Heures supplémentaires : 4 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/03678

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Heures supplémentaires : 4 mai 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/03678
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N° RG 22/03678 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JG5C

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 04 MAI 2023

RENVOI APRES CASSATION

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE CAEN du 26 Mars 2018

APPELANTE :

S.A.S. EMN venant aux droits de la société PROPOLYS

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Stéphane SELEGNY de la SELARL AXLAW, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Madame [J] [G]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me David VERDIER de la SELARL VERDIER MOUCHABAC, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Dominique MARI, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 28 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 28 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 04 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 04 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [J] [G] a été engagée par la société Propolys, aux droits de laquelle se trouve la SAS EMN, en qualité d’agent d’entretien par contrat de travail à durée déterminée du 9 juillet au 10 août 2007, puis par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 3 septembre 2007.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective des entreprises de propreté et services associés (IDCC 3043).

Par requête du 26 mai 2016, Mme [J] [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Caen en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

Déclarée inapte par le médecin du travail à l’issue d’une unique visite en raison du danger immédiat le 19 juillet 2016, le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié à la salariée le 26 octobre 2016.

Par jugement du 26 mars 2018, le conseil de prud’hommes a dit recevables et bien fondées les demandes de Mme [J] [G], dit que les manquements commis par la société Propolys sont d’une gravité telle qu’ils justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail, condamné la société Propolys au paiement des sommes suivantes :

rappel de salaire : 33 932,97 euros bruts,

congés payés afférents : 3 393,29 euros bruts,

indemnité pour travail dissimulé : 11 821 euros nets

indemnité compensatrice de préavis : 3 940,60 euros bruts,

indemnité de congés payés sur préavis : 3 94,06 euros bruts,

solde de l’indemnité légale de licenciement : 1 323 euros nets,

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 12  000 euros nets,

– condamné la société Propolys à remettre à Mme [J] [G] ses bulletins de paie rectifiés, sous astreinte journalière de 50 euros par jour à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement, condamné la société Propolys au paiement de la somrne de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit sur les sommes à caractère de salaire et fixé la moyenne prévue par l’article R.1454-28 du code du travail à la somme de 1 880 euros,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement en application de l’article 515 du code de procédure civile,

– débouté Mme [J] [G] de ses autres demandes et débouté la société Propolys de ses demandes.

Sur appel principal interjeté par la société Propolys, la cour d’appel de Caen, par arrêt du 29 août 2019, a confirmé le jugement en ce qu’il a débouté Mme [J] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, l’a réformé pour le surplus, dit irrecevable la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à plein temps, débouté Mme [J] [G] de l’ensemble de ses demandes, débouté la société Propolys de sa demande faite en application de l’article 700 du code de procédure civile, condamné Mme [J] [G] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Sur pourvoi en cassation de la salariée, par arrêt du 14 septembre 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Caen, remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt, les a renvoyées devant la cour d’appel de Rouen, a condamné la société EMN aux dépens, en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société EMN et l’a condamnée à verser à la société Thouvenin, Coudray et Gravy la somme de 3 000 euros.

La cour d’appel de Rouen a été régulièrement saisie le 14 novembre 2022.

Par conclusions remises le 23 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS EMN, venant aux droits de la société Propolys, demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il l’a condamnée au paiement des sommes suivantes :

rappel de salaire : 33 932,97 euros bruts,

congés payés afférents : 3 393,29 euros bruts,

indemnité pour travail dissimulé : 11 821 euros nets

– dit que les manquements commis par la société sont d’une gravité telle qu’ils justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [J] [G], et l’a en conséquence condamnée au paiement des sommes suivantes :

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 12 000 euros nets,

indemnité compensatrice de préavis : 3 940,60 euros bruts,

indemnité de congés payés sur préavis : 3 94,06 euros bruts,

solde de l’indemnité légale de licenciement : 1 323 euros nets,

Statuant à nouveau en le réformant,

– débouter Mme [J] [G] de sa demande de résiliation judiciaire prononcée aux torts de la société,

– débouter Mme [J] [G] de sa demande formulée à titre subsidiaire visant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

– débouter Mme [J] [G] de ses demandes d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité de préavis et congés payés afférents et de solde d’indemnité de licenciement,

– subsidiairement, réduire à de plus justes proportions le montant de l’indemnité octroyée au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [J] [G],

– débouter Mme [J] [G] de sa demande principale de rappel de salaire pour un montant de 33 932,97 euros,

