RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /23 DU 23 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/00416 – N° Portalis DBVR-V-B7G-E5U6
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire d’EPINAL, R.G. n° 18/01790, en date du 30 novembre 2021,
APPELANTES :
La CAISSE DE CREDIT MUTUEL PORTE DES VOSGES (anciennement dénommée ‘ RAON L’ETAPE’, cf annexe n°25),
société coopérative de crédit à capital variable età responsabilité statutairement limitée avec siège social situé [Adresse 2], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de SAINT DIE sous le numéro 95 D 22, prise en la personne de son président du conseil d’administration.
Représentée par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY
LaCAISSE FEDERALE DE CREDIT MUTUEL,
société anonyme à statut de société coopérative de banque, au capital de 2 084 960 080 €, avec siège social situé [Adresse 1], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de STRASBOURG sous le numéro B 588 505 354, prise en la personne de ses dirigeants légaux.
Représentée par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
La COMMUNE DE [Localité 4],
sise [Adresse 3]) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Gérard WELZER de la SELARL WELZER, avocat au barreau d’EPINAL
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 23 février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Francis MARTIN, président et Madame Fabienne GIRARDOT, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère
Madame Marie HIRIBARREN, conseillère, désignée par ordonnance de Monsieur le premier président de la cour d’appel de NANCY en date du 02 février 2023, en remplacement de Madame Nathalie ABEL, conseillère, régulièrement empêchée
Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET .
A l’issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 23 Mars 2023, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 23 Mars 2023, par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
Par actes sous seings privés des 7 novembre 2006 et 8 juillet 2008, la Caisse de Crédit Mutuel de Raon l’Etape, aux droits de laquelle vient la Caisse de Crédit Mutuel Porte Vosges (ci -après la CCM), a consenti à la commune de [Localité 4] (ci-après la commune) deux prêts (n°00020073502 et n°00020073503 ) d’un montant de 250 000 euros chacun, remboursables sur 20 ans aux taux fixes respectifs de 3,98% et 4,95%.
Par acte sous seing privé en date du 21 janvier 2013, la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel (ci-après la CFCM) a consenti à la commune de [Localité 4] un prêt n°00020025803 d’un montant de 100 000 euros remboursable sur 15 ans au taux fixe de 4,60%.
Par courrier du 18 janvier 2017, les prêteurs ont indiqué à la commune que les prêts à taux fixes n’étaient pas réaménageables, suite à sa demande du 4 janvier 2017, et la CCM a communiqué à la commune, par courrier du 24 juillet 2017 faisant suite à une demande de la commune du 20 juillet 2017, le montant actualisé des indemnités contractuelles de remboursement anticipé à hauteur de 18 325,95 euros (n°00020073502) et 40 012,53 euros (n°00020073503).
Par courrier du 2 mars 2018, faisant suite à la demande de la commune du 15 février 2018, les prêteurs ont actualisé le montant des indemnités à hauteur de 15 728,18 euros (n°00020073502), 35 503 euros (n°00020073503) et 19 227,57 euros (n°00020025803).
Par courrier du 29 mars 2018, la commune a fait état de la baisse des dotations de l’Etat au profit des collectivités territoriales à l’origine d’un risque pour l’équilibre de ses comptes publics, justifiant la mise en oeuvre de la ‘théorie de l’imprévision’, ainsi que du caractère abusif des indemnités de remboursement anticipé, puis a indiqué à la CCM qu’à défaut de réponse sous huit jours, les contrats de prêt seraient résolus aux torts exclusifs des prêteurs.
Par courriers recommandés du 11 avril 2018, la commune a pris acte de la rupture des contrats de prêt signés auprès de la CCM à ses torts exclusifs, et a cessé de payer les échéances à la CCM à compter du 31 mars 2018 et à la CFCM à compter du 30 avril 2018.
Dans un avis du 7 avril 2020, la chambre régionale des comptes a dit que les dépenses résultant des échéances impayées du 31 mars 2018 au 31 décembre 2019 pour les prêts souscrits auprès de la CCM, ainsi que la dépense résultant des échéances impayées du 30 avril 2018 au 31 décembre 2019 pour le prêt souscrit auprès de la CFCM, revêtent un caractère obligatoire pour la commune de [Localité 4].
Par arrêté préfectoral du 9 décembre 2020, modifié par l’arrêté du 18 janvier 2021, le Préfet des Vosges a ordonné le ‘ mandatement d’office de la somme de 88 372,66 euros sur le budget de la ville de [Localité 4], représentant les annuités de mars 2018 à décembre 2019 des prêts n°00020073502 et 00020073503 souscrits auprès de la CCM et du prêt n°00020025803 souscrit auprès de la CFCM, ainsi que les intérêts de retard afférents au 13 janvier 2020 ‘.
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Par acte d’huissier en date du 13 août 2018, la CCM et la CFCM ont fait assigner la commune devant le tribunal de grande instance d’Epinal afin de la voir condamnée au remboursement des prêts consentis.
Le juge de la mise en état a ordonné une médiation entre les parties le 5 décembre 2018, et le médiateur a dressé un procès-verbal d’échec le 3 octobre 2019.
La CCM et la CFCM ont demandé au tribunal de constater qu’à défaut d’acquiescement de la commune aux sommations adressées pour avoir paiement des sommes dues dans les huit jours du dépôt des dernières écritures enregistrées le 18 novembre 2020, la volonté de résiliation unilatérale de la commune était acquise à l’échéance des prêts du 30 novembre 2020 pour la CCM et du 31 janvier 2021 pour la CFCM, et de dire que cette résiliation s’analysait en une demande de remboursement anticipé des prêts évalués à 144 602,15 euros (n° 00020073502), 230 867,93 euros (n° 00020073503) et 103 924,71 euros (n° 00020025803). Subsidiairement, elles ont demandé de juger que le comportement de la commune s’analysait comme une fraude permettant d’échapper à ses obligations contractuelles.
