Droits des Artisans : 10 mai 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00135

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Droits des Artisans : 10 mai 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00135

ARRÊT DU

10 Mai 2023

DB / NC

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N° RG 22/00135

N° Portalis DBVO-V-B7G -C7CU

———————

[B] [R] [L]

C/

[ET] [Y]

[T] [V] épouse [Y]

——————

GROSSES le

aux avocats

ARRÊT n° 209-23

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Civile

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,

ENTRE :

Madame [B] [R] [L]

née le 29 août 1972 à [Localité 14]

de nationalité française, agent commercial

domiciliée : [Adresse 4]

[Localité 11]

représentée par Me David LLAMAS, avocat au barreau d’AGEN

APPELANTE d’un jugement du tribunal judiciaire de Cahors en date du 07 janvier 2022, RG 17/01096

D’une part,

ET :

Monsieur [ET] [S] [GV] [Y]

né le 07 juillet 1963 à [Localité 15] ([Localité 9])

de nationalité française, artisan cordonnier tapissier

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/001008 du 01/04/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle d’AGEN)

Madame [T] [C] [H] [V] épouse [Y]

née le 19 décembre 1964 à [Localité 13] ([Localité 8])

de nationalité française

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/001007 du 01/04/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle d’AGEN)

domiciliés ensemble : [Adresse 2]

[Localité 11]

représentés par Me Paulette SUDRE, avocate au barreau du LOT

INTIMÉS

D’autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 1er Mars 2023 devant la cour composée de :

Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience

Jean-Yves SEGONNES, Conseiller

Greffière : Nathalie CAILHETON

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

‘ ‘

FAITS :

Le 25 octobre 2004, [GV] [Y] et [T] [V] son épouse (les époux [Y]) ont acquis une maison d’habitation située à [Adresse 12], cadastrée section CI n° [Cadastre 1].

Cette maison fait face à la route D 911 qui longe la rivière Lot et, sur sa partie arrière, dispose d’une terrasse située à l’étage donnant à flanc de colline.

Le 25 septembre 2015, [B] [L] a acquis deux parcelles voisines, cadastrées section CI n° [Cadastre 6] et [Cadastre 7].

La parcelle n° [Cadastre 6] donne également sur la route et correspond à la maison dans laquelle habite Mme [L].

La parcelle n° [Cadastre 7] est constituée d’une zone qui, dans des temps anciens, appartenait au même propriétaire que la parcelle n° [Cadastre 1].

Plus précisément, cette parcelle se situe en partie arrière, sur la colline, en surplomb de la propriété [Y].

Selon procès-verbal établi le 3 novembre 2015 par [UJ] [N], géomètre, le bornage de ces parcelles a été établi.

Par lettre du 22 mars 2017, Mme [L] s’est plainte auprès des époux [Y] que sa parcelle n° [Cadastre 7] était enclavée et leur a réclamé un droit de passage.

Par lettre du 20 avril 2017, les époux [Y] ont refusé cette demande.

Par acte délivré le 21 décembre 2017, Mme [L] a fait assigner les époux [Y] devant le tribunal de grande instance de Cahors afin d’obtenir, sur la parcelle n° [Cadastre 1], un droit de passage d’une largeur de trois mètres lui permettant de rejoindre la parcelle n° [Cadastre 7] depuis la parcelle n° [Cadastre 6], proposant subsidiairement l’organisation d’une expertise.

Par jugement rendu le 26 avril 2019, le tribunal de grande instance de Cahors a sursis à statuer sur l’existence de l’état d’enclave, et ordonné une expertise des lieux confiée à [D] [W], géomètre-expert.

M. [W] a déposé son rapport le 27 janvier 2020.

Ses conclusions sont les suivantes :

– La parcelle n° [Cadastre 7] est enclavée et il est impossible d’y accéder autrement que par la parcelle n° [Cadastre 1].

– Il existe un escalier/chemin ancien, en mauvais état, qui passe sur l’arrière de la maison des époux [Y] qui permet d’accéder à la parcelle n° [Cadastre 7] depuis la parcelle n° [Cadastre 6], et dont la partie basse se situe sur la propriété [Y], mais il n’est pas utilisé.

– Il n’est pas envisageable de réclamer un droit de passage à une autre parcelle que la n° [Cadastre 1].

L’instance s’est poursuivie.

