Conditions du coemploi : 9 février 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/00827

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Conditions du coemploi : 9 février 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/00827

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 09 FEVRIER 2023

N°2023/

MS

Rôle N° RG 22/00827

N° Portalis DBVB-V-B7G-BIWT5

S.A. LABORATOIRE DES GRANIONS

S.A.S. EQUILIBRE ATTITUDE

S.A.S. SPC

C/

[V] [O]

Copie exécutoire délivrée

le : 09/02/2023

à :

– Me Anne-Laure BÉNET de l’ASSOCIATION BL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

– Me Thomas HOLLANDE, avocat au barreau de PARIS

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CANNES en date du 17 Décembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/00052.

APPELANTES

S.A. LABORATOIRE DES GRANIONS, sise [Adresse 3]

représentée par Me Anne-Laure BÉNET de l’ASSOCIATION BL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. EQUILIBRE ATTITUDE, sise [Adresse 1]

représentée par Me Anne-Laure BÉNET de l’ASSOCIATION BL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. SPC, sise [Adresse 1]

représentée par Me Anne-Laure BÉNET de l’ASSOCIATION BL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Madame [V] [O], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Thomas HOLLANDE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Benjamin DELSAUT, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Décembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre, et Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller.

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 9 Février 2023.

ARRÊT

Contradictoire

Prononcé par mise à disposition au greffe le 9 Février 2023.

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Pascale ROCK, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*-*-*-*-*

FAITS ET PROCÉDURE

Le Laboratoire des Granions appartient au groupe français Cosmo France, dont la SAS Cosmo France préside plusieurs entités du groupe, notamment la SAS Equilibre Attitude et la SAS SPC (ci-après les sociétés Laboratoire des Granions, Equilibre Attitude, SPC).

Mme [V] [O] a été engagée par la SA Laboratoire des Granions, en qualité de délégué médical exclusif, non cadre, à compter du 1er octobre 2001, par contrat à durée indéterminée, moyennant une rémunération brute mensuelle qui était en dernier lieu de 3 874, 10 euros.

Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective nationale de l’industrie pharmaceutique.

Mme [O] a été convoquée le 10 avril 2019 à un entretien préalable fixé le 23 avril 2019, auquel elle s’est présentée, et au cours duquel il lui a été exposé le motifs économiques pouvant conduire à son licenciement et il lui a été remis le formulaire d’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle (CSP).

A cette occasion, il lui a été proposé à titre de reclassement un poste au sein de la SAS Equilibre Attitude, en qualité de formateur/animateur, moyennant une rémunération brute mensuelle de 2 000 euros, outre une partie variable sur objectifs, avec cinq choix d’affectation géographique.

Le 7 mai 2019, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, elle a été licenciée pour motif économique, à titre conservatoire, sous réserve de la rupture d’un commun accord de son contrat, par adhésion au CSP.

Par courrier daté du 12 mai 2019, la salariée a interrogé l’employeur sur les critères d’ordre des licenciements.

Mme [O] n’a pas donné de suite favorable à la proposition de reclassement, la relation contractuelle a été réputée rompue d’un commun accord en date du 15 mai 2019, par adhésion au CSP.

Le 23 mai 2019, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la SA Laboratoire des Granions lui a communiqué les critères d’ordre sollicités.

Le 26 juillet 2019, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, un nouveau poste de reclassement, en qualité de délégué médical sur le secteur Rhône-Alpes a été proposé à Mme [O], auquel elle n’a donné aucune suite.

Le 5 février 2020, Mme [O] ainsi que trois autres salariés de la SA Laboratoire des Granions contestant le bien fondé de leur licenciement, ont saisi le conseil de prud’hommes de Cannes aux fins d’obtenir à titre principal la nullité du licenciement et à titre subsidiaire qu’il soit jugé sans cause réelle et sérieuse.

Mme [O] a sollicité la reconnaissance de la qualité de co employeur de la SA Laboratoire des Granions, de la SAS Equilibre Attitude et de la SAS SPC aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement de diverses indemnités au titre de la rupture du contrat de travail.

A titre subsidaire, elle a sollicité la condamnation de la seule SA Laboratoire des Granions.

A titre infiniment subsidiaire, elle a demandé de dire que l’ordre des licenciements n’a pas été respecté et de condamner la SA Laboratoire des Granions en conséquence.