Les demanderesses ont fait valoir que les contrats d’emprunt n’étaient pas des actes administratifs, et que la baisse alléguée des dotations survenue postérieurement aux contrats de prêt n’avait pas pour conséquence que les prêts soient dépourvus de cause à leur date conclusion, ajoutant que la théorie de l’imprévision était sans effet sur la force obligatoire des contrats, les dispositions nouvelles de l’article 1195 du code civil, modifié par ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, n’étant pas applicables. Les prêteurs ont soutenu que les taux d’intérêt n’incluaient pas l’indemnité de remboursement anticipé et n’étaient pas usuraires. Ils se sont prévalus de la rupture abusive des contrats de prêt.
La commune a soutenu que la résiliation unilatérale des prêts consentis était régulière et bien fondée au regard de la faute commise par la banque de nature à engager sa responsabilité contractuelle. Elle s’est reconnue redevable du capital restant dû des prêts consentis (109 374,55 euros, 159 230,42 euros et 73 937,11 euros) outre des indemnités légales (984,37 euros, 1 433,07 euros et 665,43 euros), et a sollicité des dommages et intérêts.
La commune a fait état de la baisse imprévisible des dotations de l’Etat de près de 20% en dix ans, ayant pour effet de déséquilibrer l’économie générale du contrat et de rendre l’obligation de remboursement sans cause justifiant la caducité des prêts. Elle a indiqué que la partie se trouvant ainsi dans une situation trop avantageuse devait accepter la renégociation sollicitée, de sorte que la résolution a été effectuée suite au refus abusif de la banque. Elle a fait valoir que seul le taux légal de 0,90% devait être appliqué dans la mesure où les indemnités sollicitées étaient supérieures à l’application du taux légal de 2,23% au 2ème trimestre 2018, et qu’elle avait subi un préjudice résultant du refus de renégociation des prêts et de l’application d’un taux usuraire.
Par jugement en date du 30 novembre 2021, le tribunal judiciaire d’Epinal :
– s’est déclaré compétent pour connaître du présent litige,
– a dit que la résiliation unilatérale des contrats de prêt par la commune de [Localité 4] n’est pas fondée, comme non justifiée par des manquements contractuels de ses cocontractants, la société Caisse de Crédit Mutuel Porte des Vosges et la société Caisse Fédérale de Crédit Mutuel,
– a condamné la commune de [Localité 4] à payer à la société Caisse de Crédit Mutuel Porte des Vosges la somme de 120 422,45 euros au titre du crédit en date du 7 novembre 2006 d’un montant de 250 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020, et ce avec intérêts au taux légal,
– a condamné la commune de [Localité 4] à payer à la société Caisse de Crédit Mutuel Porte des Vosges la somme de 185 046,83 euros au titre du crédit en date du 8 juillet 2008 d’un montant de 250 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020, et ce avec intérêts au taux légal,
– a condamné la commune de [Localité 4] à payer à la société Caisse Fédéréale de Crédit Mutuel la somme de 84 921,59 euros au titre du crédit en date du 21 janvier 2013 d’un montant de 100 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020, et ce avec intérêts au taux légal,
– a débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– a dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,
– a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– a condamné la commune de [Localité 4] aux dépens.
Le tribunal a jugé que les contrats de prêt s’analysaient en des contrats de droit privé en l’absence de clause exorbitante de droit commun et ayant pour objet la gestion privée de l’administration (travaux, acquisition et investissements). Il a retenu qu’aucun défaut de cause des contrats à leur date de conclusion n’était démontré compte de la baisse alléguée des dotations de l’Etat depuis 2013. Il a jugé que la rupture unilatérale des contrats par la commune ne reposait sur aucune faute imputable aux prêteurs dans le refus de renégociation des prêts consentis à taux fixes, ni sur l’application légale d’une indemnité de remboursement anticipé, conséquence contractuelle de la résiliation du contrat (relevant que le taux usuraire s’apprécie par rapport au TEG qui n’intègre pas cette indemnité et que la comparaison devait s’effectuer avec le taux de l’usure en vigueur au jour des contrats), ni sur un défaut d’information suffisante concernant le montant de cette indemnité au regard des contrats de prêt et des courriers de la commune sollicitant à trois reprises le montant de celles-ci. Il a fixé à la somme d’un euro le préjudice des prêteurs en l’absence de clause pénale.
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Le 18 février 2022, la CCM et la CFCM ont formé appel du jugement tendant à son infirmation en ses dispositions ayant condamné la commune de [Localité 4] en paiement et les ayant déboutées pour le surplus de leurs demandes, comprenant l’indemnité au titre des frais irrépétibles.
