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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 29 MARS 2023
(n°051/2023, 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/06961 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFTFW
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 1er Avril 2022 du Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Paris – 3ème chambre – 2ème section – RG n° 20/07661
APPELANTE
S.A. ELDAI
Société au capital de 2 052 000 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de BOBIGNY sous le numéro 379 891 211
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée et assistée de Me Jonathan ELKAIM, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.R.L. NOUVELLE DISTRIBUTION EUROPEENNE – NDE
Société au capital de 80 000 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de BOBIGNY sous le numéro 384 230 660
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2],
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Thierry SERRA de la SELARL SERRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280
Assistée de Me Claire DE CHASSEY de l’AARPI TWELVE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1212
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Brigitte CHOKRON, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et Mme Isabelle DOUILLET, présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Brigitte CHOKRON, magistrat honoraire, exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société NOUVELLE DISTRIBUTION EUROPENNE (ci-après, NDE), immatriculée en 1992, est spécialisée dans la distribution de divers produits d’intérieur (vaisselle, nappage, bougies), et notamment de produits ménagers et d’entretien, tels que des dissolvants, des lingettes, du liquide vaisselle ou des produits anti-graisse.
Elle est titulaire de deux marques verbales françaises déposées le 13 mars 2002 et enregistrées le 19 avril 2002 pour désigner en classe 3 les « préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser », sous lesquelles elle commercialise notamment des produits d’entretien pour la maison :
– la marque « SHUMANIT » n°3153316 (ci-après, la marque n° 316),
– la marque « BAGUI » n°3153315 (ci-après, la marque n° 315).
La société NDE précise qu’elle a conclu en 2002 un contrat de distribution exclusive pour des produits d’entretien avec la société israélienne BAGI et qu’elle distribue, en France, depuis 2002, un produit « dissolvant graisse » sous ses marques ‘BAGUI’ et ‘SHU MANIT’.
La société ELDAI, est une société française, créée le 12 avril 1991, qui a pour activités la production de biens de consommation de base casher, l’importation de produits qu’elle réalise au moyen de la conclusion de contrats d’exclusivité avec des sociétés israéliennes et la distribution de produits de son propre réseau en France ainsi qu’en Europe.
Elle indique qu’en janvier 2020, elle a fait l’acquisition de 10 500 unités d’un produit ‘Dégraissant Shumanit Super Kosher’ auprès de la société IPL, filiale de la société de droit israélien BAGI PROFESSIONAL CLEANING PRODUCTS (ci-après, la société BAGI) et titulaire d’une licence d’exploitation, pour le monde entier dont la France, de deux marques internationales désignant la France appartenant à cette dernière :
– la marque translittérative ‘BAGI’ n° 1090797 (ci-après, la marque n° 797) enregistrée le 10 août 2011 pour des produits de classe 3 désignant les « substances pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser » ainsi que les « savons »
– la marque translittérative ‘SHUMANIT’ n°1101893 (ci-après, la marque n°893) enregistrée le 23 novembre 2011 pour les mêmes produits de la classe 3
La société NDE, ayant constaté la commercialisation en France par la société ELDAI d’un « dissolvant des graisses » identique à son produit sous les marques ‘BAGUI’ et ‘SHUMANIT’, a vainement fait adresser une mise en demeure cette dernière, le 6 mars 2020, de cesser cette commercialisation.
Puis elle a fait établir un procès-verbal de constat d’achat par huissier de justice le 12 juin 2020, du produit « Bagui Shumanit Super, le dissolvant des graisses » dans le magasin de EDEN CASH sis [Adresse 1].
Autorisée par ordonnance du 16 juillet 2020, elle a ensuite fait pratiquer, au siège social de la société ELDAI, une saisie-contrefaçon dont les opérations se sont déroulées le 31 juillet 2020.
Par acte du 24 août 2020, la société NDE a fait assigner la société ELDAI devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale et parasitaire.
La société ELDAI a formé un incident aux fins de voir la société NDE déclarée irrecevable à agir en contrefaçon, invoquant à la fois la forclusion de la demanderesse du fait de sa tolérance des deux marques incriminées pendant une durée de cinq années et le défaut d’exploitation sérieuse des deux marques françaises opposées.
