COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 629 DU 12 DECEMBRE 2022
N° RG 21/01142 –
N° Portalis DBV7-V-B7F-DL6S
Décision déférée à la cour : jugement du Tribunal de Proximité de Saint Martin et Saint-Barthélémy, décision attaquée en date du 06 Septembre 2021, enregistrée sous le n° 19/00050
APPELANT :
Monsieur [D] [F]
[Adresse 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Marc Grisoli, de la SELARL NFL Avocats – Fouilleul Grisoli Associés, avocat au barreau de GUADELOUPE/SAINT MARTIN/SAINT BARTHELEMY
INTIME :
Monsieur [Y] [A]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Pierre Kirscher, de la SELAS St Barth Law, avocat au barreau de GUADELOUPE/SAINT MARTIN/SAINT BARTHELEMY
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 Octobre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Franck Robail , président,
Mme Annabelle Cledat, conseillère,
M.Thomas Habu Groud, conseiller,
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 12 décembre 2022.
GREFFIER,
Lors des débats Mme Armélida Rayapin, greffière.
Lors du prononcé : Mme Sonia Vicino, greffière.
ARRÊT :
– Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
– Signé par M. Frank Robail, président de chambre et par Mme Sonia Vicino, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 1er février 2003, M. [D] [F] a conclu avec MM. [Y] [A] et [N] [M] un contrat de bail dérogatoire sur un local commercial situé lieudit [Adresse 3], d’une durée d’une année et pour un loyer mensuel de 763 euros.
Par la suite, le contrat a été exécuté avec comme seul preneur M. [Y] [A].
Par acte en date du 25 janvier 2019, M. [A] a assigné M. [F] devant la chambre détachée du tribunal de grande instance de Basse Terre siégeant à Saint Martin, aux fins de voir fixer le loyer du bail commercial liant les parties à la valeur locative souverainement évaluée par le tribunal, subsidiairement, désigner un expert à cette fin, et, en tout état de cause, interdire à M. [F] d’implanter toute clôture ou ouvrage qui serait de nature à gêner le plein accès au bien loué ou l’ouverture des portes et fenêtres et le condamner à lui verser 5 000 euros pour les frais irrépétibles, outre les dépens, avec distraction au profit de la Selas St Barth Law.
Par jugement du 6 septembre 2021, le tribunal de proximité de Saint Martin Saint Barthélémy a :
qualifié le contrat de bail dérogatoire signé le 6 janvier 2003 à effet du 1er février 2003 entre messieurs [F] [D], [A] [Y] et [M] [N], de bail commercial,
constaté la réduction tacite du bail commercial signé le 6 janvier 2003 entre messieurs [F] [D], [A] [Y] et [M] [N],
ordonné une expertise avant dire-droit ‘en matière d’urbanisme’,
commis pour y procéder Mme [E] [O], avec pour mission de :
se rendre dans les lieux situés lieudit [Adresse 3], dans les locaux commerciaux loués par M. [Y] [A], en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées par lettre recommandée avec accusé de réception et leurs conseils avisés ;
se faire remettre tous documents utiles ;
décrire les lieux, intérieur et extérieur,
évaluer le montant des loyers pour un tel local commercial, de 2003 à ce jour, en tenant compte de l’économie générale des Antilles, de la situation sanitaire et tout autre facteur ayant eu un impact sur l’économie ;
donner tout autre renseignement utile permettant au tribunal de déterminer le montant du loyer pour ce local commercial.
dit que l’expert pourra s’adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour eux d’en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l’avis du sapiteur à son rapport ;
dit que l’expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;
dit que M. [Y] [A] devra verser la somme de 1000 euros à venir sur les honoraires de l’expert, avant le 30 novembre 2021 ;
rejeté le surplus des demandes de M. [A] [Y] ;
rejeté le surplus des demandes de M. [F] [D] ;
dit que la présente affaire est retirée du rôle le temps de l’expertise et qu’elle sera réinscrite sur conclusions de la partie la plus diligente au retour de l’expertise ;
laissé aux parties la charge de leurs frais irrépétibles ;
condamné [F] [D] aux entiers dépens avec distraction au profit de la Selas St Barth Law.
M. [D] [F] a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 29 octobre 2021, en critiquant tous les chefs du jugement déféré.
Par avis du 9 novembre 2021, M. [A] a été avisé de la déclaration d’appel de M. [F].
