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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 MARS 2023
N° RG 21/02830
N° Portalis DBV3-V-B7F-UYEF
AFFAIRE :
[T] [W]
C/
S.A.S.U. SISAP AMENAGEMENT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Septembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES
N° Section : E
N° RG : 18/00471
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la AARPI METIN & ASSOCIES
la SELARL DEBAY
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [T] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me David METIN de l’AARPI METIN & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159
APPELANTE
****************
S.A.S.U. SISAP AMENAGEMENT
N° SIRET : 352 75 7 3 30
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Katia DEBAY de la SELARL DEBAY, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 541
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
Appelée à l’audience collégiale, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 26 janvier 2023, devant la cour composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseiller,
et que ces mêmes magistrats en ont délibéré conformément à la loi,
Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE
EXPOSE DU LITIGE
Mme [T] [W] a été engagée par la société Sisap Aménagement suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 mars 2008 en qualité de comptable, avec le statut de cadre.
En dernier lieu, Mme [W] exerçait les fonctions de responsable administrative et financière, niveau C, coefficient 120, avec le statut de cadre.
En janvier 2018, un audit a été réalisé par un cabinet externe à la société.
A compter du 5 février 2018, la salariée a fait l’objet d’un arrêt de travail pour maladie.
Par lettre du 6 mars 2018, le conseil de la salariée a informé la société que cette dernière envisageait de saisir le conseil de prud’hommes d’une part, en résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que d’autre part, en indemnisation de son préjudice et du harcèlement subi.
Par lettre du 12 mars 2018, Mme [W] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 23 mars 2018.
Par lettre du 30 mars 2018, l’employeur a licencié la salariée pour faute grave.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale des ingénieurs, assimilés et cadres du bâtiment de la région parisienne.
Le 20 juillet 2018, Mme [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles afin d’obtenir la condamnation de la société Sisap Aménagement au paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse, pour exécution déloyale du contrat de travail et de diverses indemnités et sommes liées à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.
Par jugement en date du 1er septembre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a dit que l’affaire est recevable,a jugé que le licenciement de Mme [W] est bien fondé sur une faute grave, a débouté Mme [W] de l’intégralité de ses demandes, a débouté la société Sisap Aménagement de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens à la charge de chaque partie.
Le 29 septembre 2021, Mme [W] a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 9 janvier 2023, Mme [W] demande à la cour d’infirmer le jugement rendu et statuant à nouveau, de :
– à titre principal, juger que son licenciement encourt la nullité, en conséquence, juger que l’article L. 1235-3-1 est applicable,
– condamner la société Sisap Aménagement à lui verser la somme de 70 000 euros nets de csg-crds à titre d’indemnité de licenciement nul,
– à titre subsidiaire, dire et juger que la cause réelle et sérieuse de licenciement fait défaut,
– en conséquence, à titre principal, juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable,
– en conséquence, condamner la société Sisap Aménagement à verser à Mme [W] la somme de 70 000 euros nets de csg-crds à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (non plafonnée),
– en conséquence, à titre subsidiaire, la condamner à verser à Mme [W] la somme de 55 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail (plafonnée),
– en tout état de cause, en conséquence du caractère nul ou sans cause réelle et sérieuse du licenciement, condamner la société Sisap Aménagement à lui verser les sommes suivantes :
* 16 500 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 1 650 euros à titre de congés payés afférents,
* 19 561 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– condamner la société Sisap Aménagement à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 1222-1 du code du travail,
– ordonner la remise de l’attestation destinée au pôle emploi et d’un bulletin de paie récapitulatif conformes à la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard dans les 30 jours suivant la notification de l’arrêt,
– se réserver, en application de l’article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution, le droit de liquider l’astreinte sur simple requête,
– condamner la société Sisap Aménagement à lui verser la somme de 3 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– assortir ces sommes des intérêts à compter de la saisine du conseil de prud’hommes conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil,
– ordonner la capitalisation judiciaire des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil,
– condamner la société Sisap Aménagement aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution de l’arrêt à intervenir,
– débouter la société Sisap Aménagement de toutes ses demandes.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 22 décembre 2022, la société Sisap Aménagement demande à la cour de confirmer le jugement, de juger que le licenciement de Mme [W] est fondé sur une faute grave et de la débouter de l’ensemble de ses demandes, et y ajoutant, de la condamner à payer à la société Sisap Aménagement la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 17 janvier 2023.