Les époux [Y] ont déposé aux débats un note technique établie par M. [SI], architecte, proposant deux solutions pour permettre à Mme [L] d’accéder à la parcelle n° [Cadastre 7] :

1) création d’un escalier métallique sur la parcelle n° [Cadastre 6]

2) aménagement et mise en sécurité de l’escalier/chemin ancien.

Ils ont également déposé un avis établi par M. [IY] indiquant que leur propriété subirait une moins-value si le droit de passage était accordé.

Par jugement rendu le 7 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Cahors a :

– écarté des débats la pièce numéro n° 8 communiquée par Mme [B] [L] intitulée «Attestation M. [E]» selon le bordereau de communication de pièces n° 2 de la demanderesse,

– constaté l’état d’enclave de la parcelle inscrite au cadastre de la commune de [Localité 11] ([Localité 11]) sous le numéro section CI [Cadastre 7],

– accordé une servitude de passage sur la parcelle inscrite au cadastre de la commune de [Localité 11] ([Localité 11]) sous le numéro section CI [Cadastre 5] au profit des parcelles numéro section CI [Cadastre 6] et section CI [Cadastre 7],

– fixé l’assiette de la servitude de passage comme étant une bande de terrain dont la largeur est constituée de l’escalier et la rampe d’accès existant actuellement sur la parcelle numéro Section CI [Cadastre 5] et se poursuivant au-delà par un passage de 150 centimètres de large aboutissant à la parcelle Section CI [Cadastre 7],

– jugé que compte tenu de la dangerosité actuelle du passage sur la parcelle n°[Cadastre 5], l’exercice de la servitude de passage ne pourra s’exercer qu’après la réalisation par Mme [L] des travaux mis à sa charge,

– jugé que Mme [B] [L] devra prendre en charge, et faire réaliser par un homme de l’art et sur facture, les travaux d’aménagement de ce passage et de mise en sécurité préconisés par M. [SI] dans sa note du 30 décembre 2020 (détaillée dans sa solution 2 et schéma de M. [SI] en côte 3 de la pièce 49 des époux [Y]) sans que les époux [Y] n’aient à lui présenter un devis d’entreprise préalablement et sous réserve des autorisations administratives et de la production auprès des époux [Y] d’un devis, à savoir :

. création d’un palier escalier en béton au niveau 126.35

. réfection des marches béton (prévision = 15 marches)

. pose d’un portillon pour accès à la propriété [L] au niveau 126.50

. pose de 5 ml de garde corps depuis le palier (niv. 126.35) de part et d’autre de la première volée de l’escalier

. pose de 8 ml de garde corps sur le mur [Y]

. au-delà, pose d’une volée d’escalier métallique droite de 2,50 m de longueur environ, avec un garde corps, pour franchir 1,50 m de dénivelé, sur 2,50 m de projection horizontale

. au-delà de cet escalier, aménagement de l’accès sur 4 m de longueur jusqu’à la parcelle de Mme [L],

– dit que Mme [B] [L] devra adresser aux époux [Y] copie du devis des travaux envisagés et les prévenir à la date du début des travaux de leurs modalités et de leur durée qui ne pourra pas excéder 1 mois, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée 2 mois avant le début de ces travaux afin que ces derniers puissent s’organiser,

– rappelé que Mme [B] [L] devra supporter l’entretien et les réparations de ce passage et en supporter les frais,

– dit que Mme [B] [L] ne pourra pas installer un brise-vue sur le passage et notamment sur le garde-corps longeant le chemin d’accès à la parcelle numéro section CI [Cadastre 7],

– fixé à la somme de 20 000 Euros l’indemnisation du préjudice résultant de la moins-value de l’immeuble des époux [Y] et à la somme de 15 000 Euros l’indemnisation de leur préjudice de jouissance,

– condamné Mme [B] [L], à compter du début des travaux, à payer à Mme [T] [V] épouse [Y] et M. [ET] [Y] la somme de 20 000 Euros à titre d’indemnisation du préjudice résultant de la moins-value de l’immeuble des époux [Y] et la somme de 15 000 Euros à titre d’indemnisation du préjudice de jouissance,

– rejeté le surplus des demandes,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

– jugé que les entiers dépens comprenant le coût de l’expertise judiciaire seront supportés par moitié entre Mme [B] [L], d’une part, et les époux [Y] d’autre part, et que chacun supportera ses frais irrépétibles, ses frais d’actes et d’états hypothécaires et ses frais de constat.