– déclarer irrecevable sa demande formulée à titre subsidiaire de requalification de son contrat de travail et d’octroi de 13 186,39 euros à titre de rappel de salaire outre 1 318,63 euros à titre de congés payés y afférents,

– à titre subsidiaire, si la cour appréciait cette prétention au fond,

– débouter Mme [J] [G] de sa demande de requalification de son contrat de travail et du rappel de salaire afférent,

– à titre infiniment subsidiaire,

– réduire à de plus justes proportions le montant du rappel de salaire sollicité au titre de la requalification, dans la limite de 1 869,64 euros ou de 8 284,62 euros,

– confirmer le jugement attaqué,

– débouter Mme [J] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat,

– à titre subsidiaire, réduire à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts sollicités par Mme [J] [G],

en tout état de cause,

– condamner Mme [J] [G] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [J] [G] aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 6 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [J] [G] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail laquelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SAS EMN, venant aux droits de la société Propolys, à lui verser les sommes suivantes :

rappel de salaire : 33 932,97 euros bruts,

congés payés afférents : 3 393,29 euros bruts,

ou à titre subsidiaire 13 186,39 euros à titre de rappel de salaire outre 1 318,63 euros au titre des congés payés y afférents,

indemnité pour travail dissimulé : 11 821,80 euros nets,

indemnité compensatrice de préavis : 3 940,60 euros bruts,

indemnité de congés payés sur préavis : 394,06 euros bruts,

solde de l’indemnité légale de licenciement : 1 323 euros nets,

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros nets,

– condamné la SAS EMN, venant aux droits de la société Propolys, à lui remettre ses bulletins de paie rectifiés sous astreinte journalière de 50 euros par jour à compter du 15ème jour suivant la notification de l’arrêt,

– le réformer pour le surplus,

– condamner la SAS EMN, venant aux droits de la société Propolys, à lui verser les sommes suivantes :

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre du bien-fondé de l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail et à titre subsidiaire, du caractère infondé du licenciement pour inaptitude : 30 000 euros nets,

dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat : 5 000 euros nets,

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 5 000 euros nets,

– condamner la SAS EMN, venant aux droits de la société Propolys, aux entiers dépens d’instance et d’action.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 23 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur les demandes au titre de l’exécution du contrat de travail

I-1 Sur la demande de rappel de salaire

Mme [J] [G] sollicite un rappel de salaire, à titre principal, en faisant valoir qu’elle a accompli des heures supplémentaires et, à titre subsidiaire, à raison de la requalification du contrat de travail à temps partiel en temps plein.

Contrairement à ce que soutient l’employeur, la demande subsidiaire est recevable, même si elle a été présentée pour la première fois en cause d’appel.

En effet, si depuis le décret 2016-660 du 20 mai 2016, qui a supprimé les règles spécifiques en matière prud’homale relatives à l’unicité de l’instance, applicable aux procédures introduites postérieurement à son entrée en vigueur, les règles de droit commun résultant des dispositions de l’article 70 du code de procédure civile s’imposent aux parties.Ce texte dispose que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. En l’espèce, la demande subsidiaire présentée par la salariée s’analyse comme étant un moyen nouveau et non une prétention nouvelle au soutien de sa demande de rappel de salaire.

Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Mme [J] [G] était employée à temps partiel dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée pour 21h25 heures par semaine suivant la répartition suivante :

– lundi 8h-10h30 et 17h45-20h

– mardi 8h-10h30 et 17h45-20h

– mercredi 7h-8h et 17h45-20h

– jeudi 8h-10h et 17h45-20h

– vendredi 8h-10h00 et 17h30-19h45

avec affectation sur deux sites :

– l’AFT IFTIM [Localité 5]

– les résidences [Adresse 8]

Par avenant du 31 décembre 2008, a été ajoutée une prestation au sein de la résidence [Adresse 6] à [Localité 5] les mardi et vendredi de 10h45-11h45.

Son temps de travail contractuel était donc à partir de cette date de 23h25 par semaine.

Suivant contrat à durée déterminée du 28 août 2015, elle a été affectée à l’entretien de l’établissement Fidutech à [Localité 7] à raison de 10 heures par semaine en remplacement de Mme [T], agent d’entretien en maladie.

