ARRET
N°
S.A.S. ARCOLE INDUSTRIES
C/
[R]
[I]
Etablissement Public CGEA ILE DE FRANCE EST
le 8/02/2023
à
-Me JOURDE
-Me RILOV
-Me MARTIN DE FREMONT
-Me VIEU DEL-BOVE
LDS/IL/BG
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 08 FEVRIER 2023
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N° RG 21/02236 – N° Portalis DBV4-V-B7F-ICRP
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 31 MARS 2021 (référence dossier N° RG 19/00037)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. ARCOLE INDUSTRIES
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée, concluant et plaidant par Me Marie-Alice JOURDE de l’AARPI VATIER & ASSOCIES Association d’Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle, avocat au barreau de PARIS
Me Aurélie GUYOT, avocat au barreau D’AMIENS, avocat postulant
ET :
INTIMES
Madame [Y] [R]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée, concluant et plaidant par Me Fiodor RILOV de la SCP RILOV, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Sarah DJABRI, avocat au barreau de PARIS
Maître [B] [I]
ès qualités de mandataire liquidateur de la Société MORY DUCROS
[Adresse 3]
[Localité 8]
concluant par Me Hubert MARTIN DE FREMONT, avocat au barreau de PARIS
Etablissement Public CGEA ILE DE FRANCE EST
[Adresse 1]
[Localité 7]
concluant par Me Céline VIEU DEL-BOVE de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON
Représentée et plaidant par Me Hervé SELOSSE-BOUVET, avocat au barreau D’AMIENS, avocat postulant
DEBATS :
A l’audience publique du 09 novembre 2022, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
– Madame Laurence de SURIREY en son rapport,
– les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame Laurence de SURIREY indique que l’arrêt sera prononcé le 08 février 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 08 février 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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* *
DECISION :
La société Mory-Ducros est issue d’une fusion intervenue en 2012 des sociétés Ducros express et la société Mory SAS.
La convention collective applicable aux relations de travail était celle des transports routiers et activités auxiliaires.
Elle employait 5 000 salariés au moment de l’ouverture de la procédure collective.
La société Arcole industries est, quant à elle, une holding industrielle spécialisée dans la reprise et le redressement d’entreprises sous-performantes ou dont l’exploitation est déficitaire. Elle était la société mère des sociétés Ducros express et Mory.
Par jugement en date du 26 novembre 2013, le tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société Mory-Ducros et a nommé Me [V] et Me [F] en qualité d’administrateurs judiciaires et Me [I] en qualité de mandataire judiciaire.
Aucun plan de continuation n’étant envisageable, le même tribunal par jugement du 6 février 2014 a arrêté un plan de cession au profit de la société Newco MD en cours de constitution, dont l’actionnaire majoritaire est le groupe Arcole industries, de la SAS Mory-Ducros et des SCI SPAD et Arcatime Caudan (bailleresses de certains immeubles loués à la SAS Mory-Ducros) et a validé le licenciement dans un délai d’un mois des
2 882 salariés occupant des postes non repris.
Ce même jugement a également prononcé la liquidation judiciaire des sociétés Mory-Ducros, SPAD, et Arcatime Caudan avec poursuite d’activité de trois mois et désigné Me [V] et Me [F] en qualité d’administrateurs judiciaires et Me [I] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par décision en date du 3 mars 2014, la DIRECCTE du Val d’Oise a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi élaboré par les administrateurs judiciaires dans le cadre de la procédure de licenciement pour motif économique.
Le 11 juillet 2014, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision d’homologation rendue par la DIRECCTE.
Le 22 octobre 2014, la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé cette décision.
Par arrêt en date du 7 décembre 2015, le Conseil d’Etat a confirmé la nullité de la décision d’homologation en rejetant le pourvoi formé par l’administration du travail.
C’est dans ce contexte que, par lettre du 13 mars 2014, l’administrateur judiciaire a notifié à Mme [R] (le salarié), occupant l’emploi de Assistante de direction au sein de la société Mory-Ducros depuis le 28 août 2000 la rupture de son contrat de travail pour motif économique.
Le salarié a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.