En tout état de cause, elle a réclamé des dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement rendu le 17 décembre 2021, le conseil de prud’hommes de Cannes a statué que :

– la situation de co emploi entre les sociétés Laboratoires des Granions, la SAS Equilibre Attitude et la SAS SPC est avérée,

– les a condamnées solidairement à verser à Mme [O] une indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 54 937, 40 euros,

– le licenciement pour motif économique n’est pas justifié mais n’est pas nul,

– a débouté Mme [O] de sa demande en paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents,

– a condamné solidairement les sociétés Laboratoire des Granions, la SAS Equilibre Attitude et la SAS SPC à verser à Mme [O] une somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– a débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– et a condamné les sociétés défenderesses aux dépens.

Les sociétés laboratoire des Granions, la SAS Equilibre Attitude et la SAS SPC, ont interjeté appel du jugement dans des formes et des délais qui ne sont pas critiqués.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 24 novembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 novembre 2022, les sociétés appelantes demandent à la cour de:

– ordonner la mise hors de cause de la société SPC,

– ordonner la mise hors de cause de la société Equilibre Attitude,

Infirmer le jugement en ce qu’il a :

– condamné les sociétés Laboratoire des Granions, Equilibre Attitude et SPC à verser à Mme [O] :

– 54 937, 40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

– 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit et jugé que la situation de co-emploi vis-à-vis des sociétés défenderesses est avérée,

– dit et jugé que le licenciement pour motif économique n’est pas justifié mais n’est pas nul,

Confirmer le jugement déféré des autres chefs et en conséquence,

– débouter Mme [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Les sociétés appelantes font valoir :

– que la société SPC ayant été absorbée par la société Equilibre Attitude , elle doit être mise hors de cause,

– que le coemploi n’est pas caractérisé en l’espèce, étant souligné que depuis les arrêts rendus par la Cour de cassation le 25 novembre 2020, son appréciation est restrictive,

– qu’aucun plan de sauvegarde de l’emploi n’était requis moins de dix salariés ayant été licenciés sur une période de 30 jours dans une entreprise de moins de 50 salariés,

– que le licenciement pour motif économique est justifié en raison de la baisse de chiffre d’affaires et de la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, en raison d’un contexte concurrentiel intensifié,

– que le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique est celui de l’entreprise Laboratoire des Granions,

– que les salariés ne démontrent pas en quoi les critères d’ordre des licenciements n’auraient pas été respectés et ne justifient pas du quantum de leurs demandes.

– que les griefs invoqués par la salariée au soutien de sa demande d’exécution déloyale, ne sont pas prouvés,

– que la salariée ne s’explique pas sur le quantum de sa demande.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2022 , Mme [O], intimée, formant appel incident, demande à la cour de:

A titre principal,

– confirmer le jugement en ce qu’il a reconnu la qualité de co-employeur des sociétés,

– l’infirmer en ce qu’il a jugé que le licenciement n’était pas nul.

Statuant à nouveau,

– juger le licenciement nul,

– condamner in solidum les trois sociétés au paiement de la somme de 92 978, 40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Subsidiairement,

– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné in solidum les trois sociétés à lui verser la somme de 54 937, 40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause,

– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.

Statuant à nouveau,

– condamner in solidum les trois sociétés au paiement de la somme de 11 622, 30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et la somme de 1 162, 23 euros au titre des congés payés y afférents.

A titre subsidiaire : en l’absence de reconnaissance de la situation de co-emploi:

– juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société Laboratoire des Granions à lui payer les sommes suivantes :

– 54 237, 40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 11 622, 30 euros à titre d’ indemnité compensatrice de préavis et 1 162, 23 euros de congés payés y afférents.

A titre infiniment subsidiaire :

– juger que l’ordre des licenciements n’a pas été respecté ;

– condamner la société Laboratoire des Granions à lui payerla somme de 54 237, 40 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’ordre des licenciements.

En tout état de cause :

– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [O] en paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

– statuant à nouveau, condamner les sociétés défenderesses à lui verser la somme de 15000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

– confirmer le jugement en ses dispositions relatives à l’application de l’article 700 du code de procédure civile, y ajoutant, condamner les trois sociétés au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,

– mettre les dépens à la charge des sociétés défenderesses.

