [W] se prévaut des dispositions de la convention collective, prise en ses articles 10-3 et 5-6-1 pour dire que la prévision conventionnelle d’un forfait mensuel de 63 heures contenant 49 heures de « face à face pédagogique » correspond en réalité, vu les heures de cours, à un temps de travail de 87,30 heures dont il n’a jamais été réglé, dans la mesure de 72% de formation effective et 28% de préparation et recherche. Il fait valoir la durée conventionnelle de 1.120 heures, qui a été dépassée chaque année. Il se prévaut, sur ces bases, d’un salaire de référence de 7.461 euros bruts par mois.
Cela étant, comme l’observe la société Télépilote, M. [W] demande l’application des stipulations conventionnelles concernant les formateurs de catégorie D et E, ce qu’il n’est pas, son contrat de travail l’ayant classé en catégorie F. Il ne justifie pas plus relever de cette catégorie pour les périodes antérieures, et ne parle d’aucune modification dans sa situation. S’il procède par analogie entre son contrat de travail et la convention collective, pour asseoir son droit à la rémunération à laquelle il prétend, cet écrit dément par lui-même de telles prétentions.
Son moyen manque en fait.
L’article L.3171-4 du code du travail exprime qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Ici, la société Télépilote conteste la réalisation par le salarié des heures alléguées : 861,30 en 2015/2016 et 1.543,30 en 2017/2018, qu’expose un tableau imprécis empêchant, selon elle, toute riposte.
Il résulte de ce qui précède que M. [W] donnait 7 jours de cours par mois, rarement plus, selon les horaires ainsi prévus : matin 10h à 13h, après-midi 14h30 à 18h30, ou 14h à 18h. l’appelant ne précise pas quelles sessions il aurait accomplies en plus, alors que le planning de l’employeur laisse voir qu’en une année, il en fit une chaque mois en moyenne.
Pour la période précédant son contrat à durée indéterminée, il a été jugé qu’il ne justifiait pas d’avoir travaillé entre deux contrats.
L’employeur justifie donc suffisamment des heures travaillées en regard des éléments donnés par le salarié.
Ensuite, dès février 2017, outre ses cours, M. [W] était payé 14 heures chaque mois pour leur préparation. Il ne justifie nullement que l’employeur l’ait sollicité pour d’autres travaux, sinon la remise à jour de la documentation servant de support à la formation dont la non-réalisation fut la raison non critiquée en cause d’appel du licenciement.
La demande de M. [W] en paiement d’heures supplémentaires ou complémentaires sera ainsi rejetée.
Sur les conséquences financières de la requalification
L’article L.1245-2 du code du travail énonce que « lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié [de requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée], il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire ».
Au rappel de l’article L.1243-8 du même code, l’employeur conteste devoir l’indemnité de précarité d’une relation poursuivie sans terme.
Pour autant, le droit à l’indemnité ainsi prévue est ouvert dès le premier contrat irrégulier, lequel, en tout état de cause, n’a pas été suivi d’une relation pérenne, en sorte que le moyen manque en fait.
Il suit de ce qui précède que le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué à M. [W] la somme de 2 693,77 euros au titre de l’indemnité prévue par l’article L.1245-1 du code du travail.
Sur le travail dissimulé
Il suit de ce qui précède que l’appelant ne justifie pas de la réunion des conditions lui permettant d’obtenir le forfait prévu à l’article L.8223-1 du code du travail en cas de travail dissimulé, faute d’une telle dissimulation et le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande formée par M. [W] de cette indemnité.
Sur l’exécution déloyale de la relation de travail
M. [W] fait valoir sa précarité, l’insuffisance de sa rémunération, le défaut d’une mutuelle et d’une visite médicale, la retenue injustifiée de deux jours de salaire pour réclamer 10.000 euros, ce à quoi la société lui renvoie sa propre insuffisance, prétend n’avoir commis de faute, et objecte n’y avoir aucun dommage.
L’article L.1222-1 du code du travail dit que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi. »
L’article 1231-1 du code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
Le créancier doit alors établir le manquement, le dommage et leur lien.
