Droits des Artisans : 31 janvier 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/07213

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Droits des Artisans : 31 janvier 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/07213

1ère Chambre

ARRÊT N°31/2023

N° RG 21/07213 – N° Portalis DBVL-V-B7F-SG6V

M. [M] [W]

C/

Me [I] [X]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 JANVIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 22 novembre 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 31 janvier 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 24 janvier 2023 à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [M] [W]

né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 6] (72)

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Lauréline ROUSSEAU, avocat au barreau de NANTES

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/013125 du 26/11/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)

INTIMÉ :

Maître [I] [X]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Sylvie PÉLOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Julien CHAINAY, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [M] [W], artisan exerçant sous l’enseigne ‘Armor Energie’, est intervenu au cours de l’année 2014 au domicile de M. [N] [E] pour la réalisation de divers travaux d’électricité et de plomberie.

À la suite de ces interventions, trois factures datées du 12 décembre 2014 ont été émises pour un montant total de 7.366 €, détaillé comme suit :

– une facture n° FL1220141 d’un montant de 1.485€ portant sur des travaux de réparation électrique, désignés sur cette facture comme ‘travaux d’urgence suite à risque d’électrocution’, sans signature préalable de devis,

– une facture n° FL1220142 d’un montant de 976 € récapitulant sept autres factures dites de ‘travaux individuels’, d’un montant inférieur à 150 € pour chacune,

– une facture n° FL1220 143 d’un montant de 4.905 € relative à la réfection d’une salle de bains, faisant suite à un devis signé et daté du 9 avril 2014, pour un montant de 4.610 €.

M. [N] [E] n’a honoré qu’une partie de ces factures. Au titre du devis du 9 avril 2014, il a versé un acompte de 2.883 € puis un chèque de 1.727 € daté du 17 décembre 2014, adressé en paiement du solde de ce devis. M. [W] n’a cependant pas encaissé ce chèque.

Pour le surplus, M. [N] [E] a contesté ces factures, en faisant valoir qu’elles n’avaient pas été soumises à devis préalable et qu’elles correspondaient en tout ou partie à des travaux déjà réglés en espèces.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 janvier 2015, M. [M] [W] a mis en demeure M. [N] [E] d’avoir à régler le solde des factures litigieuses, soit la somme de 4.483 €.

Par le truchement d’une association de consommateurs, M. [N] [E] s’est opposé au règlement sollicité.

Dans ces conditions, M. [M] [W] a déposé une requête en injonction de payer devant le tribunal d’instance de Rennes, laquelle a été rejetée au motif qu’un débat contradictoire était nécessaire.

Par exploit d’huissier du 30 novembre 2015, M. [M] [W] a donc fait assigner M. [E] devant le juge des référés de Rennes afin d’obtenir une provision.

Par ordonnance de référé du 5 août 2016, le juge des référés a relevé l’existence d’une contestation sérieuse et a invité les parties à se pourvoir devant le juge du fond.

C’est ainsi que M. [M] [W] a mandaté Me [I] [X] pour introduire une action au fond devant le tribunal d’instance de Rennes.

Cette dernière lui a adressé un projet d’assignation par courrier électronique le 7 novembre 2017, pour approbation.

Cette assignation n’a pas été délivrée à M. [N] [E] avant l’expiration du délai biennal de prescription de l’article L.218-2 du code de la consommation, lequel avait recommencé à courir à compter de l’extinction de l’instance en référé, le 5 août 2016.

Estimant que son avocate avait manqué à son devoir de diligence, M. [M] [W] a, suivant acte d’huissier du 19 août 2020, fait assigner Me [I] [X] devant le tribunal judiciaire de Saint-Malo a’n d’engager sa responsabilité civile professionnelle et être indemnisé de ses préjudices.

Par jugement du 12 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Malo a :

– débouté M. [M] [W] de ses demandes,

– rejeté la demande d’indemnité formée à son encontre par Me [I] [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– mis les dépens à la charge de M. [M] [W].

Le tribunal a admis l’existence d’une faute de l’avocate mais a considéré que M. [W] ne justifiait d’aucune perte de chance de gagner son procès si la juridiction avait pu examiner sa demande.

