Droits des Artisans : 6 septembre 2022 Cour d’appel de Reims RG n° 21/01451

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Droits des Artisans : 6 septembre 2022 Cour d’appel de Reims RG n° 21/01451

ARRET N°

du 06 septembre 2022

N° RG : 21/01451 – N° Portalis DBVQ-V-B7F-FBC3

[K]

c/

[P]

S.A. SOCIETE GENERALE

S.A. SOGECAP

Formule exécutoire le :

à :

Me Isabelle BAISIEUX

Me Vincent THIERY

Me Dominique ROUSSEL

Me [N] [M]

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 06 SEPTEMBRE 2022

APPELANTE :

d’un jugement rendu le 01 juin 2021 par le TJ de REIMS

Madame [H] [K]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Isabelle BAISIEUX, avocat au barreau de REIMS

INTIMEES :

Madame [Y] [P]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentée par Me Vincent THIERY, avocat au barreau de REIMS

S.A. SOCIETE GENERALE prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit au siège social

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Dominique ROUSSEL, avocat au barreau de REIMS

S.A. SOGECAP Maître [N] [M] se constitue aux lieu et place de l’AARPI [N] [M] Jean-Pierre SIX ensuite de sa dissolution

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Me [N] [M], avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre et Monsieur Cédric LECLER, conseiller, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées ; en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Monsieur Cédric LECLER, conseiller

Madame Florence MATHIEU, conseillère

GREFFIER :

Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, lors des débats et du prononcé

DEBATS :

A l’audience publique du 21 juin 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 06 septembre 2022,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 06 septembre 2022 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS,greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS PROCEDURE

Le 26 mars 2003, M.[W] [K] né le 19 avril 1930, a révoqué toutes dispositions testamentaires prises antérieurement et en particulier la donation entre époux consentie à son épouse Mme [H] [K], dit qu’il privait celle-ci de tous droits dans la succession et a institué pour sa légataire universelle en toute propriété des biens meubles et immeubles qui composeront sa succession, sa fille [Y] [K] épouse [P] née le 12 décembre 1958.

Le 23 septembre 2003, M.[W] [K] a adhéré au contrat collectif d’assurance vie Erable Essentiel souscrit par la Sogenal auprès de la société Sogecap avec un versement à l’adhésion de 50 euros et la mise en place de versements mensuels du même montant et a désigné comme bénéficiaire en cas de décès Mme [Y] [P] ou à défaut les héritiers de l’assuré.

Le 9 janvier 2007, M. [W] [K] a adhéré au contrat collectif d’assurance sur la vie, dénommé Sequoia, souscrit par la Société Générale auprès de la société Sogecap, moyennant le versement d’une prime de 26 127,24 euros provenant d’un virement d’une épargne constituée sur un autre produit et une périodicité de versements libres et a désigné comme bénéficiaire en cas de décès Mme [Y] [P] ou à défaut les héritiers de l’assuré.

Le 6 mai 2011, M. [W] [K] a modifié la clause bénéficiaire du contrat Sequoia et a désigné en lieu et place de sa fille «’son conjoint non divorcé, ni séparé de corps ou le partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, à défaut ses enfants nés ou à naître, vivants ou représentés, par parts égales, à défaut ses héritiers’».

A la même date, M. [W] [K] a également procédé à un rachat partiel sur son contrat d’assurance vie pour un montant de 3 012,41 euros.

Le 10 octobre 2011, M. [W] [K] a effectué un versement libre d’un montant de 90 000 euros sur son contrat d’assurance-vie.

Par jugement du 17 mars 2016, il a été placé sous tutelle par le juge des tutelles du tribunal de grande instance de Reims qui a désigné un tiers en qualité de tuteur et par décision du 1er avril 2016, Mme [Y] [P] subrogée tutrice.

Par arrêt du 6 janvier 2017, la cour d’appel a infirmé partiellement ce jugement et désigné Mme [Y] [P] tutrice de son père.