Le tribunal a écarté une attestation au motif qu’elle avait été dictée à son auteur ; constaté l’état d’enclave de la parcelle n° [Cadastre 7] ; estimé que la création d’un escalier a été refusée par l’architecte des bâtiments de France de par les matériaux utilisés et aurait l’inconvénient d’établir une vue très plongeante sur la propriété [Y] alors que l’escalier/chemin actuel correspond au sentier historiquement créé par les propriétaires et qui a été utilisé pour accéder à la parcelle n° [Cadastre 7] ; et que la servitude créée diminuerait la valeur de la propriété [Y] et générerait un préjudice de jouissance pendant les travaux.

Par acte du 18 février 2022, [B] [L] a déclaré former appel du jugement en désignant [ET] [Y] et [T] [V] épouse [Y] en qualité de parties intimées et en indiquant que l’appel porte sur les dispositions du jugement qui ont :

– jugé que compte tenu de la dangerosité actuelle du passage sur la parcelle n°[Cadastre 5], l’exercice de la servitude de passage ne pourra s’exercer qu’après la réalisation par Mme [L] des travaux mis à sa charge,

– jugé que Mme [B] [L] devra prendre en charge, et faire réaliser par un homme de l’art et sur facture, les travaux d’aménagement de ce passage et de mise en sécurité préconisés par M. [SI] dans sa note du 30 décembre 2020 (détaillée dans sa solution 2 et schéma de M. [SI] en côte 3 de la pièce 49 des époux [Y]) sans que les époux [Y] n’aient à lui présenter un devis d’entreprise préalablement et sous réserve des autorisations administratives et de la production auprès des époux [Y] d’un devis, à savoir :

. création d’un palier escalier en béton au niveau 126.35

. réfection des marches béton (prévision = 15 marches)

. pose d’un portillon pour accès à la propriété [L] au niveau 126.50

. pose de 5 ml de garde corps depuis le palier (niv. 126.35) de part et d’autre de la première volée de l’escalier

. pose de 8 ml de garde corps sur le mur [Y]

. au-delà, pose d’une volée d’escalier métallique droite de 2,50 m de longueur environ, avec un garde corps, pour franchir 1,50 m de dénivelé, sur 2,50 m de projection horizontale

. au-delà de cet escalier, aménagement de l’accès sur 4 m de longueur jusqu’à la parcelle de Mme [L],

– dit que Mme [B] [L] devra adresser aux époux [Y] copie du devis des travaux envisagés et les prévenir à la date du début des travaux de leurs modalités et de leur durée qui ne pourra pas excéder 1 mois, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée 2 mois avant le début de ces travaux afin que ces derniers puissent s’organiser,

– condamné Mme [B] [L], à compter du début des travaux, à payer à Mme [T] [V] épouse [Y] et M. [ET] [Y] la somme de 20 000 Euros à titre d’indemnisation du préjudice résultant de la moins-value de l’immeuble des époux [Y] et la somme de 15 000 Euros à titre d’indemnisation du préjudice de jouissance,

– jugé que les entiers dépens comprenant le coût de l’expertise judiciaire seront supportés par moitié entre Mme [B] [L], d’une part, et les époux [Y] d’autre part, et que chacun supportera ses frais irrépétibles, ses frais d’actes et d’états hypothécaires et ses frais de constat.

La clôture a été prononcée le 22 février 2023 et l’affaire fixée à l’audience de la Cour du 1er mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

Par dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, [B] [L] présente l’argumentation suivante :

– L’assiette de la servitude doit se trouver sur le fonds servant :

* le jugement a désigné la parcelle n° [Cadastre 1] comme fonds servant et la parcelle n° [Cadastre 6] comme fonds dominant.

* en l’absence d’appel incident sur ces désignations, seule la parcelle n° [Cadastre 1] doit être considérée comme fonds dominant.

* en application de l’article 684 du code civil, compte tenu que l’état d’enclave trouve sa source dans la division de la parcelle G n° [Localité 3] qui a donné lieu aux parcelles n° [Cadastre 1] et [Cadastre 7], seule la n° [Cadastre 1] peut être astreinte à supporter le droit de passage.

* l’escalier/chemin existant a été utilisé depuis le 19ème siècle jusqu’en 2001, date à laquelle le précédent propriétaire a déménagé pour [Localité 10], ce qui représente un usage trentenaire qui, en application de l’article 685 du code civil, exclut que l’assiette de la servitude soit fixée ailleurs.

