3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°483
N° RG 21/03072 – N° Portalis DBVL-V-B7F-RUTR
M. [L] [E]
C/
Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LAMBALLE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me PELTIER
Me DARDY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Juillet 2022 devant Monsieur Dominique GARET, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [L] [E]
né le [Date naissance 5] 1977 à [Localité 2] ([Localité 2])
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Emmanuel PELTIER de la SELARL HORIZONS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LAMBALLE, immatriculée au RCS de SAINT BRIEUC sous le n° 309 518 041, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par Me Hervé DARDY de la SELARL KOVALEX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
FAITS ET PROCEDURE :
Le 26 juin 2014, la société [E] Carrosserie Industrielle a souscrit auprès de la société Caisse de Crédit Mutuel de Lamballe (le Crédit Mutuel) deux contrats de prêt :
– Un prêt n°0804 1875010 02 (aussi référencé sous le n°DD02357856) d’un montant principal de 117.000 euros, remboursable en 60 mensualités au taux d’intérêt nominal annuel de 2,30%,
– Un prêt n°0804 1875010 03 (aussi référencé sous le n°DD02357857) d’un montant principal de 40.000 euros, remboursable en 60 mensualités au taux d’intérêt nominal annuel de 1,40%.
Le 27 juin 2014, M. [E], gérant de la société [E] Carrosserie Industrielle, s’est porté caution solidaire au titre de ces prêts dans la limite de la somme de 50.000 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 60 mois.
Le 20 mars 2015, la société [E] Carrosserie Industrielle a souscrit auprès du Crédit Mutuel un prêt n°0804 1875010 06 (aussi référencé sous le n°DD04595298) d’un montant principal de 55.000 euros, remboursable en 84 mensualités au taux d’intérêt nominal annuel de 2,25%.
Le même jour, M. [E] s’est porté caution solidaire au titre de ce prêt dans la limite de la somme de 27.500 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 108 mois.
Le 3 mai 2016, la société [E] Carrosserie Industrielle a été placée en redressement judiciaire.
Le 20 juin 2016, le Crédit Mutuel a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire.
Le 7 février 2019, le Crédit Mutuel a assigné M. [E] en paiement.
Par jugement du 3 mai 2021, le tribunal de commerce de Saint Brieuc a :
– Débouté M. [E] de déclarer nuls les actes de cautionnement qu’il a signés les 27 juin 2014 et 20 mars 2015,
– Débouté M. [E] de sa demande de déclarer irrecevable l’action engagée par le Crédit Mutuel en l’absence de créance échue et exigible opposable à M. [E],
– Débouté M. [E] de sa demande de dire et juger que le Crédit Mutuel a engagé sa responsabilité en soutenant abusivement l’activité déficitaire de la société [E] Carrosserie Industrielle et en manquant à son devoir de mise en garde à l’égard de la caution,
– Condamné M. [E] à payer au Crédit Mutuel la somme de 50.000 euros, au titre de son engagement de caution des prêts n°0804 1875010 02 et 0804 1875010 03, majorée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,
– Condamné M. [E] à payer au Crédit Mutuel la somme de 27.500 euros, au titre de son engagement de caution du prêt n°0804 1875010 06, majorée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,
– Ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
– Accordé à M. [E] un délai de 24 mois pour payer sa dette par 22 mensualités d’égal montant et le solde à la 23ème mensualité, sachant que le délai court un mois à compter du jugement,
– Dit que la première échéance interviendra un mois à compter du jugement,
– Dit que M. [E] sera déchu des délais accordés après une seule mensualité impayée, et que le solde de la dette deviendra immédiatement exigible,
– Dit qu’à la fin de la période de remboursement (après 22 mois) le Crédit Mutuel fournira un décompte du capital restant dû et des intérêts capitalisés pour le calcul de la 23ème échéance,
– Dit qu’il n’y a plus lieu d’ordonner l’exécution provisoire du jugement,
– Condamné M. [E] à payer au Crédit Mutuel la somme de 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné M. [E] aux entiers dépens,
– Dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif du jugement, les en déboute respectivement,
– Liquidé au titre des dépens les frais de greffe.