MOTIVATION
Sur la validité du licenciement et ses conséquences
Sur la dénonciation de harcèlement moral
La salariée soutient que son licenciement est nul au motif que la procédure de licenciement a été engagée concomitamment à sa dénonciation de faits de harcèlement moral par lettre ainsi que par dépôt de plainte. Elle indique que l’audit extérieur mené dans un contexte de dégradation de ses conditions de travail, a généré une pression et un travail supplémentaire irréaliste dans des délais très courts.
L’employeur conclut au débouté cette demande, la procédure de licenciement ayant été initiée à la suite de la remise d’un rapport d’audit externe dans lequel ont été relevés d’importants manquements imputables à la salariée, le licenciement n’étant pas fondé sur le courrier adressé par son conseil mais uniquement sur ces manquements.
Aux termes de l’article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Aux termes de l’article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En l’espèce, par lettre du 6 mars 2018, le conseil de la salariée a informé l’employeur que cette dernière dénonçait des faits de harcèlement moral pour lesquels elle demandait une indemnisation.
Cependant, la lettre de licenciement est fondée sur un motif disciplinaire, plusieurs manquements étant invoqués à l’encontre de la salariée sur la base du rapport d’audit externe en date du 12 mars 2018, date à laquelle est engagée la convocation à entretien préalable à éventuel licenciement par l’employeur. Il n’en ressort pas que l’employeur reproche à la salariée d’avoir dénoncé des faits de harcèlement moral.
En conséquence, Mme [W] n’est pas fondée à soutenir que son licenciement est motivé par une dénonciation de faits de harcèlement moral.
Il y a donc lieu de la débouter de sa demande de dommages et intérêts en nullité du licenciement sur ce fondement.
Sur la violation de la liberté fondamentale d’agir en justice
La salariée indique qu’eu égard à la concomitance entre sa lettre et la procédure, la décision de procéder à son licenciement n’est pas étrangère à l’action prud’hommale qui allait être engagée, que l’employeur a violé l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et que le licenciement en résultant et nul.
L’employeur fait valoir qu’aucune saisine judiciaire n’est intervenue préalablement au licenciement et qu’en tout état de cause, cela n’a pas motivé la procédure de licenciement. Il souligne que la salariée avait conscience que sa demande n’avait aucune chance d’aboutir en raison de l’inexistence des prétendus manquements de l’employeur.
En application des dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article, le 1°étant relatif à la violation d’une liberté fondamentale. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Le droit d’agir en justice est reconnu comme étant une liberté fondamentale protégée par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit à un procès équitable.
En l’espèce, par lettre du 6 mars 2018, le conseil de la salariée a informé l’employeur que cette dernière envisageait de saisir le conseil de prud’hommes aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail et d’indemnisation de faits de harcèlement moral.
Or, la lettre de licenciement invoque un motif disciplinaire et la salariée ne verse aucun élément montrant qu’en réalité la procédure de licenciement est une mesure de rétorsion à la lettre faisant part de son intention de saisir le conseil de prud’hommes.
En conséquence, Mme [W] n’est pas fondée à soutenir que son licenciement est motivé par une action prud’hommale envisagée.
Il y a donc lieu de la débouter de sa demande de dommages et intérêts en nullité du licenciement sur ce fondement.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ces points.
Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est libellée comme suit :
« Nous faisons suite à l’entretien préalable en date du 23 mars dernier auquel vous n’avez pas cru devoir vous présenter.
Nous avons eu à déplorer des manquements graves dans l’exercice de vos fonctions.
En votre qualité de responsable administrative et financière, vous aviez pour mission, notamment, la gestion comptable de la société et la gestion de la trésorerie. Vous étiez en charge de la vérification des coûts, de la comptabilité clients, de la comptabilité fournisseurs, de la gestion de la formation et des déclarations sociales.
Vous deviez établir des reportings et des arrêtés de compte pour la direction.
Vous aviez également pour mission d’assurer la gestion budgétaire et les déclarations fiscales, suivre et régler, pour le compte de la société, les charges fiscales et sociales, gérer la facturation clients ainsi que les relances clients.
Face à une dégradation des résultats de l’entreprise, un audit externe a été réalisé.
L’auditeur a procédé à l’examen des comptes et il en est ressorti d’importants manquements de votre part.