Dans son ordonnance du 1er avril 2022, le juge de la mise en état a notamment :
– écarté les fins de non-recevoir tirées de la forclusion par tolérance et du défaut d’exploitation sérieux des marques « SHUMANIT » n°316 et « BAGUI » n°315 dont la société NDE est titulaire ;
– condamné la société ELDAI à payer à la société NDE la somme de 3500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– renvoyé l’affaire à la mise en état ;
– réservé les dépens.
Le 5 mai 2022, la société ELDAI a interjeté appel de cette ordonnance.
Dans ses dernières conclusions, numérotées 2 et transmises le 21 novembre 2022, la société ELDAI demande à la cour :
Vu l’article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle
– d’infirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état en ce qu’elle a :
– écarté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance des marques internationales n°797 ‘BAGI’, et n° 893 ‘SHUMANIT’,
– condamné la société ELDAI à payer à la société NDE la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– de confirmer l’ordonnance pour le surplus,
– statuant à nouveau, de déclarer la société ELDAI recevable et bien fondée en ses présentes écritures et en conséquence,
– de juger que la société NDE est irrecevable à agir en contrefaçon à l’encontre de l’usage, par la société ELDAI, des marques semi-figuratives internationales n°1090797 ‘BAGI’ et n° 1101893 ‘SHUMANIT’, enregistrées les 10 août et 23 novembre 2011, à raison de l’absence de manifestation positive et non équivoque de sa part de les contester depuis leur enregistrement,
– d’ordonner à la société NDE, sous astreinte définitive de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, à restituer la somme de 3.500 euros versée par la société ELDAI au titre des condamnations résultant des causes de l’ordonnance,
– en tout état de cause, de condamner la société NDE à verser à société ELDAI la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, transmises le 18 novembre 2022, la société NDE demande à la cour :
– de confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état en ce qu’elle a :
– écarté les fins de non-recevoir tirées de la forclusion par tolérance,
– condamné la société ELDAI à payer à la société NDE la somme de 3.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– de confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise pour le surplus.
– en conséquence,
– de juger que la société ELDAI ne peut valablement invoquer le bénéfice de la forclusion par tolérance tel que prévue à l’article L.716-4-5 1° du code de la propriété intellectuelle,
– de juger la société NDE recevable en ses demandes au fond,
– en tout état de cause,
– de débouter la société ELDAI de l’ensemble de ses demande,
– de condamner la société ELDAI à payer à la société NDE la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de condamner la société ELDAI aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me DE CHASSEY, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est du 6 décembre 2022.
Il a été noté au plumitif de l’audience que la société ELDAI, appelante, a produit aux débats, postérieurement à la clôture, un arrêt rendu par cette cour le 11 janvier 2023 et que la société NDE ne s’est pas opposée à ce que cette décision soit évoquée au cours de l’audience.
MOTIFS DE LA DECISION
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef de l’ordonnance non contesté
L’ordonnance n’est pas contestée en ce qu’elle a écarté la fin de non-recevoir de la société ELDAI tirée du défaut d’exploitation sérieux des marques « SHUMANIT » n° 316 et « BAGUI » n° 315 dont la société NDE est titulaire.
Sur la fin de non recevoir de la société ELDAI tirée de la forclusion par tolérance des marques internationales
En application des dispositions de l’article 789-6° du code de procédure civile en sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, le juge de la mise en état est désormais exclusivement compétent pour ‘statuer sur les fins de non-recevoir (…)’.
Ces dispositions sont applicables aux instances introduites après le 1er janvier 2020 (article 55 -II du décret, rectifié par décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019- article 22-I-5°).
Selon l’article 122 du code de procédure civile, « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
L’article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle invoqué par la société appelante dispose notamment :
« Est irrecevable toute action en contrefaçon introduite par le titulaire d’une marque antérieure à l’encontre d’une marque postérieure :
1° Lorsque le titulaire de la marque antérieure a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage de la marque postérieure en connaissance de cet usage et pour les produits ou les services pour lesquels l’usage a été toléré, à moins que son dépôt n’ait été effectué de mauvaise foi (…) »
Sur la recevabilité de la société ELDAI à opposer à la société NDE la fin de non- recevoir tirée de la forclusion par tolérance
La société NDE conteste la recevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par la société ELDAI, soutenant que celle-ci, qui n’est pas titulaire des marques secondes, et qui ne peut pas même se prévaloir d’une sous-licence valablement consentie par la société IPL, n’a pas qualité à lui opposer la forclusion par tolérance. Elle fait valoir qu’il résulte en effet d’un arrêt rendu le 22 septembre 2011 par la Cour de justice de l’Union européenne (affaire C-482/09) que le bénéfice de la forclusion par tolérance doit être réservé au seul titulaire de la marque seconde.