* la solution n° 1 préconisée par M. [SI] se heurte aux dispositions d’urbanisme de la commune : avis défavorable de l’architecte des bâtiments de France et arrêté municipal d’opposition aux travaux du 21 janvier 2021.

* en outre, cette solution a un coût exorbitant d’un montant entre 17 160 Euros et 19 180 Euros.

* son droit de passage ne peut être limité à deux fois par an selon des modalités relevant de la seule volonté de ses voisins, comme ils le proposent pourtant.

– Son droit de passage ne peut être conditionné à la réalisation de travaux :

* l’escalier/chemin actuel est praticable et il arrive même aux époux [Y] de l’utiliser.

* l’article 697 du code civil ne permet pas de subordonner son droit de passage à la réalisation de travaux qui, en outre, ne sont pas opportuns du fait que la création d’un palier créerait également une marche d’une hauteur périlleuse.

– La demande d’indemnité est prescrite :

* l’article 685 dispose que cette action est prescriptible.

* l’escalier/chemin a été utilisé jusqu’en 2001 et il existe un jugement du 5 novembre 1912 qui consacre ce droit de passage.

* la demande d’indemnité est, par suite, prescrite.

– Subsidiairement, l’indemnité réclamée est excessive :

* le passage a toujours existé et est matérialisé.

* le tribunal ne pouvait accorder des indemnités au motif que la demande de cessation d’état d’enclave aurait un caractère inattendu pour les époux [Y].

* l’expert judiciaire a indiqué qu’il n’y aurait qu’aggravation du passage existant.

* le passage ne sera utilisé qu’occasionnellement.

* la moins-value indiquée par M. [IY] n’est pas probante, est contredite par les estimations qu’elle produit, et est seulement relative à un passage de 22,5 m², soit 675 Euros sur la base d’une valeur vénale de 30 Euros/m².

* elle a proposé l’installation d’un brise-vue, ce qui a été refusé par ses voisins.

* l’article 682 du code civil ne permet l’indemnisation que du fonds et non d’un préjudice de jouissance des propriétaires.

– La résistance qui lui est opposée est abusive :

* les époux [Y] connaissent la configuration des lieux et l’existence de l’escalier/chemin.

* ils n’ont cessé de prétendre que la parcelle n° [Cadastre 7] n’était pas enclavée à l’encontre de l’évidence et ont refusé tout passage permettant l’entretien de la parcelle, créant un risque d’incendie.

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

– réformer le jugement sur les points de son appel,

– déclarer irrecevables les demandes des époux [Y] d’indemnisation de la moins-value de l’immeuble et du préjudice de jouissance, ou subsidiairement réduire ces demandes,

– rejeter leurs autres demandes,

– les condamner in solidum à lui payer la somme de 10 000 Euros à titre de dommages et intérêts outre 6 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,

– rejeter les appels incidents.

*

* *

Par dernières conclusions notifiées le 23 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, [ET] [Y] et [T] [Y] épouse [V] présentent l’argumentation suivante :

– Le fonds dominant retenu par le tribunal doit être modifié :

* le jugement accorde un droit de passage au profit de la parcelle n° [Cadastre 6] alors qu’elle n’est pas enclavée, et que le droit n’est en réalité créé qu’au profit de la parcelle n° [Cadastre 7].

* Mme [L] peut créer un escalier partant de la parcelle n° [Cadastre 6] et accédant à la [Cadastre 7], comme l’expert l’a établi après examen des lieux par la société [YP].

* elle souhaite en réalité passer chez ses voisins pour accéder non à un jardin, mais à une friche en pente, sans rien payer et en se moquant des nuisances créées.

* l’hypothèse n° 1 relevée par M. [SI] consiste en un passage du côté où le trajet est le plus court et le moins dommageable pour eux : l’escalier serait pour l’essentiel sur la propriété [L] et passerait seulement au-dessus de leur propriété dans un angle.

* il n’existe aucune assiette ou mode de servitude de passage pour cause d’enclave qui serait déterminée par 30 ans d’usage continu : les anciens titres ne font référence qu’à un chemin commun et non à un droit de passage qui, en vertu de l’article 706 du code civil, serait éteint par un non-usage trentenaire, rien n’établissant un usage de l’assiette du passage avant 1980, Mme [L] expliquant qu’il n’a plus été utilisé depuis.

