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COMM.
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 mars 2018
Rejet
Mme RIFFAULT-SILK, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 194 F-D
Pourvoi n° E 16-16.812
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ la société Jasmin, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est […] ,
2°/ la société Café indigo, société anonyme, dont le siège est […] ,
contre l’arrêt rendu le 4 mars 2016 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige les opposant à Mme X… S… B…, dite Y…, domiciliée […] ,
défenderesse à la cassation ;
Mme S… B… a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l’appui de leur recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation, également annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 16 janvier 2018, où étaient présents : Mme Riffault-Silk, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sémériva, conseiller rapporteur, Mme Orsini, conseiller, M. Graveline, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Sémériva, conseiller, les observations de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat des sociétés Jasmin et Café indigo, de Me Haas, avocat de Mme S… B…, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 4 mars 2016), que Mme S… B… (Mme B…) a été embauchée par la société Les Bistrots du quai, en 2000, afin d’assurer la direction opérationnelle d’un restaurant qui a pris le nom de “Chez Y…” ; qu’en 2002, cette société a ouvert un autre restaurant sous l’enseigne “Chez Y…”, le premier devenant “Le Petit Y… ” ; que ces fonds de commerce ont fait l’objet d’un apport partiel d’actifs à la société Jasmin, qui a déposé, le 21 octobre 2003, la marque “Y…” n° 3 253 205 pour désigner des services de restauration ; qu’un troisième établissement, “Le Comptoir de Y…”, a été ouvert en 2004 par la société Café indigo ; que Mme B… a été licenciée en 2012 ; que, faisant valoir qu’elle était connue, dans le milieu culinaire, sous le pseudonyme de Y… et que la marque Y… avait été déposée à son insu, elle a agi en revendication de la marque n° 3 253 205, ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire contre les sociétés Jasmin et Café indigo ;
Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi principal, réunis :
Attendu que les sociétés Jasmin et Café indigo font grief à l’arrêt de déclarer recevable et fondée l’action de Mme B… en revendication de la marque française semi-figurative n° 3 253 205 “Y…” alors, selon le moyen :
1°/ que la mauvaise foi doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et en se plaçant à la date du dépôt de la marque ; que la circonstance que le déposant ait eu connaissance de l’usage antérieur du signe litigieux par un tiers ne suffit pas, à elle seule, pour que soit établie sa mauvaise foi ; il convient également de prendre en considération son intention au moment du dépôt ; que cette intention est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce ; qu’en l’espèce, pour écarter le moyen de la société Jasmin faisant valoir qu’elle avait déposé la marque “Y…” dans la seule intention de sécuriser, à l’égard des tiers, les investissements qu’elle avait supportés pour lancer et exploiter les restaurants “Y…” et “Petit Y…”, la cour d’appel a, en particulier, relevé que l’usage des enseignes “Y…” et “Petit Y…” pour désigner ces restaurants “se rapport[ait] nécessairement à une dénomination sociale et non à une marque”, que certaines des pièces produites étaient postérieures au dépôt de la marque et que ce ne serait qu’après le dépôt de la marque que des commandes de vaisselle portant la marque déposée Y… auraient été passées, “ce qui démontre une volonté de développer un service de restauration identifié par cette marque et une spécificité commune qui était de proposer une cuisine thaï” ; qu’en statuant ainsi, cependant qu’elle constatait elle-même que les restaurants “Y…” et “Le Petit Y… ” avaient été ouverts avant le dépôt de la marque “Y…” n° 3 253 203 en date du 21 octobre 2003, ce dont il résultait qu’avant même de procéder à ce dépôt, la société Jasmin avait déjà fait usage de ces signes à titre de marque pour désigner des services de restauration, la cour d’appel, qui n’a pas justifié en quoi, en l’état d’une telle exploitation antérieure pour des services de restauration, réalisée avec l’accord de Mme B…, le dépôt, en 2003, de la marque « Y… » pour désigner ces mêmes services dans la classe 43 n’aurait pas été effectué par la société Jasmin dans l’intention légitime de sécuriser l’exploitation commerciale des restaurants à laquelle Mme B… était intéressée, et non dans l’intention d’empêcher cette dernière d’utiliser ce signe, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ qu’en affirmant, sans autre explication, que si les différents établissements ont utilisé les enseignes “Y…”, “Marine de Y…” et “Petit Y…”, ces éléments se rapportent nécessairement à une dénomination sociale et non à une marque”, sans donner aucun motif de nature à justifier en quoi de tels usages ne pouvaient être regardés comme constituant