Tolérance de marque : 30 novembre 2017 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 16/04767

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Tolérance de marque : 30 novembre 2017 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 16/04767
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 30 NOVEMBRE 2017

(Rédacteur : Elisabeth LARSABAL, président,)

N° de rôle : 16/04767

[Q] [V]

[O] [V]

SAS [V]

c/

[P] [N]

SAS LAGUIOLE

SARL SIMCO CASH

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 17 mai 2016 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 1°, RG : 13/08454) suivant déclaration d’appel du 19 juillet 2016

APPELANTS :

[Q] [V]

né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1] (48)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

[O] [V]

né le [Date naissance 2] 1971 à LAGUIOLE (12)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

SAS [V], agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

représentés par Maître Caroline TALBERT-CAMARERO de la SELARL ACT, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Eric JUNCA de la SELARL cabinet Eric JUNCA, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE, et de Maître Philippe SCHMITT, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMÉS :

[P] [N]

né le [Date naissance 3] 1949 à [Localité 2] (79)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 4]

SAS LAGUIOLE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]

représentés par Maître Luc BOYREAU de la SCP LUC BOYREAU, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître DEMOLY, avocat plaidant au barreau de PARIS

SARL SIMCO CASH, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 6]

représentée par Maître BOUCHARD substituant Maître Françoise FAURIE de la SELARL FRANÇOISE FAURIE ET ASSOCIES, avocats postulants au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Emmanuelle HOFFMAN, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 24 octobre 2017 en audience publique, devant la cour composée de :

Elisabeth LARSABAL, président,

Catherine COUDY, conseiller,

Catherine BRISSET, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

M. [Q] [V], son fils M. [O] [V] et la SAS [V] (ci après la société [V]) exploitent à Laguiole (Aveyron, 12) un restaurant et un hôtel dénommés ‘[Établissement 1]’. Les consorts [V] exploitent ensemble cet établissement depuis l’année 2000, le restaurant ayant trois étoiles au guide Michelin depuis 1999.

M. [P] [N] est titulaire des marques ‘Laguiole cuisinier de père en fils’ n°3568289 pour les produits des classes 8, 11 et 21 et n°3614716 pour les classes 18, 20, 24, 25, 29, 30, 31, 32, 33 et 43, déposées le 9 avril 2009 et le 12 janvier 2008. Ces deux marques désignent des couverts, ustensiles de cuisine, vaisselle, linge de maison, produits alimentaires et services de restauration.

La SARL Simco cash est titulaire de la marque ‘Les trois fourchettes’ enregistrée à l’INPI le 11 juillet 2011 pour les produits suivants :

– plaques de cuisson,

– ustensiles de cuisine (à l’exception de l’électroménager), récipients de cuisine, casseroles, fait-tout, poêle à frire, vaisselle en porcelaine ou faïence ou inox, verre de table, ménagères, objet de décoration en porcelaine, terre-cuite, verre,

– nappes, linge de table, serviettes non en papier,

Cette société a conclu avec M. [N] différents contrats de licence :

– l’un signé le 1er juillet 2008, portant sur la marque ‘Laguiole’ et visant la réalisation d’une collection de ‘gamme d’ustensiles de cuisson en métal et plaques de cuisson à induction’,

– l’autre signé le 1er juillet 2009, portant sur la marque ‘Laguiole Premium ®’ visant la réalisation d’une collection de couverts, articles culinaires, petit ménager, poêles,

Ces contrats ont été remplacés par de nouveaux accords de licence en 2014, portant toujours sur les mêmes marques.

Par actes des 5 et 6 septembre 2013, les consorts [V] et la société [V] ont fait assigner M. [N], la société Laguiole et la société Simco cash sur le fondement des articles L.711-3 c et g, L.711-4 du code de la propriété intellectuelle et l’article 1382 du code civil.

Les consorts [V] font valoir à l’appui de leurs demandes qu’outre l’exploitation de l’hôtel – restaurant, ils ont mis au point avec l’entreprise japonaise Kai, une gamme de couteaux et couverts haut de gamme de grande qualité, principalement destinés aux professiormels de la restauration, vendus sous la marque ‘[V]’ sur le site internet du restaurant ou dans la boutique de celui-ci, dans le cadre d’une licence conclue en 2003.