Dans leurs dernières conclusions transmises le 10 janvier 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la CCM et la CFCM, appelantes, demandent à la cour sur le fondement des articles 1134 et 1147 anciens du code civil :
– d’infirmer le jugement rendu le 30 novembre 2021 par le tribunal judiciaire d’Epinal en ce qu’il a :
* condamné la commune de [Localité 4] à payer à la société CCM la somme de 120 4222,45 euros au titre du crédit en date du 7 novembre 2006 d’un montant de 250 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020 et ce avec intérêts au taux légal,
* condamné la commune de [Localité 4] à payer à la société CCM la somme de 185 046,83 euros au titre du crédit en date du 8 juillet 2008 d’un montant de 250 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020 et ce avec intérêts au taux légal,
* condamné la commune de [Localité 4] à payer à la société CFCM la somme de 84 921,59 euros au titre du crédit en date du 21 janvier 2013 d’un montant de 100 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020 et ce avec intérêts au taux légal,
* débouté les parties du surplus de leurs demandes,
* dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– de confirmer le jugement entrepris du 30 novembre 2021 pour le surplus,
Statuant à nouveau,
– de juger que la commune de [Localité 4] a résilié les contrats de prêts n° 06730 00020073502 et n° 06730 00020073503 accordés par la CCM et le contrat n° 00160 00020025803 accordé par la CFCM,
– de juger que la résiliation des contrats s’analyse en une demande de remboursement anticipée du contrat de prêt,
– de juger que la résiliation est acquise au 30 novembre 2020 pour les prêts n° 06730 00020073502 et n° 06730 00020073503 accordés par la CCM et au 31 janvier 2021 pour le prêt n° 00160 00020025803 accordé par la CFCM,
– de juger que le comportement de la commune de [Localité 4] s’analyse comme une fraude dans le seul but d’échapper à ses obligations contractuelles,
En conséquence,
Pour le prêt référencé n°06730 00020073502 :
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au paiement des échéances en retard augmentées des intérêts conventionnels majorés de 3 points, soit à 6,98%, courant pour chaque échéance impayée, selon décompte arrêté provisoirement au 13 novembre 2020, soit la somme totale de 47 560,85 euros,
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au remboursement des sommes restant dues au titre du prêt référencé n°06730 00020073502, selon tableau d’amortissement soit la somme de 77 082,78 euros hors échéances impayées,
– de condamner la commune de [Localité 4] au paiement de l’indemnité de remboursement anticipé, soit la somme de 19 958,52 euros,
Soit un montant total de 144 602,15 euros, outre les intérêts au taux de 6,98% à échoir jusqu’au jour du règlement,
Pour le prêt référencé n°06730 00020073503 :
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au paiement des échéances en retard augmentées des intérêts conventionnels majorés de 3 points, soit à 7,95%, courant pour chaque échéance impayée, selon décompte arrêté provisoirement au 13 novembre 2020, soit la somme totale de 58 355,76 euros,
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au remboursement des sommes restant dues au titre du prêt référencé n°06730 00020073503, selon tableau d’amortissement soit la somme de 126 690,07 euros hors échéances impayées,
– de condamner la commune de [Localité 4] au paiement de l’indemnité de remboursement anticipé, soit la somme de 45 822,10 euros,
Soit un montant total de 230 867,93 euros, outre les intérêts au taux de 7,95% à échoir jusqu’au jour du règlement,
Pour le prêt référencé n°00160 00020025803 :
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au paiement des échéances en retard augmentées des intérêts conventionnels majorés de 3 points, soit à 7,60%, courant pour chaque échéance impayée, selon décompte arrêté provisoirement au 13 novembre 2020, soit la somme totale de 28 070,70 euros,
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au remboursement des sommes restant dues au titre du prêt référencé n°00160 00020025803, selon tableau d’amortissement soit la somme de 56 848,89 euros hors échéances impayées,
– de condamner la commune de [Localité 4] au paiement de l’indemnité de remboursement anticipé, soit la somme de 19 005,12 euros,
Soit un montant total de 103 924,71 euros, outre les intérêts au taux de 7,60% à échoir jusqu’au jour du règlement,
– de juger que les sommes dues porteront intérêts au taux légal,
A titre subsidiaire,
– de juger que la résiliation des contrats de prêt s’effectue aux torts exclusifs de la commune de [Localité 4],
– de juger que la CCM et la CFCM subissent un préjudice du fait de la résiliation des contrats de prêt,
En conséquence,
Pour le prêt référencé n° 00020073502 :
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au paiement des échéances en retard augmentées des intérêts conventionnels majorés de 3 points, soit à 6,98%, courant pour chaque échéance impayée, selon décompte arrêté provisoirement au 13 novembre 2020, soit la somme totale de 47 560,85 euros,
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au remboursement des sommes restant dues au titre du prêt référencé n° 06730 00020073502, selon tableau d’amortissement soit la somme de 77 082,78 euros hors échéances impayées,
– de condamner la commune de [Localité 4] au paiement de la somme de 19 958,52 euros, correspondant au montant de l’indemnité de remboursement anticipé, à titre de réparation du préjudice subi par la banque du fait de la résiliation du contrat,
Soit un montant total de 144 602,15 euros, outre les intérêts au taux de 6,98% à échoir jusqu’au jour du règlement,
Pour le prêt référencé n°00020073503 :
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au paiement des échéances en retard augmentées des intérêts conventionnels majorés de 3 points, soit à 7,95%, courant pour chaque échéance impayée, selon décompte arrêté provisoirement au 13 novembre 2020, soit la somme totale de 58 355,76 euros,
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au remboursement des sommes restant dues au titre du prêt référencé n° 06730 00020073503, selon tableau d’amortissement soit la somme de 126 690,07 euros hors échéances impayées,
– de condamner la commune de [Localité 4] au paiement de la somme de 45 822,10 euros, correspondant au montant de l’indemnité de remboursement anticipé, à titre de réparation du préjudice subi par la banque du fait de la résiliation du contrat,
Soit un montant total de 230 867,93 euros, outre les intérêts au taux de 7,95% à échoir jusqu’au jour du règlement,
Pour le prêt référencé n°00020025803 :
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au paiement des échéances en retard augmentées des intérêts conventionnels majorés de 3 points, soit à 7,60%, courant pour chaque échéance impayée, selon décompte arrêté provisoirement au 13 novembre 2020, soit la somme totale de 28 070,70 euros,
– de condamner la commune de [Localité 4] à procéder au remboursement des sommes restant dues au titre du prêt référencé n°00160 00020025803, selon tableau d’amortissement soit la somme de 56 848,89 euros hors échéances impayées,
– de condamner la commune de [Localité 4] au paiement de la somme de 19 005,12 euros, correspondant au montant de l’indemnité de remboursement anticipé, à titre de réparation du préjudice subi par la banque du fait de la résiliation du contrat,
Soit un montant total de 103 924,71 euros, outre les intérêts au taux de 7,60% à échoir jusqu’au jour du règlement,
– de juger que les sommes dues porteront intérêts au taux légal,
En tout état de cause,
– de rejeter l’appel incident de la commune de [Localité 4],
– de rejeter en conséquence l’intégralité des demandes formulées par la commune de [Localité 4], – de condamner la commune de [Localité 4] à payer à chacune des banques la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de la présente procédure d’appel,
– de condamner la commune de [Localité 4] à payer à chacune des banques la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance,
– de condamner la commune de [Localité 4] aux entiers frais et dépens,
– de confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions.