Demandant la reconnaissance de la qualité de coemployeur des sociétés Arcole industries et Mory-Ducros, et sollicitant la condamnation de la société Arcole industries ainsi que du mandataire liquidateur de la société Mory-Ducros à lui payer des indemnités, Mme [R], comme 25 autres salariés, a saisi le conseil de prud’hommes de Compiègne le 22 mars 2019.
Par jugement du 31 mars 2021, le conseil a :
– fixé au passif de la société Mory-Ducros la somme de 64 714,52 euros à payer à Mme [R] à la suite de l’annulation de la décision d’homologation du 3 mars 2014;
– dit que le jugement était opposable au CGEA d’Ile-de-France Est ;
– dit que les sociétés Mory-Ducros et Arcole avaient la qualité de co-employeur ;
– condamné en conséquence la société Arcole à payer à Mme [R] une indemnité de 64 714,52 euros;
– débouté Mme [R] de sa demande au titre du reclassement ;
– condamné la société Arcole à payer à Mme [R] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Arcole aux entiers dépens ;
– ordonné l’exécution provisoire de la décision à intervenir s’agissant des indemnités qui ont été accordées sur le fondement de l’article L 1233-58 du code du travail ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
– condamné l’Unédic délégation AGS CGEA d’Ile-de-France Est aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 29 août 2022, la société Arcole industries, qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :
– infirmer les décisions rendues par le conseil de prud’hommes de Compiègne le 31 mars 2021 ;
– juger que le jugement avant dire droit du 15 juin 2020 rendue par la section commerce du conseil de céans est inexécutable ;
– juger de l’absence de co-emploi entre elle et la société Mory-Ducros ;
– juger de l’absence de lien contractuel entre elle et l’intimé ;
En conséquence,
– ordonner sa mise hors de cause et ne pas lui rendre opposable le jugement qui sera rendu à l’encontre de M. [I], mandataire liquidateur ;
– débouter l’intimé de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions ;
– condamner l’intimé à lui payer la somme de 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner l’intimé aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 14 janvier 2022, Mme [R] demande à la cour de :
– confirmer le jugement dans son intégralité ;
En conséquence,
– condamner la société Mory-Ducros sur le fondement de l’article L.1233-58 du code du travail à lui payer l’indemnité suivante : 89 604,69 euros.
– fixer ces mêmes créances au passif de la société Mory-Ducros ;
– dire le jugement à intervenir opposable au CGEA d’Ile-de-France Est ;
De surcroît,
– condamner la société Arcole industries à lui payer, du fait de la situation de co-emploi, la somme suivante : 89 604,69 euros.
– condamner la société Arcole industries à lui payer la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Arcole industries aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 11 octobre 2021, Me [I] en qualité de liquidateur de la société Mory-Ducros demande à la cour de :
A titre principal,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L 1233-4 du code du travail ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé au passif de la société Mory-Ducros au profit de Mme [R] des dommages et intérêts suite à l’annulation de la décision d’homologation du 3 mars 2014 ;
Et statuant à nouveau,
– dire et juger irrecevables toutes demandes de condamnation à l’égard de la société Mory-Ducros ou des organes de la procédure collective ;
– débouter Mme [R] de l’ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
– limiter les fixations à une indemnisation unique de 6 mois soit la somme de 14 934,11 euros;
En tout état de cause,
– débouter Mme [R] de tout cumul entre l’indemnité prévue à l’article L 1233-58 II et toute autre indemnité notamment au titre d’une violation de l’obligation individuelle de reclassement ;
– débouter les appelants de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– statuer ce que de droit sur les dépens ;
– déclarer la décision à intervenir opposable à l’AGS-CGEA.
Par conclusions remises le 1er octobre 2021, l’Unédic délégation AGS CGEA d’Ile-de-France Est demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes au titre du reclassement ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– fixé au passif de la société Mory-Ducros des dommages et intérêts accordés aux salariés suite à l’annulation du PSE du 3 mars 2014 ;
– dit que le jugement lui était opposable ;
– dit que les sociétés Mory-Ducros et Arcole industries avaient la qualité de co-employeur ;
– condamné en conséquence la société Arcole industries au paiement d’une indemnité à l’ensemble des salariés ;
– condamné la société Arcole industries à payer au salarié la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Arcole industries aux entiers dépens.