Des chèques et des traites ont été retrouvés dans le tiroir de votre bureau pour un montant de 27.694 euros alors même que vous aviez demandé à Monsieur [D] [M], du service comptable, d’effectuer des relances à ce titre.
Une telle situation aurait pu perdurer longtemps si nous n’avions pas découvert, fortuitement, ces règlements. Ce manquement n’a pas manqué d’affecter la trésorerie de la société.
En outre, vous n’avez pas cru devoir procéder au règlement de diverses sommes dues au Trésor Public, notamment au titre de la cotisation foncière des entreprises.
Vous n’avez pas, non plus, effectué le règlement des cotisations dues à l’URSSAF pour un montant total de 5.908 euros, pour laquelle nous avons reçu un avis de recouvrement et une mise en demeure.
Les cotisations d’assurance prévoyance des salariés ne sont plus réglées depuis le mois de janvier 2017 comme cela ressort d’un avis de solde à régulariser au mois de février 2018.
Nous avons également reçu une mise en demeure pour défaut d’assurance de la SIMAD suite à l’absence de paiement des cotisations d’assurance habitation pour les logements des ouvriers ainsi qu’une mise en demeure pour défaut de règlement des cotisations afférentes à la mutuelle des salariés de l’entreprise.
Au surplus, nous avons reçu des mises en demeure de régler de la part de fournisseurs qui n’avaient pas, non plus, été réglés de leurs créances.
De tels manquements apparaissent difficilement compréhensibles dans la mesure où la trésorerie de la société et les soldes bancaires permettaient à la société de faire face à ses échéances fournisseurs ainsi qu’à ses dettes sociales et fiscales.
Par ailleurs, les déclarations de formation continue n’ont pas, non plus, été effectuées auprès de la PRO BTP ni les déclarations de salaires du mois de décembre 2017 auprès de la caisse de congés BTP, tout comme la déclaration d’effectif et de salaires à la médecine du travail.
Enfin, l’audit a révélé des erreurs et des incohérences graves dans le reporting au 31/10/2017 et dans l’arrêté des comptes au 31/12/2017.
Un tel comportement affecte l’activité et la situation financière de la société.
Par conséquent, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.[‘ ]» .
La salariée conteste les griefs formulés à son encontre, rappelant que les erreurs ou négligences, sauf mauvaise volonté, ne sont pas fautives. Elle soutient que les griefs sont minimes et contestés, la plupart des relances étant parvenues pendant son arrêt de travail et ne pouvant lui être reprochées.
L’employeur indique que les griefs sont parfaitement démontrés, que la sanction n’est pas disproportionnée eu égard à la gravité des manquements qui auraient pu entraîner de graves difficultés pour la société s’ils n’avaient pas été découverts.
Il résulte des dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
La preuve de la faute grave incombe à l’employeur.
La lettre de licenciement énonce en substance les six griefs suivants :
des chèques et traites retrouvés dans son tiroir de la salariée
l’absence de règlement de sommes dues au Trésor public, à l’URSSAF, à l’assurance prévoyance des salariés,
une mise en demeure pour défaut d’assurance de la SIMAD,
des mises en demeure de règlement de fournisseurs,
l’absence de déclarations en matière de formation continue et de salaires du mois de décembre 2017 auprès de la caisse PRO BTP, et le défaut de déclaration d’effectif et de salaire à la médecine du travail,
les erreurs et incohérences dans le reporting et l’arrêté des comptes.
A l’appui du grief de non traitement de chèques et traites 1) l’employeur produit un relevé de remise de chèques montrant que huit formules de chèques ont été remises à l’encaissement par ses soins le 15 février 2018. Seule l’une de ces formules montre un réel retard, remontant à septembre 2017 pour un montant de 2 705,04 euros, les autres formules étant émises à la fin de l’année 2017 et au début de l’année 2018, aucun élément ne permettant de dire que ce décalage dans la remise à encaissement était volontaire. L’employeur produit également le relevé de remise à l’encaissement le 22 février 2018 de deux traites, d’un montant de 526,5 euros et de 3 174 euros, mais les caractéristiques de ces traites ne sont pas produites en intégralité ce qui ne permet pas d’imputer de retard volontaire dans l’encaissement à la salariée. Ce grief doit donc être écarté.