Au soutien de leurs demandes, la CCM et la CFCM font valoir en substance :
– qu’elles n’ont commis aucune faute susceptible de justifier la résiliation unilatérale des contrats de prêt par la commune, dont il résulte l’exigibilité des prêts ; que la résiliation doit être qualifiée de demande de remboursement anticipée des contrats de prêt ; que le tribunal judiciaire d’Epinal ne pouvait modifier les termes du litige en considérant que les demandes de la banque s’analysaient comme la mise en ‘uvre de l’exigibilité anticipé des contrats de prêts alors que la commune de [Localité 4] indiquait elle-même dans ses écritures qu’elle se prévalait de la possibilité de procéder au remboursement anticipé des prêts ; qu’à titre superfétatoire, cette rupture unilatérale des contrats par la commune de [Localité 4] s’analyse comme un abus de droit qui a pour seul finalité de rompre l’équilibre économique du contrat ;
– qu’en application des dispositions contractuelles, la commune doit procéder au remboursement des sommes dues au titre du contrat de prêt à la date de la résiliation, soit le 30 novembre 2020 pour les prêts accordés par la CCM et le 31 janvier 2021 pour celui accordé par la CFCM ;
– que subsidiairement, si l’exigibilité anticipé des prêts résultait du défaut de paiement, leur préjudice ne peut être fixé à un euro, compte tenu de la nécessité d’emprunter des fonds à taux fixe en vue d’octroyer ces concours ; que l’indemnité de remboursement anticipé a justement pour vocation d’indemniser la banque du préjudice qu’elle subit du fait du remboursement anticipé du contrat de prêt ;
– que les demandes de ‘dire et juger’ de la commune ne constituent pas des prétentions ; que l’existence de la cause et de l’objet du contrat s’apprécient au moment de sa conclusion, de sorte que la baisse des dotations plusieurs années après les contrats n’a pas pour effet la disparition de leur cause, à savoir la remise des fonds ; que la jurisprudence a toujours fermement rejeté la ‘ théorie de l’imprévision ‘ et que l’exécution des contrats de bonne foi nécessite de démontrer un bouleversement de l’économie du contrat, puis après codification de cette théorie, l’existence d’un changement de circonstance imprévisible ainsi que d’une exécution rendue excessivement onéreuse, non justifiés en l’espèce, précisant que l’article 1195 du code civil ressortant de l’ordonnance du 1er février 2016 n’est pas applicable en la cause ; que les prêts d’un montant de 600 000 euros ayant pour but de financer des travaux et des investissements représentent une charge de 41 479,92 euros par an alors que les dotations auraient connu une baisse de 19,1% entre 2013 et 2018, soit de 914 000 euros à 739 000 euros ; que la notion de taux d’usure se réfère directement à la notion de taux effectif global, qui ne comprend pas les sommes dues en cas de remboursement ancitipé du prêt, de sorte que la commune ne peut pas soutenir qu’en raison de l’indemnité de résiliation anticipée pratiquée le taux d’intérêts serait usuraire, alors même que cette indemnité n’est pas prise en compte afin de déterminer s’il y a usure ; que la clause indiquant l’indemnité de remboursement est claire et précise ;
– que les contrats de prêt à durée déterminée ne peuvent être par principe rompus avant leur terme sauf dans les hypothèses qu’ils visent expressément (la rupture a alors une origine conventionnelle, en cas de remboursement anticipé moyennant le versement d’une indemnité de rupture anticipée), ou encore en cas de manquement par une partie à ses obligations en application des dispositions légales de droit commun ; que la commune a entendu se prévaloir de la rupture unilatérale des contrats de prêt, non pas sur la base des dispositions des contrats de prêt, mais en application des dispositions légales de droit commun applicables en cas de manquement d’une partie à ses obligations ; que les deux causes de rupture unilatérale qui sont invoquées par la commune (refus du principe de négociation et demande d’indemnité illégale) sont parfaitement injustifiées et que cette rupture est abusive ;
– qu’elles n’ont commis aucune faute et que la commune ne justifie d’aucun préjudice.