M. [E] a interjeté appel le 19 mai 2021.
Le Crédit Mutuel a déposé ses dernières conclusions le 10 novembre 2021. M. [E] a déposé ses dernières conclusions le 14 février 2022.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 juin 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
M. [E] demande à la cour de :
-Réformer le jugement en toutes ses dispositions et en conséquence :
A titre liminaire :
– Déclarer nuls les actes de cautionnement signés par M. [E] les 27 juin 2014 et 20 mars 2015,
– En conséquence, déclarer irrecevable l’ensemble des demandes, fins et conclusions formulées par le Crédit Mutuel,
A titre principal :
– Déclarer irrecevable l’action engagée par le Crédit Mutuel en l’absence de créance échue et exigible opposable à M. [E],
A titre subsidiaire :
– Dire et juger que le Crédit Mutuel a engagé sa responsabilité soutenant abusivement l’activité déficitaire de la société [E] Carrosserie Industrielle et en manquant à son devoir de mise en garde à l’égard de la caution,
En conséquence :
– Condamner le Crédit Mutuel à verser à M. [E] les sommes dues au titre des crédits :
– N°0804 1875010 02 et 0804 1875010 soit la somme de 50.000 euros,
– N°0804 1875010 06, soit la somme de 27.500 euros,
à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi,
– Ordonner la compensation entre la somme réclamée par le Crédit Mutuel au titre des contrats de cautionnement, avec les dommages-intérêts dus par ladite banque à M. [E] pour soutien abusif et défaut de mise en garde,
A titre très subsidiaire :
Sur la disproportion des engagements de cautionnements :
– Constater que le Crédit Mutuel ne justifie pas s’être assurée que le cautionnement n’était pas disproportionné, préalablement à la conclusion du cautionnement dont l’exécution est poursuivie,
– Constater qu’aucun formulaire complet sur la situation financière et patrimoniale de M. [E] au moment de la souscription des crédits n’est versé aux débats,
– Constater que les engagements de caution régularisés les 27 juin 2014 et 20 mars 2015 par M. [E] étaient pourtant manifestement disproportionnés par rapport à ses ressources et patrimoine,
– Constater que la situation actuelle de M. [E] ne lui permet pas davantage de faire face à cet engagement,
En conséquence :
– Dire et juger que le Crédit Mutuel ne peut se prévaloir des engagements de caution de M. [E],
– Débouter le Crédit Mutuel de l’ensemble de ses demandes au titre des crédits,
A titre infiniment subsidiaire :
– Dire et juger que compte tenu du défaut d’information annuelle de la caution, il y a lieu de prononcer la déchéance du droit aux intérêts,
– Accorder à M. [E] les plus larges délais de paiement,
– Dire que les majorations d’intérêts ou pénalités de retard cesseront d’être dues pendant ce délai,
En tout état de cause :
– Condamner le Crédit Mutuel à payer à M. [E] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner le Crédit Mutuel aux entiers dépens de l’instance,
– Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire de la décision.
Le Crédit Mutuel demande à la cour de :
– Confirmer partiellement le jugement dont appel et en conséquence :
– Débouter M. [E] de sa demande de déclaration de nullité des actes de cautionnement,
– Dire le Crédit Mutuel recevable en son action,
– Condamner M. [E] à payer au Crédit Mutuel la somme de 50.000 euros, au titre de son engagement de caution des prêts n°0804 1875010 02 et 0804 1875010 03, majorée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 7 février 2019,
– Condamner M. [E] à payer au Crédit Mutuel la somme de 27.500 euros, au titre de son engagement de caution du prêt n°0804 1875010 06, majorée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 7 février 2019,
– Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
– Condamner M. [E] à payer au Crédit Mutuel la somme de 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance,
– Condamner M. [E] aux entiers dépens de première instance,
Infirmer le jugement dont appel sur les délais de paiement et en conséquence :
– Débouter M. [E] de sa demande de délais de paiement,
En tout état de cause :
– Débouter M. [E] de toutes ses demandes, fins et prétentions contraires aux présentes,
– Condamner M. [E] à payer au Crédit Mutuel la somme de 2.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
– Condamner M. [E] aux entiers dépens d’appel.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur la nullité du cautionnement:
L’article L 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 5 février 2004 au 1er juillet 2016 et applicable en l’espèce, dispose que :
Toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :
« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même. »
M. [E] fait valoir que ses cautionnements seraient nuls car la mention manuscrite apposée sur les actes de cautionnements ne serait pas conforme à celle portée sur l’acte par l’établissement bancaire, notamment concernant l’identité du débiteur principal.
