PhD/ND
Numéro 23/1295
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRÊT DU 06/04/2023
Dossier : N° RG 21/02778 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H6YJ
Nature affaire :
Cautionnement – Demande en paiement formée contre la caution seule
Affaire :
S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES
C/
[C] [M] épouse [S]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 06 Avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 09 Février 2023, devant :
Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame Nathalène DENIS, greffière présente à l’appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
Madame Joëlle GUIROY, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES
soiété anonyme coopérative immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n° 353 821 028, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Elisabeth DE BRISIS de la SCP DE BRISIS & DEL ALAMO, avocat au barreau de DAX
INTIMEE :
Madame [C] [M]
née le [Date naissance 4] 1971 à [Localité 7]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Olivier DIVERNET de la SELARL COUSSEAU PERRAUDIN GADOIS DIVERNET, avocat au barreau de DAX
Assistée de Me Nathalie HAZERA (SELARL HAZERA AVOCAT)
sur appel de la décision
en date du 06 JUILLET 2021
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE DAX
FAITS – PROCEDURE – PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Par acte sous seing privé du 23 mars 2016, la société Caisse d’épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes (la banque) a consenti à la société Leslama un prêt d’un montant de 206.659 euros, au taux annuel de 2,30 %, pour financer l’acquisition d’un fonds de commerce.
Par acte sous seing privé du 24 mars 2016, Mme [C] [M], épouse [S], co-gérante de l’emprunteur, s’est portée caution solidaire de ce prêt pendant 120 mois.
Le 29 août 2019, la banque a prononcé la déchéance du terme.
Par jugement du 4 septembre 2019, le tribunal de commerce de Dax a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la société Leslama, convertie en liquidation judiciaire le 6 novembre 2019.
La banque a déclaré sa créance au passif de la procédure collective.
Suivant exploit du 17 mars 2020, la banque a fait assigner Mme [M], épouse [S], par devant le tribunal de commerce de Dax en paiement des sommes dues au titre du prêt garanti par son cautionnement.
Par jugement contradictoire du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce a :
– dit que la caution de Mme [S] est disproportionnée et en conséquence nulle
– débouté la banque de ses demandes
– condamné la banque à payer à Mme [S] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 23 août 2021, la Caisse d’épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes a relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 janvier 2023.
***
Vu les dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2023 par l’appelante qui a demandé à la cour, au visa des articles 2288 et suivants du code civil, de réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau de :
– débouter Mme [S] de ses demandes
– condamner Mme [S] à lui payer la somme de 125.279,46 euros, outre intérêts au taux de 2,3 % l’an sur les sommes de 5.569,69 euros et 112.387,99 euros à compter du 19 février 2020
– condamner Mme [S] à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 9 janvier 2023 par l’intimée qui a demandé à la cour de :
A titre principal :
– confirmer le jugement entrepris, au visa de l’article L. 332-1 du code de la consommation.
A titre subsidiaire, au visa des articles L. 313-22 du code monétaire et financier et L. 341-6 du code de la consommation, de :
– dire que la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis 2016
– dire que la caution ne sera pas tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus entre juin 2019 et août 2019
– débouter la banque de ses demandes relatives aux clauses pénales, à savoir paiement de la somme de 5.569,99 euros et de 1.027,30 euros.
En tout état de cause :
– condamner l’intimée à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
sur la disproportion manifeste
Aux termes des articles L. 332-1 et L. 343-4 du même code, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Ces dispositions n’imposent pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement.
Et, dans tous les cas, il incombe à la caution, qui supporte la charge de la preuve, de démontrer que son engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le cas échéant, tels qu’ils ont été indiqués dans la déclaration de la caution, dont le créancier, en l’absence d’anomalie apparente n’a pas à vérifier l’exactitude.
La disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit suppose que la caution soit à cette date dans l’impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus.
Et, elle s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, mais au montant de son propre engagement.
Enfin, il résulte de la combinaison des articles 1315, devenu 1353 du code civil, et des articles précités du code de la consommation qu’il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d’un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution d’établir qu’au moment où il l’appelle, le patrimoine de celle-ci permet de faire face à son obligation.
Cela posé, il faut encore rappeler que la sanction du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir de cet engagement et non la nullité de celui-ci, de sorte que c’est à tort que le jugement a annulé le cautionnement souscrit par Mme [M], épouse [S].
Les débats sont également empreints d’une certaine confusion sur la mise en ‘uvre de la disproportion manifeste en entremêlant les conditions prévues à la date de la conclusion du cautionnement avec celles prévues à la date à laquelle la caution est appelée, c’est-à-dire, la date de l’assignation.
Il y convient, en premier lieu, d’examiner si le cautionnement souscrit le 24 mars 2016 à concurrence du montant nominal du prêt de 206.659 euros, remboursable par mensualités de 2.810,60 euros, était manifestement disproportionné non seulement avec les revenus mais également avec les biens de Mme [M].
Le fait que la banque n’ait pas établi de fiche patrimoniale n’a pas pour effet de lui transférer la charge de la preuve de l’absence de disproportion manifeste mais autorise Mme [M] à se prévaloir de toutes dettes et engagements financiers qui grevaient ses biens et revenus à la date du cautionnement.
Il ressort des pièces versées aux débats, que, à la date du cautionnement, Mme [M] était mariée sous le régime de la communauté légale, de sorte qu’il y a lieu de prendre en compte l’ensemble des biens et revenus de la communauté légale.