Par requête du 27 mars 2017, Mme [Y] [P] a demandé au juge des tutelles de l’autoriser à modifier la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie Sequoia.

Par ordonnance du 19 juin 2017, le juge des tutelles de Reims a rejeté cette demande.

Par arrêt du 21 septembre 2018, la cour d’appel de Reims a confirmé l’ordonnance déférée, en précisant qu’il n’appartenait pas au juge des tutelles d’apprécier si à la date à laquelle elle avait été effectuée, la modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie litigieuse au profit de Mme [H] [K] correspondait à une volonté libre et éclairée de M. [W] [K]; que la remise en cause d’une telle clause bénéficiaire, en l’absence de modification ultérieure, n’était susceptible d’être contestée que dans le cadre d’une instance contentieuse au cours de laquelle pourrait être le cas échéant ordonnée une expertise.

M. [W] [K] est décédé le 10 octobre 2018.

Le 27 décembre 2018, la société Sogecap a versé à Mme [H] [K], en sa qualité de conjoint non divorcé, ni séparé de corps ou de partenaire avec lequel était lié l’assuré par un pacte civil de solidarité, la somme de 135.294,01 euros au titre du capital décès du contrat d’assurance-vie Sequoia.

Le 8 mars 2019, la société Sogecap a versé à Mme [Y] [P] la somme de 10 202,51 euros au titre du capital décès du contrat d’assurance vie Essentiel du 6 octobre 2003.

Les 8 et 14 février 2019, Mme [Y] [P] a saisi le tribunal judiciaire de Reims, au visa des articles 414-1 du code civil et des dispositions du code des assurances, aux fins de voir annuler la modification de la clause bénéficiaire en date du 6 mai 2011 et, par conséquent, de déclarer le contrat d’assurance-vie Sequoia contracté par M. [W] [K] pleinement applicable en sa version du 9 janvier 2007, en déduire qu’elle en est bénéficiaire et condamner la société Sogecap à lui verser le montant correspondant au capital de cette assurance-vie assorti du taux d’intérêt légal à compter du 10 octobre 2018.

Dans l’hypothèse où la somme correspondante aurait d’ores et déjà été versée à Mme [H] [K], condamner celle-ci à reverser et à payer cette somme à Mme [Y] [P] assortie du taux d’intérêt légal à compter du 10 octobre 2018, et à titre subsidiaire, condamner la société Société Générale à payer à Mme [Y] [P], au titre de la perte de chance, une somme correspondant à 95% du montant du capital l’assurance-vie souscrite par M. [W] [K].

Mme [H] [K] a demandé au tribunal de débouter Mme [Y] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions, à titre subsidiaire, de dire que les contrats d’assurance vie Sequoia et Erable Essentiel ont été alimentés avec des biens de la communauté [K]-[U] et devront être rapportés à la communauté des époux [K], en tout état de cause de condamner Mme [Y] [P] à réparer son préjudice moral.

La Sogecap a conclu au débouté de Mme [Y] [P] et de Mme [H] [K] de toutes leurs demandes, fins et conclusions formées à l’encontre de Sogecap.

A titre subsidiaire dans l’hypothèse où le tribunal prononcerait la nullité de la modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie Sequoia, elle demande de condamner Mme [Y] [P] à accomplir auprès de l’administration fiscale les démarches nécessaires, étant précisé que tous éventuels paiements ou restitutions devraient être effectués dans le respect de la législation fiscale, et si la société Sogecap était condamnée à régler le capital décès à Mme [Y] [P], de condamner Mme [H] [K] qui a perçu le capital décès, à relever et garantir la Sogecap de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, le cas échéant de condamner celle-ci à lui rembourser les sommes de 135.294,01 euros (capital décès) et de 176,65 euros (intérêts complémentaires) au titre du contrat d’assurance-vie Sequoia litigieux en vertu des dispositions de l’article 1302-1 et suivants du code civil.

