COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 30B
14e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 AVRIL 2023
N° RG 22/05342 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VMBN
AFFAIRE :
[P], [N], [D] [J] épouse [A]
[I], [K], [O], [V] [A]
C/
S.A.R.L. FABB
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 07 Juin 2022 par le Président du TJ de VERSAILLES
N° RG : 22/00032
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 06.04.2023
à :
Me Anne-laure DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES,
Me Corinne ROUX, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [P], [N], [D] [J] épouse [A]
née le 12 Mai 1936 à [Localité 7] (ROYAUME UNI)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
Monsieur [I], [K], [O], [V] [A]
né le 20 Avril 1961 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Anne-laure DUMEAU, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 – N° du dossier 43086
Ayant pour avocat plaidant Me Anne LELONG, avocat au barreau de Versailles
APPELANTS
****************
S.A.R.L. FABB
Prise en la personne de son Gérant, domicilié en cette qualité audit siège
N° SIRET : 799 267 703
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Corinne ROUX de l’ASSOCIATION ASSOCIATION ROUX PIQUOT-JOLY, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 564
Ayant pour avocat plaidant la SCP COLLET – DE ROCQUIGNY – CHANTELOT- GOURDOU, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marina IGELMAN, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président,
Madame Marina IGELMAN, Conseiller,
Madame Marietta CHAUMET, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous-seing privé en date du 3 juillet 2007, [R] [A] a accordé à la société Christian Bouldoires un bail commercial d’une durée de neuf années, du 1er juillet 2007 au 30 juin 2016, pour des locaux situés [Adresse 3]). Le bail a fait l’objet d’un renouvellement par acte du 13 mars 2017.
Le 23 octobre 2017, la société Christian Bouldoires a été absorbée par voie de fusion-absorption par la société FABB.
Par acte sous-seing privé en date du 10 juin 2019, le bailleur et le locataire ont conclu un avenant au bail commercial afin de changer la désignation du bailleur pour y inclure Mme [P] [A], ainsi que celle du locataire, la SARL FABB le remplaçant.
[R] [A] étant décédé en 2020, la communauté maritale a été intégralement attribuée à Mme [P] [A], laquelle a transféré la nue-propriété du bien immobilier situé [Adresse 3], à son fils, M. [I] [A], de sorte qu’elle est désormais usufruitière du bien.
La gestion locative du bien immobilier appartenant aux consorts [A] a été confiée à l’agence Vielmon Immobilier.
Les locaux dont la société FABB est locataire, sont composés d’une boutique et arrière-boutique, ainsi que d’une remise ; la destination des lieux est l’activité de bijouterie, joaillerie, horlogerie, cristaux, stylos, maroquinerie et cadeaux.
Le loyer annuel hors charges et hors taxe était initialement fixé par le renouvellement de bail à la somme de 51 437,13 euros payable en 4 termes égaux et d’avance les 1er janvier, avril, juillet et octobre soit 12 859,28 euros.
Suite à de vains échanges entre les parties sur le sort des loyers dus pendant la période de crise sanitaire liée au Covid 19, les consorts [A] ont fait délivrer, par actes des 29 septembre et 6 octobre 2021 un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire à l’adresse du bail ainsi qu’à l’adresse du siège social de la société FABB.
Par acte d’huissier de justice délivré le 5 et 6 janvier 2022, les consorts [A] ont fait assigner en référé la société FABB aux fins d’obtenir principalement la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, son expulsion et sa condamnation à lui payer la somme provisionnelle de 13 612,49 euros correspondant à la dette locative ainsi qu’une indemnité d’occupation provisionnelle égale au montant du loyer à compter du 6 novembre 2021 et jusqu’à libération effective des locaux.
Par ordonnance contradictoire rendue le 7 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a :
– dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes,
– dit que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles,
– laissé les dépens à la charge des demandeurs.
