Droits des Artisans : 13 septembre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/00171

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Droits des Artisans : 13 septembre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/00171

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 13 SEPTEMBRE 2022

N° RG 20/00171 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LM4E

BANQUE CIC OUEST

c/

Monsieur [R] [T]

Madame [X] [D]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 décembre 2019 (R.G. 2018004240) par le Tribunal de Commerce d’ANGOULEME suivant déclaration d’appel du 13 janvier 2020

APPELANTE :

BANQUE CIC OUEST , agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège sis, [Adresse 4]

représentée par Maître Katell LE BORGNE de la SCP LAVALETTE AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

Monsieur [R] [T], né le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 6]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]

Madame [X] [D], née le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 6] (16)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

représentés par Maître Patrick HOEPFFNER de la SELARL HOEPFFNER, avocat au barreau de CHARENTE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 14 juin 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Nathalie PIGNON, Présidente,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE :

la SNC Troc’inette, constituée par M. [T] et Mme [D] le 18 mai 2016, a ouvert le 27 avril 2016 un compte courant professionnel auprès de la banque CIC Ouest qui lui a consenti le 25 mai 2016 un prêt professionnel d’un montant de 65 000 euros destiné à financer l’acquisition d’un fonds de commerce d’alimentation.

M. [T] et Mme [D] se sont portés cautions solidaires de ce prêt à hauteur de la somme de 23 400 euros chacun pour la durée totale du prêt augmentée de 24 mois, par actes du 25 mai 2016.

Par acte du 13 janvier 2017, M. [T] et Mme [D] se sont portés cautions solidaires auprès de la banque CIC des engagements de la société Troc’inette, à hauteur de la somme de 19 800 euros pour une durée de 5 ans.

Par jugement du 19 avril 2018, le tribunal de commerce d’Angoulême a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’égard de la société Troc’inette.

La banque a déclaré sa créance auprès du liquidateur à hauteur de 2 173,72 euros au titre du compte courant professionnel et 52 032,20 euros au titre du prêt professionnel.

Par exploits d’huissiers des 04 et 11 octobre 2018, la banque a assigné M. [T] et Mme [D] devant le tribunal de commerce d’Angoulême aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer les sommes de 2 173,92 euros et 23 400 euros.

La procédure collective a été clôturée pour insuffisance d’actif par jugement du 18 octobre 2018.

Par jugement contradictoire du 12 décembre 2019, le tribunal de commerce d’Angoulême a :

– rejeté la demande de M. [T] et Mme [D] tendant à voir déclarer les actes de cautionnement du 25 mai 2016 garantissant le prêt professionnel disproportionnés,

– rejeté la demande de Mme [D] tendant à voir déclarer l’engagement de caution en date du 13 janvier 2017 garantissant tous engagements de la société Troc’inette disproportionné,

– constaté que l’engagement de caution de M. [T] du 13 janvier 2017 est disproportionné,

– rejeté la demande en paiement au titre du compte courant professionnel de la banque CIC Ouest dirigée contre M. [T],

– condamné solidairement M. [T] et Mme [D] à payer à la banque CIC Ouest la somme de 23 400 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux de 1,83% sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette,

– condamné Mme [D] à payer à la banque CIC Ouest la somme de 2 173,92 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux légal sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette,

– condamné la banque CIC Ouest à payer à M. [T] et Mme [D] la somme de 27 500 euros, chacun, à titre de dommages et intérêts pour son défaut de devoir de mise en garde,

– rejeté la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral de M. [T] et Mme [D],

– ordonné la compensation des créances,

– dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de I’article700 du code de procédure civile,

– dit et juge que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens,

– condamné la banque CIC Ouest aux dépens du jugement,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision y compris dans ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,

– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

Le CIC a relevé appel du jugement par déclaration du 13 janvier 2020 énonçant les chefs du jugement expressément critiqués, intimant M. [R] et Mme [D].

