N° 131
MF B
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délivrée à :
– Me Mikou,
le 14.04.2023.
Copie authentique délivrée à :
– Me Antz,
le 14.04.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D’APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 13 avril 2023
RG 20/00344 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 2020/131, rg n° 2020 000029 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 28 août 2020 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 3 novembre 2020 ;
Appelant :
M. [S] [I] [B] [W], né le 12 septembre 1986 à [Localité 3] (France), commerçant, inscrit au Rcs de Papeete sous le n°14 1451 A, n° Tahiti 827 253, demeurant à [Adresse 1] ;
Représenté par Me Dominique ANTZ, avocat au barreau de Papeete ;
Intimée :
La Société Civile de Participation Albert Moux, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n°2791 B, enregistrée sous le numéro Tahiti 135616, demeurant à [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal ;
Représentée par Me Mourad MIKOU, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 27 janvier 2023 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 9 février 2023, devant Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL et Mme PINET-URIOT, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme BRENGARD, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Suivant jugement n° 2020/131 contradictoirement rendu le 28 août 2020, le tribunal mixte de commerce de Papeete a, dans une instance RG 2020 000029,
‘ constaté l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail signé entre la SCI Albert Moux et M. [S] [W] à la date du 8 décembre 2019,
‘ ordonné l’expulsion des lieux loués de M. [W] et de tous occupants de son chef, sous astreinte de 50’000 Fcfp par jour de retard,
‘ condamné M. [W] à verser à la SCI Albert Moux la somme de 2’644’660 Fcfp au titre des charges et loyers impayés provisoirement arrêtés à la date du 13 décembre 2019,
‘ dit que la somme de 2’241’660 Fcfp réclamée dans le commandement de payer sera assortie de l’intérêt légal à compter du 8 novembre 2019, date de la signification de l’acte,
‘ rappelé le principe de la capitalisation des intérêts échus par année entière,
‘ condamné M. [W] à verser à la SCI Albert Moux la somme de 739’000 Fcfp par mois à titre d’indemnité d’occupation des lieux loués à compter de la date d’acquisition de la clause résolutoire jusqu’à libération complète effective des lieux,
‘ dit que le dépôt de garantie reste acquis à la SCI Albert Moux par application du contrat de bail et à titre de dommages-intérêts,
‘ ordonné l’exécution provisoire de sa décision,
‘ condamné M. [W] à payer à la SCI Albert Moux la somme de 300’000 Fcfp représentant les frais irrépétibles, et à supporter les entiers dépens comprenant le coût du commandement de payer du 8 novembre 2019.
Suivant déclaration reçue au greffe le 3 novembre 2020, M. [S] [W] a relevé appel de la décision entreprise.
En ses dernières conclusions du 17 janvier 2023, expliquant qu’il a quitté les lieux, objet du bail litigieux, il entend voir la cour, infirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
vu la résiliation amiable du contrat de bail intervenu le 28 juin 2022,
‘ dire et juger qu’il sera tenu de payer les loyers de mai et de juin 2022 pour un montant global de 1’428’733 Fcfp, et les charges résiduelles à hauteur de 83’150 Fcfp ,
‘ débouter la SCI Albert Moux de sa demande de condamnation au coût des travaux de remise en état des lieux, au titre du préjudice de jouissance et de la clause pénale ainsi que des frais de procédure,
‘ condamner la SCI Albert Moux à lui rembourser le montant du dépôt de garantie s’élevant à 1’286’630 Fcfp,
‘ opérer compensation entre les sommes dues par les parties,
‘ vu la résiliation amiable, laisser les dépens à la charge de l’intimée.