L’intimée fait valoir que :

A titre principal, les critères du co emploi se trouvent réunis en ce que l’ensemble des sociétés du groupe se présente publiquement sous une même dénomination commerciale, ‘EA pharma’, entretenant la confusion entre les notions de groupe et d’entreprise, qu’il existe des activités similaires ou étroitement complémentaires entre les trois sociétés, une organisation unique de leur activité, ainsi qu’une immixtion permanente dans la gestion économique et sociale de la société Laboratoire des Granions, en raison de l’existence d’une direction commune entre les trois sociétés et de l’intervention des deux autres sociétés dans la conclusion et l’exécution des contrats de travail.

En conséquence de la reconnaissance du co emploi, le licenciement est nul car l’effectif total des trois sociétés est supérieur à 50 salariés et celles-ci ne justifient pas avoir procédé à moins de 10 suppressions d’emploi sur une période de 30 jours.

A titre subsidiaire, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors que la cause économique a été appréciée au niveau du seul périmètre de l’entreprise Laboratoire des Granions et non au niveau du secteur d’activité commun au groupe. En outre, les appelantes ne démontrent pas de menace sur la compétitivité au niveau du secteur d’activité du groupe concerné.

A titre infiniment subsidiaire, l’employeur n’a pas respecté les critères d’ordre des licenciements, en particulier sur le critère des qualifications professionnelles dont les éléments d’appréciation sont opaques et subjectifs.

En tout état de cause, l’employeur a fait preuve d’une exécution déloyale du contrat de travail en ordonnant aux visiteurs médicaux de remettre des échantillons aux professionnels de santé, en violation des dispositions légales et déontologiques.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

La société Laboratoire des Granions, société monégasque immatriculée en Principauté de Monaco le 10 mars 1971, exerce une activité de fabrication, conditionnement, exploitation, distribution, auprès des grossistes et des pharmacies, de toutes spécialités, accessoires et fournitures pharmaceutiques et médicales, de produits cosmétiques, de compléments alimentaires et de tous produits portant la marque des Granions.

La société Equilibre Attitude a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Cannes le 20 juin 2000. Elle exerce à [Localité 5] (06) une activité d’achat et de compléments alimentaires de régime, de produits de nutrition sportive et de compléments alimentaires, distribués dans des commerces indépendants (pharmacies, grandes surfaces). La présentation de ces produits est effectuée, auprès de ces points de vente, par des Attachés commerciaux itinérants, répartis par secteur géographique.secteurs géographiques.

La société SPC a été absorbée, le 29 février 2020, par la société Equilibre Attitude. Celle-ci a pour nom commercial EA Pharma.

Ces trois sociétés appartiennent au groupe détenu par la société Cosmo France. La société Cosmo France en est l’unique représentant légal.

La société Cosmo France est une société par actions simplifiée ayant son siège à [Localité 5]. Son activité principale est l’acquisition, la souscription, détention, gestion et cession sous toute forme de toute part sociale et de toutes valeurs mobilières dans toutes sociétés ou entités juridiques.

1- Sur l’existence d’un coemploi

Pour que soit caractérisée une situation de coemploi il doit être démontré une immixtion permanente dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.

Hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière. (Soc.25 novembre 2020 n°18-13.769).

Il est soutenu qu’il existe une immixtion des sociétés équilibre Attitude et SPC dans la gestion sociale de la société Laboratoires des Granions .

Comme l’a retenu la décision frappée d’appel, la confusion d’activité est manifeste entre les sociétés, la direction elle même se présente comme appartenant au seul et unique laboratoire des Granions (mails, site internet), la confusion d’intérêts est évidente s’agissant de «faire triompher EA Pharma.» l’objectif des sociétés est le même (développer l’oligothérapie pour le compte de EA Pharma), enfin les trois sociétés ont une direction commune qui apparaît sur le trombinoscope, ce qui facilite l’immixtion permanente dans la gestion économique et sociale.