Et statuant à nouveau,
– dire et juger que la société Arcole industries et Mory-Ducros n’ont pas la qualité de co-employeurs ;
En conséquence,
– débouter le salarié de ses demandes de dommages et intérêts à ce titre ;
– dire et juger que le salarié ne rapporte pas la preuve d’un préjudice consécutif à l’annulation justifiant l’octroi de dommages et intérêts à hauteur de plusieurs années de salaires ;
En conséquence,
– débouter le salarié de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
– limiter le montant des indemnités dues en application de l’article L.1233-58 du code travail à six mois de salaires ;
Sur sa garantie,
– dire et juger que s’il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale ;
– dire et juger qu’en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l’article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens dudit article L.3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts mettant en ‘uvre la responsabilité de droit commun de l’employeur ou article 700 étant ainsi exclus de la garantie ;
– dire et juger qu’en tout état de cause, aux termes des dispositions de l’article L.3253-17 du code du travail, la garantie est nécessairement plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D.3253-5 du code du travail.
La cour a demandé aux parties de présenter en cours de délibéré leurs observations sur le contenu du dispositif des conclusions de Mme [R] qui demande la confirmation du jugement dans son intégralité tout en présentant une demande dont le quantum est supérieur à celui accordé par le conseil de prud’hommes, étant observé qu’il n’y a pas de demande d’infirmation du jugement.
Par note du 16 novembre 2022, la société Mory-Ducros a fait valoir que les conclusions de Me Rilov ne comportant aucune demande d’infirmation, la cour, par l’effet dévolutif de l’appel, n’était saisie que d’une demande de confirmation.
Par note reçue le 18 novembre 2022, Mme [R] a soutenu qu’une erreur de plume s’était glissée dans le dispositif de ses conclusions concernant les différents quanta lesquels, en réalité, au lieu de reprendre les montants mentionnés dans les différents jugements, reprend les montants des demandes initiales.
Il indique qu’il sollicite la confirmation du jugement rendu dans son intégralité.
Par note du 18 novembre 2022, la société Arcole industries a conclu que les conclusions de Me Rilov ne comportant aucune demande d’infirmation de la décision déférée, il ne pouvait en même temps saisir la cour d’une demande de condamnation dont le montant serait supérieur à celui accordé par le conseil de prud’hommes.
Il est renvoyé aux conclusions des parties sur le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS :
A titre liminaire, il convient de constater que Mme [R] sollicite la confirmation du jugement dans son intégralité donc également en ce qu’il a rejeté ses demandes au titre de l’obligation de reclassement.
1/ Sur la demande de dommages-intérêts consécutive à l’annulation du plan de sauvegarde de l’emploi :
Mme [R] soutient que l’annulation du PSE par les juridictions administratives ouvre droit à son profit, en application de l’article L.1233-58 du code du travail, à une indemnité minimale égale à six mois de salaire, que le défaut de mise en ‘uvre des moyens dont disposait la société en termes de reclassement et d’accompagnement lui a causé un lourd préjudice en entraînant une perte de chance de retrouver un emploi, d’obtenir un complément de formation ou encore d’initier une activité propre, que la perte de chance est d’autant plus préjudiciable que les possibilités de trouver un emploi dans une région où il se raréfie sont faibles, que la privation d’emploi est également source d’un préjudice moral et que, si le préjudice peut décroître avec l’ancienneté, la chance de retrouver un emploi décroît avec l’avancement en âge et que tout cela justifie une indemnisation conséquente calculée selon un barème lié à l’ancienneté qu’il expose.
Me [I] ès qualités fait valoir que Mme [R] ne peut cumuler une indemnisation sur le fondement des articles L.1233-4 et L.1233-58 du code du travail, toutefois ce cumul n’est plus sollicité en cause d’appel, le salarié ne présentant qu’une seule demande en paiement à son encontre fondée principalement sur l’article L.1233-58 de sorte que ces développements sont sans objet.