La Société Générale a demandé au tribunal, au visa des articles L. 114-1 du code des assurances et 1353 du code civil à titre principal de déclarer Mme [Y] [P] irrecevable au motif que son action est prescrite,à titre subsidiaire de constater que la Société Générale n’a pas manqué à son devoir d’information et de conseil et en tout état de cause de débouter Mme [Y] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions à son encontre.

Par jugement du 1er juin 2021, le tribunal judiciaire de Reims a :

– annulé l’avenant du 6 mai 2011 au contrat d’assurance vie Sequoia du 9 janvier 2007,

– condamné Mme [H] [K] à payer à Mme [Y] [P] les sommes de 135.294,01 euros (capital décès) et de 176,65 euros (intérêts complémentaires), augmentées des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2019,

– rejeté la demande tendant à voir dire que les contrats d’assurance vie Sequoia et Erable Essentiel devront être rapportés à la communauté des époux [K],

– rejeté la demande de dommages et intérêts,

– condamné Mme [H] [K] à payer à Mme [Y] [P] une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

– condamné Mme [Y] [P] à payer aux sociétés Sogecap et Société Générale une indemnité de 1 000 euros chacune,

– condamné Mme [H] [K] aux dépens.

Le tribunal a estimé que M. [W] [K] était affecté à l’époque de la modification critiquée de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé, pathologie neurologique dégénérative, qui avait entraîné une altération très significative de ses fonctions cognitives dont celle de jugement, et qu’aucun élément ne permettait de retenir l’existence d’un intervalle de lucidité durant cette période.

Il a prononcé l’annulation de l’avenant dit qu’il était censé n’avoir jamais existé et que devait recevoir pleine application la clause bénéficiaire insérée dans le contrat initial du 9 janvier 2007 désignant Mme [Y] [P] en qualité de bénéficiaire.

Faisant application de l’article L132-25 du code des assurances permettant à l’assureur, de façon générale, de se libérer valablement entre les mains de celui qui dispose d’un juste titre ou a été désigné à un moment donné en qualité de bénéficiaire, sans qu’il ait eu connaissance de circonstances remettant en cause cette désignation, il en a déduit le caractère libératoire du paiement effectué par la société Sogecap entre les mains de la bénéficiaire et donc que Mme [Y] [P] n’avait d’autre recours qu’à l’encontre de Mme [H] [K].

Sur la demande de celle-ci, de rapport à la communauté des primes versées sur les contrats d’assurance vie au motif que ceux-ci avaient été alimentés avec des biens de la communauté [K]-[U], le tribunal a répondu qu’il n’était pas établi que les primes des deux contrats d’assurance vie avaient été réglées avec des fonds communs, qu’en outre le capital ou la rente garantis ne faisaient pas partie de la succession de l’assuré, que le caractère manifestement exagéré des primes versées n’était pas invoqué, ni que le défunt aurait tiré un profit personnel des biens de la communauté pour une assurance vie souscrite au bénéfice de l’enfant commun des époux; qu’à supposer qu’un tel droit à récompense de la communauté soit prouvé, c’était la succession de l’adhérent qui devait cette récompense.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par Mme [H] [K], que si les attestations versées étaient révélatrices de relations conflictuelles entre la mère et la fille, aucune faute imputable à cette dernière (laquelle de son côté argue de sa très grande probité et de sa volonté de faire respecter la volonté de son père décédé dont elle était très proche avec sa s’ur [J] [A]) ne peut en être inférée.

Par déclaration du 9 juillet 2021, Mme [H] [K] a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.

PRETENTIONS et MOYENS

Par conclusions déposées le 12 octobre 2021, Mme [H] [K] demande à la cour d’infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Reims en date du 1er juin 2021 et statuant à nouveau

A titre principal de débouter Mme [Y] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

Vu l’article 1104 du code civil,

– de juger que les contrats d’assurance vie Sequoia et Erable Essentiel ont été alimentés avec des biens de la communauté [K]-[U],

– de juger que lesdits contrats d’assurance vie ont été alimentés par une prime unique excessive,

– en conséquence, de dire que lesdits contrats devront être rapportés à la communauté des époux [K],

En tout état de cause,

– de condamner Mme [Y] [P] à régler à Mme [H] [K] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

– de la condamner à la somme de 3 000 euros en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– de la condamner aux entiers dépens et autoriser Me [L] Baisieux à les recouvrer directement.