Dans ses dernières conclusions transmises le 20 décembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la commune de [Localité 4], intimée et appelante à titre incident, demande à la cour sur le fondement des articles 1134, 1135 et 1184 du code civil, ainsi que des articles L. 313-5 et suivants du code monétaire et financier :
A titre principal,
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* dit que la résiliation unilatérale des contrats de prêt par la commune de [Localité 4] n’est pas fondée, comme non-justifiée par des manquements contractuels de ses cocontractants, la CCM et la CFCM,
* condamné la commune de [Localité 4] à payer à la CCM la somme de 120 422,45 euros, au titre du crédit en date du 7 novembre 2006 d’un montant de 250 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020, et ce avec intérêts au taux légal,
* condamné la commune de [Localité 4] à payer à la CCM la somme de 185 046,83 euros, au titre du crédit en date du 8 juillet 2008 d’un montant de 250 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020, et ce avec intérêts au taux légal,
* condamné la commune de [Localité 4] à payer à la CFCM la somme de 84 921,59 euros, au titre du crédit en date du 21 janvier 2013 d’un montant de 100 000 euros, décompte arrêté au 13 novembre 2020, et ce avec intérêts au taux légal,
Statuant à nouveau,
– de dire et juger que ‘ la banque Crédit Mutuel ‘ a commis une faute grave de nature à engager sa responsabilité contractuelle,
En conséquence,
– de dire et juger que la résiliation unilatérale des contrats de prêts n° 00020073502, n° 00020073503 et n° 00020025803 à l’initiative de la commune de [Localité 4] est régulière et bien fondée,
– de dire et juger que le décompte définitif entre les parties est arrêté aux sommes suivantes et que la commune de [Localité 4] en est redevable :
* emprunt n° 00020073502 : le capital restant dû s’élève à 109 374,55 euros outre la somme de 984,37 euros au titre de l’indemnité légale,
* emprunt n° 00020073503 : le capital restant dû s’élève à 159 230,42 euros outre la somme de 1 433,07 euros au titre de l’indemnité légale,
* emprunt n° 00020025803 : le capital restant dû s’élève à 73 937,11 euros outre la somme de 665,43 euros au titre de l’indemnité légale,
– de condamner ‘ la société Crédit Mutuel ‘ à payer à la requérante la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,
A titre subsidiaire,
– de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En tout état de cause,
– de condamner ‘ la société Crédit Mutuel ‘ à payer à la requérante la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que 5 000 euros à hauteur de cour,
– de condamner ‘ la société Crédit Mutuel ‘ aux entiers frais et dépens.
Au soutien de ses demandes, la commune fait valoir en substance :
– que la cour est saisie d’un appel incident tendant au rejet des condamnations de la commune, fondé sur la régularité et le bien fondé de la résiliation unilatérale des contrats à son initiative ;
– que la résiliation des contrats de prêt pour manquement grave des prêteurs doit être prononcée ; que le changement fondamental de circonstances résultant de la baisse des dotations de l’Etat a eu des répercussions graves sur l’équilibre budgétaire d’un grand nombre de collectivités locales, et qu’en raison de ses capacités fiscales réduites, la commune de [Localité 4] est particulièrement dépendante des dotations de l’Etat ; que les contrats ont été souscrits en fonction des dotations prévisibles à des taux fixes très élevés et que la caducité pour défaut de cause des contrats de prêt liée à l’évolution des circonstances économiques doit être prononcée ; que le refus de révision par le contractant avantagé par la situation imprévisible de baisse des dotations de l’Etat et de hausse des dépenses constitue une faute contractuelle pour déloyauté, et en application de la théorie de l’imprévision dans les relations contractuelles codifiée par l’ordonnance du 10 février 2016, caractérisée par le déséquilibre des comptes publics mettant en péril la bonne exécution de ses engagements contractuels à l’égard du Crédit Mutuel ; que la rédaction de la clause indemnitaire n’était pas lisible et n’a pas donné lieu à une information suffisante, et que l’indemnité calculée sur un taux usuraire (supérieur à 2,23% applicable au 2ème trimestre 2018) est illégale, de sorte que cette clause illicite est nulle ; qu’en cas d’application d’un taux usuraire, c’est le taux légal qui doit lui être substitué ;
– que par application de l’article 1184 du code civil, le créancier d’une obligation peut rompre le contrat unilatéralement en cas de manquement grave et en cas d’urgence ; qu’en considération des manquements graves des prêteurs et de la situation d’urgence, la commune de [Localité 4] a pris la décision de notifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la banque ;
– que si la banque fautive avait accepté le principe d’une négociation des prêts litigieux, la commune n’aurait pas dû verser d’indemnité, de sorte qu’elle subit un préjudice aggravé par la baisse des dotations de l’Etat fragilisant l’équilibre de ses finances ;
– qu’elle s’est opposée à un remboursement anticipé des contrats de prêt en invoquant leur caractère abusif, excluant toute requalification de la résiliation unilatérale en demande de remboursement anticipé ; qu’il s’agit de la mise en oeuvre de l’exigibilité des sommes suite au retard d’un terme, tel que retenu par le tribunal.
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La clôture de l’instruction a été prononcée le 11 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Au préalable, il y a lieu de constater que la compétence d’attribution du tribunal judiciaire à connaître du litige n’est pas contestée à hauteur de cour.
Sur l’appel incident de la commune de [Localité 4]
La CCM et la CFCM soutiennent que les demandes de ‘dire et juger’ de la commune ne constituent pas des prétentions.
L’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
En effet, l’article 562 dudit code énonce que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
L’article 4 dudit code prévoit que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
En l’espèce, la commune de [Localité 4] a sollicité dans le dispositif de ses conclusions l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il a ‘ dit que la résiliation unilatérale des contrats de prêt par la commune de [Localité 4] n’est pas fondée, comme non-justifiée par des manquements contractuels de ses cocontractants, la CCM et la CFCM ‘, et statuant à nouveau, a demandé à la cour de ‘ dire et juger que [le crédit mutuel] a commis une faute grave de nature à engager sa responsabilité contractuelle, [et] en conséquence, de dire et juger que la résiliation unilatérale des contrats de prêts n° 00020073502, n° 00020073503 et n° 00020025803 à l’initiative de la commune de [Localité 4] est régulière et bien fondée ‘.
Aussi, la commune a demandé à la cour de juger que la résiliation unilatérale des contrats de prêt est régulière et bien fondée.