La société ELDAI répond que sa demande de forclusion pour tolérance est recevable ; que cette fin de non-recevoir peut être invoquée par toute personne intéressée dès lors que le signe second est une marque enregistrée et qu’elle n’est donc pas exclusivement réservée au titulaire de la marque seconde ; qu’en tout état de cause, la société BAGI, titulaire des marques secondes, a concédé une licence d’exploitation à sa filiale IPL, laquelle s’est vue autorisée à distribuer, exporter et vendre les produits marqués “SHUMANIT” et “BAGI” dans le monde entier, en ce compris la France ; que des factures émises par le titulaire d’une marque, autorisant son destinataire à exploiter des produits désignés par celle-ci, doivent s’analyser comme des contrats de licence tacite ; qu’en tout état de cause, elle dispose de factures émises par la société BAGI comportant la marque “BAGI” et attestant de l’accord tacite tant de la société BAGI que de la société IPL pour une utilisation des marques secondes.
Ceci étant exposé, c’est à juste raison que le juge de la mise en état a retenu que la fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance peut être opposée par toute personne intéressée, dès lors que les signes seconds litigieux ont bien été enregistrés comme marques en France, sans qu’il soit besoin de rechercher si la société IPL bénéficiait ou non d’une licence de la part de la société BAGI et si elle avait à son tour concédé une sous-licence tacite à la société ELDAI.
Il sera ajouté que l’arrêt de la CJUE, qui est cité dans l’ordonnance et invoqué par la société NDE, qui conteste le sens qui lui a été donné par le juge de la mise en état, précise seulement les conditions nécessaires pour faire courir ce délai de forclusion, à savoir : « premièrement, l’enregistrement de la marque postérieure dans l’État membre concerné, deuxièmement, le fait que le dépôt de cette marque a été effectué de bonne foi, troisièmement, l’usage de la marque postérieure par le titulaire de celle-ci dans l’État membre où elle a été enregistrée et, quatrièmement, la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l’enregistrement de la marque postérieure et de l’usage de celle-ci après son enregistrement », et qu’il ne peut en être déduit que la forclusion serait réservée au seul titulaire de la marque postérieure.
En l’occurrence, la société ELDAI, qui démontre distribuer des produits provenant de la société IPL, filiale de la société BAGI (sa facture en pièce 9), argués de contrefaçon, et dont la responsabilité est recherchée pour contrefaçon des marques de la société NDE à raison de l’usage des marques secondes de la société BAGI, qui ont été régulièrement enregistrées à l’INPI, a donc qualité pour opposer la forclusion par tolérance à la société NDE sans qu’il soit besoin de rechercher si elle bénéficiait ou non d’une sous-licence tacite.
Sur la forclusion par tolérance
La société ELDAI soutient que la société NDE, compte tenu de ses relations d’affaires depuis plus de 20 ans avec la société israélienne BAGI, faisait montre d’une particulière vigilance quant à l’activité et aux signes exploités par la société BAGI et a nécessairement eu connaissance des dépôts, en 2011, des marques secondes “BAGI” et “SHUMANI” et de leur usage ultérieur.