Suivant déclaration du 17 novembre 2021, M. [W] a interjeté appel de ce jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes et condamné aux dépens.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe et notifiées le 28 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, M. [M] [W] demande à la cour d’infirmer le jugement et statuant à nouveau de :

– condamner Me [X] à lui verser la somme de 4. 483€ en réparation du préjudice subi,

– condamner Me [X] à lui verser la somme de 1.500€ à titre dommages et intérêts pour le préjudice moral,

– condamner Me [X] à verser à Me Lauréline Rousseau la somme de 2000€ au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que M. [M] [W] aurait exposé s’il n’avait pas eu l’aide juridictionnelle,

– condamner Me [X] aux entiers dépens de première instance et d’appel,

– débouter Me [X] de toutes demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires.

M. [M] [W] considère que la responsabilité civile professionnelle de Me [I] [X] est engagée dès lors que cette dernière n’a pas saisi la juridiction du fond dans le délai biennal de prescription, désormais acquis (ce qu’elle aurait admis dans un courrier du 5 mars 2019), le privant ainsi de toute possibilité de recouvrer le paiement des factures non réglées par M. [N] [E].

En réponse aux arguments adverses, M. [W] soutient qu’il avait donné son accord au projet d’assignation, au moyen d’un courrier électronique adressé à son avocate le 13 novembre 2017. Celle-ci devait donc en vertu du mandat ad litem faire toute diligence pour assigner avant l’expiration du délai biennal de prescription (soit avant le 5 août 2018). Il considère par ailleurs que le courrier de Me [X] en date du 5 mars 2019 doit s’analyser comme une reconnaissance de responsabilité et non comme une simple formalité conservatoire en application du code des assurances (article L.114-1 al.3).

S’agissant du préjudice, M. [W] conteste l’analyse du tribunal en ce qu’il a considéré que M. [E] aurait pu avec succès, faire valoir les dispositions de l’arrêté du 2 mars 1990 imposant dans le cadre des prestations de dépannage, réparation, entretien, un devis préalable obligatoire sauf lorsque le montant de la prestation est inférieur à 150 € ou en cas d’urgence absolue de l’intervention. Il estime que l’absence de devis était justifiée dans tous les cas et que la réalité et les circonstances de ses interventions au domicile de M. [E] ne sont pas contestables. Il ajoute que M. [E] ne s’est jamais plaint d’un quelconque désordre après les travaux réalisés.

Il considère que la faute de Me [I] [X] lui a donc fait perdre toute chance d’obtenir le paiement du solde de ses factures, soit la somme de 4.483 €. Il estime que la réparation de son préjudice doit être intégrale et correspondre aux sommes qu’il aurait dû recouvrer auprès de M. [E] si l’assignation avait été délivrée dans les délais.

Il sollicite par ailleurs l’indemnisation d’un préjudice moral à hauteur de 1.500 €, en arguant de la mauvaise foi de Me [I] [X] qui a tardé à répondre à ses sollicitations et qui aux termes de ses dernières conclusions, a divulgué des informations sur d’autres dossiers dans lesquels M. [W] lui avait confié ses intérêts, ce en violation du secret professionnel.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe et notifiées le 02 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, Me [X] demande à la cour de confirmer le jugement  et y ajoutant de :

– rejeter la prétention nouvelle de M. [W] formulée au titre de ses dernières conclusions ;

– débouter M. [W] de ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner M. [M] [W] à verser à Me [X] une indemnité de 2.500 € au titre des frais irrépétibles et en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens.

En défense, Me [X] conteste toute faute de sa part.

Rappelant qu’un avocat ne peut diligenter une action en justice sans avoir obtenu l’accord express de son client, Me [X] indique n’avoir jamais reçu aucune confirmation écrite de la validation par M. [W] du projet d’assignation qu’elle lui avait soumis. À cet égard, elle fait valoir qu’il n’existe aucune preuve d’envoi ni de réception du courriel daté du 13 novembre 2017 dont se prévaut M. [W]. Elle précise qu’au regard de son objet, il existe un doute sur le fait que ce courriel du 13 novembre 2017 ait été adressé en réponse au projet d’assignation du 6 novembre 2017. Elle ajoute qu’aucune convention d’honoraires n’a été signée et que sa déclaration de sinistre ne peut valoir aveu de responsabilité.