Il allègue encore que l’obligation de reclassement a été parfaitement remplie et que la preuve d’un préjudice n’est pas rapportée, Mme [R] ayant notamment pu bénéficier du PSE qui présentait les garanties requises.
L’AGS, pour s’opposer à cette demande, soutient que les articles L. 1235-10 et L.1235-16 du code du travail ne peuvent être invoqués par Mme [R] en ce qu’ils ne sont pas applicables en cas de liquidation judiciaire et, qu’en tout état de cause le salarié ne rapporte pas la preuve du moindre préjudice.
– Sur le principe de la condamnation :
L’article L. 1235-10 du code du travail dispose effectivement que ses deux premiers alinéas ne sont pas applicables aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaires.
Toutefois, l’article L.1233-58 II du code du travail, spécifiquement applicable en cas de licenciement dans le cadre d’une liquidation judiciaire, essentiellement invoqué par le salarié, dispose « en cas de licenciements intervenus en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation ou en cas d’annulation d’une décision ayant procédé à la validation ou à l’homologation, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. L’article L.1235-16 ne s’applique pas ».
Ainsi, c’est en vain que l’AGS soutient que la demande de Mme [R] est mal fondée.
L’annulation de la décision d’homologation du PSE élaboré par les administrateurs judiciaires par le tribunal administratif confirmée par la cour administrative d’appel puis le Conseil d’Etat ouvre droit à Mme [R] à une indemnité à la charge de la société Mory-Ducros au moins égale à six mois de salaire.
– Sur le montant de l’indemnité :
Selon l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
En application de l’article 954 du même code la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Il résulte de la combinaison de ces articles que la partie qui entend voir infirmer le chef d’un jugement l’ayant déboutée d’une contestation de la réalité d’un acte de procédure, et accueillir cette contestation doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d’appel.
Mme [R], au dispositif de ses conclusions sollicite la confirmation du jugement dans son intégralité donc notamment quant au quantum de la somme allouée de sorte qu’il ne peut demander à la cour de se prononcer différemment.
Mme [R] ne verse aux débats aucune pièce concernant sa situation personnelle postérieure à son licenciement, ni sur la situation du marché de l’emploi dans son secteur d’activité et sa région, néanmoins, il est admis que l’ancienneté du salarié dans l’entreprise est un facteur aggravant à prendre en compte dans l’évaluation du préjudice lié à la perte injustifiée de l’emploi, le barème de l’article L.1235-3 du code du travail étant ainsi, par exemple, fondé sur la durée de présence du salarié licencié dans l’entreprise.
Mme [R] ayant une ancienneté de 163 mois dans la société, l’indemnité qui lui est due, de nature à assurer la réparation intégrale de son préjudice, sera fixée à la somme précisée au dispositif de l’arrêt.
Il est rappelé que le cours des intérêts a été arrêté par l’ouverture de la procédure collective.
2/ Sur le coemploi et la demande dirigée contre la société Arcole industries :
Mme [R], aux termes de longs développements théoriques sur la notion de coemploi et d’une démonstration en fait de quelques lignes, soutient que la société Arcole industries était son coemployeur en ce qu’elle s’immisçait de manière permanente dans la gestion économique et sociale de la société Mory-Ducros, cette immixtion résultant de ce que M. [U], directeur général de la société Arcole industries, et son équipe de quatre personnes ont été amenés à diriger la société moyennant rémunération, que M. [U] a lui-même signé les lettres de sollicitation de postes de reclassement adressées à toutes les sociétés du groupe en exécution de l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur ce qui constitue un aveu de sa qualité d’employeur. Mme [R] en déduit que la société Arcole n’ayant participé ni à l’élaboration ou à la présentation du plan de sauvegarde de l’emploi, ni à l’exécution de l’obligation de reclassement individuel et encore moins à la confection de la lettre de licenciement, son congédiement se trouve privé de cause réelle et sérieuse.
La société Arcole industries conteste avoir pris des décisions caractérisant de sa part une immixtion anormale dans la gestion du groupe Mory-Ducros.