Par conclusions déposées le 14 décembre 2021, Mme [Y] [P] demande à la cour au visa des articles 414-1 du code civil et des dispositions du code des assurances de confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu’il l’a condamnée à payer aux sociétés Sogecap et Société Générale une indemnité de 1 000 euros chacune au titre des frais irrépétibles.

Par conséquent,

– d’annuler l’avenant du 6 mai 2011 au contrat d’assurance-vie Sequoia du 9 janvier 2007 et condamner Mme [H] [K] à lui payer les sommes de 135 294,01 euros (capital décès) et de 176,65 euros (intérêts complémentaires) augmentées des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2019,

-à titre subsidiaire, de condamner la société Société Générale à lui payer au titre de la perte de chance, une somme correspondant à 95% du montant du capital l’assurance-vie souscrite par M. [W] [K] soit la somme de 128.697,13 euros,

– de condamner Mme [H] [K] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et la partie qui succombera à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile à hauteur d’appel,

– de débouter les autres parties, notamment Mme [H] [K], de leurs demandes,

– de condamner la partie qui succombera ou les parties qui succomberont aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 18 novembre 2021, la Société Générale demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Reims en date du 1er juin 2021,

A titre principal,

Vu l’article L114-1 du code des assurances,

– de juger que l’action engagée par Mme [Y] [P] à l’encontre de la Société Générale est prescrite et en conséquence de juger Mme [Y] [P] irrecevable dans sa demande formée à l’encontre de la Société Générale,

A titre subsidiaire,

Vu l’article 1353 du code civil,

Vu l’arrêt de la second chambre civile de la Cour de cassation du 13 septembre 2007 (n° 06-18.199),

Vu l’obligation de moyens du courtier en assurance,

– de juger que la Société Générale n’a pas manqué à son devoir d’information et de conseil,

En tout état de cause,

– de débouter Mme [Y] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions à son encontre,

– de condamner Mme [Y] [P] à payer à la Société Générale la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– de la condamner aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions déposées le 12 janvier 2022, la société Sogecap au visa des articles 1134 du code civil, L132-8 du code des assurances, L132-12 et L132-13 du dit code de confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a considéré que le versement des capitaux décès du contrat d’assurance vie Sequoia réalisé de bonne foi par l’assureur était libératoire, en ce qu’il a rejeté la demande tendant à voir dire que les contrats d’assurance-vie Sequoia et Erable Essentiel devront être rapportés à la communauté des époux [K], en ce qu’il a condamné Mme [Y] [P] à payer à la société Sogecap la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté Mme [Y] [P] et Mme [H] [K] de toutes leurs demandes, fins et conclusions formées à l’encontre de Sogecap.

A titre subsidiaire et dans l’hypothèse où la cour confirmerait le jugement de première instance,

– de condamner Mme [Y] [P] à accomplir auprès de l’administration fiscale les démarches nécessaires, étant précisé que tous éventuels paiements ou restitutions devraient être effectués dans le respect de la législation fiscale,

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour prononcerait la nullité de la modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie Sequoia et où la société Sogecap serait condamnée à régler le capital décès à Mme [Y] [P],

– de condamner Mme [H] [K] qui a perçu le capital décès, à relever et garantir la société Sogecap de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

Très subsidiairement, dans l’hypothèse où la société Sogecap serait condamnée à régler le capital décès qu’elle a déjà versé à Mme [H] [K],

– de condamner Mme [H] [K] à lui rembourser les sommes de 135.294,01 euros (capital décès) et de 176,65 euros (intérêts complémentaires) au titre du contrat d’assurance-vie Sequoia litigieux en vertu des dispositions de l’article 1302-1 et suivants du code civil,

– de dire que le capital décès au titre du contrat d’assurance-vie Sequoia sera versé dans le respect des dispositions fiscales,

-de condamner tout succombant à régler en cause d’appel la somme de 3000 euros à la société Sogecap sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner tout succombant aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 mai 2022.