Elle soutient avoir travaillé au minimum 42,5 heures par semaine, expliquant effectuer bien plus de 23h25 de travail, et plus que 26,27 heures, soit 113,75 heures, pour lesquelles elle était rémunérée, l’employeur lui demandant d’intervenir sur différents sites et de remplacer des salariés absents, mais aussi de travailler à son domicile situé à [Localité 4] chaque mercredi dans un premier temps de 10h à 14h00 puis de 11h00 à 19h00, sans être rémunérée de ce travail supplémentaire, ni être rémunérée de ses temps de déplacement.

Elle fait valoir qu’ainsi elle se tenait à la disposition permanente de l’employeur, travaillait sans interruption hormis deux semaines de congés par an fixés au bon vouloir des époux [U], gérant de la société, expliquant être sous l’emprise de Mme [U] qui lui offrait vêtements et parfums, le permis de conduire auquel elle a échoué à cinq reprises, puis le camion sans permis, l’a plaçant ainsi dans un état de soumission.

Elle sollicite donc paiement des heures supplémentaires accomplies depuis le 11 mai 2011.

Au soutien de ses allégations, elle produit :

– 5 feuilles d’instructions manuscrites dont il n’est pas contesté qu’elles émanent de Mme [U] pour l’accomplissement de travaux ménagers au domicile des gérants, non datées,

– un document établi par ses soins mentionnant pour chaque jour de la semaine, du lundi au vendredi, le temps de travail, énumérant précisément les clients pour lesquels elle accomplissait les prestations avec le temps de chacune d’elles et le créneau horaire de son intervention, lui permettant de comptabiliser 42,5 heures de travail hebdomadaire, puis détaillant différents remplacements qu’elle a accomplis.

La salariée présente ainsi des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.

La SAS EMN s’oppose à la demande aux motifs que le document établi de la main de la salariée est tout à fait artificiel, puisqu’elle fonde sa demande sur un unique planning reconstitué alors que son activité était rythmée par des prestations intermittentes chez les entreprises clientes de la société Propolys, que son intervention sur le site Fidutech a été sporadique sur une période de 5 mois au cours de l’année 2015, qu’il en est de même chez le client situé avenue du six juin et qu’elle n’a travaillé que 26 heures chez les époux [U] à [W] entre janvier 2013 et décembre 2015.

Elle verse au débat des plannings renseignés par la salariée pour la période allant de mars 2013 à décembre 2015.

S’ils ne sont pas suffisants pour permettre d’être considérés comme des éléments de contrôle de la durée du travail de la salariée incombant à l’employeur, néanmoins, ils sont une source d’informations pour permettre d’apprécier les heures effectivement travaillées par elle.

Leur analyse permet de constater que si la salariée avait des lieux de prestation fixes, néanmoins, son emploi du temps était sujet à variation tant au titre des clients concernés par ses interventions qu’en terme de durée de travail et qu’à ce titre, il convient d’observer qu’il n’est pas produit d’éléments permettant de connaître dans quelles conditions la salariée était informée des modifications apportées aux horaires de travail contractuellement fixés.

S’agissant des prestations accomplies au cabinet Fidutech conseils, la SAS EMN produit les attestations de Mmes [E] [Z] et [L] [C], salariées du client, indiquant que Mme [J] [G] est intervenue en 2015 pour y faire le ménage pendant environ 5 mois, ce qui est corroboré par le contrat à durée déterminée régularisé à compter du 28 août 2015, l’analyse des plannings révèle également qu’antérieurement, la salariée était aussi intervenue plus ponctuellement chez ce client.

Sur le travail au domicile des gérants, M. et Mme [U], sur les plannings , il n’est pas discuté que les prestations ainsi effectuées étaient mentionnées sous le vocable ‘ [W]’ et il en résulte que la salariée y a travaillé à raison de deux heures certains mercredis, pour une durée totale de 26 heures entre 2013 et 2015.

Les instructions manuscrites produites par la salariée au nombre de cinq ne sont pas de nature à démentir l’employeur qui conteste l’avoir fait travailler tous les mercredis pendant 8 heures de 11 heures à 19 heures, à défaut de mentionner leur date, ce qui ne permet pas de vérifier qu’elles auraient été données pour des prestations autres que celles mentionnées par la salariée elle-même sur les plannings et leur contenu ne permettant pas d’en déduire qu’elles concernaient des prestations excédant deux heures.

