Droits des Artisans : 31 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03143

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Droits des Artisans : 31 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/03143

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 31 Mars 2023

(n° , 14 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 21/03143 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDON2

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Février 2021 par le Pole social du TJ d’EVRY RG n° 18/00150

APPELANTES

Madame [C] [W]

[Adresse 3]

[Localité 5]

comparante, et assistée par Me Lala-jamila EL BERRY, avocat au barreau de PARIS, toque : D1791

Madame [U] [W]

[Adresse 3]

[Localité 5]

comparante, et assistée par Me Lala-jamila EL BERRY, avocat au barreau de PARIS, toque : D1791

Madame [A] [W]

[Adresse 3]

[Localité 5]

comparante, et assistée par Me Lala-jamila EL BERRY, avocat au barreau de PARIS, toque : D1791

INTIMEES

SOCIETE [7] ([7]) liquidée, Prise en la personne de son représentant légal, représentée par Monsieur [J] [R] en sa qualité de mandataire ad hoc

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Delphine ABECASSIS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0123

CPAM 91 – ESSONNE

DEPARTEMENT JURIDIQUE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 02 Février 2023, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre et Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller, chargés du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre

Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller

Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller

Greffier : Madame Alice BLOYET, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre et par Madame Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] d’un jugement rendu le 9 février 2021 par le tribunal judiciaire de Paris dans un litige les opposant à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne et à M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc de la S.A.R.L. [7].

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que M. [V] [W] a travaillé pour la S.A.R.L. [7] du 1er juillet 1990 au 1er janvier 1998 en qualité de menuisier puis pour M. [X] de 1999 à 2000 en qualité de menuisier avant de devenir artisan taxi ; qu’au mois de décembre 2015, des examens médicaux ont révélé qu’il était atteint d’un cancer des fosses nasales ; que le 9 septembre 2016, la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne a reconnu l’origine professionnelle de la maladie ; que M. [V] [W] est décédé le 20 octobre 2016 ; que le 2 février 2018, ses ayants droits, sa veuve et ses deux filles, ont sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de la maladie professionnelle de leur conjoint et père.

Par jugement en date du 9 février 2021, le tribunal a :

– débouté Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] de leur action et de leurs demandes ;

– condamné Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] aux dépens.

Le tribunal a retenu de la seule attestation produite par la requérante que l’employeur avait fourni des éléments de protection qui étaient obligatoires lors des opérations. Il a retenu que ces masques étaient à l’abri de la poussière et que le sol de l’atelier était nettoyé tous les jours de même que les machines. Il a enfin relevé que le système d’aspiration était suffisant, selon l’expertise produite par la société. S’agissant de l’absence de visite médicale antérieurement à 1995, le tribunal a exclu tout lien de causalité avec la maladie professionnelle déclenchée. S’agissant de la lettre du contrôleur du travail, il a relevé que ces observations n’étaient que des suppositions alors même que l’inspection du travail ne connaissait pas l’entreprise.

Le jugement a été notifié par lettres recommandées avec demande d’accusé de réception remises respectivement le 17 février 2021 à Mme [C] [W] et le 24 février 2021 à Mme [U] [W]. Le pli n’a pas été remis à Mme [A] [W]. Elles ont interjeté appel par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception adressée le 10 mars 2021.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par leur avocat, Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] demandent à la cour de :

– infirmer le jugement rendu le 09 février 2021 par le Tribunal judiciaire d’Evry pris en toutes ces dispositions ;

et statuant à nouveau :

– déclarer recevable et bien fondé le recours des ayants droits de M. [V] [W] ;

en conséquence,

– constater que le décès de M. [V] [W] est dû à une faute inexcusable de son employeur, la société [7], liquidée , prise en la personne de son représentant légal M. [J] [R], mandataire ad hoc ;

– ordonner la majoration à son taux maximum de la rente de conjoint survivant allouée à Mme [C] [W] en application de l’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale ;

– allouer aux consorts [W] en leur qualité d’ayants droit de M. [V] [W], l’indemnité forfaitaire égale au montant minimum légal en vigueur à la date de consolidation conformément aux dispositions de l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale, à laquelle M. [V] [W] aurait pu prétendre avant son décès compte tenu de son taux d’IPT de 100% ;

– fixer la réparation des préjudices dus aux ayants droit de M. [V] [W] au titre de l’action successorale comme suit :

‘ préjudice causé par les souffrances physiques : 80 000 euros ;

‘ préjudice causé par les souffrances morales : 100 000 euros ;

‘ préjudice esthétique : 25 000 euros ;

‘ préjudice lié à la perte de possibilités de promotion professionnelle : 35 000 euros ;

– fixer le préjudice moral des ayants-droit de M. [V] [W] de la façon suivante :

‘ pour Mme [C] [W] (veuve) : 150 000 euros ;

‘ pour Mme [A] [W] (fille) : 50 000 euros ;

‘ pour Mme [U] [W] (fille) : 50 000 euros ;

– condamner la société [7], liquidée , prise en la personne de son représentant légal M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc à verser aux ayants-droit de M. [V] [W] la somme de 3500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– condamner la société [7], liquidée , prise en la personne de son représentant légal M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc à verser aux ayants-droit de M. [V] [W] aux frais, débours et entiers dépens ;

– dire et juger qu’en vertu de l’article 1231-6 du Code civil, l’ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle ou de l’arrêt à intervenir.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la S.A.R.L. [7] représentée par M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc demande à la cour de :

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire d’Evry du 9 février 2021 ;

– condamner solidairement Mesdames [C], [U] et [A] [W] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne demande à la cour de :

– rendre en acte de ce qu’elle s’en rapporte à prudence de justice quant à la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ;

– prendre acte qu’elle s’en rapporte en justice quant à la demande de majoration de rente;

– émet les réserves d’usage quant au montant des préjudices moraux ;

– faire droit à son action récursoire contre le mandataire ad hoc.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l’audience du 2 février 2023 qu’elles ont respectivement soutenues oralement.

SUR CE

– Sur l’existence d’une faute inexcusable :

Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] exposent que la conscience du danger peut résulter du non-respect de la réglementation en matière de sécurité ou d’une obligation générale de sécurité ; qu’en l’espèce, les ateliers de menuiserie propices à l’accumulation de poussières de bois entraient dans le cadre des préconisations du décret du 10 juillet 1913 imposant l’évacuation des poussières et le renouvellement de l’air des lieux de travail, au regard des risques déjà inscrits au tableau n°47 de l’annexe II du code de la sécurité sociale alors en vigueur ; que l’alcool isopropylique est présent dans la composition des vernis à bois et que les hydrocarbures polycycliques aromatiques présents dans la poix le sont également dans la colle néoprène, comme en atteste les compositions chimiques de ces produits ; que les poussières de bois auxquelles étaient exposées M. [V] [W], ainsi que les composants chimiques des produits utilisés étaient, pendant la durée du contrat de travail, déjà considérés comme des agents cancérogènes ; que l’employeur en tant que professionnel averti du secteur de la menuiserie depuis plusieurs années, ne pouvait ignorer la nocivité des poussières de bois et des produits chimiques utilisés et les conséquences d’une exposition à ces derniers ; que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés ; qu’en dépit de la législation florissante en matière de prévention des risques professionnels, laquelle se trouve renforcée dans le contexte d’une exposition à certains produits reconnus cancérogènes ou nocifs ; que l’employeur avait l’obligation d’évaluer les risques professionnels auxquels étaient exposés M. [V] [W] et ses collègues ; que la société ne prévoyait aucune procédure de sécurité en cas de survenance d’un risque ; qu’elle n’informait pas non plus les salariés des dangers auxquels ils pouvaient être confrontés ; qu’il revenait à l’employeur de contrôler l’empoussièrement, de vérifier que l’aération et la ventilation en sus de l’entretien des machines étaient effectifs et garantissaient une exposition moindre ; que le contrôle de l’atmosphère de travail n’était pas assuré ; que l’entreprise se composait d’un parc machine vétuste dans un atelier loué à bail, dans lequel travaillaient le gérant M. [J] [R], M. [V] [W], ainsi que des apprentis et intervenants ; que la photographie produite par la société, dont elle ne fait pas mention dans ses écritures, semble être une bouche d’aspiration ; que dans l’hypothèse où cette même bouche se trouvait dans l’atelier il y a 30 ans et qu’elle fonctionnait, il ne fait aucun doute qu’elle ne permettait pas la ventilation de l’air ; qu’en sus de l’absence totale de ventilation, selon les deux anciens salariés de la S.A.R.L. [7], l’atelier n’était pas non plus aéré, de sorte qu’aucun renouvellement de l’air n’était possible ; qu’il ressort de façon unanime des témoignages des anciens salariés de l’atelier que celui-ci était très loin du niveau de propreté évoqué par le tribunal judiciaire, car les machines étaient très rarement entretenues et la poussière ne cessait de s’accumuler ; que les masques mis à disposition par l’employeur ne peuvent constituer des protections suffisantes compte tenu de la nature des poussières ambiantes ; qu’ils sont inadaptés pour filtrer les poussières de bois ; que l’exécution de mesures de protection collective n’était pas assurée par la société; que les moyens de protection individuels étaient également insuffisants ; que l’absence de contrôle de l’employeur, qui ne s’assurait pas de la protection des salariés, confirme l’absence de mesures de prévention au sein de la société ; que la législation en vigueur au moment des faits, lors de l’exécution du contrat de travail de M. [V] [W] imposait a minima une visite médicale annuelle, ainsi qu’un suivi post-professionnel en raison de l’exposition à des substances cancérogènes ; qu’il résulte du dossier médical de M. [V] [W] qu’il n’a fait l’objet que de deux visites médicales, en 1995 et 1996 alors qu’il a été salarié de la S.A.R.L. [7] de 1990 à 1998, toujours en qualité de menuisier et qu’il était exposé à des produits cancérigènes ; qu’elles apportent la preuve du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité résultant du défaut de convocation à toute visite médicale entre 1990 et 1995 et entre 1996 et 1998 ; que ces visites auraient certainement pu permettre le dépistage de la maladie de M. [V] [W] beaucoup plus en amont ; que cette carence dans le suivi médical des salariés est d’autant plus grave que le risque auquel M. [V] [W] était exposé aurait nécessité une surveillance renforcée ; que le contrôleur du travail précise que les conditions de travail des employés de la S.A.R.L. [7] ont accentué leur exposition aux substances nocives et aux poussières de bois en raison de l’absence de moyens de protection individuels ou collectifs ; que ce constat a été émis dans le cadre d’un avis du 30 mars 2016, sollicité par la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne dans le cadre de son enquête.

La S.A.R.L. [7], représentée par M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc réplique que l’intégralité des dispositions réglementaires invoquées en demande ont été instaurés par le décret n°2008-244 du 7 mars 2008 et sont entrées en vigueur le 1er mai 2008 ; que par ailleurs, elles font référence à un décret du 10 juillet 1913 lequel imposerait d’évacuer les poussières en dehors des locaux ainsi que le renouvellement de l’air ; que ce texte ne vise pas expressément les poussières de bois ou l’activité de menuiserie ; que ce n’est que par un arrêté du 29 juillet 2006, entré en vigueur le 1er janvier 2007, que les poussières de bois ont été ajoutées à la liste des procédés cancérogènes ; que les poussières de bois n’étaient pas à la date de la relation contractuelle des agents cancérogènes au sens des articles R.231-5 et R.231-56-1 du code du travail ; qu’elles n’ont été considérées comme telles que par l’arrêté du 8 septembre 2000 qui a complété l’arrêté du 5 janvier 1993 ; que les pièces communiquées par les demandeurs montrent bien que ce n’est qu’à partir de 1998 que les scientifiques se sont interrogés sur les risques liés à l’inhalation de poussières de bois ; que la médecine du travail n’a jamais attiré l’attention de l’employeur sur les mesures à prendre de nature à préserver la santé de ses salariés, alors même qu’il s’agissait de l’une de ses missions ; qu’il ne peut être déduit du seul fait que la caisse ait pris en charge la maladie professionnelle déclarée par M. [V] [W] que l’employeur avait nécessairement conscience du danger auquel il exposait le salarié ; qu’elle a mis en place toutes les mesures permettant de préserver la santé et la sécurité de ses salariés ; qu’au cours de ces visites médicales, le médecin du travail n’a relevé aucune défaillance de la part de l’employeur et le salarié a toujours été déclaré apte au travail ; que l’atelier comportait 2 portes fenêtres, permettant ainsi une ventilation efficace ; que celle-ci était facilitée par un nettoyage quotidien du sol de l’atelier ainsi que des machines et par le fait que la porte de l’atelier était très souvent ouverte ; qu’elle disposait d’un aspirateur, qui avait été acheté par M. [J] [R] lorsqu’il avait repris l’entreprise de son père ; que le système d’aspiration en vigueur au moment des faits a été expertisé par la société [6] qui a conclu que la capacité d’extraction est importante, permet un captage des poussières efficace et est en adéquation avec les données techniques visibles sur la plaque signalétique du système ; que des masques de protection individuelle étaient mis à la disposition de chacun des salariés, à l’abri de la poussière, et leur port était obligatoire lors des opérations de menuiserie ; que l’Inspection du travail n’a jamais considéré qu’il était nécessaire d’effectuer un contrôle des mesures de sécurité mise en place par elle à l’égard de ses salariés ; qu’il est fort probable que le cancer dont M. [V] [W] a été victime soit la conséquence de son activité de chauffeur de taxi, exercée bien plus longtemps que celle de menuisier.

– Sur la conscience du danger :

L’employeur est tenu envers son salarié d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Il a, en particulier, l’obligation de veiller à l’adaptation des mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l’être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants. Les articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été l’origine déterminante de l’accident du travail subi par le salarié, mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes y compris la faute d’imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.

Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait ou qui aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l’employeur ; aucune faute ne peut être établie lorsque l’employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l’apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu’il pouvait avoir.

La conscience du danger, dont la preuve incombe à la victime, ne vise pas une connaissance effective du danger que devait en avoir son auteur. Elle s’apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d’activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.

Il sera rappelé en premier lieu qu’il convient d’apprécier la conscience du danger et les mesures prises par l’employeur à l’aune des textes applicables entre le 1er juillet 1990 et le 1er janvier 1998, date de la présence de M. [V] [W] au sein de la S.A.R.L. [7].

M. [V] [W] a déclaré sa maladie professionnelle le 9 février 2016, le certificat médical initial mentionnant un cancer primitif des fosses nasales chez un homme exposé à la poussière de bois de 1979 à 2000, relevant du tableau n° 47 des maladies professionnelles.

Le tableau n° 47 des maladies professionnelles, créé par le décret n° 85-1353 du 17 décembre 1985 présume d’origine professionnelle le cancer primitif de l’ethmoïde et des sinus de la face avec un délai de prise en charge de 30 ans pour des travaux exposant à l’inhalation des poussières de bois notamment, les travaux d’usinage des bois tels que sciage, fraisage, rabotage, perçage et ponçage et les travaux effectués dans les locaux où sont usinés les bois.

Dès lors qu’il est démontré que la victime a été exposée à l’agent nocif mentionné par le tableau comme susceptible d’entraîner l’affection considérée, et que le tableau était publié à la date d’exécution du contrat de travail et au plus tard à la date de première constatation médicale, l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru ( 2e Civ., 8 avril 2021, pourvoi n° 19-24.213).

Or, à la date de publication du tableau au Journal Officiel, l’entreprise était toujours en activité et M. [V] [W] y a été salarié comme menuisier postérieurement à son entrée en vigueur.

Ainsi, la S.A.R.L. [7] ne pouvait ignorer au jour de l’embauche de M. [V] [W] le risque de cancer primitif des sinus de la face en raison de travaux l’exposant à l’inhalation de poussières de bois.

Il en résulte spécifiquement que la S.A.R.L. [7] avait conscience ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié au regard des travaux accomplis par ce dernier correspondant à ceux définis par le tableau n° 47 des maladies professionnelles.

– Sur les mesures prises par l’employeur

Les texte du code du travail invoqués par les consorts [W] ont été transposés en droit interne que par la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991 et le décret n°92-1261 du 3 décembre 1992, soit postérieurement à la cessation d’activité.

Est donc applicable en l’espèce le décret du 10 juillet 1913 portant mesures générales de protection et de salubrité applicables à tous les établissements assujettis.

Ce décret prévoyait que les locaux devaient être maintenus dans un état constant de propreté, le nettoyage quotidien des locaux, « à fond »,

L’article 5 énonçait ainsi que :

« Dans les locaux fermés affectés au travail, le cube d’air par personne employée ne pourra être inférieur à 7 mètres cubes.

Le cube d’air sera de 10 mètres au moins par personne employée dans les laboratoires, cuisines, chais ; il en sera de même dans les magasins, boutiques et bureaux ouverts au public.

Un avis affiché dans chaque local de travail indiquera sa capacité en mètres cubes.

Les locaux fermés affectés au travail seront largement aérés et, en hiver, convenablement chauffés.

Ils seront munis de fenêtres ou autres ouvertures à châssis mobiles donnant directement sur le dehors.

L’aération sera suffisante pour empêcher une élévation exagérée de la température.

Ces locaux, leurs dépendances et notamment les passages et escaliers seront convenablement éclairés.

Les gardiens de chantiers devront disposer d’un abri et, pendant l’hiver, de moyens de chauffage. »

L’article 6 précisait que :

« Les poussières ainsi que les gaz incommodes, insalubres ou toxiques seront évacués directement au dehors des locaux de travail au fur et à mesure de leur production.

Pour les buées, vapeurs, gaz, poussières légères, il sera installé des hottes avec cheminées d’appel ou tout autre appareil d’élimination efficace.

Pour les poussières déterminées par les meules, les batteurs, les broyeurs et tous autres appareils mécaniques, il sera installé, autour des appareils, des tambours en communication avec une ventilation aspirante énergique.

Pour les gaz lourds, tels que les vapeurs de mercure, de sulfure de carbone, la ventilation aura lieu per descendum ; les tables ou appareils de travail seront mis en communication directe avec le ventilateur.

La pulvérisation des matières irritantes et toxiques ou autres opérations telles que le tamisage et l’embarillage de ces matières se feront mécaniquement en appareils clos.

L’air des ateliers sera renouvelé de façon à rester dans l’état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers ».

L’article 9 ajoutait que :

« Pendant les interruptions de travail, l’air des locaux sera entièrement renouvelé ».

Ces articles ont par la suite été codifiés au articles R 232-5-1 et suivants du code du travail, dans leur version issue du décret n° 87-809 du 1er octobre 1987, applicable au litige.

Le travail en atelier de menuiserie doit être classifié en travail en locaux à pollution spécifique, c’est à dire des locaux dans lesquels des substances dangereuses ou gênantes sont émises sous forme de gaz, vapeurs, aérosols solides ou liquides autres que celles qui sont liées à la seule présence humaine, locaux pouvant contenir des sources de micro-organismes potentiellement pathogènes et locaux sanitaires.

Ainsi, l’article R 232-5-5 énonçait que :

« Dans les locaux à pollution spécifique, les concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l’atmosphère inhalée par une personne, évaluées sur une période de huit heures, ne doivent pas dépasser respectivement 10 et 5 milligrammes par mètre cube d’air.

Des prescriptions particulières prises en application du 2° de l’article L. 231-2 déterminent le cas échéant :

1° D’autres limites que celles qui sont fixées au premier alinéa ci-dessus pour certaines variétés de poussières ;

2° Des valeurs limites pour des substances telles que certains gaz, aérosols liquides ou vapeurs et pour des paramètres climatiques ».

L’article R 232-5-6 du même code précisait que :

« Pour chaque local à pollution spécifique, la ventilation doit être réalisée et son débit déterminé en fonction de la nature et de la quantité des polluants ainsi que, le cas échéant, de la quantité de chaleur à évacuer, sans que le débit minimal d’air neuf puisse être inférieur aux valeurs fixées à l’article R. 232-5-3.

Lorsque l’air provient de locaux à pollution non spécifique, il doit être tenu compte du nombre total d’occupants des locaux desservis pour déterminer le débit minimal d’entrée d’air neuf ».

L’article R232-5-7 ajoutait enfin que :

« Les émissions sous forme de gaz, vapeurs, aérosols de particules solides ou liquides, de substances insalubres, gênantes ou dangereuses pour la santé des travailleurs doivent être supprimées lorsque les techniques de production le permettent.

Dans le cas contraire, elles doivent être captées au fur et à mesure de leur production, au plus près de leur source d’émission et aussi efficacement que possible, notamment en tenant compte de la nature, des caractéristiques et du débit des polluants ainsi que des mouvements de l’air.

Toutefois, s’il n’est techniquement pas possible de capter à leur source la totalité des polluants, les polluants résiduels doivent être évacués par la ventilation générale du local.

Les installations de captage et de ventilation doivent être réalisées de telle sorte que les concentrations dans l’atmosphère ne soient dangereuses en aucun point pour la santé et la sécurité des travailleurs et qu’elles restent inférieures aux valeurs limites fixées à l’article R. 232-5-5.

Les dispositifs d’entrée d’air compensant les volumes extraits doivent être conçus et disposés de façon à ne pas réduire l’efficacité des systèmes de captage.

Un dispositif d’avertissement automatique doit signaler toute défaillance des installations de captage qui n’est pas directement décelable par les occupants des locaux ».

Selon l’attestation de M. [L], l’extraction d’air était inexistante dans l’atelier, les fenêtres de l’atelier n’étant pas ouvertes. Il reconnaît que des aspirateurs étaient présents pour aspirer les poussières émanant de l’utilisation des machines mais que le sol n’était que balayé et constamment empoussiéré. Les poussières étaient jetées dans le poêle à bois. Il indiquait que M. [V] [W] utilisait ses protections individuelles personnelles et que l’employeur ne mettait pas à disposition de masques ou d’équipements de protection individuelles.

M. [H] indiquait que les locaux n’étaient pas aérés et que les équipements étaient dépoussiérés à la balayette. Les machines étaient équipées d’aspirateurs mais il n’y avait pas de ventilation mécanique dans l’atelier. La ventilation générale s’opérait par l’ouverture des portes, mais ce n’était pas suffisant. Le sol était balayé, mais pas les murs. Il n’avait pas d’équipement de protection individuelle.

Pour contester ces affirmations de ses anciens salariés, la S.A.R.L. [7] dépose :

– le témoignage de M [F] [G], voisin de l’entreprise, qui indiquait que les portes de ses ateliers étaient constamment ouvertes et que le système d’aspiration marchait ;

– une attestation non probante car totalement imprécise de M. [D] [I] ;

– une attestation établie en termes généraux de M. [E], voisin de l’entreprise, qui ne précise pas la conformité de l’installation ;

– une attestation de M. [P] qui confirme l’existence des systèmes d’aspiration des machines et l’absence de ventilation des ateliers ; il mentionne l’existence d’équipements de protections individuels de type masque ; il admet le nettoyage des machines à la balayette et reconnaît que le chauffage de l’atelier s’opérait par un poêle alimenté des chûtes des bois travaillés.

Elle dépose enfin l’expertise d’un système d’aspiration des poussières de bois qui aurait été installé dans l’atelier. Si l’analyse précise la capacité suffisante à aspirer les poussières, elle ne permet pas de démontrer que les concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l’atmosphère inhalée par une personne dans ses locaux, évaluées sur une période de huit heures, ne dépassaient pas respectivement 10 et 5 milligrammes par mètre cube d’air.

Faute de déposer des analyses qui auraient dû être effectuées dans le cadre de l’activité, la S.A.R.L. [7] ne démontre pas le respect des dispositions du code du travail alors applicables.

Elle ne prouve donc pas avoir pris l’ensemble des mesures nécessaires à la protection de son salarié, les équipements de protection individuelle dont la fourniture est contestée ne permettant pas de compenser l’inefficacité de la ventilation.

La date de première constatation de la maladie étant le 15 janvier 2016, les consorts [W] ne démontrent pas de lien de causalité entre l’absence de visite régulière à la médecine du travail et le retard de diagnostic de la maladie, M. [V] [W] ayant quitté la S.A.R.L. [7] 18 ans auparavant et aucune pièce n’indiquant de symptômes antérieurement à cette date.

La faute inexcusable de la S.A.R.L. [7] à l’origine de la maladie professionnelle de M. [V] [W] est donc démontrée.

Le jugement déféré sera donc infirmé.

– Sur les préjudices personnels de M. [V] [W] antérieurement à son décès :

Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] exposent que l’héritier peut demander la réparation des souffrances physiques et morales subies par le de cujus et ce, peu important, que celui-ci ait introduit une action avant de décéder ; que l’article L. 452-3 précité permet également à la victime de demander la réparation des préjudices moraux (pretium doloris, préjudice esthétique ou d’agrément, préjudice d’affection) ; que par ailleurs, si la victime est atteinte d’une incapacité de 100%, une indemnité forfaitaire pourra venir s’ajouter à la majoration de la rente ; que M. [V] [W] est décédé des suites de son cancer le 25 octobre 2016 ; qu’il était incapable de la moindre activité professionnelle ; qu’il était donc nécessairement atteint d’un taux d’I.P.P de 100% avant son décès ; qu’il a été atteint d’un cancer pendant plusieurs mois. Les manifestations physiques de la maladie ont été multiples : douleurs à la gorge, douleurs à la tête, douleurs aux sinus ; qu’il a suivi un traitement par chimiothérapie l’ayant fortement affaibli ; que malgré son traitement, son état n’a pas cessé de se détériorer, provoquant des souffrances de plus en plus insupportables ; que par ailleurs, la tumeur s’est développée sur le côté gauche de son visage, provoquant une très grande souffrance physique ; que la tumeur de M. [V] [W] a provoqué chez lui une difficulté à s’exprimer, en sus d’une difficulté à garder sa lucidité du fait du traitement ; que la tumeur de M. [V] [W] située au niveau de son visage a provoqué une déformation importante de son visage ; que les époux [W] ont été contraints de céder leur licence de taxi face à l’impossibilité de poursuivre leur activité due à la dégradation de l’état de santé de M. [V] [W] qui a fait l’objet le 15 janvier 2016, d’un diagnostic établissant l’existence d’une tumeur neuroendocrine classée T4N3M1 à l’origine d’un cancer des fosses nasales ; qu’il est incontestable qu’au vue de son état de santé, M. [V] [W] n’aurait pas pu raisonnablement continuer sa profession de chauffeur de taxi ; que cela explique le fait qu’il a dû céder sa licence de taxi.

La S.A.R.L. [7] réplique que les Consorts [W] ne justifient pas d’une décision de la caisse attribuant à M. [V] [W] un taux d’incapacité de 100% ; que leur demande doit donc être rejetée ; que le préjudice lié à la perte de possibilités de promotion professionnelle n’a pas pour objet d’opérer un contrôle par le juge du prix de cession de la licence de taxi ; qu’en outre, étant chauffeur indépendant de taxi, M. [V] [W] n’a pas perdu de possibilité de promotion professionnelle en raison de sa maladie ; que les consorts [W] ne justifient aucunement qu’il n’auraient pu négocier le prix de cession des licences de taxi ; que les demandes sont surévaluées.

La caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne s’en rapporte.

Les ayants droit de la victime recueillent dans la succession de celle-ci son droit à obtenir réparation de son préjudice moral, physique et d’agrément subi par le de cujus.

– Sur la majoration de rente et l’indemnité forfaitaire :

L’article L 452-3 du code de la sécurité sociale dispose que : « Indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation ».

L’allocation d’une rente à la victime est subordonnée à sa consolidation, antérieurement au décès. En l’espèce, les consorts Partis ne démontrent pas que la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne ait décidé d’une date de consolidation antérieurement au décès de M. [V] [W], de telle sorte qu’au jour du décès, ce dernier n’était pas considéré comme subissant un déficit fonctionnel permanent mais un déficit fonctionnel temporaire. Leur demande de majoration de rente ne peut être accueillie.

Mme [C] [W] n’a donc droit qu’à la majoration de la rente qui lui est versée au maximum légal.

– Sur le préjudice de la douleur physique et morale

Ce poste indemnise les souffrances physiques et psychiques ainsi que les troubles associés que la victime a enduré du jour de l’apparition du traumatisme jusqu’à sa consolidation.

En l’espèce, M. [V] [W] a consulté suite à des douleurs de gorge, des difficultés à avaler et une dysphagie. Il a été admis aux urgences pour des douleurs rétro-orbitaires et des céphalées frontales gauches. L’examen aux urgences retrouve des douleurs pulsatiles augmentées lors des mouvements de tête à l’inclinaison vers l’avant. L’examen du Docteur [O] fait état d’un carcinome : une volumineuse masse ganglionnaire en zone II- gauche avec des adénopathies en zone V bilatérales d’augmentation rapidement progressive de volume. Le scanner cervico-thoraco-abdomino-pelvien retrouve une masse ethmoïdale avec lyse du toit de l’ethmoïde et extension méningée frontale associée à des adénopathies cervicales bilatérales. L’IRM facial retrouve un syndrome de masse de l’ethmoïde avec extension à l’étage antérieur sans extension à l’orbite gauche. Le compte-rendu d’hospitalisation du 25 janvier 2016 fait part de la persistance de douleurs, avec troubles visuels débutants et d’une anesthésie de la lèvre supérieure gauche, de l’aile du nez et de la gencive supérieure gauche.

L’historique de la prise en charge fait part d’une amélioration à la suite de la première chimiothérapie mais d’une évolution inexorable de la tumeur dès le mois de juin avec apparition de nouvelles tumeurs et progression régulière, dont le patient a été tenu informé.

Le compte-rendu du 6 octobre 2016 relate l’accroissement des douleurs notamment osseuses avec des nausées, des vomissements, une perte de poids, de la dysphagie, nécessitant une alimentation par sonde et un traitement antalgique. Il est constaté un déficit moteur des membres supérieurs, un déficit neurologique sévère des membres inférieurs, quelques troubles confusionnels épisodiques et une aphasie progressive. Le patient recevait de la morphine à raison d’1,5 mg/heure. L’orientation vers des soins palliatifs a été demandée. Les soins de traitement ont été arrêtés à cette date.

Le compte rendu du 28 octobre 2016, faisant part du décès de M. [V] [W] indique une dégradation rapide de l’état de santé avec grabatisation, dénutrition, ralentissement idéatoire, altération des fonctions supérieures, paralysie faciale gauche, des douleurs cervicales avec raideur de nuque, incontinence totale, fausses routes et lésions de décubitus du talon droit. Une amélioration des troubles de la douleur a été observée jusqu’au 17 octobre, date d’une détérioration importante du fait d’une hypertension intracrânienne entraînant des crises convulsives partielles avant un coma jusqu’au décès à compter du 19 octobre.

Ces éléments démontrent que M. [V] [W] a souffert profondément physiquement de sa tumeur durant 10 mois, étant obligé d’être traité à la morphine, la dégradation ultime de son état ayant entraîné des troubles convulsifs . Il a eu conscience de son décès inéluctable dès lors qu’il a été informé de son placement en soins palliatifs et de l’arrêt des traitements et alors que les atteintes de ses fonctions motrices et neurologiques se sont développées.

Il y a donc lieu d’évaluer ce poste de préjudice à exceptionnel et de fixer l’indemnisation à la somme de 120 000 euros.

– Sur le préjudice esthétique :

Ce poste indemnise les altérations de l’apparence physique de la victime antérieurement à la consolidation et qui ont pu présenter, malgré leur caractère temporaire, un retentissement dans la vie de cette dernière.

Le certificats médicaux font part d’une paralyse faciale depuis le début du mois d’octobre. Ce poste de préjudice sera justement évalué à 4/7 sur un mois et justement indemnisé par l’octroi d’une somme de 3 000 euros.

– Sur la perte de chance de promotion professionnelle :

Ce poste qui ne se confond ni avec l’incidence professionnelle ni avec la perte de gains professionnels futurs indemnise l’impossibilité pour la victime de bénéficier d’une promotion compte tenu de ses aptitudes et qualifications.

En l’espèce, M. [V] [W] était artisan taxi. Il ne pouvait donc bénéficier d’une promotion professionnelle par un employeur. Il ne dépose aucune pièce justifiant d’une possibilité d’extension de son entreprise. La revente rapide de sa licence à un prix moindre de ce qu’elle rait valu, ce qui n’est pas démontré, ne constitue pas, en tout état de cause, un tel poste de préjudice.

La demande sera donc rejetée.

– Sur le préjudice moral des ayants-droit :

Le préjudice d’affection est le préjudice moral subi par les proches à la suite du décès de la victime directe.

En l’espèce, Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] vivaient avec M. [V] [W] au jour de la déclaration de la maladie jusqu’à son hospitalisation en soins palliatifs. Elles ont donc assisté à son agonie, Mme [C] [W] ayant été informée par les médecins de l’issue fatale.

Les pièces versées ne peuvent démontrer que l’état de santé de Mme [C] [W] soit la conséquence de la maladie de son mari. Les pièces concernant les filles de M. [V] [W] démontrent la perturbation que la malade puis le décès ont provoqué dans leurs études.

Le préjudice de la douleur morale de Mme [C] [W] sera donc justement évalué par l’octroi de la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts.

Le préjudice moral de Mme [U] [W] et de Mme [A] [W] qui vivaient au domicile de leurs parents, sera justement évalué à la somme de 35 000 euros.

– Sur le cours des intérêts

Aux termes de l’article 1231-7 du Code civil, « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa ».

Les consorts [W] demandent que le cours des intérêts démarre du jour de la reconnaissance de la maladie professionnelle. Cependant, les préjudices dont ils demandent réparation ne sont pas tous nés à cette date, Les intérêts courront donc à compter du présent arrêt.

– Sur l’action récursoire de la Caisse :

Selon l’extrait K-bis déposé aux débats, la S.A.R.L. [7] a été liquidée amiablement, la clôture des opérations ayant été publiée le 10 juin 1999. M. [J] [R] a été désigné en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société dissoute dans la procédure.

Si, en principe, la personnalité morale de la société disparaît à compter de sa radiation, mais ceci dans la seule mesure où tous les droits et obligations à caractère social sont réellement liquidés en totalité, ce ne saurait être le cas lorsqu’un tiers revendique une créance sur la société ayant pour origine l’activité sociale.

Dès lors que la faute inexcusable de la S.A.R.L. [7] a été reconnue, la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne est en droit d’exercer son action récursoire à son encontre, en la personne du mandataire ad hoc.

La S.A.R.L. [7]; prise en la personne de M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et au paiement de la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

DÉCLARE recevable l’appel de Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] ;

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 09 Février 2021 par le Pôle social du Tribunal Judiciaire d’EVRY

DIT que la S.A.R.L. [7] représentée par M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc, a commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle de M. [V] [W] déclarée le 9 février 2016 ;

ORDONNE la majoration de la rente servie à Mme [C] [W] au maximum légal ;

DIT que la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne devra verser directement à Mme [C] [W] la majoration de rente allouée ;

DÉBOUTE Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] de leur demande de versement de l’indemnité forfaitaire de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale ;

FIXE les préjudices dus au ayants-droit de M. [V] [W] au titre de l’action successorale comme suit :

– préjudice causé par les souffrances physiques et morales : 120 000 euros ;

– préjudice esthétique :3 000 euros ;

DÉBOUTE Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] de leur demande liée au préjudice lié à la perte de possibilités de promotion professionnelle ;

FIXE le préjudice moral de Mme [C] [W] (veuve) à la somme de 50 000 euros ;

FIXE le préjudice moral de Mme [A] [W] à la somme de 35 000 euros ;

FIXE le préjudice moral de Mme [U] [W] à la somme de 35 000 euros ;

CONDAMNE la S.A.R.L. [7] représentée par M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc, à rembourser à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Essonne toutes les sommes dont cette dernière sera tenu de faire l’avance à Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] en application des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale ;

DIT que les intérêts sur les sommes allouées courront à compter du présent arrêt ;

CONDAMNE la société [7], représentée par M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc à verser à Mme [C] [W], Mme [U] [W] et Mme [A] [W] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [7], représentée par M. [J] [R], pris en sa qualité de mandataire ad hoc aux dépens de première instance et d’appel.

La greffière Le président

 


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