Il résulte des éléments versés aux débats:

– que le nom ‘EA pharma’ est un nom commercial commun aux entités du groupe afin d’assurer une identité visuelle de leurs produits,

– que la société de droit monégasque Laboratoire des Granions commercialise depuis 1970 des oligo-éléments par l’intermédiaire de visiteurs médicaux, tandis que la société Equilibre Attitude, à [Localité 5] distribue depuis 2000 des compléments alimentaires, par l’intermédiaire de délégués pharmaceutiques ou attachés commerciaux; leur activité est donc différente,

-la société Equilibre Attitude n’est pas fabricant et ne commercialise pas d’oligoéléments,

-les compléments alimentaires commercialisés par la société Equilibre Attitude sont fabriqués par des sous-traitants, tandis que le Laboratoire des Granions fabrique lui même les oligo-éléments qu’il commercialise.

Une immixtion permanente de la société Equilibre Attitude dans la gestion de la société Laboratoire des Granions n’est pas démontrée en fait.

La circonstance que le dirigeant de toutes ces sociétés est une seule et même personne physique ne signifie pas pour autant qu’il existe une confusion d’intérêts entre les sociétés soeurs dépassant la nécessaire coordination des actions économiques entre ces sociétés appartenant à un même groupe.

La décision entreprise sera infirmée en ce qu’elle a retenu l’existence d’un coemploi.

2- Sur la mise hors de cause de la société SPC

La société SPC doit être mise hors de cause, eu égard à son absorption, le 29 février 2020, par la société Equilibre Attitude laquelle vient aux droits de ladite société.

3- Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Aux termes de l’article L1222-1 du code du travail le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Il est soutenu que l’employeur, qui le conteste, n’a pas hésité à ordonner à ses délégués médicaux de remettre des échantillons aux professionnels de santé visités, ce qui constitue un ordre illégal et viole les dispositions légales et déontologiques, ces échantillons devant être seulement présentés au client par le délégué médical.

A titre de preuve, sont produites en pièces n° C24 et C25 des photographies des échantillons et des bons de livraison d’échantillons EA Pharma.

La matérialité des faits, c’est à dire la remise d’échantillon par le délégué au client, n’est pas établie à la lecture des pièces produites par Mme [O].

La déloyauté contractuelle de l’employeur n’est en conséquence pas démontrée. Le jugement sera confirmé en ce qu’il déboute Mme [O] de cette demande.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

Mme [O] a été licenciée pour motif économique, à titre conservatoire, sous réserve de la rupture d’un commun accord de son contrat par adhésion au CSP par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 7 mai 2019, ainsi motivée :

‘ Tel que nous vous l’avons exposé lors de l’entretien préalable du 23 avril 2019, les motifs de votre licenciement sont les suivants :

1. Motifs économiques du licenciement envisagé :

Comme vous le savez pour exercer votre activité de déléguée médicale sur le terrain, le marché de l’oligothérapie est de plus en plus concurrentiel. Par ailleurs, les modes de distribution des produits centrés sur l’oligothérapie sont en pleine évolution, ce qui oblige la société à régulièrement repenser sa stratégie en termes de distribution et de développement, et ce afin de rester compétitive.

Pour mémoire, le Laboratoire des Granions développe une double activité :

La conception via son usine de production basée à [Localité 4] de produits santé à base d’oligo- éléments;

La distribution sur le territoire français desdits produits, par te biais de son équipe de délégués médicaux dont vous faites partie, laquelle intervient directement auprès de médecins spécialistes afin d’assurer la promotion des produits de la société.

L’organisation de cette activité de distribution constitue aujourd’hui un frein à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.

En 2016, la société a connu une importante croissance de son chiffre d’affaires à la suite de l’absence momentanée de son principal concurrent sur le marché de l’oligothérapie, lequel a été contraint de cesser la distribution de ses produits pendant un temps donné.

Forte de cette opportunité, et voyant son chiffre d’affaires croître de manière importante, la société a alors souhaité capitaliser sur cette situation et la rendre pérenne dans le temps en procédant courant 2017 au recrutement de 8 délégués médicaux de ladite société concurrente.

Cette mesure n’a toutefois pas eu l’effet escompté. Dès 2017 en effet, la part la plus importante du chiffre d’affaires (portant sur les produits les plus concurrentiels) s’est retrouvée en baisse par rapport à l’année 2016 (5.716.644 € contre 7.209.034 € en 2016), et a continué de décroitre l’année suivante (4,573.262 € en 2018) pour finalement se retrouver à un niveau inférieur à celui de 2015 (4.846.493 €).