Elle argue que la société NDE connaissait en effet la dénomination sociale éponyme utilisée par la société BAGI depuis 1988 ; que la société BAGI avait en outre procédé au dépôt d’une marque “BAGI” le 5 novembre 1997 auprès de l’Office de propriété industrielle israëlien ; que la société NDE commercialisait dès 2002 des produits BAGI, parmi lesquels un dissolvant dénommé SHUMANIT recouvert de la marque “BAGI” et qui a été commercialisé sur le territoire français ; qu’un contrat de distribution exclusive avait même été conclu, par lequel la société BAGI a concédé à la société NDE l’exclusivité de la distribution des produits marqués “BAGI” et “SHUMANIT” sur le territoire français pour l’année 2002 ; qu’il est difficile de croire que la société NDE, qui était en relation d’affaires avec la société BAGI de manière continue depuis plus de vingt ans, ait pu ignorer que celle-ci avait déposé en France des marques quasi identiques à celles qu’elle avait elle-même déposées en 2002 ; qu’en outre, dans son catalogue 2002, la société NDE reproduisait de manière parfaitement fidèle la marque “BAGI” de la société BAGI ; que le choix de la marque “BAGUI” déposée par la société NDE en 2002 atteste d’ailleurs de l’attention incontestable portée par elle aux signes de la société BAGI ; que la société NDE s’est empressée de déposer en 2002 les marques antérieures concomitamment à sa relation contractuelle avec la société BAGI afin d’empêcher son fournisseur de bénéficier d’un monopole d’exploitation pour les produits de la classe 3 sur le territoire français ; que la société NDE ne pouvait ignorer les dépôts des deux marques litigieuses réalisés par la société israëlienne en 2011, d’autant que ces dépôts sont intervenus pour le même domaine d’activité et que les marques secondes “BAGI” et “SHUMANIT” étaient connues et amplement exploitées, les produits commercialisés sous ces marques rencontrant un véritable succès.
Elle plaide que postérieurement au dépôt des marques secondes, la société NDE a poursuivi ses relations commerciales avec les sociétés BAGI et IPL, des factures émises par la société IPL entre 2014 et 2019 montrant alors un usage de la marque “SHUMANIT” (pièces 24 et 25) ; que les catalogues 2018 et 2019 de la société NDE montrent qu’elle faisait la promotion de produits recouverts des marques “SHUMANIT” et “BAGI” (pièce 30) ; qu’un procès-verbal de constat d’huissier du 2 novembre 2021 révèle que la société NDE a fait la promotion de produits désignés par les marques “BAGI” et “BAGUI” sur la page d’accueil de son site internet tel qu’accessible aux dates des 8 août et 29 novembre 2013, 21 décembre 2014 et 5 février 2016, la marque “BAGI” étant utilisée à l’identique de la marque exploitée depuis 1987 et déposée en 2011 par la société BAGI (le terme BAGI étant surmonté des mêmes lettres en hébreu que celles entrant dans la composition de la marque “BAGI”) ; que de plus, une brochure publicitaire de la société NDE (pièce 31) porte sur un produit désigné par la marque “BAGI” ; qu’une autre pièce produite en dernière page de la pièce 31, permettant de constater la présence des marques “BAGI” et “SHUMANIT” sur des documents publicitaires de NDE, a été tronqué de façon certainement à masquer sa date ; que le document non biffé que la société NDE a finalement accepté de transmettre ne fait pas apparaître de date mais constitue manifestement un autre document puisqu’il ne comporte pas les mêmes mentions, ce qui montre la mauvaise foi de la société NDE.
La société NDE soutient, quant à elle, l’absence de forclusion par tolérance. Elle fait valoir qu’il n’est pas démontré un usage des marques postérieures de la société BAGI pendant une période de 5 années consécutives entre 2012 et 2020 dès lors que la société ELDAI affirme elle-même n’avoir procédé qu’à une seule et unique commande auprès de la société IPL le 13 janvier 2020 ; qu’aucun des documents fournis par la société ELDAI, pour partie non datés, ne prouve l’usage des marques secondes pendant 5 années consécutives par la société ELDAI qui n’est mentionnée nulle part, ni par leur titulaire, la société BAGI. Elle soutient ensuite qu’il n’est nullement démontré qu’elle aurait fait preuve d’une attention particulière vis-à-vis des marques de la société BAGI enregistrées en France en 2011, soit 24 ans après la fondation de la société BAGI, 15 ans après le dépôt de la marque israélienne BAGI, 11 ans après le début des relations entre BAGI et NDE, 10 ans après le dépôt des marques antérieures par NDE et à un moment où elle-même, bénéficiant d’une exclusivité de distribution en France, l’accord d’exclusivité liant les sociétés BAGI et NDE initialement limité à l’année 2002 s’étant en fait prolongé, n’avait aucune raison de penser que les marques postérieures seraient déposées. Elle soutient par ailleurs que sa connaissance effective de l’usage allégué des marques postérieures n’est pas davantage démontrée, les différents éléments invoqués par l société ELDAI n’étant pas probants.