Par ordonnance de référé du 23 juillet 2020, rendue à la requête de la banque, la première présidente de la cour d’appel a autorisé l’aménagement de l’exécution provisoire, et autorisé la banque CIC Ouest à consigner entre les mains du bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de la Charente, en qualité de séquestre, la somme de 27 056 euros.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 20 mai 2022 par le RPVA auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la banque CIC Ouest demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

– constate que l’engagement de caution de M. [T] du 13 janvier 2017 est disproportionné,

– rejette sa demande en paiement au titre du compte courant professionnel dirigée contre M. [T],

– la condamne à payer à M. [T] et Mme [D] la somme de 27 500 euros, chacun, à titre de dommages et intérêts pour son défaut de devoir de mise en garde,

– ordonne la compensation des créances,

– dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit et juge que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens,

– la condamne aux dépens du jugement, liquidés à la somme de 94,34 euros,

– ordonne l’exécution provisoire y compris dans ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,

– déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

– le confirmer pour le surplus,

– en conséquence, statuant à nouveau,

– vu l’article 1134 du code civil dans sa version antérieure au 1er octobre 2016,

– vu l’article 2288 du code civil,

– vu l’article 332-2 du code de la consommation,

– condamner solidairement M. [T] et Mme [D] à lui payer la somme de 23 400 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux de 1,83 sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette

– condamner solidairement M. [T] et Mme [D] à lui verser la somme de 2 173,92 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux légal sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette,

– vu l’article 1154 ancien du code civil,

– ordonner la capitalisation annuelle des intérêts échus,

– vu l’article 1147 ancien du code civil,

– vu les pièces versées aux débats,

– débouter M. [T] et Mme [D] de leurs demandes visant à la voir condamner à leur payer, chacun, la somme de 27 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, comme étant non fondées,

– très subsidiairement, savoir si la cour considérait qu’elle a manqué à son devoir de mise en garde, limiter l’indemnité en réparation du préjudice allégué par chacun des intimés à 15 % maximum des sommes dont ils sont redevables au titre de leurs engagements de caution, et ordonner, dans cette hypothèse, la compensation entre les créances des parties,

– débouter M. [T] et Mme [D] de leurs demandes visant à la voir condamner à leur payer, à chacun, la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, comme étant non fondées

– débouter M. [T] et Mme [D] de toutes demandes plus amples ou contraires,

– vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement M. [T] et Mme [D] aux entiers dépens de première instance et d’appel, outre à lui verser une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer tant en première instance qu’en appel.

La banque fait notamment valoir que les sommes dues au titre du prêt sont devenues immédiatement exigibles au jour du placement en liquidation judiciaire de la société Troc’inette ; qu’il appartient à la caution qui se prévaut du caractère disproportionné de son engagement de rapporter la preuve de l’existence de la disproportion ; que les intimés n’en rapportent pas la preuve ; qu’elle n’est pas tenue au devoir de mise en garde contre le risque d’endettement, les intimés étant à même, de par leurs connaissances, d’apprécier les risques liés au crédit, ce dernier étant adapté à leurs capacités financières.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 17 mai 2022 par le RPVA auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, M. [T] et Mme [D] demandent à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a constaté que l’engagement de caution de M. [T] du 13 janvier 2017 est disproportionné et rejeté en conséquence la demande de paiement au titre du compte courant professionnel du CIC dirigée contre M. [T],

– réformer le jugement en ce qu’il a

– rejeté leur demande tendant à voir déclarer les actes de cautionnement du 25 mai 2016 garantissant le prêt professionnel disproportionnés,

– rejeté la demande de Mme [D] tendant à voir déclarer l’engagement de caution en date du 13 janvier 2017 garantissant tous engagements de la société Troc’inette disproportionné,

– les a condamnés solidairement à payer à la banque CIC la somme de 23 400 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux de 1,83 % sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette,

– a condamné Mme [D] à payer à la banque CIC la somme de 2 173,92 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux légal sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette,