Dès lors, il en résulte que l’énonciation dans le dispositif des conclusions de la commune de [Localité 4], sous forme de ‘ dire et juger ‘, détermine l’objet du litige soumis à la cour dans le cadre de son appel incident.
Sur le défaut de cause des prêts
La commune soutient que la caducité des contrats de prêt pour défaut de cause, liée à l’évolution des circonstances économiques, doit être prononcée.
La CCM et la CFCM indiquent au contraire que l’existence de la cause et de l’objet du contrat s’apprécient au moment de sa conclusion, de sorte que la baisse des dotations de l’Etat plusieurs années après les contrats n’a pas pour effet la disparition de leur cause, caractérisée par la remise des fonds.
L’article 1131 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 dispose que l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.
En outre, l’article 1132 code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 prévoit que la convention n’est pas moins valable, quoique la cause n’en soit pas exprimée.
Aussi, la cause des engagements contractuels doit être appréciée à la date du consentement des parties.
Or, il y a lieu de constater en l’espèce que la commune de [Localité 4] ne conteste pas le versement effectif des fonds empruntés auprès de la CCM et de la CFCM les 7 novembre 2006, 8 juillet 2008 et 21 janvier 2013, constituant la cause des engagements consentis.
Au surplus, il ressort des pièces versées en procédure que les dotations de l’Etat ont augmenté entre 2006 et 2013, passant de 872 000 euros à 914 000 euros, de sorte que la commune ne saurait utilement invoquer l’évolution des circonstances économiques afin de voir priver de cause le remboursement des emprunts litigieux.
Dans ces conditions, les contrats de prêt consentis par la CCM et la CFCM sont opposables à la commune de [Localité 4].
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la résiliation unilatérale des contrats de prêt
La CCM et la CFCM indiquent qu’elle n’ont commis aucune faute susceptible de justifier la résiliation unilatérale des contrats de prêt par la commune, de sorte que la résiliation doit être qualifiée de demande de remboursement anticipée des contrats de prêt, lui permettant de se prévaloir du taux d’intérêt contractuel majoré et d’une indemnité de remboursement anticipé.
Au contraire, la commune soutient qu’en considération des manquements graves des prêteurs et de la situation d’urgence, elle a pris la décision de notifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la banque qui a refusé de négocier les prêts consentis et s’est prévalue d’une clause indemnitaire illicite.
En l’espèce, il y a lieu de constater que les contrats conclus entre les parties sont des contrats à durée déterminée et qu’ils contiennent une clause de résiliation anticipée par l’emprunteur en cas de remboursement anticipé, moyennant le versement d’une indemnité de rupture.
Or, par couriers du 11 mars 2018, la commune s’est prévalue de la résiliation des contrats aux torts exclusifs des prêteurs, sans manifester une intention de procéder à leur remboursement anticipé, sollicitant au contraire dans les échanges antérieurs, la modification du montant de ces indemnités.
Aussi, la notification unilatérale de la rupture du contrat par la commune n’a pas eu pour effet la résiliation anticipée des contrats selon les conventions des parties.
Dans ces conditions, le jugement déféré a donc à juste titre indiqué que la rupture des contrats est soumise aux dispositions de l’article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, qui prévoit que la résolution est demandée en justice et est fondée sur une inexécution du contrat.
En effet, l’article 1184 dudit code dispose que ‘ la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. Pour pouvoir entraîner la résolution du contrat, le manquement d’une des parties doit être suffisamment grave ‘.
En l’espèce, les prêteurs ont fait assigner la commune par acte d’huissier délivré le 13 août 2018 aux fins de remboursement des prêts consentis, indiquant ‘ qu’à défaut d’acquiescement de la commune aux sommations adressées pour avoir paiement des sommes dues dans les huit jours du dépôt des dernières écritures enregistrées le 18 novembre 2020, la volonté de résiliation unilatérale de la commune était acquise à l’échéance des prêts du 30 novembre 2020 pour la CCM et du 31 janvier 2021 pour la CFCM ‘.
En défense, la commune a soutenu que la résiliation unilatérale des prêts était régulière et bien fondée au regard des fautes commises par la banque.
Aussi, il appartient à la commune qui s’en prévaut de rapporter la preuve des manquements des prêteurs pour justifier le prononcé de la résiliation des contrats les unissant, et à défaut, il conviendra d’apprécier l’exigibilité des sommes dues en vertu de ces contrats.
En effet, la commune indique que le refus de révision par le contractant avantagé par la situation imprévisible de baisse des dotations de l’Etat et de hausse des dépenses constitue une faute contractuelle pour déloyauté, et au regard de la théorie de l’imprévision dans les relations contractuelles, codifiée par l’ordonnance du 10 février 2016.
Le CCM et la CFCM soutiennent au contraire que l’exécution des contrats de bonne foi nécessite de démontrer un bouleversement de l’économie du contrat, ou de l’existence d’un changement de circonstance imprévisible ainsi que d’une exécution rendue excessivement onéreuse, selon les dispositions de l’article 1195 du code civil non applicable à la cause.
En l’espèce, la commune ne rapporte pas la preuve d’un manquement des prêteurs à leur obligation de loyauté caractérisé par le refus de renégociation des prêts.
En effet, s’il est constant que les dotations de l’Etat ont diminué de 914 000 euros en 2013 à 739 000 euros en 2018, en revanche, les remboursements annuels au titre des prêts litigieux représentaient une somme de 41 479,92 euros, soit 4,53% de la dotation de l’Etat en 2013 et 5,61% en 2018, ce qui ne caractérise pas un bouleversement de l’économie des contrats rendant leur exécution excessivement onéreuse.
De même, la commune indique que la clause indemnitaire calculée sur un taux usuraire est nulle (supérieur au taux de 2,23% applicable au 2ème trimestre 2018), et que son caractère illisible n’a pas donné lieu à une information suffisante.