Suivant conclusions du 26 janvier 2023, la société Albert Moux entend voir la cour,
‘ déclarer irrecevables les demandes de M. [W] en vertu du principe de l’estoppel ou à défaut, au motif qu’elles sont nouvelles en appel,
‘ constater qu’en tout état de cause les demandes de M. [W] sont devenues sans objet en raison de son départ des lieux le 28 juin 2022 et les rejeter,
‘ confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et à défaut de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial ayant lié les parties,
‘ condamné M. [W] à lui verser les sommes suivantes :
1’428’733 Fcfp à titre d’indemnité d’occupation pour les mois de mai
2022 et le prorata du mois de juin 2022
83’150 Fcfp au titre des charges impayées
5’266’208 Fcfp représentant le coût des travaux de remise en état
des locaux
2’217’000 Fcfp montant d’une indemnité de jouissance
600’000 Fcfp en remboursement des frais irrépétibles d’appel, outre les entiers dépens comprenant le coût du commandement de payer du 8 novembre 2019 élevant à 18’074 Fcfp et le coût du constat d’huissier de juin 2022 d’un montant de 111’940 Fcfp.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, de la procédure, des prétentions des parties, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d’appel des parties. Se conformant aux dispositions de l’article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, la cour répondra aux moyens par les motifs ci-après.
***
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2023 et si le conseil de M. [W] a indiqué par courrier du 30 janvier qu’il se réservait la possibilité de solliciter la révocation de l’ordonnance de clôture, il n’a pas présenté cette demande à l’audience de plaidoirie du 9 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il est constant que suivant bail commercial du 1er juillet 2011, la Sci Albert Moux a loué à M. [P] [L] un local commercial situé dans l’immeuble dénommé ‘centre commercial du Marché’ à Papeete, et que par un acte sous seing privé du 20 juin 2016 renvoyant aux conditions du bail initial, M. [S] [W] a acquis auprès de l’Eurl Gld Import représentée par M. [L], le fonds de commerce de restauration exploité dans ces locaux.
Suivant acte d’huissier du 16 avril 2019, la SCI Albert Moux a fait signifier à M. [W] un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée aux conditions générales du bail, le sommant de payer dans le délai d’un mois suivant la signification de l’acte, les arriérés locatifs s’élevant à la somme de 2’241’660 Fcfp.
Par requête enregistrée le 15 janvier 2020, la SCI Albert Moux a engagé une action aux fins de résolution du bail à l’égard de M. [W] qui, par conclusions du 13 mai 2020, a acquiescé aux demandes de son bailleur, sollicitant qu’il lui soit donné acte de ce qu’il s’est engagé à quitter les locaux, objet du bail, et à payer les arriérés locatifs.
Le tribunal a fait droit à l’essentiel des demandes de la SCI Albert Moux et notamment a constaté que le bail était expiré par l’effet de la clause résolutoire contractuelle, a ordonné l’expulsion de M. [W] puis a prononcé sa condamnation aux arriérés locatifs.
À l’appui de son appel, M. [W] affirme qu’il est de bonne foi et déclare qu’il verse une somme de 4’318’064 Fcfp qui correspond aux arriérés réclamés par son contradictoire après déduction de frais qui ne lui incombent pas.
Il affirme également que la Sci Albert Moux a accepte qu’il libère le local le 28 juin 2022.
– Sur le caractère nouveau des demandes de M.[W] en appel :
Pour soutenir l’irrecevabilité des demandes de M. [W], la Sci Albert Moux invoque le principe de l’estoppel ou à défaut, se prévaut de l’article 349 du code de procédure civile de Polynésie française qui prohibe en appel, les prétentions qui n’ont pas d’abord été soumises au premier juge.
La cour relève que les demandes de M. [W] sont motivées par un fait nouveau, à savoir qu’il a libéré les lieux, objet du bail commercial litigieux, le 28 juin 2022.
M.[W] admet également avoir à l’égard de son ancien bailleur, une dette au titre des loyers arriérés et des charges impayés, ce qui constitue un acquiescement partiel au jugement ; or, une telle position est toujours admissible durant un procès.
Ses demandes sont donc recevables en la forme.
– sur la demande d’infirmation du jugement :
M. [W] sollicite l’infirmation du jugement. Dans son jugement, le tribunal relève que M. [W] ne s’oppose pas aux demandes de la Sci Albert Moux.
Dans ses écritures, M. [W] ne critiquent pas en termes juridiques, les dispositions ayant constaté l’expiration du bail par l’effet de la clause résolutoire et ayant ordonné son expulsion.