Par déclaration reçue au greffe le 12 août 2022, les consorts [A] ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 14 décembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les consorts [A] demandent à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 1103, 1104, 1221, 1231-6, 1719, 1722 et 1728 du code civil et L. 145-1 du code de commerce, de :
‘- déclarer M. et Mme [A] recevables et bien fondés en leur appel ;
– infirmer dans son intégralité l’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Versailles ;
– rejeter les demandes formulées à titre subsidiaire et à titre infiniment subsidiaire par la société FABB ;
et statuant à nouveau
– constater que la société FABB n’a pas déféré aux causes du commandement de payer dans le délai d’un mois qui lui était imparti ;
en conséquence,
– constater l’acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du contrat de bail pour défaut de paiement des loyers à la date du 6 novembre 2021 ;
– constater que la société FABB est occupante sans droit ni titre des locaux situés [Adresse 3]), appartenant à M. et Mme [A], et en tirer toutes les conséquences de droit ;
– ordonner l’expulsion immédiate et sans délai de la société FABB ainsi que de tous occupants de son chef se trouvant de fait dans les lieux, et ce à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir ;
– dire qu’il sera procédé le cas échéant à la séquestration des biens meubles et objets mobiliers, aux frais de la société FABB, selon les modalités fixées par les dispositions du code de procédure civile d’exécution ;
– dire qu’en cas de besoin, M. et Mme [A] pourront requérir le concours de la force publique et d’un serrurier ;
– condamner la société FABB à payer à M. et Mme [A] une provision de 13 612,49 euros, correspondant à sa dette locative pour avril, mai et novembre 2020, en sus des intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2021 ;
– condamner la société FABB à payer à M. et Mme [A] une indemnité d’occupation fixée à la valeur locative des locaux loués, pour la période courant à partir du 6 novembre 2021 jusqu’au départ effectif de la société FABB ;
– dire que le dépôt de garantie versé par la société FABB, d’un montant de 13 734,67 euros, sera conservé par M. et Mme [A] à titre d’indemnité forfaitaire ;
– condamner la société FABB à verser à M. et Mme [A] une provision de 399,28 euros correspondant aux frais d’huissier pour la signification des deux commandements de payer ;
– condamner la société FABB à verser à M. et Mme [A] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société FABB aux entiers dépens’.
Dans ses dernières conclusions déposées le 17 novembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société FABB demande à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 1104, 1353-5 et 11722 du code civil et L. 145-41 du code de commerce, de :
-‘ dire et juger que la demande d’application de la clause résolutoire pour des impayés de loyers de la période protégée est irrecevable ;
– dire et juger que le paiement des loyers de la période Covid se heure à contestation sérieuse ;
– dire et juger n’y avoir lieu à référé sur les demandes présentées ;
– renvoyer M. et Mme [A] à mieux se pourvoir en saisissant le juge du fond ;
subsidiairement ;
– accorder à la société FABB les plus larges délais de paiements pour s’acquitter des loyers non payés, et suspendre les effets de la clause résolutoire ;
– condamner M. et Mme [A] au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous dépens ;
encore plus subsidiairement ;
– dire que toutes demandes excédant la moitié des loyers de la période Covid, soit 6 806,24 euros se heurtent à contestation sérieuse ;
– en débouter M. et Mme [A] ;
– dire que chacun conservera la charge de ses frais et dépens dans ce cadre’.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les consorts [A] sollicitent l’infirmation de l’ordonnance querellée aux motifs que leurs prétentions ne se heurtent à aucune contestation sérieuse et par conséquence, demandent que la cour constate l’acquisition de la clause résolutoire et fasse droit aux demandes subséquentes, rejetant celles de l’intimée aux fins de délais de paiement et d’exonération partielle des loyers.
S’agissant de l’obligation de paiement des loyers dus au titre des périodes de fermeture administrative décidées par le gouvernement en 2020 et 2021, ils font valoir que la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a, par trois arrêts rendus le 30 juin 2022, dit pour droit que les loyers dus par les locataires occupant des locaux commerciaux ayant fait l’objet d’une mesure de fermeture administrative étaient exigibles.
Ainsi, ils considèrent non fondée l’argumentation de la société FABB pour s’opposer au paiement des loyers des mois d’avril, mai et novembre 2020 tirée de la force majeure, de la perte partielle de la chose louée, ou encore de la mauvaise foi du bailleur.