S’agissant du retard de règlements 2), l’employeur verse aux débats une relance du trésor public d’un montant de 385 euros comprenant 18 euros de majoration au titre de la cotisation foncière des entreprises dont la date limite de paiement était le 15 décembre 2017, une relance du trésor public au titre de frais de déchèterie pour un montant de 54 euros sans majoration, la créance ayant été émise le 22 janvier 2018, soit peu avant la suspension du contrat de travail de la salariée donc non imputable. L’employeur produit également un avis de l’URSSAF d’un montant de 1 058 euros pour une créance de novembre 2017 comprenant une majoration de 58 euros, une mise en demeure d’un montant de 4 850 euros pour une créance de janvier 2018 avec une date de versement du 15 février 2018, soit postérieure à la suspension du contrat de travail de la salariée donc non imputable. L’employeur verse également aux débats une mise en demeure du 28 février 2018 de régler une somme de 2 097,39 euros dans un délai de 30 jours, de la mutuelle Mieux Etre, cette date étant postérieure à la suspension du contrat de travail de la salariée et donc n’étant pas imputable. Ainsi, les deux seuls règlements en retard imputables comprennent des majorations minimes de 18 euros et de 58 euros, le caractère volontaire du retard de la part de la salariée dans le règlement de ces créances n’étant pas établi. Ce grief ne sera donc pas retenu.
S’agissant du défaut de l’assurance SIMAD 3), l’employeur indique que la salariée n’a pas transmis l’attestation d’assurance des locaux occupés en dépit de deux relances et produit une mise en demeure du 8 février 2018, soit postérieure à la suspension du contrat de travail de la salariée, donc non imputable, ne s’agissant pas d’un défaut de paiement mais de transmission d’une attestation uniquement. Ce grief doit donc être écarté.
Sur les mises en demeure de fournisseurs 4), l’employeur fait état de la société Coté Route et de la société Keyor et produit deux mises en demeure du 22 février 2018 de règlement de deux factures, postérieures à la suspension du contrat de travail de la salariée donc non imputables. Ce grief ne peut donc être retenu.
S’agissant de la caisse PRO BTP et de la médecine du travail 5), l’employeur produit un avis de solde à régulariser en date du 16 février 2018, donc postérieur à la suspension du contrat de travail de la salariée et non imputable s’agissant d’une régularisation et non d’un défaut de paiement, ainsi qu’un duplicata d’appel d’éléments de facturation 2018 de la médecine du travail à retourner avant le 15 janvier 2018. Si la salariée n’a pas fait retour des éléments requis à la médecine du travail, le caractère volontaire de cette omission n’est pas prouvé. Ce grief doit donc être écarté.
Sur les erreurs et les incohérences dans le reporting au 31 octobre 2017 et dans l’arrêté des comptes au 31 décembre 2017 6), l’employeur produit le rapport d’audit concluant notamment à la réalisation de trois clôtures pendant l’année, avec 45 jours de décalage, à l’absence de cohérence entre les reportings et les résultats de la liasse fiscale, à l’absence d’analyse de l’évolution de la marge brute en 2017 par rapport à l’année 2016, à la communication des résultats de l’année 2017 le 31 janvier 2018, à l’absence d’effet d’une demande de plan d’action pour un reporting mensuel, à l’absence de réponse à des questions lors d’une réunion le 2 février 2018, à des erreurs d’imputation sur le compte d’exploitation détectées avec le contrôleur de gestion ayant conduit à une amélioration du résultat de la société de 50 000 euros.
La cour constate cependant que le rapport d’audit a été rendu postérieurement à la suspension du contrat de travail de la salariée qui n’a pas été en mesure de produire des observations sur les conclusions rendues, que l’organisation de la société ne prévoyait pas de reporting mensuel et de clôture mensuelle, ces clôtures n’ayant lieu que trois fois dans l’année, que la comptabilité analytique et le contrôle de gestion étaient donc peu développés et que l’absence de comptabilité analytique effective et de reporting régulier et effectif ne sont pas imputables à la salariée. En outre, le caractère volontaire de la part de la salariée dans la commission d’erreurs révélées par l’audit n’est pas établi. Par conséquent, ce grief doit être écarté.
Au surplus, l’employeur verse également aux débats une confirmation du commissaire aux comptes du 23 mars 2018 précisant que les sociétés du groupe Sisap, comprenant notamment la société Sisap Aménagement ‘ont eu une trésorerie positive sur l’exercice 2017 et que les soldes bancaires permettaient aux sociétés de faire face à leurs échéances fournisseurs, sociales ou fiscales’, ainsi, la situation de la trésorerie de la société était saine en fin d’année 2017 sur la période litigieuse.
