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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 22 JUIN 2022
(n°115/2022, 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 20/09661 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCB2D
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mars 2020 -Tribunal judiciaire de PARIS RG 3ème chambre – 1ère section – n° 17/00250
APPELANTE
Société BOEHRINGER INGELHEIM ANIMAL HEALTH FRANCE anciennement dénommée MERIAL,
Société par actions simplifiée au capital de 23 429 398,50 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 590 800 215
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Isabelle LEROUX de la société d’avocats DENTONS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0372
INTIMEES
SA VIRBAC
Société au capital de 10 892 940 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de GRASSE sous le n° 417 350 311.
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
1ère avenue – 2065M L I D
[Localité 1]
Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241
Assistée de Me Stéphane GUERLAIN de la SEP ARMENGAUD – GUERLAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : W07
S.A.S. ALFAMED
Exerçant sous l’enseigne ALFAMED SOPARLIC
Société au capital de 40 320 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de GRASSE sous le numéro 312.815.780
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241
Assistée de Me Stéphane GUERLAIN de la SEP ARMENGAUD – GUERLAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : W07
SAS FRANCODEX SANTÉ ANIMALE
Société au capital de 150 000 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de SAINTES sous le numéro 513 639 054
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Myriam MOATTY de l’ASSOCIATION COUSIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R159
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, Conseillère
Mme Deborah BOHEE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Françoise BARUTEL, conseillère, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 12 mars 2020 ;
Vu l’appel interjeté à l’encontre dudit jugement le 16 juillet 2020 par la société Boehringer Ingelheim Animal Health France (Boehringer) ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées, par voie électronique, le 14 mars 2022 par la société Boehringer, appelante ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées, le 28 février 2022 par les sociétés Virbac et Alfamed, intimées ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées, le 13 janvier 2021 par la société
Francodex Santé Animale (Francodex), intimée ;
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 12 avril 2022 ;
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la société Boehringer, anciennement dénommée Merial, est une filiale du groupe allemand Boehringer Ingelheim, et se présente comme l’un des leaders mondiaux dans le domaine de la santé animale.
Elle est titulaire de :
– la marque verbale française FRONTLINE n° 94 509 301 (n° 301) déposée le 3 mars 1994 et renouvelée le 8 décembre 2003 pour désigner les «insecticides et produits antiparasitaires à usage vétérinaire » ;
– la marque verbale de l’Union européenne n°1966787 (n° 787) FRONTLINE enregistrée le 21 janvier 2002 et régulièrement renouvelée pour désigner, dans la classe de produits 5, les « insecticides et produits antiparasitaires à usage vétérinaire ».
La société Boehringer commercialise, notamment sous cette marque FRONTLINE des produits anti-puces et anti-tiques pour les animaux comprenant la substance active dénommée Fipronil qui était brevetée jusqu’en mai 2009.
La société Virbac est un laboratoire pharmaceutique dédié à la santé animale. La société Alfamed est sa filiale à 100 % en charge de la fabrication des produits Virbac.
Elle a déposé le 17 juillet 2008 la marque verbale française FIPROLINE n°3588921 (n°921), enregistrée dans la classe de produits 5 pour désigner ‘les préparations vétérinaires, en particulier antiparasitaire externe’, et commercialisait des produits sous cette marque auprès des pharmacies et des animaleries et jardineries. Elle expose qu’elle a cessé l’exploitation de cette marque en 2015 ce qui est contesté par la société Boehringer.
Reprochant aux sociétés Virbac et Alfamed de commercialiser des antiparasitaires sous la dénomination FIPROLINE qu’elle considère comme similaire à sa marque FRONTLINE, la société Merial les a fait assigner par acte du 25 juillet 2011 devant le tribunal de grande instance de Lyon, pour atteinte à la renommée de sa marque française n° 301, subsidiairement pour contrefaçon de celle-ci, ainsi qu’en annulation de la marque française FIPROLINE n° 921 et en cessation de l’usage illicite de cette marque sur le territoire français.