Ceci étant exposé, dans la mesure où il n’est pas démontré ni même prétendu que le dépôt des deux marques secondes aurait été effectué de mauvaise foi par la société BAGI, il appartient à la société ELDAI d’établir que la société NDE a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage des marques secondes en connaissance de cet usage.
Comme le juge de la mise en état l’a retenu, le délai quinquennal prévu à l’article L.716-4-5-1° du code de la propriété intellectuelle doit être calculé à partir du jour où le titulaire du droit antérieur a eu connaissance de l’usage de la marque prétendument contrefaisante.
La société ELDAI prétend que la société NDE se montrait particulièrement vigilante à l’égard de l’activité et des signes exploités par la société BAGI, de sorte qu’elle a eu nécessairement connaissance des dépôts des marques litigieuses en 2011 et de leur usage subséquent.
Mais s’il est acquis que les sociétés BAGI et NDE ont conclu en 2002 un accord de distribution exclusive pour la France portant sur quatre produits d’entretien BAGI pour une durée devant expirer le 31 décembre 2002 (pièce 48 NDE), en admettant que l’existence de cette relation contractuelle devait conduire la société NDE à surveiller l’activité de sa partenaire et les signes distinctifs utilisés par elle, il ne peut en être déduit qu’elle a eu ainsi nécessairement connaissance de l’enregistrement des deux marques litigieuses intervenu en 2011, soit près de 10 ans après la conclusion de cet accord dont la société ELDAI prétend tout à la fois, selon les besoins de son argumentation, qu’il s’est poursuivi après son terme fixé au 31 décembre 2002 et qu’il n’a pas été prolongé au-delà de ce terme
1:page 22 de ses conclusions : “C’est ainsi sans preuve aucune que l’intimée affirme que (…) cet accord entre les sociétés NDE et BAGI a été prolongé” et page 23 de ses conclusions : “au regard de la longue relation commerciale entretenue par les sociétés BAGI et NDE depuis 2002, une telle affirmation apparaît plus que contestable. Il est en effet difficile de croire que la société NDE, avec laquelle BAGI travaillait de manière continue depuis plus de vingt ans, avait pu ignorer que celle-ci avait déposé en France des marques quasi identiques…” .
; il ne peut davantage en être déduit qu’elle a eu connaissance de l’usage de ces deux marques à compter de leur enregistrement en 2011.
Il ne peut davantage être déduit du catalogue 2002 de la société NDE faisant apparaître des emballages de produits d’entretien avec l’inscription BAGI ou SHUMANIT, présentés comme provenant de la société BAGI PROFESSIONAL CLEANING PRODUCTS (BAGI), ce qui coïncide avec la période d’exécution de l’accord d’exclusivité conclu en 2002, que la société NDE a eu connaissance de l’enregistrement des marques litigieuses en 2011 et de l’usage ultérieur de ces marques.
Par ailleurs, la connaissance par la société NDE des enregistrements et de l’usage des marques de la société BAGI ne peut davantage être déduite de l’utilisation de la dénomination sociale BAGI par la société israélienne depuis 1988, ou du dépôt par cette société d’une marque “BAGI” en Israël en 1997, soit 14 ans avant le dépôt des marques litigieuses, cette marque, distincte de la marque litigieuse n° 797 et réservée au territoire israëlien, étant inopérante pour la démonstration qui incombe à la société ELTAI.