M. [A] a remis au greffe sa constitution d’intimée par voie électronique le 2 décembre 2021.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 5 septembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 10 octobre 2022, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 12 décembre 2022 par mise à disposition au greffe.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ M. [F], appelant :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 18 janvier 2022 par lesquelles l’appelant demande à la cour de :
– déclarer recevable l’appel interjeté par M. [F] du jugement en date du 6 septembre 2022 ;
A titre principal,
constater que M. [Y] [A] ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux ;
constater l’absence de fonds de commerce exploité dans les locaux ;
constater l’absence de volonté de soumettre le bail régularisé le 6 janvier 2003 au statut des baux commerciaux ;
juger que le bail régularisé le 6 janvier 2003 est soumis aux dispositions du code civil sur le louage, et est exclu du statut protecteur des baux commerciaux ;
En conséquence,
débouter M. [Y] [A] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions en ce qu’elles tendent à la requalification du bail régularisé le 6 janvier 2003 en bail commercial ;
infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
ordonner l’expulsion de M. [Y] [A] et de tous occupants de son chef des locaux occupés en vertu du bail régularisé le 6 janvier 2003 ;
condamner M. [Y] [A] au paiement d’une indemnité d’occupation égale au double du dernier loyer en cours charges en supplément ;
débouter M. [Y] [A] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions en ce qu’elles tendent à la requalification du bail régularisé le 6 janvier 2003 en bail commercial ;
A titre éminemment subsidiaire,
ordonner une expertise pour déterminer le montant de la valeur locative du local et l’évolution du loyer depuis l’origine ;
commettre pour y procéder un expert en évaluation immobilière ;
En conséquence,
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné une expertise en matière d’urbanisme ;
condamner M. [Y] [A] au paiement d’une somme de 6 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens distraits au profit de Maître Marc Grisoli.
2/ M. [A], intimé :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 16 mai 2022 par lesquelles l’intimé demande à la cour de:
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
qualifié le contrat de bail dérogatoire signé le 6 janvier 2003 à effet du 1er février 2003 entre messieurs [F] [D], [A] [Y] et [M] [N] de bail commercial ;
constaté la réduction tacite du bail commercial signé le 6 janvier 2003 entre messieurs [F] [D], [A] [Y] et [M] [N] ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné une expertise avant-dire droit afin, notamment, de faire évaluer le montant des loyers pour un local commercial.
Et statuant à nouveau sur ce point :
A titre principal, fixer le loyer du bail commercial liant M. [Y] [A] et M. [D] [F] à la valeur locative souverainement évaluée par la cour.
Subsidiairement, désigner tel expert qu’il plaira à la cour afin d’évaluer la valeur locative du local sis sur la parcelle cadastrée [Cadastre 4] lieudit [Adresse 3]
En tout état de cause :
débouter M. [D] [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions reconventionnelles ;
condamner M. [D] [F] à payer à M. [Y] [A] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [D] [F] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selas St Barth Law en application de l’article 699 du code de procédure civile.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur le bail commercial
Aux termes de l’article L. 145-1 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause, le statut des baux commerciaux s’applique « aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d’une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce ».
Il est constant que le statut des baux commerciaux est applicable à tout local stable et permanent disposant d’une clientèle personnelle et régulière. En outre, la solidité ou la qualité du local importe peu dès lors qu’il est permanent.
En l’espèce, M. [F] conteste l’application du statut des baux commerciaux au bien loué en soutenant que ce bien ne constitue pas un local au sens de la disposition précitée. Il fait valoir qu’il s’agit d’un atelier ou d’un entrepôt, dépourvu d’eau de réception, de parking d’accueil de la clientèle, n’ayant pas de chemin d’accès praticable et ne pouvant recevoir du public.
Il ajoute que M. [A] a encombré la parcelle de terrain qui entoure son local d’objets encombrants, de déchets et de matériaux. Il soutient aussi que l’intimé exerce son métier de menuisier sur les chantiers ou chez les particuliers et qu’il ne rencontre pas sa clientèle dans les lieux loués.
Cependant, comme le relève justement M. [A] sans être sérieusement contesté, le local litigieux étant un local fixe disposant de fondations et d’une toiture, la qualité de la construction ou son mauvais état sont indifférents à l’application de la législation des baux commerciaux. Par conséquent, la qualification de local au sens de cette législation est indubitable.
En outre, M. [F] prétend qu’en toute hypothèse le local ne respecte aucune norme d’hygiène et de sécurité répondant à la protection des utilisateurs ou protégeant des nuisances sonores. Il fait également valoir que M. [A] ne justifie pas de la mise en place d’un registre public d’accessibilité.
Toutefois, comme le note à juste titre l’intimé, le non-respect de ces normes ou l’absence de registre public d’accessibilité, à les supposer avérés, sont étrangers à la qualification d’un fonds commercial. Les moyens avancés par l’appelant sont donc inopérants.
Par ailleurs, l’article L. 145-1 du Code de commerce précité précise que la législation des baux commerciaux s’applique aux locaux dans lesquels un fonds est exploité par son propriétaire, exploitant ou artisan.
Il est constant que la clientèle représente l’élément le plus important du fonds qui ne peut exister sans elle.