En l’espèce, les actes de cautionnement indiquent à titre de débiteur principal ‘[E] CARROSSERIE INDUSTRI’, et M. [E] a indiqué dans sa mention manuscrite se porter caution de ‘[E] CARROSSERIE INDUSTRIELLE’.
Si les actes de prêts et les actes de cautionnement indiquaient ‘[E] CARROSSERIE INDUSTRI’, M. [E] ne rapporte pas la preuve d’un débiteur principal différent de la société [E] Carrosserie Industrielle. Il ne conteste d’ailleurs pas que le véritable débiteur soit la société [E] Carrosserie Industrielle et retient lui-même dans l’exposé des faits de ses conclusions que la société [E] Carrosserie Industrielle était le débiteur principal des prêts. L’erreur matérielle faite par le Crédit Mutuel dans les contrats de prêt et de cautionnement n’a donc aucune incidence sur l’engagement de M. [E], d’autant que ce dernier a corrigé cette erreur dans ses mentions manuscrites, seules mentions dont il est tenu compte pour apprécier l’engagement de la caution. Se faisant, il a clairement indiqué le débiteur principal non contesté, à savoir la société [E] Carrosserie Industrielle. Les mentions manuscrites respectant les exigences de l’article susvisé, la demande sera rejetée. Le jugement sera confirmé.
Sur l’irrecevabilité de l’action du Crédit Mutuel :
M. [E] conteste la recevabilité de la demande en paiement du Crédit Mutuel car la déchéance du terme des emprunts litigieux n’a jamais été prononcée et que le Crédit Mutuel n’apporte aucun justificatif d’une créance échue et exigible, opposable à la société [E] Carrosserie Industrielle.
En application de l’article L 622-28 alinéa 2 du code de commerce dans sa version en vigueur 1er juillet 2014 au 1er octobre 2016 et applicable au redressement judiciaire en vertu de l’article L631-14 du code de commerce susvisé, le jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire suspend toute action contre les cautions jusqu’au jugement arrêtant le plan de redressement :
Article L631-14 du code de commerce dans sa version en vigueur du 1er juillet 2014 au 1er octobre 2021 et applicable en l’espèce, le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire datant du 3 mai 2016 :
Les articles L. 622-3 à L. 622-9, à l’exception de l’article L. 622-6-1, et L. 622-13 à L. 622-33 sont applicables à la procédure de redressement judiciaire, sous réserve des dispositions qui suivent.
Il est réalisé une prisée des actifs du débiteur concomitamment à l’inventaire prévu à l’article L. 622-6.
Lorsque l’administrateur a une mission de représentation, il exerce les prérogatives conférées au débiteur par le II de l’article L. 622-7 et par le troisième alinéa de l’article L. 622-8. En cas de mission d’assistance, il les exerce concurremment avec le débiteur.
Lorsqu’est exercée la faculté prévue par le II de l’article L. 622-13 et que la prestation porte sur le paiement d’une somme d’argent, celui-ci doit se faire au comptant, sauf pour l’administrateur à obtenir l’acceptation de délais de paiement par le cocontractant du débiteur. Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, l’administrateur s’assure, au moment où il demande l’exécution, qu’il disposera des fonds nécessaires à cet effet.
Lorsque la procédure de redressement judiciaire a été ouverte en application du troisième alinéa de l’article L. 626-27 et que le débiteur a transféré des biens ou droits dans un patrimoine fiduciaire avant l’ouverture de la procédure de sauvegarde ayant donné lieu au plan résolu, la convention en exécution de laquelle celui-ci conserve l’usage ou la jouissance de ces biens ou droits n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 622-13 et les dispositions de l’article L. 622-23-1 ne sont pas applicables.
Pour l’application de l’article L. 622-23, l’administrateur doit également être mis en cause lorsqu’il a une mission de représentation.