– rejeté leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

– dit et jugé que chaque partie conservera ses propres dépens,

– statuant à nouveau :

– dire que la banque CIC ne peut se prévaloir de l’engagement de caution solidaire donné par Mme [D] le 13 janvier 2017 à hauteur de 19 800 euros en garantie des engagements de la SNC Troc’inette,

– débouter la banque CIC de sa demande tendant à la condamnation de Mme [D] à lui verser la somme de 2 173,92 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux légal jusqu’à complet remboursement de la dette,

– dire que la banque CIC ne peut se prévaloir de l’engagement de caution solidaire donné par Mme [D] le 25 mai 2016 à hauteur de 23 400 euros en garantie du prêt contracté par la SNC Troc’inette le 25 mai 2016 auprès du CIC,

– dire que la banque ne peut se prévaloir de l’engagement de caution solidaire donné par M. [T] le 25 mai 2016 à hauteur de 23 400 euros en garantie du prêt contracté par la SNC Troc’inette le 25 mai 2016,

– les décharger de leurs engagements de caution respectif,

– débouter la banque de sa demande tendant à les voir condamner solidairement à lui payer la somme de 23 400 euros outre les intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux de 1,83 euros sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette,

– condamner la banque CIC Ouest à leur verser la somme de 5 000 euros à chacun d’eux à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

– débouter la banque CIC Ouest de l’ensemble de ses prétentions,

– à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où il serait fait droit aux demandes de condamnation formées par la banque CIC à leur encontre,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

– condamné la banque CIC à leur payer la somme de 27 500 euros, chacun, à titre de dommages et intérêts pour son défaut de devoir de mise en garde,

– ordonné la compensation des créances,

– condamné la banque CIC Ouest aux dépens du jugement, liquidés à la somme de 94,34 euros,

– condamner la banque CIC Ouest à leur verser la somme de 4 000 euros à chacun d’eux en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la banque CIC Ouest aux entiers dépens.

Les intimés font valoir que l’endettement global des cautions doit être pris en considération y compris celui résultant d’autres engagements de cautions ; que la banque ne peut pas se prévaloir de leurs engagements, manifestement disproportionnés eu égard à leurs biens et revenus au jour où ils ont été assignés ; qu’ils sont inexpérimentés en matière de commerce, direction ou gestion d’entreprise ; que la banque a manqué à son devoir de mise en garde.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 24 mai 2022 et l’audience fixée au 14 juin 2022.

MOTIFS :

sur les demandes principales :

M. [T] et Mme [D] ont souscrit deux engagements de caution :

– le 25 mai 2016, à hauteur de 23 400 euros, en garantie du prêt de 65 000 euros consenti le même jour à la société Troc’inette ;

– le 13 janvier 2017, à hauteur de 19 800 euros, en garantie des dettes de la société Troc’inette et notamment du solde débiteur de son compte courant.

Le CIC réclame leur condamnation au paiement des sommes de 23 400 euros et 2 173,92 euros au titre des soldes restant dûs (52 032,20 euros dans le cadre du prêt, 2 173,92 euros dans le cadre du compte courant au 24 mai 2018).

Les intimés s’opposent aux demandes en paiement en invoquant :

– en premier lieu, la disproportion de tous leurs engagements

– subsidiairement, la faute de la banque, pour défaut de devoir de mise en garde, justifiant l’octroi de dommages et intérêts du même montant que les sommes réclamées.

Le tribunal a retenu pour partie la disproportion, mais surtout la faute de la banque, qu’il a sanctionnée par l’octroi de dommages et intérêts.

sur la disproportion alléguée des engagements de caution :

Aux termes des dispositions de l’article L. 341-4 ancien du code de la consommation devenu l’article L. 343-4 à compter du 1er juillet 2016, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Ce texte est applicable à une caution personne physique, qu’elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion est non pas la nullité du contrat, mais l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement.

Il appartient à la caution de prouver qu’au moment de la conclusion du contrat, l’engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L’appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l’engagement, le montant de la dette garantie aux biens et revenus de la caution, et à ses facultés contributives.