S’agissant des temps de déplacement entre deux prestations, l’employeur, qui allègue que les temps de déplacement sont inclus dans les temps d’intervention ne l’établit pas et même si les lieux de prestation étaient généralement peu distants les uns des autres et, selon le calcul proposé par l’employeur nécessitaient par exemple 24 minutes le lundi matin, la comparaison entre les heures résultant des plannings remplis par la salariée et les bulletins de paie correspondant permet de vérifier que ces temps qui doivent être considérés comme temps effectif de travail, dès lors qu’il s’agit de se rendre d’un chantier à un autre, n’ont jamais été pris en compte.

Par ailleurs, l’examen croisé des bulletins de paie avec le décompte résultant des plannings ainsi vantés par l’employeur permet de constater que le temps rémunéré était parfois moindre que celui résultant de ces plannings. Il en est notamment ainsi en :

– avril 2013 : 117,25 heures accomplies pour 113,75 payées

– octobre 2013 : 115 113,75

– décembre 2013 : 131 123,75

– avril 2014 : 135,75 132,75

– mars 2015 : 137,75 133,75

– juillet 2015 : 135 126,75

– août 2015 : 122,75 113,75

– septembre 2015 : 117 113,75.

Enfin, alors que les heures supplémentaires s’apprécient à la semaine, il résulte aussi du décompte du temps de travail réalisé à partir des plannings que la salariée a dépassé la durée légale de travail à plusieurs reprises et notamment les semaines 22, 23, 49 de 2013, 25 de 2014, 9, 10, 21, 23, 30, 31 de 2015, sans bénéficier nécessairement de la majoration applicable aux heures supplémentaires.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour a la conviction que Mme [J] [G] a accompli des heures complémentaires et heures supplémentaires non rémunérées mais dans des proportions moindres que celles revendiquées, et compte tenu des heures complémentaires déjà rémunérées, il lui est accordé la somme totale de 18 675,91 euros et les congés payés afférents, la cour infirmant ainsi le jugement entrepris.

Compte tenu du rappel de salaire alloué, le salaire mensuel de base de Mme [J] [G] s’établit à la somme de 1 623,59 euros bruts.

I-2 Sur le travail dissimulé

Mme [J] [G] sollicite la condamnation de l’employeur à lui payer l’indemnité pour travail dissimulé aux motifs qu’elle a travaillé tous les mercredis au domicile des gérants sans être déclarée et rémunérée, qu’elle n’était pas payée de ses temps de trajet constitutifs de temps effectif de travail, peu important qu’elle n’ait jamais fait aucune réclamation au titre des heures impayées.

La SAS EMN s’y oppose aux motifs qu’elle conteste avoir employé Mme [J] [G] de manière dissimulée au domicile des époux [U], qu’au contraire les heures qu’elle y a accomplies ont été mentionnées sur les plannings rédigés de sa main et ont donc été rémunérées, que la salariée n’a jamais travaillé 42,75 heures par semaine comme elle le prétend, et qu’elle a été rémunérée de l’ensemble des heures de travail accomplies.

Il résulte de l’article L. 8221-5 du code du travail qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche, soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Selon l’article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’espèce, pour les motifs sus développés, la cour ne retient pas la dissimulation d’heures de travail au domicile de M. et Mme [U].

En revanche, alors que l’employeur disposait des plannings de la salariée, qu’il connaissait les modalités d’exercice de ses prestations impliquant des déplacements entre les chantiers recevant la qualification de temps effectif de travail, leur absence de prise en compte est nécessairement intentionnelle. De plus, il n’a pas toujours fait figurer les heures de travail telles que résultant des plannings établis par la salariée.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur le principe du travail dissimulé mais de l’infirmer dans son montant, accordant à ce titre la somme de 9 741,54 euros compte tenu du rappel de salaire alloué.

I-3 Sur le manquement à l’obligation de sécurité

Mme [J] [G] soutient que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en lui imposant des conditions de travail qui ont eu pour effet de dégrader son état de santé, s’abstenant d’organiser les visites médicales périodiques, ce qui n’a pas permis de constater la dégradation de son état de santé, ce qui lui cause un préjudice important dont elle sollicite réparation à hauteur de 5 000 euros.

La SAS EMN conteste toute surcharge de travail, la salariée travaillant généralement moins de 6 heures par jour et bénéficiant d’une pause méridienne, et de ses congés payés, si elle reconnaît qu’une visite périodique aurait dû être organisée en 2015, néanmoins, son absence n’a pas causé de préjudice et il n’est pas établi l’existence des conditions dégradantes et des contraintes psychologiques alléguées.