De plus, au regard du statut des baux commerciaux, il suffit que le professionnel soit immatriculé au répertoire des métiers pour être considéré comme artisan et avoir droit au statut.
En l’espèce, pour dénier l’existence d’un fonds artisanal, M. [F] avance que son cocontractant n’a pas la propriété commerciale. Il affirme que M. [A] ne disposant ni de nom commercial, ni d’enseigne ni de local où accueillir la clientèle, son fonds n’existe pas dès lors qu’il ne peut transmettre à autrui un support objectif d’attraction de la clientèle.
Cette argumentation ne peut prospérer.
En effet, d’une part, il ressort des différentes attestations versées aux débats par M. [A], que ce dernier dispose depuis plusieurs années d’une clientèle attachée à l’activité de menuiserie exercée dans les locaux loués.
Ainsi, M. [V] [L], dirigeant d’une société louant des bateaux et installé depuis mars 2010 à proximité de l’atelier de M. [A] , témoigne-t-il de ce que ce dernier a effectué des travaux de menuiserie et de charpente pour sa société (pièce 3-5). De même, M. [B] [U], peintre, précise avoir réalisé des travaux de peinture sur la menuiserie conçue par M. [A] (pièce 3-6). Encore, M. [C] [K], mécanicien atteste avoir recours aux services de M. [A] en tant que client (pièce 3-7).
D’autre part, M. [F] reconnaît expressément l’existence de la clientèle de son preneur. Il prétend seulement qu’elle ne serait pas attachée au fonds artisanal mais au menuisier. Cette distinction est cependant inopérante dès lors que tant les témoignages du voisinage de l’atelier (attestations de Mme [J], de M. [T] ; pièces 3-1 et 3-3) que de M. [M] ou de M. [X] (pièces 3-2 et 3-4), qui ont collaboré avec lu,i démontrent amplement que M. [A] exerce son activité dans les locaux loués. La clientèle est donc indistinctement attachée tant à la personne de l’artisan qu’à son local.
Enfin, comme l’a pertinemment relevé le premier juge, l’absence de signe visible apposé sur le local et d’achalandage n’entraîne pas l’absence de fonds. En effet, ces éléments ne sont pas indispensables à l’existence d’un fonds artisanal.
Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
Sur l’expertise
M. [A] sollicite à titre incident l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a ordonné une expertise avant-dire droit afin d’évaluer le montant du loyer pour le local litigieux. Il soutient que les éléments versés aux débats permettent au juge de déterminer ce montant.
Il verse aux débats trois baux relatifs l’un à un commerce de prêt à porter, l’autre à un local de stockage et le dernier à un commerce de fleuriste.
Comme l’a relevé le premier juge, ces pièces ne fournissent pas d’éléments suffisants de comparaison pour permettre de déterminer la valeur locative du bien loué. C’est donc à juste titre qu’il a ordonné une expertise.
Il convient néanmoins de rectifier la mention du jugement spécifiant que cette expertise est ordonnée « en matière d’urbanisme », et ce en la supprimant purement et simplement s’agissant d’une erreur manifestement matérielle. Cette erreur matérielle est toutefois sans incidence sur la mission de l’expert telle que définie par le jugement déféré.
La décision entreprise sera donc confirmée, sous réserve de cette rectification, en ce qu’elle a ordonné une expertise.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement déféré étant mixte, au fond et avant-dire-droit, les dépens et les frais irrépétibles auraient dû être réservés. Par conséquent, la décision entreprise sera infirmée en ce qu’elle a condamné M. [D] [F] aux dépens et laissé aux parties la charge de leurs frais irrépétibles. Il appartiendra au le tribunal de proximité de Saint Martin Saint Barthélémy de statuer sur les dépens et les frais irrépétibles après avoir tranché l’entièreté du litige dont il reste saisi.
En revanche, M. [D] [F] qui succombe en appel sera condamné à supporter les dépens de l’instance d’appel.
En outre, il paraît équitable de le condamner à payer à M. [A] la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a condamné M. [D] [F] aux dépens et laissé aux parties la charge de leurs frais irrépétibles,
L’infirme de ces deux chefs et, statuant à nouveau, réserve en fin de cause les dépens et les frais irrépétibles de première instance,
Dit que le jugement déféré est affecté d’une erreur purement matérielle en ce qui est de la disposition suivante : « ordonne une expertise avant dire-droit en matière d’urbanisme » ;
Ordonne par suite rectification de ce jugement de ce chef et dit qu’il y a lieu d’y lire désormais, en lieu et place, la disposition suivante :
« – Ordonne avant dire-droit une mesure d’expertise »,
le surplus étant sans changement,
Y ajoutant,
Condamne M. [D] [F] à payer à M. [Y] [A] la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
Condamne M. [D] [F] aux dépens d’appel, dont distraction au profit de la Selas St Barth Law en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Et ont signé,
La greffière, Le président