Me [X] rappelle que si sa faute devait être retenue, le seul préjudice dont M. [W] pourrait se prévaloir consisterait en une perte de chance d’obtenir la condamnation de M. [E] à lui régler les factures litigieuses. Or, elle estime que M. [W] échoue à démontrer qu’il aurait obtenu gain de cause devant le tribunal d’instance, en l’absence de toute preuve de l’existence d’un contrat entre les parties. Elle rappelle en effet que sur les trois factures contestées par M. [E], une seule a fait l’objet d’un devis préalable pour un montant inférieur à celui de la facture. Elle précise que le montant de ce devis a été réglé par M. [E] qui était légitime à ne pas vouloir régler les sommes supplémentaires facturées. Elle ajoute que M. [W] a fait le choix de ne pas encaisser le chèque de 1.747 €, ce dont l’avocate ne saurait être responsable. S’agissant des deux autres factures, elle soutient que les conditions de dispense de devis préalable tenant à l’urgence absolue de l’intervention ou au montant des travaux n’étaient pas réunies.

Elle en conclut que M. [M] [W] ne justifie d’aucune perte de chance indemnisable et que par ailleurs, son préjudice moral est inexistant au vu du caractère strictement patrimonial de l’affaire.

Enfin, Me [X] soulève l’irrecevabilité de la demande de dommages-et-intérêts en réparation du préjudice moral que lui aurait causé la violation du secret professionnel. Elle fait valoir que cette demande, nouvelle en cause d’appel, se heurte aux dispositions de l’article 564 du code de procédure civile d’une part, et que l’appréciation de la violation du secret professionnel ne relève pas de la compétence de la cour en sa composition ici saisie d’autre part. Au fond, elle précise qu’elle n’a pas enfreint l’article 2 du RIN en ce qu’elle n’a agi que dans le strict intérêt de sa défense et que le préjudice allégué n’est étayé par aucun élément.

MOTIVATION DE LA COUR

1°/ Sur la responsabilité de l’avocate

Il est constant que la mission d’assistance en justice comporte pour l’avocat un devoir de compétence et qu’à ce titre, il est tenu d’accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client.

En application de l’article 1231-1 du code civil, l’engagement de sa responsabilité suppose de démontrer l’existence d’une faute dont il est résulté un préjudice, lequel ne peut s’analyser que comme une perte de chance de voir prospérer la demande en justice.

a. Sur la faute de Me [I] [X]

Il est constant que le 7 novembre 2017 Me [I] [X] a adressé à M. [W] un projet d’assignation devant le tribunal d’instance de Rennes à l’encontre de M. [E] et qu’elle attendait la validation de son client pour la transmettre à l’huissier de Justice.

Il ressort en effet d’une capture d’écran de la messagerie Outlook de M. [W] que son avocate lui a adressé le 7 novembre 2017 à 7 H 57, un courrier électronique intitulé ‘DOSSIERS [B] ET [E]’, comprenant quatre pièces jointes. L’une d’elles, intitulée ‘ATILagrange.doc, correspond sans nul doute possible au projet d’assignation susvisé.

Ce message comporte par ailleurs la mention «  Vous avez répondu le Lun 13/11/2017 11:41 »

De fait, M. [W] justifie avoir adressé un courrier électronique à Me [I] [X] le lundi 13 novembre 2017 à 11 H 41, intitulé ‘RE : DOSSIER [E]’ aux termes duquel il fait savoir qu’il a bien reçu par courriel le projet d’assignation contre M. [E], et qu’il n’a pas de modification à y apporter, en ajoutant : «  Je profite de la présente pour vous redonner mon accord pour faire délivrer votre assignation (cf. votre pièce jointe LMC à [W][E] 6112007) ».

La copie de sa page Outlook confirme que ce message du lundi 13 novembre 2017 à 11 H 41 vient bien en réponse à celui que lui a adressé Me [I] [X] le 7 novembre 2017 à 7 H 57, M. [W] ayant seulement modifié l’objet de son courriel en réponse en supprimant la mention du dossier « [B] », ce que tout utilisateur de messagerie Outlook peut parfaitement faire en répondant à un message électronique.

Comme l’a justement retenu le premier juge, Me [I] [X] est ainsi présumée avoir eu connaissance de l’accord écrit et express de son client pour la délivrance de l’assignation, dès le 13 novembre 2017, la bonne réception de ce message n’étant remise en cause par aucun élément sérieux.

Il est d’ailleurs observé que par courrier du 13 novembre 2017, Me [I] [X] s’est adressée au bureau de l’aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Rennes pour signaler qu’elle venait d’être désignée par M. [M] [W] pour assurer sa représentation devant le tribunal d’instance de Rennes dans le cadre du litige qui l’opposait à M. [E], succédant ainsi à sa cons’ur Me [L] [G], ce qui lui a permis d’obtenir ensuite une décision d’aide juridictionnelle rectifiée.