MOTIFS

Sur la nullité de l’avenant du 6 mai 2011 au contrat d’assurance-vie Sequoia du 9 janvier 2007.

L’article L 132’8 du code des assurances permet la désignation ou la substitution d’un bénéficiaire d’une assurance-vie par voie d’avenant au contrat.

En l’espèce, dans un avenant du 6 mai 2011, Monsieur [W] [K] a substitué son épouse Mme [H] [K], à sa fille Mme [Y] [P], en qualité de bénéficiaire de son contrat d’assurance vie Sequoia conclu le 19 janvier 2007.

Celle-ci poursuit la nullité de cette clause modificative pour insanité d’esprit de son père.

Dans la mesure où Monsieur [W] [K] décédé le 10 octobre 2018 a été placé sous tutelle par jugement du 17 mars 2016, soit avant son décès, est remplie l’une des conditions de recevabilité de la demande de nullité de cette modification pour insanité d’esprit présentée par son héritière

Sur le fondement de l’article 414’1du Code civil, il lui appartient dès lors de démontrer son bien-fondé et donc que l’existence d’un trouble mental privait déjà Monsieur [K] de ses facultés cognitives cinq ans avant sa mise sous tutelle lorsqu’au mois de mai 2011 il a décidé de changer le bénéficiaire de son assurance vie.

Mme [H] [K] estime que Mme [Y] [P] n’apporte pas cette preuve que d’ailleurs concomitamment à la modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie elle n’a pas contesté cette capacité lorsqu’il s’est agi la même année 2011 de procéder à la vente de biens immobiliers et qu’elle a accepté d’être nommée en qualité de mandataire de Monsieur et Madame [K] pour la signature définitive de cet acte et n’a pas sollicité l’ouverture d’une mesure de protection avant l’année 2015; que cette capacité n’a pas plus été contestée par le notaire de famille devant lequel cette vente a été conclue.

Elle développe qu’elle a eu cinq enfants d’une précédente union puis une fille, Mme [Y] [P] née de son union avec Monsieur [K], qui ne supportait pas que ses demi-frères et s’urs puissent bénéficier d’une quelconque manière du patrimoine de son père et avec laquelle elle a toujours été en conflit ; que Monsieur [K] conscient que sa fille était âpre aux gains et ne voulant pas mettre son épouse en danger en cas de pré décès, a modifié la clause bénéficiaire des assurances vie à son profit en toute conscience.

Des documents produits, il ressort que M. [K] né le 19 avril 1930 était âgé de 81 ans au moment de la modification de la clause bénéficiaire, qu’il était marié à Mme [H] [K] depuis 50 ans et que des troubles de mémoire l’avait amené à consulter dès 2006 en consultation mémoire au service de médecine interne du CHRU de [Localité 4], date à laquelle il expose une plainte mémoire depuis 2 ans avec un oubli des faits récents qui commence à le géner et à l’issue duquel, par la prescription d’un scanner cérébral et d’un bilan neuropsychologie détaillé, il a été diagnostiqué atteint de la maladie d’Alzheimer stade modéré.

Certes en 2011, soit 5 ans plus tard par acte notarié du 16 août 2015, il a vendu avec son épouse des biens immobiliers (des étangs).