Selon l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. En cas de litige, il incombe à l’employeur de justifier avoir pris des mesures suffisantes pour s’acquitter de son obligation et s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2, il peut s’en déduire une absence de manquement à son obligation.

Il résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, lesquelles comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Sur les visites médicales périodiques, il est justifié que la salariée a bénéficié d’une visite médicale d’embauche le 19 novembre 2007, puis de deux visites périodiques les 16 avril 2009 et 25 janvier 2013 alors que la réglementation alors applicable imposait d’organiser une visite tous les deux ans.

Il ne résulte pas de l’examen des plannings renseignés par la salariée qu’elle travaillait au moins 6 heures, continues ou non, sans bénéficier d’au moins une pause méridienne d’un temps au moins égal à 20 minutes.

S’agissant des congés, l’allégation selon laquelle la salariée indique ne pas avoir bénéficié de plus de deux semaines de congés par an est démentie par l’examen des bulletins de paie révélant qu’en 2013, elle a pris 30 jours (du 20 au 27 janvier, du 11 au 17 mars, du 20 au 26 mai, du 24 au 29 juin et du 2 au 8 août), en 2014, aussi (du 20 au 26 janvier, du 24 au 29 mars, du 2 au 7 juin, du 22 au 30 septembre et du 1er au 4 octobre) et en 2015, 24 jours (du 5 au 17 janvier et du 15 au 27 juin).

Par ailleurs, s’il est attribué à M. [D] [P] un tapuscrit évoquant la forte pression subie par Mme [J] [G] de la part de son employeur sous forme de brimades, vexations, agressions verbales et même un début de séquestration, outre que ce document n’est pas conforme aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, de sorte que la cour ne lui accorde aucune valeur probante, en tout état de cause, il ne décrit pas d’événements précis et circonstanciés pour illustrer les pressions évoquées.

Enfin, si la salariée a accompli des heures supplémentaires, néanmoins, il n’a pas été retenu qu’elle travaillait au-delà des limites légales et il n’est pas prétendu que l’employeur n’aurait pas respecté son temps de repos.

Au regard de ce qui précède, alors qu’il est avéré que Mme [J] [G] a été en arrêt de travail pour troubles anxio-dépressifs, même s’ils peuvent être mis en lien avec des difficultés d’ordre personnel rencontrées au cours de l’année 2015, telles qu’attestées par M. [I], salarié de l’entreprise et Mmes [E] [Z] et [L] [C], salariées du client Fidutech, son fils ayant été hospitalisé et la caisse primaire d’assurance maladie ayant refusé la prise en charge au titre d’une maladie professionnelle après avis du CRRMP, néanmoins, en n’organisant pas début 2015 la visite périodique alors obligatoire, alors que l’employeur décrit lui-même l’état de santé fragilisée de la salarié, il a commis un manquement à son obligation de sécurité.

En effet, l’organisation d’une telle visite aurait permis au service de santé au travail de faire un tel constat et de prévenir une dégradation de l’état de santé de la salariée, peu important que la cause réside dans ses conditions de travail ou non, ce, d’autant que l’employeur met en avant le refus de toute prise en charge médicale par la salariée.

Ainsi, il en résulte un préjudice pour la salariée, qui a fait l’objet d’une déclaration d’inaptitude le 19 juillet 2016 en ces termes : ‘Inapte à tous les postes de l’entreprise.

L’état de santé de madame [G] ne permet pas de faire de proposition de Tâches ou de postes au sein de l’entreprise.

1ère visite d’inaptitude (art R4624-31 du code du travail) : il ne sera émis qu’un seul et unique avis danger immédiat pour la santé de Mme [J] [G].’, qu’il convient d’indemniser à hauteur de 1 000 euros.

La cour infirme ainsi le jugement entrepris.

II – Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail

II-1- Sur la demande de résiliation judiciaire

Mme [J] [G] sollicite le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail considérant que l’employeur a manqué à ses obligations contractuelles en :

– ne respectant pas le contrat de travail

– ne payant pas ses heures de travail

– violant l’obligation de sécurité

et qu’il l’a placée dans un état de dépendance psychologique jusqu’à son dernier jour de travail où elle a été empêchée de sortir du domicile de l’employeur, l’obligeant à emprunter le passage des chiens.