– sur les engagements de M. [T] :

sur l’engagement du 25 mai 2016 (à hauteur de 23 400 euros) :

Il ressort de la fiche de patrimoine datée du 14 mars 2016 (pièce 11 de l’appelante) que M. [T], en concubinage, sans enfant à charge, locataire, a déclaré un revenu mensuel de 1 730 euros, les charges d’un prêt CIC avec un capital restant dû de 14 266 euros, et, au titre de son patrimoine, une somme de 7 000 euros placée sur un livret A.

La banque soutient que M. [T], qui ne produit aucune pièce justificative de sa situation de revenus et de patrimoine au moment de la souscription de l’engagement, est défaillant dans la charge de la preuve.

Même en prenant en compte, comme le demande la banque, la valeur des parts sociales pour un montant de 2 940 euros, ces éléments chiffrés font ressortir une disproportion manifeste entre les revenus de M. [T] et l’engagement souscrit, cependant qu’il résulte des pièces produites par M. [T] qu’il est locataire depuis août 2014 au moins, et qu’il est confronté de longue date à des difficultés pour s’acquitter du remboursement des prêts et des charges diverses dont il est redevable.

Le jugement qui a écarté la disproportion au motif, inapproprié, que la charge additionnelle mensuelle générée par ce prêt établissait un taux d’endettement de 29 % inférieur à la moitié de son revenu mensuel, sera donc infirmé.

sur l’engagement du 13 janvier 2017 (à hauteur de 19 800 euros) :

La disproportion est, de plus fort, caractérisée lors de la signature de l’engagement du 13 janvier 2017, à l’occasion duquel aucune fiche de patrimoine actualisée n’a été établie, et à la date de laquelle M. [T] justifie de la même situation précaire. C’est donc à bon droit que le jugement a retenu la disproportion pour cet engagement.

S’il appartient à la caution qui entend opposer au créancier les dispositions de l’article L.341-4 de rapporter la preuve du caractère disproportionné de son engagement par rapport à ses biens et revenus, c’est au créancier qu’il revient d’établir le cas échéant qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

Faute pour le CIC de rapporter cette preuve, alors qu’il résulte des pièces produites par l’intimé qu’il est vendeur chez Biocop depuis juin 2018 avec un salaire de 2 562 euros, qu’il a diverses dettes qui lui ont valu une inscription au FICP (ses pièces 6 à 9, 25 et 26), et qu’il ne possède aucun patrimoine, la banque ne peut se prévaloir ni de l’engagement de caution du 25 mai 2016 ni de celui du 13 janvier 2017.

– sur les engagements de Mme [D] :

sur l’engagement du 25 mai 2016 :

Il ressort de la fiche de patrimoine datée du 14 mars 2016 (pièce 12 des intimés) que Mme [D], pacsée, avec deux enfants à charge, propriétaire de son logement, a déclaré des revenus mensuels de 2 050 euros pour le couple (1 200 euros pour Monsieur et une APE de 850 euros pour Mme outre 314 d’allocations (pièces 13 et 14)), des charges de prêt immobilier en cours avec M. [V] avec un capital restant dû de 142 981 euros, un prêt à la consommation de 5 000 euros (4 800 euros restant dûs), et, au titre de son patrimoine, 50 % d’un bien immobilier acquis en janvier 2012 d’une valeur déclarée de 150 000 euros.

La banque fait valoir à juste titre que Mme [D] ne peut se prévaloir du prêt personnel puisqu’il a été souscrit par M [V], son partenaire de PACS selon le régime de séparation de biens, et qu’il convient de prendre en compte la somme de 3 060 euros correspondant à la valeur de ses 306 parts sociales dont les statuts ont fixé le montant unitaire à 10 euros.