Le renforcement de l’équipe de délégués médicaux n’a donc pas même permis de maintenir le chiffre d’affaires existant avant le retrait momentané du marché des produits de la société concurrente.

Face à ce constat d’échec et dans un contexte concurrentiel intensifié, la société est donc contrainte d’envisager une réorganisation afin de sauvegarder sa compétitivité, le renforcement de l’équipe de délégués médicaux ayant augmenté le poids de la masse salariale en parallèle d’une baisse de chiffre d’affaires.

La réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité implique la suppression de huit postes de délégués médicaux, entraînant, par application des critères de choix déterminant l’ordre des licenciements, votre licenciement.

2. Recherche de poste de reclassement

Notre entreprise appartenant à un groupe de sociétés détenues par la société COSMO FRANCE, nous avons examiné les possibilités de reclassement au sein des entreprises du Groupe dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent la permutation du personnel.

Nous avons ainsi identifié cinq postes de Formateur / Animateur au sein de la société Equilibre

Attitude, qui vous ont été proposés le 23 avril, Toutefois, vous avez refusé ces postes de

reclassement.

3. Rupture du contrat de travail et conséquences

Pour mémoire, le 23 avril dernier, nous vous avons proposé un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et vous avons remis tous les documents d’information afférents. Nous vous rappelons que le délai pour accepter le CSP expire le 14 mai prochain au soir. En cas d’acceptation, votre contrat de travail sera alors réputé rompu d’un commun accord ; conformément au dispositif du CSP, nous verserons vos trois mois de préavis au Pôle emploi.

Dans le cas contraire, le présent courrier constituera la notification de votre licenciement pour motif économique et vous cesserez de faire partie de nos effectifs à l’issue du préavis de trois mois courant à la date de première présentation de la présente par les services postaux. Dans ce cas, vous disposerez d’un crédit d’heures pour procéder à une recherche d’emploi de 2 heures par jour, à prendre au cours de votre préavis en accord avec la Direction. (…)’

1- Sur la demande de nullité du licenciement en l’absence de plan de sauvegarde de l’emploi

Le coemploi n’étant pas reconnu par la cour Mme [O] n’est pas fondée à demander la nullité du licenciement au titre de l’absence de PSE, dans la mesure où il n’y a pas eu de licenciement d’au moins 10 salariés sur une période de 30 jours et que l’effectif de la société employeur est inférieur à 50 salariés.

2- Sur le bien-fondé du licenciement

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique est celui de l’entreprise Laboratoire des Granions qui est la seule du groupe à exploiter le secteur de fabrication, conditionnement et distribution des oligoéléments à destination des pharmacies et grandes surfaces.

S’agissant du motif économique, est invoquée la nécessité de réorganiser l’entreprise pour sauvegarder sa compétitivité en présence d’une chute du chiffre d’affaires à compter de 2017, touchant tout le secteur de l’industrie pharmaceutique, avec toutefois une embellie temporaire en 2016, ayant entraîné le recrutement de délégués.

Il est soutenu que, dans ce contexte, il était nécessaire de procéder au licenciement de 8 délégués médicaux désignés par les critères d’ordre et ayant refusé la proposition de reclassement tous éléments qui ont été soumis à l’avis favorable des délégués du personnel.

Il appartient à l’employeur de démontrer la réalité des difficultés économiques ou du risque pesant sur la compétitivité et la nécessité de procéder à une réorganisation de l’entreprise au moment où il licencie.

En l’espèce, il suffit de se référer aux propres pièces des appelantes pour constater que la baisse du chiffre d’affaire alléguée pour réorganiser n’est ni significative ni durable.

Exercice

Chiffre d’affaires total

Chiffre d’affaires France

2015-2016

18.604.057 €

18.900.743 €

2016-2017

23.660.254 €

24.266.673 €

2017-2018

21.267.834 €

21.531.934 €

2018-2019

20.539.840 €

21.066.170 €

2019-2020

20.316.859 €

20.977.339 €

Si effectivement, sur l’exercice 2016-2017, le chiffre d’affaires a connu une hausse significative à la suite de l’absence momentanée du principal concurrent, les exercices postérieurs ont vu se maintenir un chiffre d’affaires toujours supérieur à celui de l’exercice 2015-2016. Alors que licenciement date de 2019, le chiffre d’affaires 2017-2018 et celui de l’exercice 2018-2019 apparaissent constants, en tous cas supérieurs à celui obtenu durant l’exercice 2015-2016. La baisse du chiffre d’affaires invoquée au soutien de la réorganisation de la force de vente, outre qu’elle n’est pas cohérente , n’est pas réelle.

S’agissant de la sauvegarde de la compétitivité, il est constant que la réorganisation de l’entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient. Répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques et leurs conséquences sur l’emploi, sans être subordonnée à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement.

Toutefois, la réorganisation n’est pas un motif valable de licenciement lorsqu’elle est entreprise dans le seul but de privilégier le niveau de rentabilité de l’entreprise au détriment de la stabilité de l’emploi ou de faire l’économie de certains salaires.

En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement le recrutement courant 2017 de 8 délégués médicaux n’a pas eu les effets escomptés, en ce sens que la part la plus importante du chiffre d’affaires s’est retrouvée en baisse par rapport à l’année 2016 et a continué de décroître l’année suivante en 2018 pour se retrouver à un niveau inférieur à celui de 2015. Le poids de la masse salariale en parallèle d’une baisse du chiffre d’affaires aurait rendu nécessaire la suppression de 8 postes de délégués médicaux.

Or, d’une part , l’existence d’une compétitivité menacée face à une concurrence qui serait devenue importante dans le domaine d’activité n’est pas démontrée, aucune pièce n’étant produite en ce sens par les sociétés appelantes .

Surtout, alors que la baisse du chiffre d’affaires n’est pas avérée, il n’est pas d’avantage établi, compte tenu des capacités financières de la société, que le poids de la masse salariale représentée par quelques postes de délégués médicaux, parmi lesquels figure celui de Mme [O], ne pouvait plus être supporté au point qu’une réorganisation était nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de la société.

Par ces motifs, substitués à ceux des premiers juges, la décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle alloue à Mme [O] des dommages-intérêts en réparation du préjudice qui résulte pour elle d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et dont le montant répare intégralement le préjudice qui découle de la perte de son emploi.

3- Sur la demande d’indemnisation au titre du non respect des critères d’ordre du licenciement

La salariée étant indemnisée intégralement de son préjudice, elle ne peut prétendre à des dommages-intérêts pour non respect des critères d’ordre du licenciement lesquels ne sont pas cumulables.

Dès lors, Mme [O] sera déboutée de sa demande.

4- Sur la demande au titre de l’ indemnité compensatrice de préavis

Selon l’article L.1233-67 du code du travail, l’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail, sans préavis, ni indemnité compensatrice de préavis.

Si l’adhésion du salarié à un contrat de sécurisation professionnelle entraîne la rupture du contrat, elle ne le prive pas de la possibilité de contester le motif économique.

Il résulte de cet article qu’en l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n’a pas de cause et l’employeur est alors tenu à l’obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées à ce titre en vertu dudit contrat.

Les sommes versées à Pôle emploi au titre de la participation de l’employeur au financement du contrat de sécurisation professionnelle ne sont donc pas déductibles.

Nonobstant l’adhésion de Mme [O] au contrat de sécurisation professionnelle, le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, la décision entreprise sera infirmée en ce qu’elle la déboute de sa demande et, statuant à nouveau, il sera lui allouée la somme de 11 622, 30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1 162, 23 euros au titre des congés payés y afférents.

Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société Laboratoire des Granions sera condamnée aux entiers dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il déboute Mme [O] de sa demande de nullité du licenciement et lui alloue une somme de 54 937, 40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Le confirme en ce qu’il déboute Mme [O] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

L’infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Met hors de cause la société SPC,

Dit que le coemploi n’est pas caractérisé,

Condamne la société Laboratoire des Granions à payer à Mme [O] :

– 54 937, 40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 11 622, 30 euros à titre d’ indemnité compensatrice de préavis et 1 162, 23 à titre de congés payés y afférents,

Condamne la société Laboratoire des Granions aux dépens de première instance et d’appel,

Y ajoutant,

Déboute Mme [O] de sa demande de dommages-intérêts pour non respect des critères d’ordre du licenciement,

Condamne la société Laboratoire des Granions à payer à Mme [O] une somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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