Les demandeurs exposent également que M. [N] exploite pour sa part 37 marques ‘Laguiole’ déposées dans diverses classes de produits (notamment barbecue, linge de maison, couteaux…). Ils expliquent qu’une procédure a été intentée contre lui dans le cadre de ses activités commerciales par la commune de Laguiole, laquelle a donné lieu a un jugement de débouté du

tribunal de grande instance de Paris le 13 septembre 2012, confirmé en toutes ses dispositions par la cour d’appel.

Par ailleurs, une procédure a déjà opposé M. [N] à M. [V], devant le tribunal de grande instance de Rodez, puis la cour d’appel de Montpellier qui dans une décision du 12 juin 2007 a constaté que M. [N] et la société Laguiole avait utilisé sur leur site internet le nom et la personne de M. [V] sans son autorisation, et avait ainsi porté atteinte à son nom et à sa réputation. Il a été fait interdiction à M. [N] de poursuivre ces actes illicites, sous peine de faire subir à M. [V] une dévalorisation de son image et de sa réputation, construite dans le domaine exigeant et sélectif de l’art culinaire et de l’hôtellerie haut de gamme.

Les demandeurs exposent que M. [N] ne respecte pas cette interdiction en proposant à la vente sur son site internet une gamme de couteaux, couverts, vaisselle et casseroles sous la rubrique ‘Laguiole – Cuisinier de père en fils – les pros’ ou encore ‘Laguiole – l’héritage’, par l’intermédiaire de la société Simco cash.

Les demandeurs font valoir que les marques ‘Laguiole cuisinier de père en fils’ tromperaient le public sur la nature ou les qualités substantielles des produits et services désignés, dans la mesure ou les consommateurs associeraient les produits désignés par cette marque aux consorts [V] d’une part, et au nom du village de [Localité 3] d’autre part, et que lesdites marques porteraient atteinte aux droits de la personnalité des consorts [V].

Les demandeurs soutiennent également que l’usage de ces marques sur le site ‘www.[Courriel 1].tm.fr’ parasite et porte atteinte à leur réputation et concurrence de manière déloyale la société [V], exploitante du restaurant. Ils ont notamment demandé, sur le fondement des articles L.713-3 c et g du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil, qu’il soit:

– jugé que les marques ‘Laguiole cuisinier de père en fils’ n°3568289 et 3614716 sont déceptives et encourent de ce chef la nullité,

– jugé que les marques ‘[Courriel 1] cuisinier de père en fils’ encourent la nullité en raison de 1’atteinte qu’elles portent aux droits de la personnalité des consorts [V] et au nom commercial ‘[V] [Localité 3]’,

– ordonné la radiation des marques ‘[Courriel 1] cuisinier de père en fils’ n°3568289 et n°3614716 et son inscription au registre national des marques aux seuls frais de M. [N],

– jugé que la marque ‘Les trois fourchettes’ n°3845726 encourent la nullité en raison de son caractère déceptif,

– ordonné la radiation de la marque ‘Les trois fourchettes’ et son inscription au registre national des marques aux seuls frais de la société Simco cash,

– jugé que les publicités de M. [N], des sociétés Laguiole et Simco cash parasitent et portent atteinte a la réputation des consorts [V] et condamner solidairement M. [N], les sociétés Laguiole et Simco à payer aux consorts [V] la somme de 300.000 € à titre de réparation,

– jugé que les publicités de M. [N], des sociétés Laguiole et Simco cash entraîne la confusion et concurrencent de manière déloyale la société [V], interdit la poursuite des actes de concurrence déloyale sous astreinte de 5000 € par infraction constatée et condamner de façon solidaire M. [N], les sociétés Laguiole et Simco cash à payer à la société [V] la somme de 150.000 € a titre de réparation,

– ordonner à titre de complement de dommages et interéts et sous la même solidarité la publication du jugement sur le site ‘www.[Courriel 1].tm.fr’ aux frais des défendeurs,

– ordonner l’exécution provisoire,

M. [N] et la société Laguiole ont contesté le caractère déceptif des marques et soulevé la forclusion par tolérance sur le fondement de l’article L.714-3 du code de la propriété intellectuelle, faisant valoir que la marque ‘Laguiole cuisinier de père en fils’ n°3568289 a été déposée 1e 9 avril 2008, soit plus de cinq ans avant l’assignation du 6 septembre 2013.