Pour ce qui concerne la tolérance alléguée au cours de la période postérieure à l’enregistrement des deux marques litigieuses, la société ELDAI invoque :
– en ce qui concerne la marque “BAGI” enregistrée le 10 août 2011 :
– un procès-verbal d’huissier de justice établi le 2 novembre 2021 (sa pièce 27) censé établir que la société NDE avait connaissance de la marque “BAGI” a minima depuis le 8 août 2013 : mais, outre que les pages de ce procès-verbal auxquelles elle renvoie montrent des produits d’entretien recouverts du signe “SHUMANIT” (et non pas “BAGI”) et que les autres mentions sont illisibles, les photographies étant elles-mêmes très floues, l’huissier relève (page 13) qu’il constate la présence “d’une bouteille pistolet sur laquelle figurent notamment les éléments “Bagui SHUMANIT”, ce qui correspond par conséquent, davantage aux marques “BAGUI” et “SHUMANIT” de la société NDE qu’à la marque “BAGI” litigieuse ; aucune des photographies de ce procès-verbal ne permet de vérifier l’apposition sur les produits du signe “BAGI”, si ce n’est, comme le soutient la société ELDAI qui insère dans ses écritures (page 33) un agrandissement d’un flacon noir, un signe semi-figuratif comportant à la fois le signe BAGI stylisé recouvrant partiellement un globe contre lequel est apposé une étoile, et qui correspond, non pas à la marque “BAGI” litigieuse mais au logo de la société BAGI, telle qu’elle figure notamment sur la pièce 22 de l’appelante (page 10) ; mais ce seul élément ne peut suffire à démontrer un usage du signe “BAGI” à titre de marque ni encore moins d’un usage toléré de ce signe pendant une durée de cinq ans consécutifs ;
– un document présenté comme une “brochure publicitaire” de la société NDE (pièce 31), en réalité une planche photographique sous le titre “Si c’est propre, c’est SHUMANIT”, montrant des rangées de flacons de produits d’entretien, certains recouverts du signe BAGI ; ce document est dépourvu de tout caractère probant, n’étant pas daté ;
– une autre page de ce document 31 montrant un flacon de produit d’entretien recouvert du signe SHUMANIT assorti du slogan “Problèmes de graisses tenaces ‘ Avec SHUMANIT il n’y a plus de problèmes !” ; une bande noire apparaît en bas de cette page, ce dont la société ELDAI tire argument pour soutenir que la société NDE a ainsi fait disparaître la date du document ; mais cette argumentation n’est pas corroborée par la pièce 52 produite par l’intimée qui est la même pièce mais sans la bande noire en bas de page et qui ne révèle pas de dissimulation de date ; la pièce ne peut donc s’analyser comme une preuve ni même un indice de la tolérance alléguée ;
– en ce qui concerne la marque “SHUMANIT” enregistrée le 23 novembre 2011 :
– 6 factures émises par la société IPL (fournisseur de la société ELDAI) en date des 11 décembre 2014, 22 novembre 2015, 24 février 2016, 5 février 2017, 8 janvier 2018 et 26 février 2019, adressées à la société NDE, portant sur un produit « SHUMANIT SUPER 750 ML FRANCE » ou « SHUMANIT SUPER 750 ML spray » (pièce 25) ; mais la mention « SHUMANIT SUPER 750 ML FRANCE » ou « SHUMANIT SUPER 750 ML spray » apposée sur ces factures dans la colonne “PRODUCTS NAME” ne peut être considérée comme étant d’évidence l’indication d’une marque “SHUMANIT”, apparaissant plutôt comme celle du nom du produit d’entretien concerné ; ces factures ne suffisent donc pas à caractériser la tolérance alléguée de l’usage de la marque ;
– des extraits de catalogues NDE pour les années 2018 et 2019 qui comportent des produits recouverts des signes “BAGI” et “SHUMANIT” mais ne suffisent pas à caractériser la tolérance alléguée de l’usage de la marque qui doit recouvrir 5 années consécutives.
Le seul fait que les sociétés opèrent dans le même secteur n’est pas un indice suffisant à la démonstration de la connaissance effective de l’usage allégué des marques secondes, encore moins d’une tolérance de cet usage pendant une durée de cinq ans.
Dans ces conditions, l’ordonnance sera approuvée en ce qu’elle a retenu que la preuve n’était pas rapportée de la tolérance par la société NDE, pendant une période de cinq années consécutives, de l’usage des marques postérieures par la société BAGI ou l’un de ses distributeurs, et sera confirmée en ce qu’elle a, par voie de conséquence, écarté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance soulevée par la société ELDAI.
Sur la demande de la société ELDAI en restitution des sommes versées au titre des condamnations résultant de l’ordonnance
La demande de la société ELDAI est sans objet.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société ELDAI, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de Me DE CHASSEY, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les frais irrépétibles de première instance étant confirmées. L’ordonnance est donc infirmée en ce qu’elle a réservé les dépens.
La somme qui doit être mise à la charge de la société ELDAI au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société NDE peut être équitablement fixée à 4 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état, sauf en ce qu’elle a réservé les dépens,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société ELDAI aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Condamne la société ELDAI aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me DE CHASSEY, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et au paiement à la société NDE de la somme de 4 000 € en application de l’article 700 du même code, pour la procédure d’appel.
La greffière La présidente