La CCM et la CFCM indiquent au contraire que la clause prévoyant l’indemnité de résiliation anticipée est claire et précise, et que cette indemnité n’est pas prise en compte dans le calcul du TEG déterminant l’usure.
En effet, l’article L. 313-5 du code monétaire et financier, renvoyant à l’article L. 314-6 du code de la consommation, définit le prêt usuraire comme celui consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit pour des opérations de même nature.
En l’espèce, la commune ne justifie pas que les TEG figurant aux contrats litigieux excédaient de plus du tiers le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent leur octroi, qui ne saurait en l’état correspondre à celui du 2ème trimestre 2018.
Au surplus, le montant de l’indemnité de remboursement anticipé n’est pas pris en compte dans le calcul du TEG et ne saurait avoir une influence sur la détermination de l’usure.
En outre, les contrats consentis par la CCM prévoient que l’indemnité de remboursement anticipé résulte de la différence entre les intérêts et commissions normalement encaissées pendant la durée du prêt restant à courir (actualisés sur la base du taux des OAT) et le produit d’un placement d’un montant égal au capital remboursé par anticipation s’amortissant dans les mêmes conditions et rémunéré au taux de rendement des
Obligations Assimilables du Trésor sur la durée résiduelle équivalente (actualisé sur la base du taux des OAT).
De même, le contrat consenti par la CFCM prévoit que l’indemnité est égale à la différence entre la somme des charges initialement prévues sur le tableau d’amortissement (capital et intérêts) sur la durée moyenne restant à courir (actualisée sur la base des OAT), et le capital restant dû à la date du remboursement anticipé figurant sur le tableau d’amortissement à cette date.
Par ailleurs, le tribunal a justement relevé que la commune avait sollicité du prêteur les 4 janvier 2017, 20 juillet 2017 et 15 février 2018 la communication du montant des indemnités de remboursement anticipé qui serait dû en pareil cas, et que les prêteurs ont informé la commune du montant desdites sommes les 24 juillet 2017 et 2 mars 2018.
Aussi, la commune ne justifie pas du caractère ambigu des clauses indemnitaires et d’une information insuffisante sur leur application, ni de leur calcul sur un taux usuraire.
Dans ces conditions, il en résulte que la commune ne rapporte pas la preuve de graves manquements des prêteurs justifiant le prononcé de la résiliation des contrats sur le fondement de l’article 1184 du code civil dans sa version applicable en la cause.
Au surplus, la commune de [Localité 4] doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur l’exigibilité des sommes dues par la commune au titre des prêts litigieux
Les prêteurs ont fait assigner la commune par acte d’huissier délivré le 13 août 2018 aux fins de remboursement des prêts consentis, indiquant ‘ qu’à défaut d’acquiescement de la commune aux sommations adressées pour avoir paiement des sommes dues dans les huit jours du dépôt des dernières écritures enregistrées le 18 novembre 2020, la volonté de résiliation unilatérale de la commune était acquise à l’échéance des prêts du 30 novembre 2020 pour la CCM et du 31 janvier 2021 pour la CFCM ‘.
En l’espèce, les contrats litigieux ont prévu une clause d’exigibilité immédiate des sommes dues à l’initiative des prêteurs, ‘ sans dénonciation ou mise en demeure préalable ni aucune formalité judiciaire ou extra-judiciaire ‘, dans le cas où l’emprunteur ‘ est en retard de plus de trente jours avec un terme contractuel en capital, intérêts ou accessoires ‘.
Aussi, cette clause résolutoire stipule expressément et de manière non équivoque la commune intention des parties de mettre fin de plein droit à leur convention dans ce cas.
Or, il est constant que la commune de [Localité 4] ne s’est plus acquittée des échéances des prêts consentis par la CCM depuis le 31 mars 2018 et par la CFCM depuis le 30 avril 2018.
Aussi, il y a lieu de considérer, à l’instar du tribunal, que ‘ les demandes en paiement [subsidiaire] des prêteurs s’analysent en une mise en oeuvre de l’exigibilité des sommes dues suite au retard d’un terme ‘.
En effet, la CCM se prévaut de la résiliation des prêts consentis au 30 novembre 2020, et la CFCM au 30 janvier 2021, étant précisé que les décomptes produits par les prêteurs font état d’une demande en paiement du capital restant dû des trois prêts au 13 novembre 2020, caractérisant la date de leur exigibilité.
En outre, les contrats prévoient dans un paragraphe intitulé ‘ retard ‘ qu’au ‘ cas où un terme de remboursement en capital et intérêts, ou en intérêts seuls, ne serait pas payé intégralement à son échéance, le taux des intérêts sera majoré de plein droit de trois points, sans aucun préavis, jusqu’au remboursement total de la somme due ‘.
Il y a lieu de constater qu’au regard des décomptes d’intérêts produits, les prêteurs ont pris en compte la majoration des intérêts contractuels sur les échéances impayées au 13 novembre 2020 (date d’exigibilité du capital restant dû figurant aux décomptes des prêteurs) dans leurs demandes sollicitées à ce titre.
Aussi, le tribunal a régulièrement pris en compte le montant desdites échéances impayées augmentées des intérêts contractuels majorés jusqu’au 13 novembre 2020, tel que ressortant des décomptes, à l’exception du prêt n°00020073502, de sorte qu’il convient de modifier le montant retenu à ce titre.
Par ailleurs, le taux d’intérêt contractuel majoré sur les échéances impayées prévu au contrat ne saurait être appliqué postérieurement à la date d’exigibilité des sommes dues fixée au 13 novembre 2020, tel que retenu à juste titre par le tribunal.