Dès lors qu’elle avait bien reçu la validation de son client sur son projet d`acte, il appartenait à Me [I] [X] de faire délivrer cette assignation avant le 5 août 2018.

En effet, compte-tenu des compétences qu’elle avait accepté de mettre en ‘uvre dans le cadre du mandat ad litem confié par M. [W] dans l’affaire [E], Me [I] [X] ne pouvait ignorer que l’assignation devait être signifiée dans le délai de prescription biennale de l’article L.218-2 du code de la consommation, expirant en l’espèce le 5 août 2018, après avoir été interrompu par l’ordonnance de référé du 5 août 2016 mentionnée dans le projet d’assignation qu’elle avait préparé.

Or, dans sa lettre du 5 mars 2019 en réponse à M. [M] [W], celle-ci a admis que l’assignation n’avait pas été délivrée à M. [N] [E] avant l’expiration du délai biennal de prescription, ce pourquoi elle a indiqué avoir fait une déclaration de sinistre le 23 avril 2020.

Me [I] [X] qui était tenue d’exécuter les diligences inhérentes à sa mission d’assistance, ne peut utilement invoquer l’absence de signature de convention d’honoraires, ni reprocher à son client de ne pas s’être inquiété du sort de son dossier.

C’est par conséquent à juste titre que le premier juge a retenu que Me [I] [X] avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile professionnelle.

b. Sur le préjudice de M. [W]

Il est admis que lorsque par sa faute l’avocat a privé son client de la possibilité de faire valoir ses droits en justice, le préjudice qui en découle s’analyse en une perte de chance, mesurée à la chance que le client pouvait raisonnablement avoir de gagner son procès, sans qu’elle puisse être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

La chance ainsi perdue doit être appréciée en reconstituant fictivement la discussion qui aurait du intervenir sur le fond, et en recherchant la valeur des moyens en demande et en défense qui auraient pu être soutenus.

Il convient donc de rechercher quelles étaient les chances de M. [W] d’obtenir sur la base des pièces produites, le paiement de l’intégralité des travaux facturés à M. [E], soit la somme de 4.483 €, dès lors que devant le juge des référés, M. [E] a contesté les factures en opposant à son artisan l’absence de devis signé de sa part, ce en violation des dispositions de l’article 3 de l’arrêté du 02 mars 1990 relatif à la publicité des prix de prestation de dépannage, de réparation et d’entretien dans le secteur du bâtiment.

En application de l’article 1315 du code civil, applicable au litige, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

S’agissant de la facture n°FL1220143 en date du 12 décembre 2014 d’un montant de 4.905 € TTC concernant la réfection d’une salle de bains

La prestation facturée a bien fait l’objet d’un devis signé le 9 avril 2014 par M. [E] qui a réglé un acompte de 2.883 €. Il a ensuite adressé à M. [W] un chèque d’un montant de 1.727 € en règlement du solde de ce chantier, ainsi qu’il résulte sans ambiguïté de son courrier du 18 décembre 2014. M. [W] a cependant refusé d’encaisser ce chèque, pensant ainsi préserver ses droits à l’encontre de M. [E] qui refusait de lui régler une surfacturation de 295 €, correspondant au blocage du chantier par le client pendant plusieurs mois et à l’erreur commise par celui-ci lors de la pose de la faïence, ayant nécessité une découpe non prévue de la paroi de la douche.

Il n’est pas contestable que M. [E] a réglé l’intégralité de la prestation prévue au devis. Le non recouvrement de la somme de 1.727€ relève de la seule responsabilité de M. [W] qui n’a pas encaissé le chèque adressé par M. [E]. Par conséquent, il n’est justifié d’aucune perte de chance en lien avec la faute de l’avocate.

Par ailleurs, il ne suffit pas à M. [W] de mentionner dans les factures qu’il établit lui-même, l’existence d’un motif de facturation supplémentaire (en l’occurrence 150€ pour l’erreur dans la pose de la faïence par M. [E] et 145€ pour le blocage du chantier) en précisant que le client aurait été « prévenu » et qu’il aurait donné son « accord », pour faire la preuve de sa créance.