Par jugement rendu le 19 septembre 2013, le tribunal de grande instance de Lyon a pour l’essentiel prononcé la nullité de la marque FIPROLINE n° 921 et condamné la société Virbac à payer à la société Merial la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par arrêt du 13 mai 2015, la cour d’appel de Lyon, a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, a notamment déclaré nulle la marque FIPROLINE n°921, dit que la marque FRONTLINE n° 301 est une marque renommée, dit que la marque FIPROLINE porte atteinte à la renommée de la marque FRONTLINE et que son dépôt et son utilisation constituent également des actes de concurrence déloyale, et en conséquence, a condamné les sociétés Virbac et Alfamed à lui verser 80 000 euros au titre du préjudice moral et 2 000 000 d’euros au titre du préjudice économique du fait de l’atteinte portée à la renommée de la marque Frontline.
Selon arrêt du 31 janvier 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt du 13 mai 2015 sauf en ce qu’il a dit que le dépôt et l’utilisation de la marque FIPROLINE constituent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Boehringer, et a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Lyon autrement composée.
La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 12 mars 2019 rectifié par arrêt du 30 avril 2019, a notamment réformé le jugement du 19 septembre 2013 en ce qu’il a prononcé la nullité de la marque française FIPROLINE n°921, condamné la société Virbac à payer à la société Merial la somme de 200 000 euros de dommages-intérêts, et statuant à nouveau, a débouté la société Merial de sa demande de nullité de la marque française FIPROLINE, et condamné in solidum les sociétés Virbac et Alfamed à payer à la société Merial la somme de 375 000 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
La société Boehringer s’est pourvue en cassation. Par arrêt du 27 mai 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt du 12 mars 2019 rectifié par arrêt du 30 avril 2019 mais seulement en ce qu’il déboute la société Merial de sa demande d’annulation de la marque française Fiproline n° 921 en tant que celle-ci est fondée sur les articles L. 711-3 b) du code de la propriété intellectuelle et R. 5141-1-1 du code de la santé publique, et a renvoyé les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Les parties n’ont pas saisi la cour de renvoi.
La société Francodex, anciennement Zolux Santé, est la filiale de la société Zolux également spécialisée dans le domaine de la santé animale, en charge de la distribution de certains produits de la société Virbac.
C’est dans ces conditions que la société Merial, devenue Boehringer, a fait assigner, le 28 décembre 2016, les sociétés Virbac, Alfamed et Francodex devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de sa marque de l’Union européenne FRONTLINE n°787.
Par jugement dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a :
–
Déclaré la société Merial recevable en ses demandes,
– Débouté les sociétés Virbac et Alfamed de leur demande tendant à voir la société Merial forclose à agir en contrefaçon de sa marque de l’Union européenne FRONTLINE s’agissant de l’Allemagne, de l’Angleterre et du Benelux,
– Dit que la marque verbale de l’Union européenne FRONTLINE n°787 présente le caractère de marque renommée,
– Débouté la société Merial de ses demandes formées au titre de l’atteinte à la marque renommée,
– Débouté la société Merial de ses demandes subsidiaires formées au titre de la contrefaçon de la marque verbale de l’Union européenne FRONTLINE n°787,
– Débouté les sociétés Virbac, Alfamed et Francodex de leurs demandes reconventionnelles pour procédure abusive,
– Dit n’y avoir pas lieu à publication du jugement,
– Condamné la société Boehringer à payer aux sociétés Virbac et Alfamed 40.000 euros chacune et à la société Francodex 20.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société Boehringer aux dépens,
– Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire.
Sur l’irrecevabilité des demandes de la société Boehringer
Les sociétés Virbac et Alfamed font valoir qu’elles ont pleinement exécuté les termes de l’arrêt du 13 mai 2015 en cessant toute fabrication, conditionnement et commercialisation du produit sous la marque FIPROLINE dès la signification de la décision ; que le changement d’AMM sollicité en conséquence en France a été acté par l’agence nationale du médicament le 16 juillet 2015 ; que la société Boehringer a d’ailleurs été déboutée de sa demande de liquidation d’astreinte par jugement du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Grasse du 3 novembre 2015.