Les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ne bénéficient pas de l’inopposabilité prévue au deuxième alinéa de l’article L. 622-26 et ne peuvent se prévaloir des dispositions prévues au premier alinéa de l’article L. 622-28.
Article L 622-28 du code de commerce dans sa version en vigueur 1er juillet 2014 au 1er octobre 2016 et applicable en l’espèce :
Le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu’il ne s’agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d’un paiement différé d’un an ou plus. Les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du présent alinéa. Nonobstant les dispositions de l’article 1154 du code civil, les intérêts échus de ces créances ne peuvent produire des intérêts.
Le jugement d’ouverture suspend jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie. Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans.
Les créanciers bénéficiaires de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires.
Un plan de redressement a été adopté par le tribunal de commerce de Saint-Malo le 26 avril 2017. A compter de cette date, le Crédit Mutuel pouvait agir contre M. [E]. En l’espèce, le Crédit Mutuel ayant assigné M. [E] le 7 février 2019, son action est recevable.
M. [E] fait également valoir que le Crédit Mutuel ne peut solliciter le paiement de somme à échoir auprès de la caution.
Il y a cependant lieu de constater que la question de la déchéance du terme des emprunts litigieux n’est plus d’actualité. En effet, l’ensemble des échéances du prêt sont désormais devenues exigibles, et ce par le seul fait des stipulations des contrats. En effet, les prêts n°0804 1875010 02 et 0804 1875010 03 étaient conclus pour une durée de 60 mois à compter du 26 juin 2014 et sont donc arrivés à leur terme le 26 juin 2019. Si la déclaration de créance indique cependant que ces deux prêts avaient été conclus pour une durée de 84 mois alors que les contrats de prêt indiquent 60 mois, le terme convenu dans l’engagement de la caution est de toute façon échu et l’ensemble des sommes est aujourd’hui exigible. Le prêt n°0804 1875010 06 était conclu pour une durée de 84 mois à compter du 20 mars 2015 et est donc arrivé à son terme le 20 mars 2022. Toutes les sommes restant dues au titre de ce prêt sont donc exigibles vis à vis de la caution.
Ainsi, si au jour où le tribunal a statué les mensualités du prêt n°0804 1875010 06 n’étaient pas intégralement échues, au jour où la cour statue, ce prêt ainsi que les prêts n°0804 1875010 02 et 0804 1875010 03 sont tous arrivés à leur terme.
D’autant que si la société [E] Carrosserie Industrielle a pu obtenir de nouvelles modalités d’apurement de sa dette grâce au plan de redressementt, arrêté par jugement du 26 avril 2017, M. [E] ne saurait en bénéficier, l’article L 631-20 du code de commerce prévoyant en effet que les coobligés ainsi que les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ne peuvent pas se prévaloir des dispositions du plan de redressement.
Ainsi M. [E] demeure tenu par son propre engagement et doit régler au Crédit Mutuel, dans la limité de ses engagements de caution, l’ensemble des échéances devenues exigibles avant le terme de son engagement de caution.
En conséquence et dans la mesure où l’ensemble des échéances du prêt sont désormais exigibles, la demande du Crédit Mutuel est recevable dans sa totalité à l’encontre de la caution.
Sur l’obligation de mise en garde :
Si la caution est profane, l’établissement bancaire doit la mettre en garde lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté à ses capacités financières ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur. La caution avertie n’est pas créancière de ce devoir de mise en garde, sauf si elle démontre que la banque disposait d’informations qu’elle-même ignorait, notamment sur la situation financière et les capacités de remboursement du débiteur principal.
C’est sur le créancier professionnel que pèse la charge d’établir que la caution est avertie. À défaut, elle est présumée profane. En revanche, c’est à la caution qu’il revient de rapporter la preuve du manquement de l’établissement bancaire à son obligation de mise en garde.
Pour apprécier la qualité de la caution, il y a lieu de tenir compte de la formation, des compétences et des expériences concrètes de celle-ci ainsi que de son implication dans le projet de financement. Il doit être démontré qu’elle avait une connaissance étendue du domaine de la finance et de la direction d’entreprise. Le fait que la caution ait été, lors de la conclusion du cautionnement, dirigeant de la société cautionnée ne représente qu’un seul des indices permettant d’apprécier sa qualité de caution profane ou avertie.