Sur ce dernier point, ils font remarquer que la société FABB refuse de procéder au paiement de ses loyers alors que les commerces étaient ouverts et qu’ils ont proposé à de nombreuses reprises une solution amiable consistant en l’annulation du loyer du mois d’avril 2020 et la mise en place d’un échéancier sur les loyers impayés, ce que la locataire a toujours refusé, réclamant l’annulation pure et simple des loyers correspondant aux périodes de fermeture en 2020.
La société FABB n’ayant pas procédé au réglement des loyers en cause et l’obligation de paiement n’étant pas contestable, les appelants demandent que soit constatée l’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail, soutenant que cette acquisition n’est pas remise en cause par les mesures gouvernementales, l’ordonnance du 25 mars 2020, applicable aux sociétés ayant un chiffre d’affaires 2019 inférieur à 1.000.000 euros ne concernant pas la société FABB dont le chiffre d’affaires sur cette année était de 5.047.910 euros, et que les deux autres régimes dérogatoires visés par l’intimée n’ont pas pour effet de geler l’acquisition de la clause résolutoire mais d’en reporter les effets à l’expiration d’une période protégée.
Ils rappellent avoir fait délivrer le commandement de payer en octobre 2021, soit bien postérieurement à la période protégée, soulignant en outre que la société FABB n’a pas produit l’attestation sur l’honneur prévue par la loi du 14 novembre 2020.
Ils relèvent que les causes du commandement de payer n’ont pas été réglées dans le délai d’un mois imparti, de sorte que la résiliation du bail a été acquise au 6 novembre 2021 de plein droit et que depuis cette date, la société FABB occupe les locaux sans droit ni titre.
Ils demandent le prononcé de son expulsion ainsi que l’octroi d’une provision d’un montant de 13.612,49 euros correspondant aux 3 mois de loyers impayés en 2020, outre les intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2020, date de la mise en demeure.
Ils sollicitent également la conservation du dépôt de garantie et le paiement des frais, tel que cela est prévu au bail, outre l’allocation d’une indemnité d’occupation correspondant à la valeur locative des locaux loués, jusqu’au départ effectif de la société FABB.
Ils s’opposent à la demande de délais de paiement de l’intimée, faisant valoir que les loyers constituent pour Mme [A], usufruitière, une part importante de sa retraite et que par ailleurs, l’intimée ne justifie pas de son impossibilité de se libérer immédiatement des sommes dues.
Les appelants demandent enfin le rejet de l’exonération partielle des loyers aux motifs que le gouvernement a multiplié les aides en direction des PME et qu’ils ont proposé des aménagements à la locataire, de sorte qu’ils ont fait preuve de bonne foi depuis le début de la crise sanitaire.
La société FABB, intimée, sollicite la confirmation de l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes des bailleurs.
Elle rappelle qu’elle a été, du fait des mesures gouvernementales, dans l’impossibilité absolue d’exploiter le magasin loué du 15 mars au 11 mai 2020, et qu’elle a dans ce cadre adressé divers courriers à la société bailleresse, invoquant les mécanismes de la force majeure et de l’exception d’inexécution.
Elle indique que la nouvelle fermeture administrative intervenue à compter du 30 octobre 2020 a amplifié la dégradation drastique de son chiffre d’affaires et qu’elle a sollicité de ses bailleurs l’abandon du loyer de novembre 2020 par plusieurs courriers.
Elle reconnaît que les loyers des mois d’avril, mai et novembre 2020 n’ont pas été payés mais conclut à l’impossibilité pour les consorts [A] de se prévaloir de la clause résolutoire contenue au bail en application de l’ordonnance du 25 mars 2020, de celle du 27 mars suivant et de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020, soutenant qu’elle relève des dispositifs protecteurs mis en place.
Elle conclut ensuite à l’exonération du paiement du loyer en se fondant sur la force majeure, la perte partielle de la chose louée, faisant observer que la cour d’appel de Douai, statuant au fond, l’a admise dans un arrêt du 16 décembre 2021.
Elle souligne également sa bonne foi, excipant du paiement de tous les loyers afférents aux autres périodes alors qu’elle n’a pu travailler normalement.
Subsidiairement, elle sollicite l’octroi de délais de paiements et la suspension de la clause résolutoire.