Elles ajoutent que la société Boehringer a manqué à l’exigence de concentration des moyens en introduisant, cinq ans après l’instance d’origine, une nouvelle instance tendant à voir à nouveau sanctionnés les mêmes faits de contrefaçon prétendument commis, à savoir la commercialisation d’un antiparasitaire sous la marque FIPROLINE.
La société Boehringer soutient qu’aucun des arrêts de la cour d’appel de Lyon n’a autorité de la chose jugée sur la présente procédure dès lors qu’il ne s’agit ni du même objet, la présente action ayant pour objet de sanctionner l’atteinte à la marque de l’Union Européenne FRONTLINE n°787 sur le territoire de l’Union Européenne et non l’atteinte à la marque française FRONTLINE n° 301 sur le territoire français, ni des mêmes parties, la société Francodex n’étant pas partie à l’instance lyonnaise. Elle ajoute que la commercialisation de produits sous marque FIPROLINE a continué au moins jusqu’à l’hiver 2016 aussi bien en France que dans l’Union européenne, soit postérieurement à la décision de la cour d’appel de Lyon. Elle fait également valoir qu’elle a bien respecté le principe de concentration des moyens dès lors que les actions engagées dans le cadre des procédures lyonnaises et parisiennes n’ont pas le même objet ni la même cause.
Selon l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Il est en outre acquis qu’une nouvelle demande, formée sur un fondement juridique que le demandeur s’est abstenu de soulever en temps utile, se heurte à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation, le demandeur, qui doit présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, ne pouvant être admis à contester l’identité des causes de deux demandes (Cour de cassation – Assemblée Plénière 7 juillet 2006 04-10672).
En l’espèce, ainsi que l’a relevé pertinemment le tribunal, la demande n’est pas la même
en ce que la société Boehringer sollicite une mesure d’interdiction sur tout le territoire de l’Union européenne, alors que dans l’instance introduite le 25 juillet 2011 devant le tribunal de grande instance de Lyon, qui ne portait que sur les atteintes à sa marque française, elle ne formait une demande d’interdiction que pour le territoire français. Le jugement entrepris en a donc pertinemment conclu que le principe opposé de l’absence de concentration des moyens est inapplicable en l’espèce, et qu’en l’absence d’identité de la demande et de la cause, aucune autorité de la chose jugée ne peut être opposée.
La fin de non-recevoir sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point.
Sur la forclusion par tolérance
Les sociétés Virbac et Alfamed considèrent que la société Boehringer est forclose à agir en contrefaçon de sa marque de l’Union européenne s’agissant de l’Allemagne, de l’Angleterre et du Benelux ; qu’en effet la société Boehringer a eu connaissance de l’usage des marques FIPROLINE dès les années 2008 et 2009 dès lors qu’elle a systématiquement introduit des procédures d’opposition à chaque nouveau dépôt de la marque FIPROLINE dans le monde entier et n’a donc pu ignorer la commercialisation sur des territoires autres que la France du produit FIPROLINE, directement concurrent de son produit FRONTLINE.
La société Boehringer répond que la forclusion par tolérance ne peut pas être retenue puisqu’en Allemagne et au Benelux, les marques appartiennent à la société allemande Virbac GmbH qui n’est pas partie au litige ; que les intimées n’invoquent pas une marque française enregistrée mais des marques nationales étrangères alors qu’elles se fondent sur l’article L. 717-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu’enfin elles échouent à démontrer qu’elle avait connaissance d’un quelconque usage des marques litigieuses aux dates invoquées.
La cour rappelle qu’aux termes de l’article L.717-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable au litige, ‘Est irrecevable toute action en contrefaçon, fondée sur une marque communautaire antérieure, contre une marque nationale postérieure enregistrée dont l’usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que le dépôt de la marque nationale n’ait été effectué de mauvaise foi.
L’irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l’usage a été toléré.’