des usages faits à titre de marque pour désigner des services de restauration, la cour d’appel a entaché sa décision d’une insuffisance de motivation, en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu’en relevant, d’une part, que si les différents établissements ont notamment utilisé les enseignes “Y…”, “Marine de Y…” et “Petit Y…”, “ces éléments se rapportent nécessairement à une dénomination sociale et non à une marque”, et d’autre part, qu’en bénéficiant d’un salaire et d’un intéressement sur le chiffre d’affaires réalisé par les restaurants exerçant à l’enseigne Y…, au […] , et “La Marine de Y…” devenu ” Le Petit Y… “, […] , Mme B… avait “bénéficié ainsi de l’exploitation de la marque puisque celle-ci a eu pour objet des services de restauration”, la cour d’appel, qui a ainsi tout à la fois retenu que l’exploitation des restaurants aux enseignes “Y…”, “Marine de Y…”” et “Petit Y…” constituait un usage du signe “Y…” effectué à titre de marque pour des services de restauration et qu’elle ne constituait pas un tel usage, s’est contredite, en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties à l’appui de leurs prétentions ; qu’en l’espèce, la société Jasmin se prévalait notamment de factures pour de la vaisselle revêtue de la marque “Y…” en date du 28 février 2002 (pièce n° 7) et des 12 et 21 mars 2003 ainsi que d’une facture pour des casquettes revêtues de cette même marque, destinées au personnel de son restaurant, en date du 7 octobre 2002 ; qu’en affirmant que ce ne serait qu’après le dépôt de la marque « Y… » n° 3 253 203, en date du 21 octobre 2003, que la société Jasmin aurait passé des commandes de vaisselle et en retenant ainsi implicitement qu’il n’était pas établi que la marque “Y…” aurait été apposée sur de quelconques supports avant cette date, sans procéder à une analyse même sommaire des pièces précitées, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que le bien-fondé d’une action en revendication de marque suppose la démonstration d’une intention frauduleuse du déposant au jour du dépôt de la marque ; en l’espèce, pour écarter le moyen de la société Jasmin faisant valoir qu’elle avait déposé la marque “Y…” dans la seule intention de sécuriser, à l’égard des tiers, les investissements qu’elle avait supportés pour lancer et exploiter les restaurants “Y…” et “Petit Y…”, la cour d’appel a, en particulier, relevé que l’usage des enseignes “Y…” et “Petit Y…” pour désigner ces restaurants “se rapport[ait] nécessairement à une dénomination sociale et non à une marque”, que certaines des pièces produites étaient postérieures au dépôt de la marque et que ce ne serait qu’après le dépôt de la marque que des commandes de vaisselle portant la marque déposée Y… auraient été passées, “ce qui démontre une volonté de développer un service de restauration identifié par cette marque et une spécificité commune qui était de proposer une cuisine thaï” ; qu’en statuant ainsi, cependant qu’elle constatait elle-même que les restaurants “Y…” et “Le Petit Y… ” avaient été ouverts avant le dépôt de la marque “Y…” n° 3 253 203 en date du 21 octobre 2003, ce dont il résultait qu’avant même de procéder à ce dépôt, la société Jasmin avait déjà fait usage de ces signes à titre de marque pour désigner des services de restauration, la cour d’appel, qui n’a pas justifié en quoi, en l’état d’une telle exploitation antérieure pour des services de restauration, réalisée avec l’accord de Mme B…, le dépôt, en 2003, de la marque “Y…” pour désigner ces mêmes services dans la classe 43 n’aurait pas été effectué par la société Jasmin dans l’intention légitime de sécuriser l’exploitation commerciale des restaurants à laquelle Mme B… était intéressée, et non dans l’intention d’empêcher cette dernière d’utiliser ce signe, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;
6°/ qu’en affirmant, sans autre explication, que si les différents établissements ont utilisé les enseignes “Y…”, “Marine de Y…” et “Petit Y…”, ces éléments se rapportent nécessairement à une dénomination sociale et non à une marque”, sans donner aucun motif de nature à justifier en quoi de tels usages ne pouvaient être regardés comme constituant des usages faits à titre de marque pour désigner des services de restauration, la cour d’appel a entaché sa décision d’une insuffisance de motivation, en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;
7°/ qu’en relevant, d’une part, que si les différents établissements ont notamment utilisé les enseignes “Y…”, “Marine de Y…” et “Petit Y…”, “ces éléments se rapportent nécessairement à une dénomination sociale et non à une marque”, et d’autre part, qu’en bénéficiant d’un salaire et d’un intéressement sur le chiffre d’affaires réalisé par les restaurants exerçant à l’enseigne Y…, au […] , et “La Marine de Y…” devenu “Le Petit Y… “, […], Mme B… avait “bénéficié ainsi de l’exploitation de la marque puisque celle-ci a eu pour objet des services de restauration”, la cour d’appel, qui a ainsi tout à la fois retenu que l’exploitation des restaurants aux enseignes “Y…”, “Marine de Y…” et “Petit Y…” constituait un usage du signe “Y…” effectué à titre de marque pour des services de restauration et qu’elle ne constituait pas un tel usage, s’est contredite, en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;