Ils font valoir que le nom de [V] n’est pas reproduit par les marques attaquées, que les demandeurs ne sont titulaires d’aucun droit antérieur sur l’expression considérée et n’établissent aucun usage antérieur de cette dénomination, pas plus qu’ils n’apportent la preuve que les marques en cause concernent des produits et services liés à leur activité.

Ils contestent l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, la présentation des produits en cause sur les sites internet respectifs des parties étant différente et commercialisée sous des marques et enseignes différentes. Ils contestent tout détournement de clientèle et font observer que la communication qui créerait une prétendue confusion ne figure plus sur le site ‘www.[Courriel 1].tm.fr’.

La société Simco cash demande que soit constatée l’absence d’exploitation de sa part de la marque ‘Laguiole cuisinier de père en fils’ et l’absence de caractère déceptif de la marque ‘Les trois fourchettes’ n°3845726,

Par jugement du 17 mai 2016, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

– dit que les demandes en nullité des marques ‘Laguiole cuisinier de père en fils’ n°3568289 et 3614716 ne sont pas atteintes par la forclusion,

– rejeté les demandes en nullité des marques ‘Laguiole cuisinier de père en fils’ n°3568289 et 3614716 sur le fondement des articles L.711-3 c et 711-4 c et g du code de la propriété intellectuelle,

– rejeté la demande en nullité de la marque ‘Les trois fourchettes’ sur le fondement de l’article L.711-3 c du code de la propriété intellectuelle,

– rejeté les demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

– rejeté la demande reconventionnelle en dommages intérêts pour procédure abusive formée par M. [N] et la société Laguiole,

– condamné les consorts [V] et la société [V] à payer à M. [N] et la société Laguiole 5.000€ et à la société Simco cash une 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,

– rejeté toute autre demande comme non fondée,

Pour statuer comme il l’a fait, le tribunal a considéré, concernant la forclusion pour tolérance, que la marque ‘[Courriel 1] cuisinier de père en fils’ a été déposée le 12 janvier 2008 sous le n°3568289, mais que les défendeurs ne rapportent pas la preuve que les demandeurs avaient eu connaissance de ce dépôt, l’enregistrement n’ayant été effectué que le 12 septembre 2008. Ainsi le délai de 5 ans n’était-il pas écoulé lors de la délivrance de l’assignation les 5 et 6 septembre 2013. Concernant la nullité pour déceptivité, le tribunal a considéré que l’expression ‘[Courriel 1] cuisinier de père en fils’ ne renvoie pas à la famille [V], même si le restaurant exploité par les consorts [V] est situé dans la commune de [Courriel 1] et que le public averti en a connaissance, d’autant plus que les couteaux fabriqués par les consorts [V] et la société [V] sont fabriqués au Japon, ce que amoindri leur argument selon lequel leur nom est étroitement lié à celui de [Courriel 1]. Sur la nullité pour atteinte aux droits de la personnalité, le tribunal a considéré que les marques n’étant pas déceptives en ce qu’elles ne sont pas trompeuses, le risque de confusion ayant été écarté, la demande au titre de l’atteinte aux droits de la personnalité doit l’être également. Sur la demande de nullité de la marque ‘Les trois fourchettes’, le tribunal a considéré que rien ne permet de dire que cette expression renvoie aux trois étoiles du guide Michelin attribuées au restaurant des consorts [V]. Aucune confusion ne saurait, selon le tribunal, naître à ce titre, dans l’esprit du consommateur moyen susceptible d’acheter des couteaux sur internet. Par ailleurs, le tribunal a considéré que, la demande au titre des actes parasitaires étant fondée sur le risque de confusion qui est écarté, et les actes de publicité incriminés n’étant pas clairement identifiés, le tribunal l’a rejetée. La communication de la marque ‘[Courriel 1] cuisinier de père en fils’ étant faite autour de la provenance de [Courriel 1] et non autour d’un possible lien avec les consorts [V], l’utilisation des termes ‘de père en fils’ étant trop générale et couramment utilisée, la demande au titre de la concurrence déloyale a été rejetée par le tribunal. Enfin, le tribunal a considéré qu’il n’est pas démontré que l’action des demandeurs procède d’un abus de droit ou d’une intention de nuire, la demande reconventionnelle des défendeurs étant déboutée sur ce point.

Les consorts [V] et la société [V] a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe de leur avocat le 19 juillet 2016, dans des conditions de régularité non contestées.