M. [E] était seulement tenu par le devis qu’il a signé et M. [W] n’est pas en mesure de justifier d’un quelconque accord de ce dernier pour régler davantage. Au surplus, les motifs de cette surfacturation ne sont étayés par aucune pièce probante. À l’instar du tribunal, la cour ne saurait être convaincue par l’attestation de M. [Y] [V] dont il n’est pas précisé s’il travaille toujours pour M. [W], ce qui permet de douter de son objectivité, d’autant que son récit est étonnement précis et détaillé (allant même jusqu’à citer entre guillemets les paroles de M. [E]) pour des faits intervenus deux ans auparavant.

Dès lors, il convient de considérer que les chances pour M. [W] d’obtenir en justice la condamnation de M. [E] à lui payer la somme de 1.727 € au titre du chèque non encaissé et la somme supplémentaire de 295 €, facturée de son propre chef, étaient inexistantes.

S’agissant de la facture n° FL1220141 en date du 12 décembre 2014 d’un montant de 1.485€ TTC concernant des travaux de réparation électrique urgents :

Comme il l’avait fait devant le juge des référés, M. [E] aurait pu opposer avec succès à M. [W] les dispositions de l’article 3 de l’arrêté du 2 mars 1990 relatif à la publicité des prix de prestation de dépannage, de réparation et d’entretien dans le secteur du bâtiment alors en vigueur, aux termes desquelles le professionnel doit remettre un devis détaillé préalablement à l’exécution des travaux.

Il ressort de ce texte que le professionnel ne peut en être dispensé que dans deux hypothèses :

– lorsque le montant estimé des travaux est inférieur à 150 € TTC,

– lorsque l’intervention est effectuée en situation d’urgence absolue pour faire cesser un danger manifeste pour la sécurité des personnes ou l’intégrité des locaux, après remise au consommateur d’un ordre de réparation constatant l’état des lieux.

En l’espèce, la facture litigieuse comporte la mention « travaux d’urgence suite à risque d’électrocution (insécurité enfants/personnes) » et porte sur les travaux suivants : « pose de prises dans toute l’habitation, réparations, recâblage suite dysfonctionnements, changement et réparation de boîtes d’encastrements cassés, pose d’interrupteurs, repérage de fils, test, réparations et branchement élec ».

Or, dans ses conclusions n°2 devant le juge des référés, M. [E] a contesté les prestations ainsi facturées qu’il qualifiait de « fantaisistes » en expliquant que M. [W] était bien intervenu à son domicile en juin 2014, mais pour changer seulement 5 prises et 2 interrupteurs.

Comme l’a justement retenu le premier juge, l’urgence absolue pour risque d’électrocution, formellement contestée par M. [E], n’est démontrée ni par les quelques photographies communiquées par M. [W] ni par l’attestation peu probante (pour les motifs déjà indiqués) de M. [Y] [V].

Au demeurant, si l’installation électrique était si dangereuse dans toutes les pièces de la maison à la date du 2 juin 2014, il est surprenant que M. [W] n’ait pas décelé ce danger auparavant, notamment lorsqu’il a dressé le devis du 9 avril 2014 pour la réfection d’une salle de bain.

Il n’est donc pas établi que la prestation pouvait être effectuée sans devis préalable.

Au surplus, l’article 3 de l’arrêté du 2 mars 1990 précité rappelle que même en cas d’urgence absolue, un ordre de réparation doit être remis au client.

En l’espèce, M [W] produit un ordre de réparation daté du 2 juin 2014, non signé par M. [E] et dont il n’est pas démontré qu’il lui a été remis.

Par ailleurs, la facture émise plusieurs mois après la prestation urgente alléguée ne comporte aucune précision notamment quant au nombre de prises et d’interrupteurs installés.

En définitive, face aux contestations de M. [E], M. [W] est dans l’incapacité de démontrer l’accord des parties sur la prestation et sur le prix correspondant à la facture émise.

Il aurait d’évidence été débouté de sa demande en paiement par la juridiction saisie.

S’agissant de la « facture récapitulative de travaux individuels » n° FL1220142 en date du 12 décembre 2014 d’un montant de 976 € TTC :

M. [W] produit une facture détaillée dite « récapitulative » comprenant sept factures différentes établies à quelques jours d’intervalle entre le 10 septembre et le 13 octobre 2014, portant chacune sur des interventions d’un montant légèrement inférieur à 150 €. Les sept factures individuelles émises pour chacune des prestations sont également produites.