8°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties à l’appui de leurs prétentions ; qu’en l’espèce, la société Jasmin se prévalait notamment de factures pour de la vaisselle revêtue de la marque “Y…” en date du 28 février 2002 et des 12 et 21 mars 2003 ainsi que d’une facture pour des casquettes revêtues de cette même marque, destinées au personnel de son restaurant, en date du 7 octobre 2002 ; qu’en affirmant que ce ne serait qu’après le dépôt de la marque “Y…” n° 3 253 203, en date du 21 octobre 2003, que la société Jasmin aurait passé des commandes de vaisselle et en retenant ainsi implicitement qu’il n’était pas établi que la marque “Y…” aurait été apposée sur de quelconques supports avant cette date, sans procéder à une analyse même sommaire des pièces précitées, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’ayant retenu que Mme B… avait acquis sous le pseudonyme Y… une notoriété en matière culinaire avant le dépôt de la marque, que ce n’est qu’après la rupture de son contrat de travail qu’elle avait appris que cette marque avait été déposée sans son accord, que ce dépôt pouvait l’empêcher d’exercer toute exploitation indépendante de son nom pour des services de restauration et qu’il avait été effectué, de mauvaise foi, au mépris de ses droits, la cour d’appel a ainsi répondu, en les écartant, aux conclusions soutenant que le déposant n’aurait ainsi procédé que dans l’intention de sécuriser ses investissements à l’égard des tiers ;
Attendu, en deuxième lieu, que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, relevant notamment que cet usage s’inscrivait dans le cadre du seul droit concédé par Mme B…, a retenu qu’avant son dépôt en tant que marque, ce pseudonyme n’avait été utilisé qu’à titre de dénomination sociale ;
Et attendu, enfin, que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle décidait d’écarter, ne s’est pas contredite en retenant, d’un côté, qu’avant ce dépôt, ce pseudonyme n’avait été utilisé qu’à titre de dénomination sociale ou d’enseigne, et, de l’autre, qu’après ce dépôt, Mme B… avait, sous forme d’intéressement, bénéficié de son exploitation en tant que marque ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Attendu que les sociétés Jasmin et Café indigo font grief à l’arrêt de leur interdire d’utiliser la dénomination Y… dans le cadre de leurs activités de restauration et de gastronomie alors, selon le moyen :
1°/ qu’un pseudonyme inséré dans une enseigne, avec l’accord exprès ou implicite de la personne physique qui le porte, devient un objet de propriété incorporelle autonome, qui se détache de la personne physique qui le porte pour s’appliquer au fonds de commerce qu’il distingue ; qu’ainsi, la personne physique qui a autorisé l’insertion de son nom patronymique dans une enseigne ne peut, en principe, pas s’opposer à la poursuite de l’exploitation de cette dernière ; qu’en interdisant, de manière générale, aux sociétés Jasmin et Café indigo toute utilisation de la dénomination “Y…” dans le cadre de leurs activités de restauration et de gastronomie, tout en constatant que Mme B… avait expressément autorisé la société Bistrots du Quai, aux droits de laquelle vient désormais la société Jasmin, à utiliser le nom “Y…” dans son enseigne, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;
2°/ qu’ayant constaté l’existence d’une telle clause, la cour d’appel ne pouvait interdire aux sociétés Jasmin et Café indigo toute utilisation de la dénomination “Y…”, “dans le cadre de leurs activités de restauration et de gastronomie”, que ce soit à titre de marque ou d’enseigne, sans s’expliquer, à tout le moins, sur la valeur et la portée de l’autorisation qui avait été ainsi donnée par Mme B… pour l’utilisation du nom “Y…” en tant qu’enseigne ; qu’en se bornant à relever que la clause litigieuse n’autorisait pas la société Jasmin à procéder à un dépôt de marque, sans donner aucun motif justifiant en quoi elle n’autorisait pas cette société à poursuivre l’utilisation du nom “Y…” à titre d’enseigne après le départ de Mme B…, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que les juges du fond ne peuvent prononcer des mesures d’interdiction générales dénuées de lien avec les agissements incriminés ; qu’en l’occurrence, la cour d’appel a retenu que le dépôt, par la société Jasmin, de la marque “Y…” pour des services de la classe 43 présentait un caractère frauduleux et a retenu que la société Café indigo avait commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au titre de l’utilisation frauduleuse qu’elle aurait faite de cette marque ; qu’en prononçant une interdiction générale d’utiliser la dénomination “Y…” dans le cadre d’activités de restauration et de gastronomie, sans limiter la portée de la mesure qu’elle prononçait à l’utilisation de cette dénomination à titre de marque, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;