Cela étant, la précarité est déjà payée, et le dommage né de l’irrégularité des contrats a fait l’objet d’une réparation. M. [W] n’établit pas de préjudice supplémentaire alors qu’il a été embauché aux termes d’un contrat à durée indéterminée.
Sa rémunération n’a pas été jugée illégale au regard de la convention collective, et aucune heure supplémentaires ou complémentaire ne lui a été allouée. Il n’y a pas de manquement.
M. [W] ne justifie d’aucun dommage pour ce qui concerne la mutuelle, qu’il aurait refusée, selon l’employeur, pour en avoir déjà, ou faute de visite médicale préalable à l’embauche, que l’employeur dit avoir organisée.
La société Télépilote a délivré à M. [W] un avertissement le 14 septembre 2017, pour son silence suivi de son absence les 31 août et 1er septembre précédents, dates auxquelles il devait travailler.
Cependant, M. [W] allègue avoir été en congés payés, et l’employeur ne prétend pas le contraire et n’en justifie pas plus, alors qu’il lui appartient d’en tenir le compte.
Dès lors, il sera indemnisé de la retenue alors faite de 466,20 euros par l’allocation de la somme équivalente à titre de dommages-intérêts.
La société Télépilote sera condamnée à ce paiement, et le jugement sera infirmé en son expression contraire.
Sur le complément d’indemnité de licenciement
Le salarié réclame la somme de 14.598 euros, sur le fondement de l’article L.1234-9 du code du travail et de la clause insérée au contrat de travail lui reconnaissant une ancienneté de 6 ans, auxquels s’ajoutent les 2 ans et 3 mois de son activité.
La société, qui a fait appel incident, lui oppose une ancienneté d’un an, 11 mois et 12 jours.
L’article 1103 du code civil énonce que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
L’article 10.1 du contrat de travail stipule sous l’intitulé « clause de reprise d’ancienneté », « les parties au présent contrat conviennent de la reprise de l’ancienneté acquise par le salarié au service de ses employeurs précédents, soit un total de 6 années. Par conséquent, ce total d’ancienneté s’ajoutera à celle acquise par le salarié chez l’employeur pour former une ancienneté globale. Cette ancienneté globale sera retenue pour tous les calculs et/ou garanties prévues en matière d’ancienneté par le code du travail ou la convention collective nationale. »
Si la société Télépilote fait valoir la tromperie du salarié sur le contenu du contrat qu’il stipula et lui imposa après avoir refusé de signer celui préparé à son intention, elle n’évoque aucun vice de son consentement ni moyen utile, et ne sollicite ni l’inopposabilité ni la nullité du contrat qu’elle a finalement conclu. De la sorte, la clause querellée doit recevoir application.
M. [W] compte une ancienneté de 8 ans et 2 mois contenant le préavis achevé le 25 janvier 2018.
En application des articles L.1234-9, R.1234-1, R.1234-2 et R.1234-4 du contrat de travail, l’indemnité due est de 5.522,22 euros (2.693,77x ¿ x 8,2). Ayant été alloués par l’employeur 790,25 euros, restent dus 4.731,97 euros. Le jugement sera réformé sur le quantum.
Sur la restitution des allocations-chômage
Cette demande de M. [W] est sans objet, puisqu’il ne conteste pas son licenciement et que l’employeur n’a pas été condamné à paiement de quelques sommes au Pôle emploi.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en ce qu’il a requalifié la relation de travail en durée indéterminée dès le mois de novembre 2016, sur le quantum en ce qu’il a alloué une indemnité de licenciement complémentaire de 4 597,29 euros, en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés ;
Dit que les contrats à durée déterminée établis dès le 11 novembre 2015 doivent être requalifiés en contrat à durée indéterminée ;
Condamne la société par actions simplifiée Télépilote à payer à M. [I] [W] :
4.731,97 euros en complément d’indemnité légale de licenciement ;
466,20 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail ;
Confirme le surplus ;
Déboute M. [W] du surplus de ses demandes ;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,