Par conclusions rectificatives signifiées par RPVA le 28 septembre 2017, les consorts [V] et la société [V] demandent à la cour de :

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– annuler les enregistrements n° 083568289 déposé le 9 avril 2008 et n°083614716 déposé le 1er décembre 2008, au nom de M. [N] pour avoir été déposés frauduleusement à l’encontre des consorts [V] et de la société [V]. Si ces deux enregistrements ne sont pas annulés pour fraude, les annuler pour déceptivité au sens de l’article L711-3 du code de la propriété intellectuelle.

– condamner solidairement M. [N], la société Laguiole et la société Simco cash pour les deux dépôts frauduleux et leur intention de nuire, à payer en application de l’article 1240 du code civil la somme de 50.000 € à titre de M. [N], la société Laguiole et la société Simco,

– les condamner solidairement au paiement de 15.000 € au profit des consorts [V] d’une part, et 10.000 € au profit de la société [V] d’autre part, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel,

Par conclusions n°2 signifiées par RPVA le 18 juillet 2017, M. [N] et la société Laguiole demandent à la cour de :

– déclarer les consorts [V] et la société [V] irrecevables et en tout cas mal fondés en leur appel,

– les déclarer irrecevables en leurs demandes pour défaut d’intérêt à agir,

– juger que les demandes en nullité pour dépôt frauduleux des marques n°3568289 et 3614716 constituent des prétentions nouvelles au sens des dispositions des articles 563 et 565 du code de procédure civile et de la jurisprudence,

– juger que la demande de nullité sur le fondement de l’article L.711-3 c est une prétention nouvelle pour ce qui concerne les produits de la classe 24,

– les dire en tout état de cause mal fondés,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté les consorts [V] et la société [V] de l’intégralité de leurs demandes,

– déclarer la société Laguiole hors de cause,

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné les consorts [V] et la société [V] à payer aux intimés 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais non

compris dans les dépens de première instance,

– réformer le jugement en ce qu’il a débouté M. [N] et la société Laguiole de leurs demandes au titre de la procédure abusive et vexatoire,

En conséquence,

– condamner les consorts [V] et la société [V] à payer à M. [N] et la société Laguiole une somme de 30.000 € chacun pour procédure abusive et vexatoire,

– débouter la société Simco cash de son appel en garantie,

– condamner à les consorts [V] et la société [V] à payer à M. [N] et la société Laguiole une somme de 25.000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de première instance et d’appel,

Par conclusions n°2 signifiées par RPVA le 15 septembre 2017, la société Simco cash demande à la cour de :

– la recevoir en l’ensemble de ses conclusions, fins et prétentions,

– constater l’absence d’exploitation par elle de la marque ‘Laguiole cuisinier de père en fils’,

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En conséquence :

– débouter les consorts [V] et la société [V] de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de la société Simco,

– condamner les consorts [V] et la société [V] à verser à la société Simco cash la somme de 12.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

Et à titre subsidiaire,

– ordonner la garantie éventuelle de toutes condamnations qui pourraient être prononcées par la cour à l’encontre de la société Simco cash du fait de l’exploitation de la marque ‘Laguiole cuisinier de père en fils’ par M. [N], y compris celles prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 10 octobre 2017.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’intérêt à agir des appelants

M. [P] [N] et la société Laguiole font valoir que dans la mesure où leurs dépôts de marques n’ont jamais été opposés aux consorts [V] et à la société SAS [V], ceux-ci n’ont pas d’intérêt à agir au sens de l’article 31 du code civil.

Dès lors que les consorts [V], père et fils, exercent à [Courriel 1] la profession de cuisiniers, ils ont un intérêt à voir prononcer la nullité de la marque [Courriel 1] cuisinier de père en fils qui pourrait le cas échéant leur être opposée, à tort ou à raison, par M. [P] [N] et la société Laguiole, étant rappelé que M. [P] [N] et la société Laguiole ont été déjà été sanctionnés judiciairement pour leurs agissements à l’encontre de M. [Q] [V] par la cour d’appel de Montpellier en 2007.

Sur la recevabilité de la demande fondée sur la fraude

Il est constant que les appelants ont abandonné en appel certaines des demandes présentées en première instance, s’agissant de la demande de nullité fondée sur l’atteinte aux droits de la personnalité de M. [Q] [V] et M. [O] [V] ainsi qu’au nom commercial [V] Laguiole , de la demande de nullité de la marque ‘les trois fourchettes’, de la demande au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, de même que les intimés ont renoncé à invoquer le forclusion pour tolérance.