En toute hypothèse, au visa de la bonne foi qui doit régir les relations contractuelles selon l’article 1104 du code civil, elle demande que les sommes soient fixées à la moitié des loyers, afin que les efforts imposés dans le cadre de la crise sanitaire soient supporter à égalité avec le bailleur.
Sur ce,
Sur l’acquisition de la clause résolutoire :
L’article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.
Faute d’avoir payé ou contesté les sommes visées au commandement dans le délai imparti, le locataire ne peut remettre en cause l’acquisition de la clause résolutoire figurant au bail sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement ; l’existence de cette mauvaise foi doit s’apprécier lors de la délivrance de l’acte ou à une période contemporaine à celle-ci.
La locataire ne conteste pas n’avoir pas apuré une partie des sommes visées au commandement de payer visant la clause résolutoire mais soutient qu’elle bénéfice des mesures protectrices des dispositifs des premier et deuxième confinements, de sorte qu’elle ne peut se voir opposer la clause résolutoire du chef du non-paiement de ces loyers.
Aux termes des articles 1et 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19, peuvent bénéficier des dispositions des articles 2 à 4 les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020.
Les personnes ainsi mentionnées ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux.
Ces dispositions s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
En vertu de l’article 1er, paragraphe 1er, de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions, l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a été prorogé jusqu’au 10 juillet 2020 inclus, de sorte que les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement est intervenue entre le 12 mars 2020 et le 10 septembre 2020.
Toutefois, pour pouvoir être éligibles aux dispositifs de protection, les locataires doivent remplir les critères fixés par les décrets n°2020-378 et 2020-371 pour bénéficier du fonds de solidarité prévu à l’article 1er de l’ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020, au nombre desquels figure notamment celui d’avoir un chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos inférieur à un million d’euros.
Or la société FABB reconnaît elle-même que son chiffre d’affaires était de plus de 5 millions d’euros en 2019, de sorte qu’à l’évidence, ces dispositions ne lui sont pas applicables.
L’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 dispose que :
‘I. – Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de l’Etat dans le département en application du second alinéa du I de l’article L. 3131-17 du même code. Les critères d’éligibilité sont précisés par décret, lequel détermine les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.
II. – Jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée.
Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en oeuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires.
Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite.
III. – Le II ne fait pas obstacle à la compensation au sens de l’article 1347 du code civil.
IV. – Le II s’applique aux loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I.
Les intérêts ou pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu’à compter de l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du II.
En outre, les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu’à la date mentionnée au même premier alinéa. (…)
VII. – Le présent article s’applique à compter du 17 octobre 2020.’
L’article 1er du décret n°2020-1766 du 30 décembre 2020 prévoit quant à lui que :
‘I.-Pour l’application de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 susvisée, les personnes physiques et morales de droit privé mentionnées au I du même article sont celles remplissant les critères d’éligibilité suivants :
1° Leur effectif salarié est inférieur à 250 salariés ;
2° Le montant de leur chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à 50 millions d’euros ou, pour les activités n’ayant pas d’exercice clos, le montant de leur chiffre d’affaires mensuel moyen est inférieur à 4,17 millions d’euros ;
3° Leur perte de chiffre d’affaires est d’au moins 50 % appréciés selon les modalités fixées au II.
II.-Pour les mesures de police administrative prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 17 octobre 2020, le critère de perte de chiffre d’affaires mentionné au 3° du I du présent article correspond à une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er novembre 2020 et le 30 novembre 2020, laquelle est définie comme la différence entre, d’une part, le chiffre d’affaires au cours du mois de novembre 2020 et, d’autre part :
-le chiffre d’affaires durant la même période de l’année précédente ;
-ou, si l’entreprise le souhaite, le chiffre d’affaires mensuel moyen de l’année 2019 ;
-ou, pour les entreprises créées entre le 1er juin 2019 et le 31 janvier 2020, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 ;
-ou, pour les entreprises créées entre le 1er février 2020 et le 29 février 2020, le chiffre d’affaires réalisé en février 2020 et ramené sur un mois ;
-ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2020, le chiffre d’affaires mensuel moyen réalisé entre le 1er juillet 2020, ou à défaut la date de création de l’entreprise, et le 30 septembre 2020″.