Or, la cour observe que l’acte signé le 1er juillet 2011 par lequel l’Eurl Gld Import représentée par son gérant, M. [P] [L], cédait le fonds de commerce au profit de M. [W] renvoie au bail commercial consenti par la Sci Albert Moux à M. [L] le 1er juillet 2011, et que des commandements de payer ont été successivement délivrés à M. [W] le 12 novembre 2018 puis le 16 avril 2019 puis le 8 novembre 2019 se référant à la clause résolutoire insérée dans les conditions générales du bail initial sans que M. [W] ne déclare s’y opposer par procédure judiciaire ou même par voie amiable.
En conséquence, c’est à juste titre que le tribunal a constaté la résiliation du bail par l’effet de ses dispositions contractuelles, et en raison du non-paiement de l’arriéré locatif qui était réclamé par l’acte d’huissier notifié le 8 novembre 2019, et qu’il a, par voie de conséquence, ordonné l’expulsion de M. [W]. Celui-ci a, en tout état de cause, libéré les locaux alors même qu’il avait obtenu que le Premier président de la cour de céans prononce l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement suivant ordonnance du 24 février 2020.
Du reste, il fait valoir devant la cour de céans, qu’une résiliation amiable est intervenue le 28 juin 2022. Si la cour ne voit pas dans les conclusions de la Sci Albert Moux et dans les pièces du dossier que la libération des locaux se soit faite à ‘l’amiable’, elle déduit du départ volontaire de M.[W], qu’il accepte ladite résiliation.
Le jugement sera donc confirmé en ces dispositions concernant la rupture du bail et l’expulsion de M. [W].
– sur la dette locative de M. [W] :
Le tribunal a condamné M. [W] au paiement d’une somme de 2 644 660 Fcfp au titre des loyers et charges arriérés au 13 décembre 2019, outre une indemnité d’occupation mensuelle de 739 000 Fcfp courant à compter de la date d’acquisition de la clause résolutoire – 8 décembre 2019 – jusqu’à la libération effective des lieux – 28 juin 2022.
En appel, compte tenu de l’évolution du litige et notamment du fait de la libération des locaux, objet du bail résilié, les prétentions des parties ont été modifiées. Cependant, les conclusions des parties sont convergentes en ce qui concerne l’arriéré locatif actuel, soit 1 428 733 Fcfp + 83 150 Fcfp représentant la somme de 1 511 883 Fcfp que M. [W] sera donc condamné à verser à la Sci Albert Moux, après infirmation partielle du jugement sur les sommes dues par l’appelant.
Dans les motifs de ses conclusions, M. [W] semble solliciter des délais pour apurer sa dette sans toutefois produire d’éléments concrets touchant à sa situation personnelle et financière permettant à la cour de les lui octroyer, puis, au cours de ses écritures, il déclare verser volontairement la somme de 4 318 064 Fcfp qui, pour lui, apure sa dette et il explique qu’il renonce donc au délai de grâce précédemment sollicité.
Il évoque très longuement les torts que lui ont causé les personnes qu’il a pris en location-gérance mais il fait ainsi allusion à des tiers et ne verse pas de pièce montrant que ses difficultés alléguées ont eu une incidence quelconque sur le présent procès l’opposant à son bailleur.
– sur les demandes reconventionnelles présentées par la Sci Albert Moux :
La société intimée sollicite que le preneur sortant soit condamné à indemniser les travaux de remise en état des locaux qu’elle déclare importants, outre le paiement d’une indemnité de jouissance .
M. [W] conteste le bien-fondé de ces prétentions qui, selon lui, ne sont pas justifiées.
Le bail commercial initial stipule que le preneur accepte les lieux en l’état.
En l’absence d’état des lieux, le locataire est présumé avoir reçu les lieux en bon état.
Les messages électroniques échangés par les parties en mai et juin 2022 montrent que la remise des clés des locaux et l’état des lieux de sortie ont été différés à cause des atermoiements de M. [W] qui a retardé autant que possible cette phase contradictoire de la fin du bail au motif qu’il entendait faire des travaux de remise en état qu’il n’a finalement pas réalisé.