Elle affirme que:
– il n’existe pas de lien de subordination entre Mme [R] et elle-même,
– aucune preuve d’une intervention abusive dans la gestion de Mory-Ducros n’est rapportée,
– ne comptant que cinq salariés elle n’avait pas les moyens de gérer une entreprise de plus de 5 000 collaborateurs qui avait elle-même toutes les ressources humaines nécessaires pour assurer sa gestion et prendre les décisions en matière de formation, mobilité et recrutement.
Elle fait remarquer que 40 conseils de prud’hommes, dont certains en formation de départage, ont débouté des salariés de leur demande au titre du coemploi, ainsi que plusieurs cours d’appel.
De même, Me [I] ès qualités fait valoir que Mme [R] se contente d’affirmer l’existence d’une situation de coemploi sans aucunement étayer ses demandes en fait et en droit.
La cour rappelle que, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée comme un coemployeur du personnel employé par une autre, que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte d’autonomie d’action de cette dernière.
Le seul fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et agissent en étroite collaboration avec la société mère ne suffit pas à caractériser une situation de coemploi.
En l’espèce, Mme [R] ne fait référence dans ses conclusions qu’à une seule pièce qui est le courrier de sollicitation de postes de reclassement, et son dossier à ce sujet, hormis de la jurisprudence, ne contient qu’un seul autre document qui est un tableau, extrait d’un rapport « SECAFI », mentionnant une estimation à 700 le montant facturé par Arcole industries au titre de la mise à disposition de M. [U] et de son équipe à la société Mory-Ducros, en 2013. Outre que l’origine et le rédacteur de ce rapport confidentiel, de même que les éléments sur lesquels il se fonde, ne sont pas connus, ce document, dont l’analyse n’est pas faite par l’appelant, n’est pas la preuve de l’existence d’une immixtion permanente de la société Arcole industries dans la gestion économique et sociale de la société Mory-Ducros.
De même, le seul fait que M. [U] ait pu signer les lettres de demande de poste de reclassement ne suffit pas à établir la qualité de coemployeur de la société Arcole industries.
Au surplus, le coemploi permet aux salariés licenciés pour motif économique qui réclament des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse auprès de leur ancien employeur (société filiale) d’obtenir la condamnation in solidum de la société mère et non pas, en principe, d’obtenir une indemnisation autonome, or, en l’espèce, Mme [R] ne sollicite pas la condamnation in solidum de Mory-Ducros et Arcole industries au paiement de l’indemnité au titre de l’article L.1233-58 mais le paiement d’une autre somme du même montant sans d’ailleurs préciser le moyen de droit sur lequel cette prétention est fondée.
Il convient donc de dire que la situation de coemploi n’est pas établie et de rejeter la demande de ce chef, infirmant en cela le jugement.
Il n’est pas lieu de mettre hors de cause la société, ni de lui dire l’arrêt inopposable dès lors qu’elle est partie à l’instance.
3/ Sur la garantie de l’AGS :
Il est rappelé qu’aux termes des dispositions de l’article L.3253-17 du code du travail, la garantie de l’AGS est nécessairement plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à l’un des trois plafonds définis à l’article D.3253-5 du code du travail.
4/ Sur les demandes accessoires :
Mme [R], qui perd le procès en appel pour l’essentiel, devra en supporter tous les dépens et sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L’équité commande de rejeter la demande présentée par la société Arcole industries sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
infirme le jugement en ce qu’il a condamné la société Arcole industries à payer à Mme [R] la somme de 64 714,52 euros au titre du coemploi et 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,
confirme le jugement sur le surplus des dispositions soumises à la cour,
statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
fixe au passif de la liquidation de la société Mory-Ducros au profit de Mme [R] la somme de 30 000 euros à titre d’indemnité,
rappelle que l’ouverture de la procédure collective a interrompu le cours des intérêts,
déboute Mme [R] de sa demande dirigée contre la société Arcole industries,
rejette toute autre demande,
rappelle que la garantie de l’AGS CGEA Île de France Est est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à l’un des trois plafonds définis à l’article D.3253-5 du code du travail,
condamne Mme [R] aux dépens d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.