Or la société FABB soutient dans ses écritures qu’ « ayant été contrainte de fermer complètement son commerce en novembre 2020, le critère de perte de 50 % du chiffre d’affaires de ce mois par rapport au mois de 2019 est à l’évidence établi ».
Ce faisant, alors qu’il peut exister d’autres sources de revenus telles que par exemple la vente par correspondance, l’intimée ne fait qu’alléguer une perte d’au moins 50 % de son chiffre d’affaires sur le mois de novembre 2020, sans en apporter la preuve, alors que celle-ci aurait pu l’être aisément grâce à la communication de documents comptables.
Dès lors, il sera retenu que la société FABB ne démontre pas être éligible au dispositif prévu rappelé ci-dessus qui aurait pu faire obstacle à l’acquisition de la clause résolutoire pour le loyer du mois de novembre 2020, alors qu’au surplus, cette clause demeure en tout état de cause acquise eu égard au non-paiement des loyers d’avril et mai 2020.
Par ailleurs, il est désormais de jurisprudence constante que l’effet de la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets n° 2020-293 du 23 mars 2020 et n° 2020-423 du 14 avril 2020, ainsi que les dispositifs postérieurs, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d’une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu’il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d’autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du code civil, de sorte que la société FABB n’est pas bien fondée à invoquer ces articles pour prétendre au non-paiement des loyers litigieux.
Au vu de ce qui précède, la preuve est ainsi rapportée, sans contestation sérieuse, que les causes du commandement n’ont pas été intégralement réglées dans le délai requis, de sorte que la clause résolutoire du bail est acquise.
L’ordonnance querellée sera réformée en ce sens.
Dès lors, c’est à bon droit que les consorts [A] sollicitent qu’il soit constaté que la société FABB est occupante sans droit ni titre des locaux depuis le 6 novembre 2021, que soit ordonnée son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef, qu’il soit dit qu’il sera procédé le cas échéant à la séquestration des biens meubles et objets mobiliers, aux frais de la société FABB, selon les modalités fixées par les dispositions du code de procédure civile d’exécution et qu’en cas de besoin, ils pourront requérir le concours de la force publique et d’un serrurier.
Sur les demandes de provisions :
Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire, statuant en référé, peut, dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.
En application de ce texte, le montant de la provision qui peut être allouée en référé n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Les développements précédents excluent toute annulation de la dette locative de la société FABB.
Par ailleurs, la bonne foi ne saurait être confondue avec l’équité dont le juge ne peut user, de sorte que la demande de la société FABB aux fins de partage à parts égales avec les bailleurs du montant du loyer sur les mois en cause sera rejetée.
En conséquence, c’est avec l’évidence requise en la matière qu’il convient de condamner la société FABB à payer aux consorts [A] la somme de 13 612,49 euros à titre de provision à valoir sur le montant des loyers impayés des mois d’avril, mai et novembre 2020 et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2020, date de la mise en demeure sur la somme de 9 019,64 euros, et à compter du présent arrêt pour le surplus.
En revanche, l’article 30 du contrat de bail en date du 23 mars 2017, intitulé « frais », stipule que « tous les frais, droits et honoraires de rédaction des présentes et ceux qui en seront la suite et la conséquence seront supportés et acquittés par le preneur qui s’y oblige », clause qui nécessite une interprétation en ce qu’elle pourrait ne viser que les suites et conséquences de la rédaction de l’acte à proprement parler, laquelle interprétation ne relève pas des pouvoirs de la cour statuant en référé.
Par ailleurs, les articles 26 et 27 du contrat, prévoyant qu’en cas de résiliation du bail du fait de l’application de la clause résolutoire, la somme remise à titre de dépôt de garantie restera acquise au bailleur à titre d’indemnité forfaitaire, s’analysant comme une clause pénale, susceptible donc de modération par le juge du fond en application de l’article 1231-5 du code civil, échappe aux pouvoirs du juge des référés, et de la cour statuant à sa suite.
Il sera en conséquence dit n’y avoir lieu à référé sur ces demandes et l’ordonnance dont appel sera confirmée en ce qu’elle a ainsi jugé.