Le tribunal a relevé à juste titre que les marques nationales postérieures invoquées, dont l’usage aurait prétendument été toléré, ont été déposées en Allemagne, en Angleterre et au Benelux ; qu’elles ne visent donc pas la France, de sorte que l’article L.717-3 du code de la propriété intellectuelle, qui réserve la forclusion par tolérance aux seules marques enregistrées dans le territoire national sur lequel l’action est engagée, soit en l’espèce, le territoire français, n’est dès lors pas applicable. Le moyen de forclusion par tolérance sera donc rejeté, et le jugement confirmé de ce chef.
Sur la marque renommée
La société Boehringer fait valoir que sa marque verbale de l’Union européenne FRONTLINE est une marque renommée ; que son produit FRONTLINE est le leader des produits antiparasitaires pour animaux de compagnie sur les marchés français, belge, néerlandais, danois, italien, espagnol, anglais et portugais ; que ce produit fait l’objet d’investissements publicitaires importants et qu’elle produit des sondages démontrant la notoriété du produit FRONTLINE en France et dans l’Union Européenne.
La cour rappelle que l’article 9§2 du règlement 207/2009 du 26 février 2009 applicable au litige dispose que le titulaire d’une marque de l’Union européenne : ‘ (…) est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :
(…)
c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que pour les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice.’
Afin d’apprécier la renommée d’une marque de l’Union européenne, il convient de prendre en compte notamment la part de marché occupée par la marque, la connaissance de la marque par le public concerné dans une partie substantielle du territoire de l’Union européenne, le cas échéant fondée sur des sondages d’opinion, l’intensité de son exploitation, son étendue géographique, la durée de son usage, ou encore l’importance des investissements de son titulaire.
En l’espèce, le tribunal a pertinemment relevé, s’agissant de la renommée en France, que la société Merial, devenue Boehringer, justifie d’une étude de l’institut IPSOS réalisée en 2011 établissant que 50% des propriétaires de chiens et chats en France citent spontanément et en premier lieu FRONTLINE comme marque de produits anti-puces et anti-tiques et que la marque FRONTLINE est connue de 87% du public en notoriété assistée. Il est également établi qu’en 2015, la marque FRONTLINE présentait un taux de notoriété assistée de 91% et qu’elle était la marque de produits antiparasitaires pour chiens et chats la plus fréquemment citée en première position ; qu’elle était en outre, en 2010, en première position en terme de parts de marché. Il doit être ajouté que la société Boehringer justifie d’investissements publicitaires de plus de 10 millions d’euros en 2008, près de 8 millions en 2009 et plus de 6 millions d’euros en 2010.
Le tribunal a également relevé concernant les autres pays de l’Union européenne, qu’il résulte d’un sondage IPSOS de 2010 que la marque FRONTLINE est connue de 67% des sondés en Belgique, 67% en Allemagne, 87% en Italie, 74% aux Pays-Bas, 90 % au Portugal et 81% au Royaume-Uni ; qu’il est également justifié d’une publicité abondante en Belgique et aux Pays-Bas, le produit FRONTLINE ayant été premier en terme de parts de marché avec plus de 60% des parts de marché en 2009 en Belgique et aux Pays-Bas et entre 56 et 60% de parts de marché dans les mêmes pays en 2010. Pour l’Allemagne et l’Italie, il est également justifié de la première position en terme de parts de marché du produit FRONTLINE pour 2010.
Le tribunal doit donc être approuvé en ce qu’il a retenu que le degré élevé de connaissance de la marque FRONTLINE, sa première position sur le marché des produits anti-parasitaires pour animaux de compagnie, l’usage intensif de la marque dans l’Union européenne et les investissements effectués démontrent que la marque de l’Union européenne FRONTLINE n° 787 jouit d’une renommée certaine, étant cependant observé que cette renommée, contrairement à ce qu’allègue la société Boehringer, est principalement établie auprès du public visé de propriétaires d’animaux de compagnie.