Le patrimoine de Mme [D] s’établissait donc à une somme de l’ordre de 78 060 euros (75 000 + 3 060), le montant du capital restant dû sur le prêt immobilier ne pouvant être purement et simplement déduit de la valeur du bien pour considérer, comme elle le soutient, que son patrimoine net s’élevait à 3 000 euros, alors que ce patrimoine, d’une valeur intrinsèque de 150 000 euros, n’avait pas vocation à être vendu, et que sa valeur était appelée à croître de mois en mois au fur et à mesure du remboursement des mensualités.

Ces éléments ne permettant pas de caractériser une disproportion manifeste entre l’engagement de caution de Mme [D] (à hauteur de 23 400 euros) et ses biens et revenus, le jugement qui a écarté ce moyen sera confirmé, et Mme [D] condamnée au paiement de la somme de 23 400 euros.

sur l’engagement du 13 janvier 2017 :

Aucune fiche de patrimoine actualisée n’a été établie lors de la signature de cet engagement.

Le tribunal a écarté la disproportion au motif que même si le cumul des deux engagements atteignait 43 200 euros, la valeur du bien immobilier en couvrait à lui seul le montant.

La banque qui soutient l’absence de disproportion fait valoir qu’il convient d’ajouter au patrimoine déclaré la valeur des parts sociales au 13 janvier 2017 dont Mme [D] ne justifie pas, ainsi que son compte courant associé chiffré à 8 194 euros dans les comptes de la société, et sa rémunération fixée à 15 000 euros.

Compte tenu de la dégradation de la situation de la société, la valeur des parts sociales et du compte courant associé n’est cependant pas de nature à majorer utilement le patrimoine de Mme [D], cependant que la valeur de son immeuble (en indivision) restait à cette date fortement impactée par la lourde charge de prêt. Dans ces conditions, les termes de cet engagement, souscrit quelques mois après le précédent, font apparaître une disproportion manifeste entre le patrimoine de Mme [D] et le montant supplémentaire de son engagement.

C’est par ailleurs de manière inopérante que le CIC se prévaut du prix de vente de l’immeuble le 04 février 2020 et de la souscription de nouveaux crédits en 2022 pour soutenir que la situation de Mme [D] lui permettait de faire face à son obligation alors qu’il convient de se placer à la date à laquelle elle a été appelée, soit en octobre 2018. Or il ressort des pièces produites par Mme [D] qu’en octobre 2018, elle était caissière (avec un salaire de 1 462 euros), que son bien (indivis) était estimé à 85 000 euros, et qu’elle était toujours endettée à hauteur de 130 000 euros (ses pièces 15 à 20).

L’appelant ne démontrant pas que le patrimoine de la caution, au moment où elle a été appelée, lui permettait de faire face à son obligation, le jugement sera infirmé en ce qu’il a écarté la disproportion pour le second prêt et condamné Mme [D] au paiement d’une somme de 2 173,02 euros, et le CIC débouté de sa demande à ce titre.

sur le manquement allégué à l’obligation de mise en garde :

Les intimés soutiennent à titre subsidiaire que le CIC n’a pas respecté son obligation de mise en garde sur le risque d’endettement alors qu’ils étaient des cautions profanes.

Compte tenu de la disproportion retenue pour les deux engagements au bénéfice de M. [T], qui ne peut donc se prévaloir d’aucun préjudice financier, le jugement qui lui a alloué une somme de 27 500 euros à titre de dommages et intérêts sera infirmé, et il ne sera statué sur ce moyen que s’agissant de Mme [D].

L’obligation de mise en garde dont est débiteur un établissement financier à l’égard d’un emprunteur exige à la fois que la caution soit profane, que l’engagement soit excessif au regard des capacités financières et du patrimoine de la caution, et que le prêt ne soit pas adapté aux capacités financières de l’emprunteur.