Les appelants maintiennent en revanche leur demande de nullité des deux marques Laguiole cuisinier de père en fils fondée d’une part sur la fraude, qui n’était pas expressément invoquée en première instance, et d’autre part sur la déceptivité.

L’argumentation fondée sur la fraude , si elle constitue une évolution des moyens, ne peut être analysée comme une demande nouvelle irrecevable au sens de l’article 564 du code de procédure civile, dès lors qu’elle tend aux mêmes fins que la demande antérieure, qui était fondée, outre sur les éléments abandonnés, sur la déceptivité, le résultat recherché étant le prononcé de la nullité de la marque, ce qui peut le cas échéant intervenir sur le fondement de la fraude, qui constitue un moyen nouveau et est à ce titre recevable au sens des articles 563 et 565 du même code.

La circonstance que les appelants aient en appel réduit sensiblement le montant de leur demande de dommages intérêts à raison du préjudice résultant du dépôt des marques n’est pas davantage de nature à faire qualifier la demande de nouvelle.

Il est en outre notable que la notion de fraude a été retenue par la cour de cassation dans un arrêt du 4 octobre 2016 postérieur au jugement déféré dans le litige qui oppose M. [P] [N] et la société Laguiole à la commune de [Localité 3] à propos de l’usage du nom de Laguiole, ce qui peut également être analysé comme un élément nouveau.

Sur la demande de nullité pour fraude

Le principe selon lequel la fraude corrompt tout (en latin adage fraus omnia corrumpit) peut être considéré comme un principe général du droit français quand bien même il n’est pas expressément repris par un texte de portée législative.

Son application aux droit des marques résulte à la fois de la directive européenne 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, y compris dans sa rédaction issue de la directive du 22 octobre 2008, qui prévoit en son article 3 & 2d) la nullité d’un enregistrement de marque qui a été fait de mauvaise foi par le défendeur, et de la jurisprudence.

Un dépôt peut être qualifié de frauduleux quand il porte sur une expression descriptive accompagnée de la dénomination sociale du demandeur au dépôt de marque, l’élément déterminant étant que cette expression soit nécessaire à l’activité de celui qui se plaint du dépôt de marque.

En l’espèce , il est constant que les marques Laguiole cuisinier de père en fils font référence d’une part au nom de la commune de [Localité 3], sur laquelle M. [P] [N] et la société Laguiole ne justifient pas d’un droit, et d’autre part à l’expression ‘cuisinier de père en fils’.

Il est flagrant que cette conjonction du nom de lieu et de la notion de cpef ont pour objectif de faire penser à M. [Q] [V] et à son fils M. [O] [V] qui exploitent à [Localité 3] un restaurant doté de trois étoiles au guide Michelin , notoirement connu par son classement gastronomique, et précisément par la particularité qu’il est exploité à la fois par le père et le fils ; ceux-ci on axé leur communication sur cet aspect spécifique et attrayant par la notion de continuité et de tradition qu’il induit ; en témoignent :

– la lettre du « Monde 2″ (pièce 4 des appelants) faisant référence à « M. [Q] [V], le petit gars de [Localité 3], l’autodidacte devenu chef trois étoiles étoilé installé, avec son fils [O], à 1200 mètres d’altitude, un peu au dessus du village natal, et à « M. [Q] [V], grandi en cuisine sous les ordres de sa mère», ce qui renforce l’importance de la transmission générationelle,

– la revue « Entre chefs » de septembre 2008 (pièce 5 des appelants) avec en première page le titre « [Q] et [O] [V] » et un long article mentionnant Laguiole et l’importance du passage de témoin entre le père et le fils, photographiés ense M. [Q] [V] le,

– un article (pièce 6 des appelants) « [Q] et M. [O] [V], restaurant gastronomique, mentionnant Laguiole

– un article du journal Libération supplément « le top des toques » de septembre 2007 (pièce 7 des appelants) classant en deuxième position [Q] et M. [O] [V] [V]- Laguiole à [Localité 3] avec une photo du père et du fils, article soulignant que « M. [Q] [V] fuit moins les médias depuis qu’il pose avec la relève : son fils [O] », insistant par ailleurs sur l’importance des herbes de terroir dans la cuisine de ces chefs,

– un article de « saveurs « de décembre 2007 (pièce 8 des appelants),consacré à trois grands chefs épaulés par leur fils, dont M. [Q] [V] sous le titre « [Q] et M. [O] [V], symbiose et prolongement», article soulignant l’importance du terroir de Laguiole et la transmission de la passion culinaire affichée par la présence de [F] [V] , mère de M. [Q] [V],

– l’annonce d’un documentaire « Entre les [V], la cuisine en héritage » (pièce 9 des appelants.