Le Crédit Mutuel fait valoir que M. [E] est une caution avertie car à la date de signature de ses engagements de caution, il était gérant de la société [E] Carrosserie Industrielle qu’il avait créée en 2014. Le Crédit Mutuel invoque également que M. [K] avait une formation dans le transport et la carrosserie et qu’il possédait une expérience de plusieurs années dans la carrosserie, la peinture, le montage et la soudure. Enfin, le Crédit Mutuel fait valoir que le curriculum vitae produit par M. [E] serait volontairement tronqué et omettrait d’indiquer qu’il avait été propriétaire d’une entreprise de transport qu’il aurait vendue.
En l’espèce, si la société [E] Carrosserie Industrielle a été créée peu de temps avant la signature de son premier engagement de caution, M. [E] admet lui-même avoir été propriétaire d’une entreprise spécialisée dans le transport qu’il a vendue. S’il ne donne aucune indication supplémentaire concernant cette première entreprise, il fait apparaître dans son curriculum vitae avoir été ‘artisan transporteur routier’ entre le 1er juillet 1999 et le 29 février 2012. La qualification d’artisan sous-entend qu’il était travailleur indépendant, d’autant qu’il ne précise pas, contrairement à ce qu’il indique pour les autres expériences, qu’il s’agissait d’une expérience salariée ou à titre d’intérimaire.
Il apparaît ainsi qu’en 2014 et en 2015, à la date de signature de ses cautionnements, M. [E], avait acquis une grande expérience de gestion d’une entreprise, ayant été propriétaire d’une première entreprise qu’il a vendue avant de créer la société [E] Carrosserie Industrielle. Il disposait également d’une connaissance du marché concerné du fait de sa formation en carroserie. Il était à même de comprendre le sens et la portée des engagements de caution en question. M. [E] était donc caution avertie.
Il n’est pas démontré que le Crédit Mutuel ait eu des informations que M. [E] ignorait notamment sur la situation financière et les capacités de remboursement de la société [E] Carrosserie Industrielle.
Le Crédit Mutuel n’a donc pas manqué à son devoir de mise en garde.
Le jugement sera confirmé.
Sur la responsabilité de la banque pour soutien abusif :
M. [E] invoque également, au titre de sa demande de paiement de dommages-intérêts, un soutien abusif de la société [E] Carrosserie Industrielle lors de l’octroi des crédits.
Lorsqu’une procédure collective est ouverte, l’article L 650-1 du code de commerce est seul applicable à l’action en responsabilité engagée contre la banque à raison des préjudices subis du fait des concours consentis.
Cet article, dispose que :
Lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d’un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.
Il résulte du second alinéa du texte que le soutien abusif, lorsqu’il est établi, est sanctionné par la nullité ou la réduction des concours, et non par l’octroi de dommages-intérêts.
En outre, les dispositions de l’article L. 650-1 du code de commerce régissent, dans le cas où le débiteur fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires, les conditions dans lesquelles peut être recherchée la responsabilité d’un créancier en vue d’obtenir la réparation des préjudices subis du fait des concours consentis. Elles ne s’appliquent pas à l’action en responsabilité engagée contre une banque par une caution, cette action tendant à obtenir, non la réparation d’un préjudice subi du fait du prêt consenti, lequel n’est pas nécessairement fautif, mais celle d’un préjudice de perte de chance de ne pas souscrire ledit cautionnement.
Le jugement sera confirmé.
Sur la disproportion manifeste :
L’article L 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 5 août 2003 au 1er juillet 2016 et applicable en l’espèce, prévoit que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné :
Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses bien et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C’est sur la caution que pèse la charge d’établir cette éventuelle disproportion manifeste.
Cet article n’impose pas au créancier professionnel de s’enquérir de la situation financière de la caution préalablement à la souscription de son engagement. La fiche de renseignements que les banques ont l’usage de transmettre aux futures cautions n’est, en droit, ni obligatoire ni indispensable. En revanche, en l’absence de fiche de renseignements, les éléments de preuve produits par la caution doivent être pris en compte.
Ce n’est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu’il revient au créancier professionnel d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.
La fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière quant aux biens et revenus qu’elle y déclare, le créancier n’ayant pas, sauf anomalie apparente, à en vérifier l’exactitude.
L’antériorité de la fiche de renseignements n’a pas pour conséquence de lui enlever toute force probante. En pareil cas, il y a seulement lieu d’en relativiser les mentions et de prendre en considération les éventuels éléments de preuve contraires produits par la caution.
Pour apprécier la proportionnalité de l’engagement d’une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte, leur valeur étant appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l’engagement de la caution.
– Pour le cautionnement à hauteur de 50.000 euros conclu le 27 juin 2014 en application des prêts n°0804 1875010 02 et n°0804 1875010 03:
Le Crédit Mutuel produit une fiche de renseignement complétée par M. [E] et datée du 26 juin 2014. Cette fiche est concomitante au cautionnement et lie M. [E] quant aux biens et revenus qu’il y déclare.
M. [E] indique dans sa fiche de renseignement être célibataire et percevoir un revenu annuel de 15.600 euros. Il indique également bénéficier d’une épargne à hauteur de 11.602,35 euros
Il a précisé être propriétaire d’un bien immobilier sis à [Localité 7] estimé à 300.000 euros et dont l’achat avait nécessité la souscription de prêts dont le reste à payer était de 61.158 euros (valeur nette d’emprunt de 238.842 euros).
En tout état de cause, au vu des éléments dont dispose la cour, son engagement de 50.000 euros conclu le 27 juin 2014 n’était pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Partant, il n’y a pas lieu d’examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où M. [E] a été appelé.
– Pour le cautionnement à hauteur de 27.500 euros conclu le 20 mars 2015 en application du prêt n°0804 1875010 06 :
Le Crédit Mutuel produit une fiche de renseignement complétée par M. [E] et datée du 26 février 2015. Cette fiche de renseignement est antérieure de moins d’un mois à la signature du cautionnement. Elle lie donc la caution quant aux biens et revenus qu’elle y déclare alors que M. [E] ne fait pas état d’une modification de sa situation entre la date d’établissement de cette fiche et la date de l’engagement litigieux.
M. [E] indique dans sa fiche de renseignement être célibataire et percevoir un revenu annuel de 15.600 euros. Il indique également bénéficier d’une épargne à hauteur de 10.036 euros
Il a précisé être propriétaire d’un bien immobilier sis à [Localité 7] estimé à 300.000 euros et dont l’achat avait nécessité la souscription de prêts dont le reste à payer était de 61.158 euros, soit une valeur nette d’emprunt de 238.842 euros.
Pour apprécier le caractère disproportionné d’un cautionnement au moment de sa conclusion, les juges doivent prendre en considération l’endettement global de la caution, ce qui inclut les cautionnements qu’elle a précédemment souscrits par ailleurs, bien qu’ils ne correspondent qu’à des dettes éventuelles à condition qu’ils aient été souscrits avant celui contesté.
Si la fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière, elle ne fait pas obstacle à ce que les éléments d’actif ou de passif dont le créancier ne pouvait ignorer l’existence soient pris en compte, ce, quand bien même ils n’auraient pas été déclarés.
En l’espèce il convient donc de tenir compte de l’engagement de caution de M. [E], conclu le 27 juin 2014 avec le Crédit Mutuel, à hauteur 50.000 euros en application des contrats de prêt n°0804 1875010 02 et n°0804 1875010 03.
En tout état de cause, au vu des éléments dont dispose la cour, son engagement de 27.500 euros conclu le 20 mars 2015 n’était pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Partant, il n’y a pas lieu d’examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où M. [E] a été appelé.
Le jugement sera confirmé.
Sur l’information annuelle de la caution :
L’établissement prêteur est tenu d’une obligation d’information annuelle de la caution :
Article L 341-6 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 5 février 2004 au 1er juillet 2016 et applicable en l’espèce:
Le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. A défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information.
Article L 313-22 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2014 au 11 décembre 2016 et applicable en l’espèce :
Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
Le défaut d’accomplissement de la formalité prévue à l’alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
Il sera par ailleurs observé que les sanctions prévues par les articles L 313-22 du code monétaire et financier et L 341-6 du code de la consommation ne se cumulent pas. En cas d’invocation conjointe de ces deux textes, et si le manquement à l’obligation d’information est caractérisé, il y a lieu de retenir la déchéance la plus favorable à la caution.