Mais il ne s’est pas présenté devant le notaire, pas plus que son épouse puisque les époux étaient représentés par leur fille Mme [Y] [P] à la quelle Mme [H] [K] avait donné mandat pour elle et pour son époux pour lequel elle a signé pour ordre, de sorte qu’il ne peut être retenu que le notaire a été en mesure de constater l’état de ses facultés mentales. L’acquéreur du bien immobilier atteste qu’il n’a pas rencontré les vendeurs représentés par leur fille

En outre, Mme [Y] [P] démontre que le mandat de vente concernant ces étangs a été donné dès 2008 et elle développe sans contradiction qu’ils constituaient un patrimoine couteux qui nécessitait un trop grand entretien depuis la dégradation de l’état de santé de M.[W] [K] artisan créateur d’étangs en retraite, qui ne pouvait plus l’assurer, pas plus qu’aucun membre de la famille de sorte que la décision a été prise dans l’intérêt de tous, en dépit de l’opposition de M.[W] [K], pour lequel son épouse a signé une attestation.

Il ne peut dès lors être tiré aucune conséquence sur l’état de santé de M.[W] [K], de la constatation de cette vente en 2011.

Par ailleurs, la cour relève qu’il a continué à habiter avec son épouse jusqu’à son hospitalisation en gériatrie (mai 2015) et son admission définitive à la maison de retraite au service de gériatrie de l’hôpital (août 2015) et que sa demande de mise en place d’une mesure de protection juridique ne remonte qu’à juin 2015.

Mais à cette date d’hospitalisation de juin 2015, l’épuisement physique et moral de Mme [H] [K] et de Mme [Y] [P] malgré les aides multiples à domicile, est souligné par celles-ci dans leur demande d’admission d’urgence au mois de juin 2015. Il y est noté que le patient dément sévère est atteint de la maladie d’Alheimer depuis 12 ans.

En outre, l’expertise diligentée par le professeur [V], praticien hospitalier expert auprès du tribunal judiciaire de Reims à la demande de Mme [Y] [P], à partir des documents disponibles au sein du CHU de [Localité 4] où a été suivi et diagnostiqué Monsieur [K], et offrant de la compléter avec les éléments de suivi du docteur [R] puis du Docteur [T] ayant suivi successivement en tant que médecin généraliste Monsieur [K], montre à cette date la sévérité des troubles cognitifs, de l’altération fonctionnelle, de la dépendance marquée et des troubles psycho comportementaux associés de celui-ci confiné au lit et au fauteuil avec un surcroit un syndrome parkinsonien contribuant à des troubles locomoteurs et à l’altération de son état général.

Le professeur [V], muni de ces éléments, a fait le constat de l’impossibilité dans laquelle était déjà M.[K] à la date du 6 mai 2011, qui présentait une maladie d’Alzheimer se situant à l’époque entre le stade modéré et sévère, de prendre une décision éclairée concernant les démarches administratives.

Et le professeur [B], neurologue, interpellé par Mme [Y] [P] sur ce point lui répond que lorsqu’il a vu son père pour la dernière fois en consultation le 30 octobre 2010, il présentait une altération très significative de ses fonctions cognitives entraînant, entre autres, une altération de son jugement.

Cette constatation d’un état mental dégradé par la maladie avant 2011 ne laissant pas à M.[K] la possibilité de prendre des décisions éclairées ressort également du contenu de quelques attestations de personnes le connaissant depuis des années qui ont été amenées à le croiser.

Ainsi, le maire de la commune dans laquelle était né Monsieur [K], conseiller général départemental attestant bien connaître toute la famille [K] depuis 1960 et ayant eu l’occasion de rencontrer et de dialoguer régulièrement avec Monsieur [K], atteste que le 26 août 2009 à la fin de la cérémonie religieuse des obsèques du propre frère de celui-ci, M.[K] lui a affirmé que «’c’était un beau mariage’» puis a tenu des propos incohérents démontrant des troubles cognitifs sévères .

Ainsi encore, un retraité ayant été amené à entretenir les étangs de M.[K] et à aider son entourage à stimuler sa mémoire entre 2009 et 2011 en jouant aux cartes avec lui, atteste qu’en changeant de pièce, il lui disait à chaque fois bonjour comme s’il ne le reconnaissait pas.