S’agissant de l’indemnité d’occupation due au titre de l’occupation illicite du bien, qui a pour objet de réparer le préjudice causé au propriétaire par la perte des fruits et revenus et de se substituer à ces derniers, il convient par voie d’infirmation de faire droit à la demande des appelants la concernant.
La société FABB sera dès lors condamnée à verser, à titre provisionnel, une indemnité d’occupation égale au montant du loyer et des charges qui auraient été dus si le bail s’était poursuivi.
Sur la demande d’échelonnement du paiement de la dette locative et de suspension des effets de la clause résolutoire :
L’article L. 145-41 alinéa 2 du code de commerce dispose que les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Le premier alinéa de l’article 1343-5 visé dispose quant à lui que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Au cas présent, le chiffre d’affaires réalisé par la société FABB permet d’envisager qu’elle puisse apurer l’arriéré locatif, qui ne s’est pas aggravé et est resté cantonné à 3 mois de loyers compte tenu des divergences des parties sur leur exigibilité, en partie justifiées par une jurisprudence mouvante en la matière avant les arrêts rendus par la Cour de cassation en juin 2022.
Il sera fait droit à la demande de la société locataire de disposer d’un délai de paiement qui sera fixé à deux mois suivant le prononcé du présent arrêt, et de suspension des effets de la clause résolutoire dans les conditions développées au dispositif du présent arrêt.
Il sera rappelé qu’à défaut de règlement de cet arriéré, en sus du loyer courant dans le délai imparti, le tout deviendra immédiatement exigible, la clause résolutoire acquise à la date du 6 novembre 2021 reprendra son plein effet, la société FABB devra payer à titre provisionnel l’indemnité d’occupation fixée jusqu’à parfaite libération des lieux et il pourra être procédé à l’expulsion immédiate de la société FABB, les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donnant lieu à l’application des dispositions des articles du code des procédures civiles d’exécution.
Sur les demandes accessoires :
Compte tenu du contexte particulier de la présente affaire générée par les difficultés nées de la crise sanitaire, l’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Pour la même raison, il sera dit que chaque partie conservera à sa charge la part des dépens par elle exposés à hauteur d’appel et chacune sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME l’ordonnance du 7 juin 2022, sauf en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de provisions de Mme [P] [A] et M. [I] [A] au titre de la conservation du dépôt de garantie et des frais d’huissier pour la signification des deux commandements de payer, et sauf en ce qu’elle a statué sur les frais irrépétibles et dépens de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Constate l’acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du contrat de bail à la date du 6 novembre 2021,
Condamne la société FABB à payer à Mme [P] [A] et M. [I] [A] la somme de 13 612,49 euros à titre de provision à valoir sur le montant des loyers impayés des mois d’avril, mai et novembre 2020 et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2020 sur la somme de 9 019,64 euros, et à compter du présent arrêt pour le surplus,
Condamne la société FABB à payer à titre provisionnel à Mme [P] [A] et M. [I] [A] une indemnité d’occupation égale au montant du loyer et des charges qui auraient été dus si le bail s’était poursuivi, jusqu’à la libération effective des lieux,
Autorise la société FABB à s’acquitter de sa dette de 13 612, 49 euros dans le délai de 2 mois suivant le prononcé de la présente décision, en plus des loyers et charges courants,
Ordonne en conséquence pendant ce délai la suspension des effets de la clause résolutoire du bail et de ses effets subséquents,
Dit que la clause résolutoire sera réputée ne pas avoir joué si la société FABB se libère de sa dette avant l’expiration du délai accordé,
Dit qu’à défaut de règlement de la dette dans le délai imparti en sus du loyer courant :
– le tout deviendra immédiatement exigible,
– la clause résolutoire acquise à la date du 6 novembre 2021 reprendra son plein effet et :
– il pourra être procédé à l’expulsion immédiate de la société FABB,
– le sort des meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l’application des dispositions du code des procédures civiles d’exécution,
– la société FABB devra payer à titre provisionnel l’indemnité d’occupation fixée au montant des loyers et des charges si le contrat de bail s’était poursuivi jusqu’à parfaite libération des lieux,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en appel,
Dit que chaque partie conservera les dépens d’appel par elle exposés.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions porévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller faisant fonction de président, et par Madame Mélanie RIBEIRO, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,