Il ressort de ces éléments que tant l’ancrage dans le terroir de [Localité 3] que la notion d’exercice en commun de l’art culinaire de très haut niveau par M. [Q] [V] et M. [O] [V] sont inhérents et nécessaires à leur activité et que le dépôt des marques Laguiole cuisinier de père en fils par M. [P] [N] et la société Laguiole étaient de nature à y porter atteinte.

La circonstance que d’autres binômes de pères et fils cuisiniers soient connus à ce titre ne fait pas obstacle à la constatation de la fraude dans la mesure où l’ancrage de M. [Q] [V] et M. [O] [V] dabs le village de [Localité 3] est un élément de leur identité et de leur spécificité et de leur notoriété, leur cuisine étant notamment basée sur les herbes du terroir, et que les marques déposées associent le village de [Localité 3] et la cuisine de père en fils, notions indissociables dans le cas de M. [Q] [V] et M. [O] [V] ,peu important que le nom de SAS [V] ne soit pas intégré dans les marques déposées par M. [P] [N] et la société Laguiole.

Dans la mesure où les marques contestées ont été déposées en avril et décembre 2008, soit peu après la condamnation de la société Laguiole de M. [P] [N] par la cou d’appel de Montpellier confirmant par arrêt du 12 juin 2007 le jugement du tribunal de grande instance de Rodez pour des agissements parasitaires d’utilisation du nom de M. [Q] [V], et où est pendant un litige entre la commune de [Localité 3] et M. [P] [N] et la société Laguiole, il apparaît que ce dépôt a été réalisé dans l’esprit de gêner M. [Q] [V] et M. [O] [V] et la société SAS [V] dans l’utilisation de leur nom ; il en est ainsi d’autant plus que les deux marques ont été déposées en tout pour onze classes de la classification dite de Nice, classes 8, 11, 21 pour l’une et 18, 20, 4, 25, 29, 30, 31, 32, 33, 44 dont certaines dépourvues de tout lien direct avec la pratique de l’art culinaire ou ce village de l’Aubrac : bagages, mobiliers, statuettes et objets d’art, vêtements boissons, et où les articles de coutellerie commercialisés sous la marque Laguiole sont similaires à ceux commercialisés sous la marque SAS [V] (pièce 21 des appelants). Par ailleurs ce dépôt est revendiqué par M. [P] [N] qui connaît l’existence de la commune de Laguiole et du restaurant de M. [Q] [V] et de son fils, alors qu’il a également envisagé de déposer des marques comme Versailles ou Saumur dans un recherche d’appropriation sans adéquation avec une signification ou une clientèle précise mais une perspective d’inonder le marché de toutes sortes de produits en galvaudant le nom utilisé, qui a été déposé, sous diverses déclinaisons, au delà du litige avec les consorts SAS [V] et la société SAS [V], dans 37 classes de la classification de Nice, ce qui dénote une stratégie.

Il résulte de ces considérations que les deux marques litigieuses ont été enregistrées de façon frauduleuse et qu’elles doivent en conséquence être déclarées nulles, le jugement étant réformé en ce qu’il a débouté les appelants de leur demande de ce chef.

Dès lorsque la nullité des marques contestées est prononcée sur le fondement de la fraude ayant présidé à leur dépôt, la demande fondée sur la déceptivité devient sans objet.

Le dépôt des deux marques dont la nullité est constatée par le présent arrêt est de nature à créer un préjudice en termes d’image, de notoriété et de ventes aux consorts [V] et à la société SAS [V] ; M. [P] [N] et la société Laguiole dont il est l’unique actionnaire et qui édite le site internet (www.[Courriel 1].tm.fr) sur lequel sont commercialisés les produits issus des marques contestées dont le titulaire de nom de domaine est M. [P] [N], seront condamnée sin solidum à verser à M. [Q] [V] M. [O] [V] et la société SAS [V] une somme de 20 000 € à titre de dommages intérêts.