En 2016, le couple, avec deux enfants à charge, a déclaré des revenus annuels de 30.595 euros.
L’intimé n’a pas fait état de charges particulières.
Par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats par l’intimée que le couple avait acquis, en 2007, un immeuble à usage d’habitation et qu’ils avaient souscrit dans le cadre de cette acquisition deux prêts :
– prêt à l’accession sociale d’un montant de 124.600 euros à échéance en 2032
– prêt à taux zéro d’un montant de 19.000 euros à échéance en 2024
L’intimée ne conteste pas qu’il s’agit de la villa de plain-pied de 100 m², sur terrain de 1.020 m², situé au [Adresse 2].
Contrairement à ce que soutient l’intimée, la valeur de réalisation du bien immobilier ne saurait être assimilée à des « perspectives d’enrichissement de la caution par la vente éventuelle de la résidence du couple » qui, selon l’intimée, ne doivent pas être prises en compte dans l’appréciation de la disproportion manifeste.
En effet, le patrimoine immobilier existant à la date du cautionnement doit être pris en compte dans l’appréciation de la disproportion manifeste, quand bien même les seuls revenus de la caution ne lui permettraient pas de faire face aux échéances du prêt garanti.
A ce stade de l’examen des faits, il incombe à Mme [M] de justifier de la valeur nette du bien immobilier, à la date du cautionnement, afin d’apprécier l’adéquation de son engagement à ses biens et revenus.
Or, l’intimée, n’a proposé aucune évaluation ni produit aucune estimation du bien immobilier commun, à la date du cautionnement, et s’est encore abstenue de préciser, et de justifier, du montant des encours sur les deux prêts, à cette même date, afin de déterminer la valeur nette du bien immobilier.
Et, il ne résulte d’aucun élément que le cautionnement fourni pour un montant de 206.659 euros était nécessairement supérieur à la valeur nette du bien immobilier au 24 mars 2016.
Par conséquent, en l’état des débats, l’intimée échoue à démontrer que son cautionnement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Le jugement sera donc entièrement infirmé et Mme [M] déboutée de sa demande tendant à voir la banque privée du droit de se prévaloir du cautionnement litigieux.
sur la déchéance du droit aux intérêts conventionnels
L’article L. 313-22 du code monétaire et financier dispose que :
« Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. […].
Le défaut d’accomplissement de la formalité prévue à l’alinéa précédent emporte,dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette ».
En l’espèce, la banque a produit aux débats des lettres d’information annuelle destinées à Mme [M] mais sans justifier de leur envoi à celle-ci depuis l’origine du prêt.
Par conséquent, la banque doit être déchue de son droit aux intérêts conventionnels à compter du 31 mars 2017.
Sur la base du prêt consenti à la société Leslama, du tableau d’amortissement, et du décompte de la créance produit aux débats, faisant ressortir deux échéances impayées, en juillet et août 2019, avant la déchéance du terme, il y a lieu de déterminer la créance garantie par Mme [M].
Au montant du capital emprunté de 206.659 euros, il faut d’abord ajouter les intérêts conventionnels jusqu’au 31 mars 2017 et les primes d’assurance jusqu’au mois d’août 2019 inclus, portant la créance garantie par la caution à la somme totale de 206.659 + 4.129,61 + 13.998,66 = 224.787,27 euros.
L’emprunteur a réglé les mensualités pour un montant total de 115.028,26 euros, outre un versement de 175,50 euros, soit 115.203,76 euros.
Ces paiements viennent s’imputer sur le principal de la créance : 224.787,27 ‘ 115.203,76 euros = 109.583,51 euros.
La banque réclame également le paiement de l’indemnité de résiliation d’un montant de 5.912,05 euros.
L’intimée, qui fait une erreur sur le montant de cette indemnité, visant dans ses conclusions le montant des échéances impayées, sollicite le rejet de l’indemnité de résiliation comme étant manifestement excessive.
Mais, compte tenu de la courte période d’exécution du prêt remboursement du prêt et du taux nominal de 2,30 %, le montant de l’indemnité de résiliation n’apparaît pas manifestement disproportionné avec le préjudice subi par la banque du fait de la résiliation prématurée du prêt.
Il y a donc lieu de débouter Mme [M] de sa demande de rejet ou de modération de la clause pénale.
La seconde contestation tirée du caractère manifestement excessif du taux majoré forfaitaire est sans objet dès lors que la banque est privée du droit aux intérêts conventionnels.
Il s’ensuit que Mme [M] sera condamnée à payer à la banque la somme de 115.495,56 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 17 mars 2020.
Mme [M] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la banque une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
et statuant à nouveau,
DEBOUTE Mme [M] de sa demande tendant à voir la banque privée du droit de se prévaloir du cautionnement souscrit le 24 mars 2016,
PRONONCE la déchéance du droit aux intérêts conventionnels de la banque à compter du 31 mars 2017,
DEBOUTE Mme [M] de sa demande de rejet ou de modération de l’indemnité de résiliation forfaitaire,
CONDAMNE Mme [M] à payer à la société Caisse d’épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes la somme de 115.495,56 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2020,
CONDAMNE Mme [M] aux dépens de première instance et d’appel,
CONDAMNE Mme [M] à payer à la société Caisse d’épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière La Présidente