En effet, les contrats prévoient qu’en cas d’exigibilité immédiate, ‘ le prêteur pourra exiger le remboursement de toutes les sommes dues par l’emprunteur ‘, (comprenant en cas de retard l’application d’un taux contractuel majoré sur les échéances impayées), sans indication de l’application du taux contractuel majoré à compter de leur exigibilité.
En outre, les prêteurs demandent à la cour de dire que les sommes dues porteront intérêts au taux légal, sans apporter de précision sur leur point de départ.
Aussi, le tribunal a régulièrement augmenté le montant des sommes dues des intérêts au taux légal, conformément aux demandes des prêteurs, étant précisé qu’à hauteur de cour, l’absence de précision du point de départ des intérêts au taux légal dans les demandes des prêteurs induit qu’ils courent à compter du prononcé du jugement en ses dispositions confirmées et à compter du prononcé de l’arrêt pour le surplus.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la commune de [Localité 4] à payer à la CCM la somme de 185 045,83 euros au titre des sommes exigibles en capital, échéances et intérêts impayés en vertu du prêt n°00020073503, et à la CCFM la somme de 84 920,59 euros en capital, échéances et intérêts impayés en vertu du prêt n°0020025803, et sera infirmé en ce qu’il a retenu au titre du contrat n°00020073502 un montant d’échéances impayées au 13 octobre 2020 augmenté des intérêts contractuels non majorés.
Statuant à nouveau au titre du prêt référencé n°00020073502, il convient d’évaluer la créance détenue par la CCM à l’encontre de la commune de [Localité 4] comme suit :
– échéances impayées au 13 novembre 2020 avec intérêts conventionnels majorés de 6,98% arrêtés à cette date : 47 560,85 euros,
– capital restant dû au 30 novembre 2020 : 77 082,78 euros.
Aussi, il en résulte que la commune de Senonces est redevable auprès de la CCM de la somme de 124 643,63 euros, augmentée des intérêts au taux légal, au titre du prêt n°00020073502.
Sur la réparation du préjudice subi par les prêteurs résultant de la résiliation des contrats de prêt
Il convient au préalable de retenir, à l’instar du tribunal, qu’au regard des demandes en paiement des prêteurs, et compte tenu des développements précédents, la CCM et la CFCM ne peuvent utilement se prévaloir du paiement par la commune d’une indemnité de remboursement anticipé à défaut de volonté de la commune de [Localité 4] de procéder au remboursement par anticipation de tout ou partie du capital restant dû.
En outre, le tribunal a constaté que les contrats de prêt ne contenaient aucune clause pénale relative aux incidents de paiement.
Les prêteurs font valoir qu’ils subissent un préjudice résultant de la résiliation abusive des contrats, caractérisé par la nécessité d’emprunter des fonds à taux fixe en vue d’octroyer ces concours, et sollicitent à titre de réparation, les sommes de 19 958,52 euros, 45 822,10 euros et 19 005, 12 euros, telles qu’évaluées dans le cadre de l’indemnité contractuelle de remboursement anticipé.
Le tribunal a fixé le préjudice des prêteurs à la somme d’un euro, ‘compte tenu du coût du crédit et des intérêts perçus et octroyés’.
En l’espèce, il résulte des développements précédents que la commune a rompu les relations contractuelles sans justifier de manquements graves des prêteurs.
Pour autant, il y a lieu de considérer que le taux d’intérêt majoré ayant couru sur les échéances impayées (6,98%, 7,95% et 7,60%) a réduit fortement le préjudice causé aux prêteurs par la défaillance de la commune.
En outre, il y a lieu de constater que la commune a honoré les échéances des prêts consentis par la CCM pendant plus de 10 ans et par la CFCM pendant 5 ans.
Aussi, il en résulte que le préjudice subi par la CCM du fait de la résiliation des contrats de prêt peut être évalué à la somme de 3 000 euros et celui subi par la CFCM à hauteur de 850 euros.
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
La commune de [Localité 4] qui succombe en ses prétentions à hauteur de cour supportera la charge des dépens d’appel et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Le CCM et la CFCM ont dû engager des frais non compris dans les dépens afin de faire valoir leurs droits, de sorte qu’il convient de leur allouer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
DIT que la cour est saisie de prétentions ressortant de l’appel incident de la commune de [Localité 4],
INFIRME partiellement le jugement déféré et, statuant à nouveau,
CONDAMNE la commune de [Localité 4] à payer à la CCM la somme de 124 643,63 € (cent vingt quatre mille six cent quarante trois euros et soixante trois centimes), augmentés des intérêts au taux légal à compter du prononcé de l’arrêt, au titre du prêt n° 00020073502,
CONDAMNE la commune de [Localité 4] à payer à la CCM la somme de 3 000 € (trois mille euros) en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation des contrats de prêt consentis,
CONDAMNE la commune de [Localité 4] à payer à la CFCM la somme de 850 € (huit cent cinquante euros) en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation des contrats de prêt consenti,
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus en ce qu’il a condamné la commune de [Localité 4] à payer à la CCM la somme de 185 045,83 euros au titre des sommes exigibles en capital, échéances et intérêts impayés en vertu du prêt n°00020073503, et à la CCFM la somme de 84 920,59 euros en capital, échéances et intérêts impayés en vertu du prêt n° 0020025803, lesdites sommes étant augmentées des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, et en ce qu’il a débouté la commune de [Localité 4] de sa demande en dommages et intérêts, dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la commune de [Localité 4] aux dépens,
Y ajoutant,
DEBOUTE la commune de [Localité 4] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la commune de [Localité 4] à payer à la CCM et la CFCM la somme de 1 000 € (mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la commune de [Localité 4] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d’Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en vingt pages.