Ainsi, la Sci Albert Moux a fait procéder à un constat par l’office d’huissiers de justice [Z] [R] [V] en date des 7, 13, 27 et 28 juin 2022 en l’absence de M. [W]. L’huissier indique que M. [W] présent les 27 et 28 juin, déclare restituer les lieux en l’état. Or, l’officier ministériel décrit méticuleusement les locaux et joint à son constat de nombreuses photographies (75) qui montrent de manière incontestable que les locaux délaissés par M.[W] sont dans un mauvais état d’entretien et totalement dégradés.
M. [W] réplique que les factures d’un montant de 5 266 208 Fcfp dont le bailleur demande le paiement, visent à une réfection totale du local commercial. Cependant, il ne produit strictement aucune pièce et ne fournit ainsi pas d’élément concret permettant de mettre en doute les constatations objectives de l’huissier.
En conséquence, la cour condamnera M. [W] à payer à la Sci Albert Moux la somme réclamée au titre des travaux de remise en état du fonds qui lui incombent, en sa qualité de locataire sortant.
– l’indemnité de jouissance :
La Sci Albert Moux fait valoir que les travaux de remise en état doivent durer trois mois et réclame le montant de trois mensualités de loyer en contrepartie de sa perte de jouissance des locaux résultant de l’impossibilité de louer pendant ce temps.
La cour estime que la demande est justifiée mais qu’un mois est suffisant pour ce chantier de réfection intérieure d’un local commercial. M. [W] sera donc condamné au paiement d’une somme de 739 000 Fcfp représentant des dommages intérêts pour perte de jouissance en lien avec la remise en état locative du fonds.
M. [W] est donc condamné au paiement des sommes principales de 1 511 883 Fcfp + 5 266 208 Fcfp + 739 000 Fcfp dont il convient de déduire le dépôt de garantie de 1 286 630 Fcfp, soit en définitive, la somme de 6 230 461 Fcfp.
– sur les frais de procédure :
M. [S] [W] succombe sur l’essentiel de ses demandes et doit donc être condamné aux dépens de l’appel. En outre, après avoir contesté les demandes de son bailleur, il y a acquiescé partiellement et a fait durer le procès qui n’est dû qu’au non-respect de ses obligations contractuelles de payer les loyers et charges échus . L’établissement du constat d’huissier a été rendu nécessaire par son comportement dilatoire. C’est donc à bon droit que la Sci Albert Moux demande que le coût de ce constat soit 111 940 Fcfp soit inclus entièrement dans les dépens.
S’agissant du coût du commandement de payer du 8 novembre 2019, il a déjà éte pris en compte dans les dépens de première instance.
La cour fera également droit à la demande présentée par la Sci Albert Moux au titre des frais irrépétibles d’appel mais à hauteur de 400 000 Fcfp.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
Vu l’appel de M. [S] [W],
Confirme le jugement en ses dispositions ayant :
‘ constaté l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail signé entre la Sci Albert Moux et M. [S] [W] à la date du 8 décembre 2019,
‘ ordonné l’expulsion des lieux loués de M. [W] et de tous occupants de son chef, sous astreinte de 50’000 Fcfp par jour de retard,
L’infirmant pour le surplus, et statuant à nouveau,
Constate que M. [S] [W] a libéré les locaux, objet du bail résilié le 28 juin 2022,
Dit qu’il demeure débiteur à l’égard de la Sci Albert Moux, des sommes suivantes :
1 511 883 Fcfp au titre des loyers et charges arriérés,
5 266 208 Fcfp représentant les travaux de remise en état locatif,
739 000 Fcfp à titre de dommages intérêts pour la perte de jouissance,
Le condamne après déduction du dépôt de garantie à payer à la Sci Albert Moux, la somme de 6 230 461 Fcfp,
Le condamne également à payer à la Sci Albert Moux la somme de 400 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles d’appel, sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de Polynésie française, et à supporter les entiers dépens comprenant le coût du constat dressé par l’office d’huissiers de justice [Z] [R] [V], lesdits dépens pouvant être distraits au profit de la Selarl Mikou, avocat qui en fait la demande,
Rejette les autres demandes plus amples ou contraires.
Prononcé à Papeete, le 13 avril 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : MF BRENGARD