La banque soutient que Mme [D], comptable dans une société viticole, conseillée par son père artisan électricien chauffagiste, et dont le projet mûrement réfléchi a donné lieu à un dossier prévisionnel sur 3 exercices établi par le cabinet comptable Vigier (pièce 10 de l’appelante), était une caution avertie ; qu’il s’agissait au demeurant d’une opération financière simple ; qu’en tout état de cause, l’ouverture d’un compte courant était indispensable au fonctionnement de la société ; qu’il en est de même pour le prêt de financement, raisonnable au vu des prévisions ; que les premiers juges se sont basés sur une baisse de chiffre d’affaires sur l’exercice 2015-2016 et d’un résultat déficitaire dont le comptable n’a pas tenu compte dans son prévisionnel, dont il n’est pas démontré qu’elle en a eu connaissance, et qui résultait en tout état de cause de la situation personnelle compliqué du précédent exploitant.

Mme [D], qui conteste avoir bénéficié des conseils de son père, peut cependant opposer utilement qu’elle était employée polyvalente et non comptable, et que le fait que le projet établi par le cabinet comptable était cohérent ne lui confère pas la qualité de caution avertie.

Elle doit être qualifiée de profane, de sorte que le CIC était tenu à son égard d’un devoir de mise en garde. Or la situation du fonds de commerce lors de l’acquisition, même si elle était pour partie en lien avec la situation personnelle du cédant, aurait dû inciter le CIC à la mettre en garde contre les risques de l’acquisition, d’autant que le prévisionnel précisait le caractère incertain des prévisions. Par ailleurs, la banque, en acceptant témérairement la caution de M. [T], a exposé Mme [D] au risque, aujourd’hui confirmé, de devoir s’acquitter seule des engagements, ce qui constitue aussi un manquement à son devoir de mise en garde. La faute de la banque s’évince aussi des engagements qu’elle a sollicités des cautions en janvier 2017, en garantie du solde débiteur d’un compte courant ouvert 9 mois plus tôt, alors que la situation de la société continuait à se dégrader comme en attestent les chiffres du bilan 2016-2017 et l’ouverture d’une liquidation judiciaire dès avril 2018.

Ce manquement a causé à Mme [D] un préjudice qui, s’analysant en une perte de chance de contracter, ne peut être supérieur ni même égal au montant des sommes réclamées. Le jugement qui lui a alloué la somme de 27 500 euros représentant une réparation intégrale sera donc infirmé, et le CIC condamné au paiement d’une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts.

sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral :

Les intimés réitèrent devant la cour une demande d’indemnisation de leur préjudice moral dont ils ne justifient ni du principe ni du montant.

Le jugement qui les a déboutés de cette demande sera confirmé.

sur les demandes accessoires :

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens. Les demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

Chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de commerce d’Angoulême du 12 décembre 2019 en ce qu’il a :

– rejeté la demande de M. [T] tendant à voir déclarer son engagement de caution du 25 mai 2016 disproportionné,

– condamné M. [T] solidairement avec Mme [D] à payer à la banque CIC Ouest la somme de 23 400 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux de 1,83% sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette,

– rejeté la demande de Mme [D] tendant à voir déclarer son engagement de caution du 13 janvier 2017 disproportionné,

– condamné Mme [D] à payer à la banque CIC Ouest la somme de 2 173,92 euros outre intérêts postérieurs au 24 mai 2018 au taux légal sur cette somme jusqu’à complet remboursement de la dette,

– condamné la banque CIC Ouest à payer à M. [T] et Mme [D] la somme de 27 500 euros, chacun, à titre de dommages et intérêts pour son défaut de devoir de mise en garde,

Statuant à nouveau sur ces points,

Dit que le CIC ne peut se prévaloir de l’engagement souscrit le 25 mai 2016 par M. [T]

Déboute le CIC de sa demande à l’encontre de M. [T] au titre de cet engagement

Dit que le CIC ne peut se prévaloir de l’engagement souscrit le 13 janvier 2017 par Mme [D]

Déboute le CIC de sa demande à l’encontre de Mme [D] au titre de cet engagement

Condamne le CIC à payer à Mme [D] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de devoir de mise en garde,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires

Confirme le jugement pour le surplus

Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 


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