La déchéance résultant des dispositions de l’article L 313-22 du code monétaire et financier est plus avantageuse pour la caution que la déchéance issue des dispositions de l’article L 341-6 du code de la consommation. Elle sera seule appliquée.
L’établissement n’est pas tenu de prouver que les lettres d’information ont été reçues. Il doit établir qu’il a envoyé des lettres contenant les informations fixées par ce texte.
En l’espèce le Crédit Mutuel n’apporte pas la preuve du respect de son obligation d’information annuelle.
Le Crédit Mutuel a déclaré ses créances ainsi que les intérêts sans préciser le montant de ces derniers, et ces créances, augmentées des intérêts, ont été admises à la procédure de redressement judiciaire. Le Crédit Mutuel a déclaré en capital :
– Au titre du prêt n°0804 1875010 02 : la somme de 100.528,52 euros,
– Au titre du prêt n°0804 1875010 03 : la somme de 34.230,73 euros,
– Au titre du prêt n°0804 1875010 06 : la somme de 47.771,28 euros.
Il y a lieu de constater, comme le soulève le Crédit Mutuel, que la société [E] Carrosserie Industrielle reste devoir, rien qu’en capital, des sommes supérieures aux plafonds des cautionnements de M. [E] fixés comme suit :
– Au titre des prêts n°0804 1875010 02 et n°0804 1875010 03 : la somme de 50.000 euros,
– Au titre du prêt n°0804 1875010 06 : la somme de 27.500 euros.
Il en résulte de ces éléments, des taux contractuels et des sommes que le débiteur principal a pu payer au créancier au titre des intérêts échus que la déchéance prévue par le texte susvisé, à la supposer encourue, est sans effet sur le montant de la condamnation de M. [E].
Le Crédit Mutuel ne produit pas le détail des dates d’échance des mensualités restées impayées. Il y a lieu de dire que M. [E] devra payer les intérêts sur les sommes dues au taux légal et à compter de la date d’échéance finale de chacun des prêts telle que revendiquée par le Crédit Mutuel devant la cour.
Sur les délais de paiement :
M. [E] a déjà, de fait, bénéficié d’importants délais de paiement. Il n’y a pas lieu de lui en accorder de nouveaux. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a accordé des délais de paiement à M. [E] .
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner M. [E] aux dépens d’appel et de rejeter les demandes formées en appel au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
– Infirme le jugement en ce qu’il a :
– Fixé à la date de l’assignation le point de départ des intérêts du par M. [E] au titre de sa condamnation à payer la somme de 50.000 euros au titre de son engagement de caution des prêts n°0804 1875010 02 et 0804 1875010 03,
– Fixé à la date de l’assignation le point de départ des intérêts du par M. [E] au titre de sa condamnation à payer la somme de 50.000 euros au titre de son engagement de caution des prêts du prêt n°0804 1875010 06, majorée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,
– Accordé à M. [E] un délai de 24 mois pour payer sa dette par 22 mensualités d’égal montant et le solde à la 23ème mensualité, sachant que le délai court un mois à compter du jugement,
– Dit que la première échéance interviendra un mois à compter du jugement,
– Dit que M. [E] sera déchu des délais accordés après une seule mensualité impayée, et que le solde de la dette deviendra immédiatement exigible,
– Dit qu’à la fin de la période de remboursement (après 22 mois) le Crédit Mutuel fournira un décompte du capital restant dû et des intérêts capitalisés pour le calcul de la 23ème échéance,
– Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
– Condamne M. [E] à payer à la société Caisse de Crédit Mutuel de Lamballe la somme de 50.000 euros, au titre de son engagement de caution des prêts n°0804 1875010 02 et 0804 1875010 03, majorée des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2021,
– Condamne M. [E] à payer à la société Caisse de Crédit Mutuel de Lamballe la somme de 27.500 euros, au titre de son engagement de caution du prêt n°0804 1875010 06, majorée des intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2022,
– Rejette les autres demandes des parties,
– Condamne M. [E] aux dépens d’appel.
Le greffier Le président