Sur la demande de dommages intérêts de M. [P] [N] et de la société Laguiole

Cette demande est fondée sur le caractère abusif que revêtirait la procédure engagée par les appelants et leur appel, et par l’évolution de leurs demandes, et la volonté de nuire que dénoterait cette action.

Dès lorsque celle-ci est considéré comme fondée et que les deux marques contestées sont annulées, la demande de M. [P] [N] et de la société Laguiole, qui est dépourvue de fondement sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef et le rejet de la demande en appel faisant l’objet d’une adjonction.

Sur les demandes contre la société Simco cash

La société Simco cash fait l’objet d’une part de demandes des appelants de condamnation solidaire au paiement de dommages intérêts et d’autre part d’un appel en garantie de M. [P] [N] et de la société Laguiole pour les condamnations qui seraient prononcées à leur encontre.

La société Simco cash, titulaire de licences de marque Laguiole et Laguiole premiumR conteste ces demandes faisant valoir qu’elle n’exploite pas les marques Laguiole cuisinier de père en fils et demande la condamnation de M. [P] [N] à la garantir de toutes condamnation qui seraient prononcées contre elle.

Elle souligne que les appelants ne forment plus en appel de demande de nullité de la marque « les trois fourchettes » dont elle est titulaire.

Les consorts [V] et la société SAS [V] seront déboutés de leur demande, dès lorsqu’ils n’apportent pas la preuve de l’implication et du rôle de la société Simco cash dans le dépôt des marques Laguiole cuisinier de père en fils, ni de leur exploitation par cette société, étant précisé que sa licence ne porte pas sur ces marques et qu’elle commercialise des articles de coutellerie sous la licence Laguiole premiumR. La circonstance que le nom de la société Simco cash soit apparu sur un constat d’huissier sur le site de vente en ligne www.[Courriel 1].tm.fr est imputable à l’éditeur du site et relève d’une erreur rectifiée, et la présence de la société Simco cash dans la procédure menée par la commune de Laguiole ne tient pas à l’exploitation des marques Laguiole cuisinier de père en fils mais de la marque « Laguiole innove la tradition » pour la vente de poêles et casseroles.

S’agissant de la demande de garantie formée à l’encontre de la société Simco cash par M. [P] [N] et la société Laguiole, pour les mêmes raisons, il n’y sera pas fait droit.

En l’absence de condamnation contre la soc Simco cash, il n’y a pas lieu à garantie de celle-ci par M. [P] [N] et la société Laguiole.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les dépens tant de première instance que d’appel seront mis à la charge in solidum de M. [P] [N] et de la société Laguiole ,qui seront en conséquence déboutés de leur demande en application de l’article 700 du code de procédure civile et condamnés à payer à M. [Q] [V], M. [O] [V] et la société SAS [V], pris comme une seule personne, une somme de 3500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [Q] [V], M. [O] [V] et la société SAS [V] seront condamnés in solidum à verser à la société Simco cash une somme de 2000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, leurs demandes à son égard étant rejetées.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [Q] [V], M. [O] [V] et la société SAS [V] de leur demande de nullité des marques [Courriel 1] cuisinier de père en fils enregistrées sous les numéros n°083568289 déposé le 9 avril 2008 et n°083614716 déposé le 1er décembre 2008, au nom de M. [N], et les a condamnés aux dépens et au paiement d’une somme en application de l’article 700 du code de procédure civile à M. [P] [N] et à la société Laguiole ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

Déclare nulles les marques Laguiole cuisinier de père en fils enregistrées sous les numéros n°083568289 déposé le 9 avril 2008 et n°083614716 déposé le 1er décembre 2008, au nom de M. [N] ;

Condamne in solidum M. [P] [N] et la société Laguiole à payer à M. [Q] [V], M. [O] [V] et la société SAS [V] pris ensemble une somme de 20 000 € à titre de dommages intérêts ;

Déboute M. [P] [N] et la société Laguiole de leur demande de dommages intérêts ;

Déboute M. [P] [N] et la société Laguiole de leur demande de garantie à l’encontre de la société Simco cash ;

Condamne in solidum M. [P] [N] et la société Laguiole à payer à M. [Q] [V], M. [O] [V] et la société SAS [V] pris ensemble une somme de 3500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M.[Q] [V], M. [O] [V] et la société SAS [V] à payer à la société Simco cash la somme de 2000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [P] [N] et la société Laguiole aux dépens tant de première instance que d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Elisabeth LARSABAL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,

 


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