Enfin, pendant le déroulement d’une mission d’audit non obligatoire, il est constant que les services administratifs et financiers sont sollicités et qu’il en résulte une charge de travail supplémentaire par rapport à leur charge de travail habituelle.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, les griefs formulés à l’encontre de la salariée sont soit non établis, notamment à défaut de preuve du caractère fautif des faits relevés, soit ne lui sont pas imputables. Par conséquent, le licenciement n’est fondé ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse.
Le licenciement de la salariée est donc dénué de cause réelle et sérieuse.
Il n’y a pas lieu d’écarter les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, puisqu’elles ne sont pas contraires au stipulations de l’article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 et que les stipulations de l’article 24 de la Charte sociale européenne n’ont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
En application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, la salariée qui compte une ancienneté de plus de dix ans et qui est âgée de 59 ans lors de la rupture du contrat de travail a droit à des dommages et intérêts compris entre trois et dix mois de salaire brut qu’il convient de fixer à 50 000 euros.
La salariée a droit à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, d’un montant de 16 500 euros, outre 1 650 euros au titre des congés payés afférents.
Elle a droit à une indemnité conventionnelle de licenciement calculée sur une ancienneté de 10 ans, 4 mois à l’issue de son préavis de 3 mois comme suit :
[(3 x 5 500) + (70/100 x 5 500 x 4/12)] x 1,1 soit 19 561 euros.
Il convient d’ordonner la remise par la société Sisap Aménagement à Mme [W] de l’attestation Pôle emploi et d’un bulletin de paie récapitulatif conformes à la décision, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte.
Le jugement entrepris sera infirmé sur ces points.
Sur l’exécution loyale du contrat de travail
La salariée indique qu’elle a subi des conditions de travail difficiles dans la mesure où elle a dû réaliser des tâches complexes rapidement et dû subir la pression de son supérieur hiérarchique et de l’auditeur. Elle ajoute que ces conditions ont eu des conséquences sur sa santé alors qu’elle n’avait jamais été placée en arrêt de travail pendant sa carrière. Elle précise qu’elle n’a pas été indemnisée au pénal et qu’il n’y a pas double indemnisation.
L’employeur conclut au débouté en l’absence de surcharge de travail et de comportement inapproprié de M. [B], la plainte au pénal ayant d’ailleurs été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée.
La salariée ne démontre pas avoir subi un manquement de l’employeur, lequel avait la possibilité d’engager un audit, qui avait pour conséquence sa sollicitation notamment afin de répondre aux questions de l’auditeur et de produire les éléments demandés dans le cadre de l’audit.
Au surplus, elle ne caractérise pas de préjudice distinct de celui déjà réparé au titre des conséquences de la rupture de son contrat de travail.
Par conséquent, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur l’application de l’article L. 1235-4 du code du travail
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société Sisap Aménagement aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à la salariée du jour du licenciement au jour du présent arrêt et ce, dans la limite de six mois d’indemnités.
Sur le cours des intérêts
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. Il n’y a pas lieu de faire courir le point de départ des intérêts à une date antérieure comme sollicité.
La capitalisation des intérêts échus pour une année entière sera ordonnée.
Sur les autres demandes
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société Sisap Aménagement succombant à la présente instance, en supportera les dépens de première instance et d’appel. Elle devra régler à Mme [W] une somme de 3 800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en ce qu’il a :
– débouté Mme [T] [W] de ses demandes en nullité du licenciement et en paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– débouté Mme [T] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Dit que le licenciement de Mme [T] [W] est dénué de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Sisap Aménagement à payer à Mme [T] [W] les sommes suivantes :
50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
16 500 eurosà titre d’indemnité compensatrice de préavis,
1 650 euros à titre de congés payés afférents,
19 561 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
Dit que les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et que les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la remise par la société Sisap Aménagement à Mme [T] [W] de l’attestation Pôle emploi et d’un bulletin de paie récapitulatif conformes à la décision,
Ordonne le remboursement par la société Sisap Aménagement à l’organisme Pôle Emploi concerné des indemnités de chômage versées à Mme [T] [W] dans la limite de six mois d’indemnités,
Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,
Condamne la société Sisap Aménagement aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne la société Sisap Aménagement à payer à Mme [T] [W] la somme de 3 800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Isabelle FIORE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,