Un autre encore atteste qu’à partir de 2008, sa femme l’accompagnait chez sa fille qui l’accueillait pour le garder l’après-midi ou même la journée pour que sa femme puisse aller vaquer à ses occupation.

Sa demande d’invalidité «’dépendance perte d’autonomie’», faite en son nom a été admise par la compagnie d’assurances Groupama quelques mois plus tard soit le 13 janvier 2012.

En conséquence, ces éléments démontrent qu’au moment de la conclusion de l’acte litigieux en mai 2011, une altération des capacités intellectuelles de type maladie d’Alzheimer évolutive depuis 2003 et diagnostiquée depuis 2006 rendait M.[K] insain d’esprit.

En conséquence, le jugement de première instance est confirmé en ce qu’il déclare nulle la modification de la clause bénéficiaire le 6 mai 2011 et redonne en conséquence à la clause bénéficiaire du 9 janvier 2017 désignant Mme [Y] [P] en cette qualité toute sa force.

Dans la mesure où la Sogecap, promettante justifie qu’elle a versé le montant de l’assurance-vie à Mme [H] [K], désignée en qualité de bénéficiaire au contrat au décès du titulaire, elle a rempli son obligation en application de l’article L132-25 du code des assurances permettant à l’assureur, de façon générale, de se libérer valablement entre les mains de celui qui dispose d’un juste titre ou a été désigné à un moment donné en qualité de bénéficiaire, sans qu’il ait eu connaissance de circonstances remettant en cause cette désignation.

Aussi, c’est à juste titre que le tribunal a condamné Mme [H] [K] à reverser à Mme [Y] [P] les sommes touchées soit 135 294,01 euros (capital décès) et de 176,65 euros (intérêts complémentaires) augmentées des intérêts au taux légal à compter du 14 février 2019.

Sur la demande de rapport des primes versées sur les contrats d’assurance vie à la communauté [K]-[U] .

Mme [H] [K] demande à titre subsidiaire, sur le fondement de l’article 1401 du code civil de juger que les contrats d’assurance vie Sequoia et Erable Essentiel dont bénéficient Mme [Y] [P] ont été alimentés avec des biens de la communauté [K]-[U], et en conséquence, de dire que lesdits contrats devront être rapportés à la communauté des époux [K].

L’article 1401 prévoit que la communauté se compose activement des acquêts faits ensemble ou séparément durant le mariage et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres.

L’assurance vie souscrite par un époux au bénéfice de l’autre est soumise à un régime dérogatoire prévu aux articles L 412-16 L 132’16 et L 132’13 du code des assurances.

Il en résulte que le bénéfice de l’assurance sur la vie contractée par un époux commun en biens en faveur de son conjoint constitue un propre pour celui-ci peu important que le prix ait été payé par la communauté.

Ces règles d’insoumission aux règles du rapport à succession ou à réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant du capital décès s’appliquent également aux sommes versées par l’assuré à titre de primes, à moins selon l’article L132-13 précité, qu’elles n’aient été manifestement exagérées au regard des facultés du souscripteur au moment du versement, compte tenu de son âge, de la situation patrimoniale et familiale ou de l’utilité du contrat, et dans ce seul cas elles ouvrent une possibilité de rapport total ou partiel de la succession de l’adhérent, à la communauté.

En revanche, toutes les fois qu’il est pris sur la communauté une somme, soit pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l’un des époux, telles que le prix ou partie du prix d’un bien à lui propre ou le rachat des services fonciers, soit pour le recouvrement, la conservation ou l’amélioration de ses biens personnels, et généralement toutes les fois que l’un des deux époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, il en doit la récompense.

Or, lorsque l’assurance-vie souscrite par un époux n’a pas désigné son conjoint en qualité de bénéficiaire mais un tiers, et si celui-ci par l’application des dispositions de l’article L 132’12 du code des assurances peut prétendre directement au paiement du capital, il n’en reste pas moins que le conjoint a ainsi privé la communauté des sommes investies dans son seul intérêt sur le contrat d’assurances de sorte que même non excessives elles ouvrent droit à récompense sur le fondement de l’article 1437 du code civil.