Sur l’atteinte à la marque renommée
La société Boehringer soutient que les marques FRONTLINE et FIPROLINE sont similaires ; que sur le plan visuel, les dénominations FRONTLINE et FIPROLINE sont de longueur identique et comporte 7 lettres identiques sur 9 et présentent donc une similitude visuelle élevée ; que sur le plan phonétique, la prononciation des signes coïncide notamment par la sonorité des lettres « F- RO – LINE » et que, le territoire visé étant l’Union européenne, la partie finale des deux marques « LINE » est prononcée à l’identique; que le suffixe « LINE » est pleinement distinctif ; que les radicaux commencent tous deux par la lettre F de sorte que les marques en cause présentent une similitude phonétique élevée ; que sur le plan conceptuel, aucun des signes n’a une signification claire et spécifique susceptible d’être comprise immédiatement par le public.
Elle prétend qu’en exploitant la marque similaire FIPROLINE, les sociétés Virbac et Alfamed ont tiré indûment profit de la renommée et du caractère distinctif de la marque antérieure FRONTLINE. Elle produit un sondage démontrant selon elle des confusions effectives dans l’esprit de plus de la moitié des personnes interrogées. Elle en déduit que le public est nécessairement amené à confondre les produits visés par les marques en conflit ou, à tout le moins, à établir un lien entre eux.
Les sociétés Virbac et Alfamed demandent la confirmation du jugement qui a retenu que l’atteinte à la marque de renommée n’était pas constituée.
Il est acquis que la protection des marques renommée n’est pas subordonnée à la constatation d’un risque d’assimilation ou de confusion, mais suppose que soit rapportée la preuve de l’existence d’un lien susceptible d’être fait entre la marque de renommée revendiquée et le signe litigieux, selon une appréciation globale prenant en compte tous les facteurs pertinents, ces facteurs comprenant le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure.
En l’espèce, il est constant que les produits en cause sont identiques à savoir des produits antiparasitaires à usage vétérinaire.
S’agissant de la comparaison visuelle entre les signes, ainsi que l’a pertinemment relevé le tribunal, si les signes FRONTLINE et FIPROLINE comportent tous deux neuf lettres, dont huit sont communes, la marque FRONTLINE est composée de deux syllabes FRONT/LINE, tandis que la marque FIPROLINE est constituée de trois syllabes FI/PRO/LINE. En outre, la première syllabe ‘FRONT’ de la marque revendiquée, qui attire l’attention en ce qu’elle est placée en attaque, se distingue fortement des deux premières syllabes ‘FIPRO’ du signe incriminé. Le tribunal doit donc être approuvé en ce qu’il a dit que les signes en présence présentent un faible degré de similitude visuelle.
Sur le plan auditif, le tribunal a relevé à juste titre que la marque FRONTLINE se prononce en deux temps : ‘FRONT’ et ‘LINE’, tandis que le signe FIPROLINE se prononce en trois séquences : ‘FI’ ‘PRO’ ‘LINE’, et que la prononciation des termes d’attaque ‘FRONT’ et ‘FIPRO’ est très différente, de sorte que le degré de similitude sonore entre les signes est faible.
Sur le plan conceptuel, le tribunal a pertinemment considéré que la marque FRONTLINE sera comprise par le consommateur européen comme se rattachant au terme anglais ‘frontline’ facilement traduisible comme une ligne de front. Il a également retenu pertinemment que le signe FIPROLINE n’a pas de signification particulière, de sorte que les signes en cause ne présentent aucune similitude conceptuelle.
Le tribunal a ensuite justement apprécié que la marque FRONTLINE jouit d’une renommée qui n’est cependant pas exceptionnelle et qu’il n’est pas davantage démontré sa forte distinctivité, de sorte que compte tenu du faible degré de similitude visuelle et phonétique entre les signes et de l’absence de toute similitude conceptuelle, il n’est pas prouvé que le public pertinent établira un lien entre les marques FRONTLINE et FIPROLINE en dépit de l’identité des produits visés par leur enregistrement.
Enfin, le lien que le public visé serait susceptible de faire entre les signes ne résulte pas davantage de l’étude Sorgem Market International Research produite par la société Boehringer compte tenu notamment des biais méthodologiques pour arriver à chiffrer un ‘taux de confusion’ dans des circonstances d’exposition aux marques en présence alors que le consommateur d’attention moyenne de la catégorie des produits en cause n’a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des différentes marques mais doit plutôt se fier à l’image imparfaite qu’il en a gardé en mémoire.