La SAS EMN conteste que les avantages accordés à la salariée aient été destinés à la placer dans un état de dépendance à son égard, mais aussi, les circonstances de l’incident du 20 janvier 2016 telles que présentées par la salariée, expliquant qu’elle était venue pour prendre un chèque d’acompte, que constatant l’odeur dégagée par le véhicule mis à sa disposition, elle n’a pas accepté une remarque relative à la nécessité de circuler après avoir desserré le frein à main avant de démarrer et alors prise de colère, elle a démissionné et est partie sans lui laisser le temps d’ouvrir le portail.

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si l’employeur n’exécute pas ses obligations contractuelles et que les manquements sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur , tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dés lors qu’à cette date le salarié est toujours au service de son employeur.

Lorsque le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement ou au jour de la prise d’acte de rupture ou au jour à partir duquel le salarié a cessé de se tenir à la disposition de son employeur.

En l’espèce, si la subordination psychologique invoquée par la salariée n’est pas établie par les éléments de la procédure et que les circonstances du départ de Mme [J] [G] du domicile de M. et Mme [U] le 20 janvier 2016 ne sont pas certaines en présence de deux versions différentes sans témoin objectif, la cour n’accordant pas de force probante à l’attestation non conforme de Mme [O], laquelle n’était en tout état de cause pas présente sur les lieux hormis pour venir chercher la salariée sur le bord de la route, il n’en demeure pas moins, qu’il résulte des développements qui précèdent que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et surtout n’a pas rémunéré la salariée à hauteur des heures effectivement travaillées pour des montants significatifs, ce qui constitue à lui seul un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur à effet au 26 octobre 2016, date du licenciement.

La cour confirme sur ce point le jugement entrepris.

II-2 Sur les conséquences de la résiliation judiciaire

Sur la base d’un salaire brut moyen reconstitué de 1 623,59 euros en considération des heures complémentaires et supplémentaires retenues, la salariée est fondée à obtenir :

– indemnité compensatrice de préavis : 3 247,18 euros

– congés payés afférents : 324,71 euros

– solde de l’indemnité légale de licenciement :

compte tenu d’une ancienneté de 9 ans et 5 mois, préavis inclus, en application des dispositions des articles L.1234-9 et R.1234-2 du code du travail dans leur version en vigueur à la date du licenciement, il est dû :

(1 623,59 : 5 x 9) + (1 623,59 : 5 x3/12) = 3 003,63 euros dont à déduire 2 366 euros déjà versés, soit un solde de 637,63 euros.

– dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Sans être démenti, l’employeur fait valoir qu’il employait moins de onze salariés, ce qui résulte effectivement de la matrice des salaires pour 2018.

En conséquence, en application de l’article L.1235-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige, la salariée peut prétendre à l’indemnisation du préjudice subi.

En considération de son ancienneté( 9 ans), de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (54 ans), alors qu’elle ne produit pas d’éléments permettant de connaître l’évolution de sa situation professionnelle postérieurement au licenciement, que les troubles anxio-dépressifs invoqués ne résultent pas de ses conditions de travail, la cour lui accorde la somme de 9 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Les autres dispositions du jugement déféré non remises en cause (remise des documents de fin de contrat sous astreinte) sont confirmées.

III – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, la SAS EMN est condamnée aux entiers dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée conformément aux dispositions de l’article 639 du code de procédure civile et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Pour le même motif, elle est condamnée à payer à Mme [J] [G] la somme de 2 000 euros en cause d’appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, a ordonné la remise sous astreinte des bulletins de paie rectifiés, a statué sur les dépens et frais irrépétibles ;

Le complétant,

Dit que la résiliation judiciaire est à effet au 26 octobre 2016 ;

L’infirme en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS EMN à payer à Mme [J] [G] les sommes suivantes :

rappel au titre des heures complémentaires

et heures supplémentaires : 18 675,91 euros

congés payés afférents : 1 867,59 euros

indemnité pour travail dissimulé : 9 741,54 euros

indemnité compensatrice de préavis : 3 247,18 euros

congés payés afférents : 324,71 euros

indemnité légale de licenciement : 637,63 euros

dommages et intérêts pour licenciement abusif : 9 000,00 euros

manquement à l’obligation de sécurité : 1 000,00 euros

Condamne la SAS EMN aux entiers dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée conformément aux dispositions de l’article 639 du code de procédure civile  ;

Condamne la SAS EMN à payer à Mme [J] [G] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute la SAS EMN de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.

La greffière La présidente

 


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