Pour contester cette facture, M. [E] aurait également invoqué l’absence de devis préalable, en violation des dispositions de l’article 3 de l’arrêté du 2 mars 1990 précité, imposant au professionnel de remettre un devis détaillé, préalablement à l’exécution des travaux, à la demande du consommateur ou dès lors que leur montant estimé est supérieur à 150 € TTC.

En réplique M. [W] aurait fait valoir comme dans ses conclusions qu’il n’avait aucune obligation d’établir un devis, s’agissant d’interventions inférieures à 150 €.

En l’espèce, cette facture dite « récapitulative » vise une succession de factures d’un montant systématiquement inférieur au seuil de déclenchement de l’obligation légale d’établir un devis, dont les dates couvrent une période d’un mois environ, étant observé que certaines factures ont été émises à deux jours d’intervalle voire pour deux d’entre elles datées du même jour (facture n°FL12201463 d’un montant de 133 € et n° FL12201474 d’un montant de 143 €, datées du 17 septembre 2014). Enfin, elles se rapportent toutes aux travaux de la même salle de bain.

Dès lors, contrairement à ce que mentionne cette facture dite « récapitulative », il ne s’agit pas « (d’) interventions demandées individuellement, au coup par coup, par le client » pouvant donner lieu à des facturations distinctes mais bien d’un seul et même chantier, dont M. [W] a artificiellement fractionné la facturation afin d’échapper à son obligation d’établir un devis.

Cette pratique s’avère d’ailleurs habituelle chez cet artisan, ainsi qu’il ressort du courrier que lui avait adressé Me [I] [X] le 5 mars 2019 (qu’il communique) et dans lequel son avocate récapitulait l’état d’avancement des dossiers (dont certains pour des litiges similaires) pour lesquels elle sollicitait son dessaisissement.

En l’absence de devis et au regard des contestations de M. [E], M. [W] est dans l’incapacité de démontrer l’existence d’un accord entre les parties concernant les prestations facturées à hauteur de 252 €, au titre du sèche-serviette et du WC. Il n’avait donc aucune chance d’obtenir la condamnation de M. [E] à lui régler ces sommes.

En revanche, pour le surplus de la créance revendiquée, M. [E] indiquait avoir réglé en espèces une partie des travaux visés dans la facture, correspondant à la pose de prises de courant (143 €), la dépose d’un radiateur (148 €), la pose d’un nouveau radiateur (150 €), la pose de spots encastrés (139 €), la pose d’un interrupteur (144 €) pour un total de 724 €.

M. [E] n’aurait donc pas pu sérieusement contester que les sommes facturées correspondaient bien aux travaux réalisés à son domicile, conformément à l’accord des parties sur la prestation et sur le prix, nonobstant l’absence de devis préalable.

Par ailleurs, il est peu probable que M. [E] aurait opposé une exception d’inexécution liée à la qualité des travaux mis en ‘uvre par M. [W] dès lors qu’il indique lui-même les avoir réglés.

Ainsi, pour apprécier la créance de M. [W], la discussion aurait essentiellement porté sur la preuve, incombant à M. [E], des règlements qu’il dit avoir effectués.

Or, cette preuve aurait été difficile à rapporter s’agissant de sommes remises en espèces. Par ailleurs, les relevés bancaires portant trace des retraits que M. [E] indiquait avoir effectués aux dates d’exigibilité des factures émises ne sont pas produits (cf. courrier de l’association CLCV du 24 février 2015 et ses conclusions en référé). La cour ne peut donc apprécier la pertinence des preuves que M. [E] aurait soumis à la juridiction saisie. La cour considère donc que la probabilité de pouvoir opposer à M. [W] l’extinction de sa créance par l’effet d’un paiement était assez faible, de l’ordre de 20 %.

Contrairement à ce que soutient Me [I] [X] en reprenant l’argumentation développée par M. [E] devant le juge des référés, il n’est pas établi que ce dernier aurait pu obtenir à titre reconventionnel des dommages et intérêts sur le fondement du manquement de l’artisan à son obligation pré-contractuelle d’information.

En effet, s’il est exact que M. [W] a de manière fautive contourné l’obligation légale d’établir un devis et qu’il n’a donc pas mis en mesure son client d’obtenir ‘ le décompte détaillé en quantité et en prix, de chaque prestation et produit nécessaire à l’opération prévue ‘ conformément à l’article 3 de l’arrêté du 2 mars 1990 précité, il n’est pas démontré ni même allégué que M. [E] aurait subi un préjudice quelconque en lien avec ce manquement contractuel. Là encore, la probabilité pour M. [E] d’obtenir une réduction de la créance par compensation avec d’éventuels dommages-et-intérêts s’avère assez faible. La cour l’évalue à 20% .

Au regard de ces éléments, la cour considère que dans un procès qui l’aurait opposé à M. [E], M. [W] avait 80 % de chance d’obtenir le règlement de la somme de 724 € correspondant aux travaux facturés pour lesquels l’existence d’un lien contractuel entre les parties pouvait être retenu.

Aucun procès ne pourra jamais avoir lieu puisque l’action de M. [W] est prescrite depuis le 5 août 2018, Me [X] n’ayant pas délivré l’assignation avant cette date.

La faute de Me [X] a donc fait perdre à M. [W] la chance de recouvrer la somme de 579,20 €, qu’elle sera condamnée à lui régler à titre de dommages-et-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt. Le jugement sera infirmé en ce sens.

c. sur la violation du secret professionnel de l’avocate :

Contrairement à ce que soutient Me [X], la demande de dommages et intérêt formée par M. [W] au titre de son préjudice moral ne se heurte pas à aux dispositions de l’article 564 du Code de procédure civile aux termes desquelles: « A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. »

En effet, en première instance, M. [W] sollicitait déjà la somme de 1.500 € en réparation du préjudice moral que lui avait causé la mauvaise foi de son avocate. En cause d’appel, M. [W] entend étayer cette mauvaise foi en invoquant une violation du secret professionnel.

Il ne s’agit donc pas d’une demande nouvelle mais d’un nouveau moyen au soutien de sa demande indemnitaire.

Par conséquent, la demande est recevable.

M. [W] reproche à Me [X] d’avoir, en violation de l’article 2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat concernant le secret professionnel, fait état en page 5 de ses conclusions d’autres dossiers qu’il lui avait confiés.

L’article 2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat dispose que  » L’avocat est le confident nécessaire du client.

Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps.

Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel. »

Il est exact qu’en page 5 de ses conclusions, pour illustrer le fait que M. [W] devait parfaitement savoir qu’aucune assignation n’aurait pu être délivrée sans son accord express, Me [X] rappelle que celui-ci a fait diligenter  » pas moins de 6 dossiers similaires « , notamment :

« – Mise en cause dans une affaire de fraude à l’assurance et travail dissimulé,

– Engagement de la responsabilité professionnelle d’un huissier de justice auquel M. [W] reproche de n’avoir pas exécuté la décision avant l’ouverture de la procédure collective ».

Il convient cependant de considérer qu’aucune divulgation d’informations confidentielles ne peut être reprochée à l’avocate dès lors que M. [W] a lui-même communiqué dans le cadre de cette instance, le courrier daté du 5 mars 2019 (pièce n°12) dans lequel Me [X] l’informait de son intention d’être dessaisie des dossiers en cours, en récapitulant pour chacun d’entre eux les diligences accomplies et l’état d’avancement de l’affaire.

Dans ses conclusions, Me [X] se réfère d’ailleurs expressément à cette pièce, qui vise notamment l’affaire de travail dissimulé et celle relative à la responsabilité de l’huissier.

Il en résulte que Me [X], pour les besoins de sa défense en justice, n’a fait que reprendre des éléments d’information que M. [W] avait lui-même décidé de mettre dans les débats.

Par conséquent, aucune faute ne peut être retenue au titre de la violation du secret professionnel.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [W] de cette demande.

3°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a laissé les dépens à la charge de M. [W].

Succombant en cause d’appel, Me [I] [X] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Les parties seront déboutées de leur demande respective sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 12 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Saint-Malo sauf en ce qu’il a :

* débouté M. [M] [W] de sa demande de dommages-et-intérêts au titre du préjudice moral ;

* rejeté la demande d’indemnité formée par Me [I] [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant de nouveau des chefs du jugement infirmés :

Rejette la fin de non-recevoir fondée sur les dispositions de l’article 564 du Code de procédure civile soulevée par Me [I] [X] ;

Condamne Me [I] [X] à payer à M. [M] [W] la somme de 579,20 €, au titre de la perte de chance, avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt ;

Déboute M. [M] [W] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Me [I] [X] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Me [I] [X] au dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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