Les demandes de la société Boehringer sur le fondement de l’atteinte à la marque renommée seront donc rejetées et le jugement entrepris confirmé de ce chef.
Sur les demandes subsidiaires au titre de la contrefaçon
La société Boehringer prétend sur le fondement de l’article 9.2 b) du règlement européen 207/2009 que le risque de confusion est particulièrement accru entre les signes en cause compte tenu de l’identité des produits et de la forte distinctivité de la marque antérieure ainsi que cela résulte notamment de l’étude Sorgem menée en avril 2012 concernant l’évaluation de son préjudice montrant que l’arrivée sur le marché des produits Fiproline a provoqué l’effondrement consécutif des ventes des produits Frontline, ce seul fait suffisant selon elle à démontrer la confusion et donc la contrefaçon au sens de l’article susvisé.
Le tribunal a justement relevé que, sur le plan visuel, les marques se distinguent clairement en ce qu’elles sont composées de deux syllabes pour FRONTLINE et trois pour FIPROLINE tandis que la séquence d’attaque de chaque signe, qui est dominante, est très sensiblement différente : FRONT et FIPRO n’ayant aucun point commun ; que sur le plan auditif, outre un séquençage différent des syllabes, les termes d’attaque se distinguent par leurs prononciations (FRONT/FIPRO) ; que sur le plan intellectuel, la marque FRONTLINE évoque pour le consommateur européen le mot anglais facilement compréhensible signifiant ligne de front, tandis que FIPROLINE n’a, pour le public visé, aucune signification particulière.
Il résulte en conséquence de la comparaison globale des signes en présence, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants, lesquels sont les éléments FRONT et FIPRO qui les distinguent, tandis que l’élément final commun LINE, qui évoque une ligne de produits est peu distinctif, que les différences entre les signes excluent tout risque de confusion, lequel ne peut se déduire d’une baisse de part de marché qui à la supposer avérée peut résulter de multiples facteurs, et qu’en conséquence malgré l’identité des produits en cause, le consommateur concerné ne pourra se méprendre sur leurs origines respectives, et ne sera pas conduit, au vu des différences relevées, à penser que ces signes proviennent d’une même entreprise ou d’entreprises liées économiquement.
Les demandes subsidiaires fondées sur la contrefaçon seront donc rejetées et le jugement entrepris confirmé de ce chef.
Sur les demandes reconventionnelles pour procédure abusive
La société Francodex prétend que la société Boehringer qui pouvait agir sur le fondement de sa marque de l’Union européenne dès 2011, se rend coupable d’action abusive. Elle demande sa condamnation à 30 000 euros de dommages-intérêts de ce chef.
Les sociétés Virbac et Alfamed soutiennent qu’en n’invoquant pas en 2011 sa marque de l’Union européenne la société Boehringer a tenté d’obtenir une double indemnisation de son préjudice et que son action n’a d’autre but que de tuer purement et simplement la concurrence dans le cadre d’une stratégie délibérée et abusive d’épuisement. Elles demandent en conséquence de la condamner à la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre une publication judiciaire.
La société Boehringer soutient que le préjudice qu’elle subit sur le territoire de l’Union européenne est distinct de celui subi sur le territoire français déjà réparé par l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, et que les demandes au titre de la procédure abusive sont donc infondées.
Cependant, l’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’agir en justice ou d’exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus. Or, les sociétés Virbac, Alfamed et Francodex ne démontrent pas la faute commise par la société Boehringer qui aurait fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, l’intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits. Elles ne démontrent pas en outre l’existence d’un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Les demandes sur le fondement de la procédure abusive seront donc rejetées, et le jugement entrepris confirmé sur ce point, en ce compris le rejet de la demande de publication judiciaire.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Condamne la société Boehringer aux dépens d’appel, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et vu l’article 700 du même code, la condamne à payer au titre des frais irrépétibles d’appel, aux sociétés Virbac et Alafamed, la somme de 28 000 euros chacune, et à la société Francodex la somme de 25 000 euros.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE