COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 09 MARS 2023
N° RG 22/03304 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MZGX
[F] [K]
c/
[I] [L]
[A] [L]
[S] [L]
[J] [L]
S.C.I. LA CHAPELLE DU [Adresse 17]
S.C.P. CBF ASSOCIES
Nature de la décision : APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le : 09 MARS 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 27 juin 2022 par le Président du Tribunal judiciaire de BORDEAUX (RG : 22/00207) suivant déclaration d’appel du 11 juillet 2022
APPELANTE :
[F] [K]
née le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 15]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 8]
Représentée par Me Yves MOUNIER, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ S :
[I] [L]
né le [Date naissance 6] 1952 à [Localité 14]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 9] / FRANCE
Représenté par Me Eric VISSERON de la SELARL VISSERON, avocat au barreau de BORDEAUX
[A] [L]
née le [Date naissance 5] 1989 à [Localité 19]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 8]
[S] [L]
né le [Date naissance 5] 1989 à [Localité 19]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 10]
[J] [L]
née le [Date naissance 7] 1991 à [Localité 19]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4]
Représentés par Me Delphine THIERY, avocat au barreau de BORDEAUX
S.C.I. LA CHAPELLE DU [Adresse 17] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social[Adresse 1]
Représentée par Me Olivier BOURU, avocat au barreau de BORDEAUX
SCP CBF ASSOCIES représentée par ses représentants légaux en exercice, prise en son établissement secondaire sis [Adresse 11], prise en la personne de Maître [M] [H], ès-qualités de Commissaire à l’exécution du plan de la SCI dénommée ‘SCI LA CHAPELLE DU [Adresse 17]’, y domicilié ès-qualités, nommé à ces fonctions par jugement du Tribunal de Judiciaire de Bordeaux du 31/01/2020 [Adresse 2]
Non représentée, assignée à personne morale ( personne habilitée)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Séléna BONNET
ARRÊT :
– réputé contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La SCI la Chapelle du [Adresse 17] a été constituée le 1er octobre 1999 entre les époux [L]-[K] et leurs trois enfants, avec pour objet social l’acquisition et la gestion du logement familial situé [Adresse 16] à [Localité 13].
Le capital a été réparti entre M. [L] à hauteur de 24 990 parts, Mme [K] à hauteur de 7 parts, et chacun des enfants à hauteur d’une part.
Par jugement du 7 septembre 2012, le tribunal de grande instance d’Agen a prononcé le divorce des époux [L].
La SCI La Chapelle du [Adresse 17] a fait l’objet, par décision du 16 octobre 2015, d’une procédure de redressement judiciaire et de la désignation, le 24 juin 2016, de Maître [H] en qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SCI.
Le 10 novembre 2017, l’immeuble sis [Adresse 16] à [Localité 13] a été vendu, selon acte dressé par Maître [B], notaire à [Localité 12], moyennant le prix de 800.000 euros net vendeur.
Par ordonnance du 14 novembre 2017, Mme [K] a été autorisée à pratiquer une saisie conservatoire en garantie et sûreté de la somme de 621.320,50 euros entre les mains de Maître [T], notaire à [Localité 18], afin d’éviter toute distraction des fonds, produit de la vente de l’immeuble, par M. [L] en sa qualité de gérant majoritaire de la SCI.
Un plan de redressement de la SCI a été arrêté par jugement du 31 janvier 2020 du tribunal judiciaire de Bordeaux.
Souhaitant garantir ses droits sur les parts de la SCI la Chapelle du [Adresse 17], et craignant que son ex-époux agisse à l’encontre de l’intérêt social de la SCI, Mme [K] a assigné par actes des 11, 15 et 18 février 2022, la SCI la Chapelle du [Adresse 17], M. [I] [L], Mme [A] [L], M. [S] [L], Mme [J] [L] et la société CBF associés, prise en la personne de Maître [H], ès qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SCI, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins notamment de voir nommer un administrateur provisoire avec pour mission de vérifier que les opérations passées depuis 2017 l’ont été dans l’intérêt de la société et de nommer un mandataire afin de représenter les parts sociales de M. [L] à l’occasion des décisions collectives de la société.
Par ordonnance du 27 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– débouté Mme [K] de l’intégralité de ses demandes,
– condamné Mme [K] à verser à M. [L] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [K] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge des référés, constatant que Mme [K] ne sollicitait pas la désignation d’un administrateur pour liquider la SCI, a estimé que le fonctionnement de celle-ci, qui était au stade de sa dissolution anticipée, ne nécessitait pas la désignation d’un administrateur provisoire. En outre, considérant qu’il n’existait pas d’indivision sur les parts sociales, il a conclu qu’il n’y avait pas lieu de désigner un mandataire pour exercer les droits sociaux au sein de l’entreprise.
Mme [K] a relevé appel de l’ordonnance par déclaration du 11 juillet 2022.
Par conclusions déposées le 11 janvier 2023, Mme [K] demande à la cour de :
– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé rendue le 27 juin 2022 par le président du tribunal judiciaire de Bordeaux,
et, statuant à nouveau,
– nommer Maître [V] [G] en qualité d’administrateur provisoire de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17], ou tout autre administrateur provisoire de son choix, avec pour mission d’organiser la liquidation amiable de ladite société, de vérifier que les opérations d’actif et de passif passées depuis 2017 l’ont été dans l’intérêt de la société, et consigner le prix de cession de l’immeuble jusqu’à la liquidation du régime matrimonial de M. [L] et Mme [K],
En conséquence,
– ordonner que les fonds provenant du prix résultant de la cession de l’immeuble soient remis à Maître [V] [G] en qualité d’administrateur provisoire de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17] et que Maître [G] ès-qualités consigne le prix résultant de la cession de l’immeuble dans l’attente de la clôture des opérations de liquidation du régime matrimonial de M. [L] et Mme [K], afin de permettre une répartition juste et équitable entre ces derniers,
– débouter la SCI la Chapelle du [Adresse 17] et M. [L] de l’ensemble de leurs demandes et prétentions,
En tout état de cause,
– condamner M. [L] à payer la somme de 3 000 euros à Mme [K] au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 21 octobre 2022, Mme [A] [L], M. [S] [L], et Mme [J] [L] demandent à la cour de :
– déclarer recevables Mme [A] [L], M. [S] [L] et Mme [J] [L] en leur appel incident,
– infirmer l’ordonnance de référé du 27 juin 2022,
– ordonner la désignation d’un administrateur provisoire de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17] en la personne de Maître [V] [G] en qualité d’administrateur provisoire de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17], ou tout administrateur provisoire de son choix, avec pour mission d’organiser la liquidation amiable de ladite société, de vérifier que les opérations d’actif et de passif passées depuis 2017 l’ont été dans l’intérêt de la société, et consigner le prix de cession de l’immeuble jusqu’à la liquidation du régime matrimonial de M. [L] et Mme [K],
– ordonner que les fonds provenant du prix résultant de la cession de l’immeuble soient remis à Maître [V] [G] en qualité d’administrateur provisoire de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17] et que Maître [G] ès-qualités consigne le prix résultant de la cession de l’immeuble dans l’attente de la clôture des opérations de liquidation du régime matrimonial de M. [L] et Mme [K], afin de permettre une répartition juste et équitable entre les associés,
– condamner M. [I] [L] à payer à Mme [A] [L], M. [S] [L], Mme [J] [L] une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Par conclusions déposées le 28 octobre 2022, M. [I] [L] demande à la cour de :
– déclarer Mme [K] mal fondée en son appel,
– déclarer Mme [A] [L], M. [S] [L], et Mme [J] [L] mal fondés en leur appel incident,
– ordonner la désignation d’un administrateur provisoire de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17] en la personne de Maître [M] [H] afin de procéder aux opérations de liquidation amiable,
– ordonner en conséquence la remise des fonds provenant du prix résultant de la cession de l’immeuble à Maître [M] [H] ès qualité pour les besoins de la liquidation et jusqu’à la clôture des opérations liquidatives de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17],
– ordonner la remise du solde des fonds après clôture des opérations liquidatives de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17] à Maître [U] [R], notaire liquidateur désigné par le juge aux affaires familiales, afin qu’il soit procédé aux comptes entre les époux et à la liquidation du régime matrimonial,
– confirmer pour le surplus l’ordonnance de référé du 27 juin 2002,
– débouter Mme [K], Mme [A] [L], M. [S] [L] et Mme [J] [L] de l’ensemble de leurs chefs de demande plus amples ou contraires,
– condamner Mme [K] à verser à M. [I] [L] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens.
Par conclusions déposées le 27 octobre 2022, la SCI La Chapelle du [Adresse 17] demande à la cour de :
– déclarer recevable mais mal fondée Mme [K],
– confirmer purement et simplement l’ordonnance rendue le 27 juin 2022,
– constater une contestation sérieuse dans les demandes de Mme [K],
– constater que le prix de cession de l’immeuble est consigné chez le notaire chargé de la liquidation du régime matrimonial du fait de la saisie conservatoire de Mme [K],
– débouter Mme [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et la condamner au paiement d’une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société SCP CBF Associés, ès qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SCI La Chapelle du [Adresse 17], n’a pas constitué avocat. La déclaration d’appel et les conclusions des parties lui ont été régulièrement signifiées.
L’affaire a été fixée à l’audience du 26 janvier 2023, avec clôture de la procédure à la date du 12 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour constate qu’il n’est plus sollicité en appel la désignation d’un mandataire ‘pour représenter les parts sociales’.
Sur la désignation d’un administrateur provisoire
Aux termes de l’article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
En vertu des dispositions de l’article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L’article 1833 du code civil dispose : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés.
La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »
La désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d’un péril imminent.
Si la mésentente entre associés peut suffire à justifier la désignation d’un mandataire ad’hoc dont la mission consiste à effectuer une opération ponctuelle et limitée dans le temps, il n’en est pas de même de la désignation d’un administrateur provisoire, investi d’un mandat judiciaire général d’administration courante, impliquant une substitution des dirigeants.
En l’espèce, tant Mme [K], Mme [A] [L], M. [S] [L], Mme [J] [L] que M. [I] [L] sollicitent devant la cour la désignation d’un administrateur provisoire ayant notamment pour mission d’organiser la liquidation amiable de la SCI et de consigner le prix de cession de l’immeuble jusqu’à la liquidation du régime matrimonial des ex-époux, les parties admettant qu’une telle désignation est nécessaire en l’état de la situation de blocage caractérisée par le fait, d’une part, que la liquidation amiable de la société n’a pu aboutir à ce jour puisque, si le bien immobilier a été vendu 800.000 euros, soit une somme largement supérieur au passif exigible, cette somme a été bloquée à hauteur de plus de 600.000 euros par une saisie conservatoire effectuée par Mme [K] et, d’autre part, que la liquidation du régime matrimonial des ex-époux est également bloquée par cette saisie conservatoire puisqu’elle empêche la SCI d’apurer son passif, de liquider les droits de ses associés et de clôturer ses opérations de liquidation.
L’ordonnance sera donc infirmée en ce qu’elle a débouté Mme [K] de sa demande de désignation d’un administrateur provisoire de la SCI La Chapelle du [Adresse 17].
Maître [M] [H] sera par conséquent désigné en qualité d’administrateur provisoire afin de procéder aux opérations de liquidation amiable. Il sera ordonné la remise des fonds provenant du prix résultant de la cession de l’immeuble sis [Adresse 16] à [Localité 13], à Maître [M] [H] ès qualités, pour les besoins de la liquidation et jusqu’à la clôture des opérations liquidatives de la SCI La Chapelle du [Adresse 17]. Enfin, il sera ordonné la remise des fonds, après clôture des opérations liquidatives de la SCI, à Maître [R] [U], notaire liquidateur désigné par le juge aux affaires familiales, afin qu’il soit procédé à la liquidation du régime matrimonial de Mme [K] et de M. [L].
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il y a lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. En l’espèce, chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. En l’espèce, il n’y a pas lieu à condamnation sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme partiellement l’ordonnance déférée en ce qu’elle a débouté Mme [K] de sa demande tendant à la désignation d’un administrateur provisoire et l’a condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 1000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant de nouveau dans cette limite,
Désigne Maître [M] [H] en qualité d’administrateur provisoire de la SCI La Chapelle du [Adresse 17] avec pour mission de procéder aux opérations de liquidation amiable de ladite SCI,
Ordonne la remise des fonds provenant du prix résultant de la cession de l’immeuble sis [Adresse 16] à [Localité 13] à Maître [M] [H] ès qualité d’administrateur provisoire de la SCI La Chapelle du [Adresse 17], pour les besoins de la liquidation et jusqu’à la clôture des opérations liquidatives de la SCI,
Ordonne la remise du solde des fonds après clôture des opérations liquidatives de la société SCI la Chapelle du [Adresse 17] à Maître [U] [R], notaire liquidateur désigné par le juge aux affaires familiales, afin qu’il soit procédé aux comptes entre les époux et à la liquidation du régime matrimonial,
Confirme l’ordonnance dans ses autres dispositions non contraires,
Dit n’y avoir lieu à indemnités au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,