Il n’est pas démontré ni même allégué et il ne fait pas débat que Monsieur [K] ne détenait pas et n’a pas acquis de biens propres au cours de la communauté légale réduite aux acquêts qu’il formait avec Mme [H] [K] depuis 1956 de sorte qu’à défaut de preuve contraire, les contrats d’assurance vie ouverts en 2003 et 2007 et alimentés dont en dernier lieu en 2011 proviennent de fonds communautaires.

Mme [H] [K] est dès lors fondée à réclamer que les montants placés reviennent dans l’actif de la communauté pour qu’elle en ait sa part.

Il sera fait droit à sa demande et le jugement est infirmé.

Sur la demande en dommages et intérêts de Mme [H] [K] dirigée contre Mme [Y] [P] au préjudice moral.

Mme [H] [K] développe qu’elle est âgée et très fragile et éprouvée psychologiquement et physiquement par le comportement de sa fille qui la harcelle et se comporte de manière inadmissible à son écart ainsi que le démontrent différents témoignages qu’elle produit.

Mais pour obtenir réparation, il faut qu’au delà du préjudice allègué soit démontrée l’existence de fautes particulières en lien de causalité avec celui-ci ce qui ne se limite pas à la constatation de la dégradation de l’état de santé d’une dame née en 1933 mère de 6 enfants et de nombreux petits enfants ou à l’observation de relations familiales dégradées en ce que celles-ci peuvent exister au sein d’une même famille sans faute spécifique de l’un de ses membres et notamment lorsque s’ouvrent, comme en l’espèce, des questions souvent douloureuses de succession, de partage, de dégradation de santé, de maladie de nécessité de prise en charge y compris sous protection de justice.

Il faut pour obtenir réparation que celui-ci qui y prétend, démontre le lien de causalité pouvant être établi de manière certaine entre l’état de la personne et un comportement fautif de l’autre.

Or, les attestations tendent à montrer les qualités humaines de Mme [H] [K], la ‘grande indifférence, l’hostilité, le manque d’amour de sa fille envers elle, mère par ailleurs de 5 enfants d’un autre lit, de relations parfois houleuses en lien avec les intérêts contradictoires de chacune encore démontrés par l’objet de la présente procédure qui ont été certainement néfastes à la santé de l’appelante, mais ne montrent pas de comportements spécifiques qui pourraient être qualifiés de fautifs de Mme [Y] [P] qui pour sa part apporte des attestations visant à démontrer ses qualités humaines.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu’il déboute Mme [H] [K] de sa demande en réparation d’un préjudice moral.

Sur les frais irrépétibles.

Dans la mesure où la Sogecap n’a commis aucune faute en payant la prime d’assurance au souscripteur désigné au contrat et où il n’apparait pas l’existence d’une faute du courtier qui a enregistré une modification d’une clause bénéficiaire qui profitait à l’épouse du titulaire du contrat avec laquelle celui-ci vivait, sans qu’il ne soit démontré qu’il ait eu à connaître de l’état de santé du titulaire, il n’apparait pas inéquitable de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Mme [Y] [P] à payer à chacun d’eux la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.

Il ne paraît pas inéquitable de laisser à chacune des parties leurs frais irrépétibles à hauteur d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du 1er juin 2021 du tribunal judiciaire de Reims en toutes ses dispositions si ce n’est en ce qu’il déboute Mme [H] [K] de sa demande visant à voir reconnaître le droit à récompense de la communauté qu’elle formait avec son époux sur les montants invertis dans les contrats d’assurance vie,

Statuant à nouveau sur ce point et ajoutant,

Dit que les contrats d’assurance vie Sequoia et Erable Essentiel ont été alimentés avec des biens de la communautéTenazio-[U] à laquelle doivent être rapportés les montants investis,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,

Condamne Mme [H] [K] aux dépens.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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