* la première solution proposée par M. [SI] n’est pas contraire aux règles d’urbanisme, ce sont seulement les matériaux proposés qui n’ont pas été agréés, il existe de tels escaliers dans le voisinage immédiat et, sur leur demande, l’architecte des bâtiments de France a indiqué qu’un nouveau dossier pourrait recevoir une suite favorable.

– Les indemnités dues :

* il y aura à la fois préjudice de jouissance et moins-value de leur maison de sorte que le passage revendiqué leur préjudicie de façon majeure.

* c’est une somme de 15 000 Euros qui doit leur être allouée au titre de l’indemnité de l’article 682 du code civil.

* la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en paiement de l’indemnité invoquée par Mme [L] n’a pas été présentée devant le tribunal et constitue une demande nouvelle.

* Mme [L], agent immobilier, a renoncé à invoquer la prescription en proposant une indemnité le 22 mars 2017, dans la mission de l’expert, et en offrant devant le tribunal une indemnité de 1 Euro.

* la prescription ne peut courir antérieurement à la décision qui fixe le passage de façon définitive.

– Si la solution retenue par le tribunal est confirmée, le passage devra être occasionnel :

* ils sont prêts à autoriser le passage actuel à titre occasionnel deux fois par an, ce qui correspond à la fréquence d’entretien de la friche, avec indemnité de 10 000 Euros.

* le droit de passage devra alors être réglementé.

– Les travaux ordonnés :

* le passage actuel est dangereux, comme de nombreux témoins en attestent.

* si le passage ordonné par le tribunal doit être retenu, le droit de passage doit être subordonné aux travaux pour le sécuriser.

– Ils n’ont pas résisté abusivement à la reconnaissance d’une servitude injustifiée.

* elle a revendiqué un droit de passage dans un lieu dangereux.

* ils ont accepté que Mme [L] passe sur leur terrain pour entretenir sa parcelle, mais à ses risques et périls.

– Leur voisine a une attitude velléitaire à leur égard.

Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Cahors du 7/01/2022 en ce qu’il a :

* accordé une servitude de passage sur la parcelle inscrite au cadastre de la commune de [Localité 11] ([Localité 11]) sous le numéro section CI [Cadastre 5] au profit des parcelles numéro section CI [Cadastre 6] et section CI [Cadastre 7],

* fixé l’assiette de la servitude de passage comme étant une bande de terrain dont la largeur est constituée de l’escalier et la rampe d’accès existant actuellement sur la parcelle numéro section CI [Cadastre 5] et se poursuivant au-delà par un passage de 150 centimètres de large aboutissant à la parcelle Section CI [Cadastre 7]

* rejeté le surplus de leurs demandes,

* jugé que les entiers dépens comprenant le coût de l’expertise judiciaire, seront supportés par moitié entre Mme [B] [L] d’une part et les époux [Y] d’autre part et que chacun supportera ses frais d’actes et d’états hypothécaires, et ses frais de constat.

Et statuant à nouveau :

– ordonner et fixer le droit de passage accordé sur la parcelle cadastrée commune de [Localité 11] ([Localité 11]) section CI [Cadastre 5] (fonds servant) au seul bénéfice de la parcelle cadastrée commune de [Localité 11] section CI [Cadastre 7] (fonds dominant)

– à titre principal :

* ordonner que le passage pour accéder de la parcelle CI [Cadastre 6] (parcelle [L]) à la parcelle CI [Cadastre 7] (parcelle [L]) s’exercera au moyen d’un escalier droit à construire par Mme [L], à ses frais, partant de sa parcelle CI [Cadastre 6] et aboutissant à la parcelle CI [Cadastre 7], avec passage par un palier intermédiaire en partie en surplomb de l’angle de la parcelle CI [Cadastre 5], selon la proposition n° 2 figurant page 24 in fine du rapport d’expertise judiciaire, et selon la représentation graphique figurant en annexe 1-4 du rapport d’expertise judiciaire ;

* ordonner que les travaux à réaliser sont ceux décrits par M. [SI] dans sa note technique du 30/12/2020, à savoir : « la première partie de l’escalier est établie sur la propriété [L] ; le palier intermédiaire est supporté, pour la partie qui domine la propriété [Y], par deux potelets métal (de 1,50 m de longueur maxi) fondés sur la parcelle [Y]. La dernière volée droite étant reliée à ce palier intermédiaire et, en partie haute, fixée (boulonnée ou soudée) sur une traverse. Celle-ci étant fondée sur le rocher qui affleure au moyen de barres O 20 mm (3 percements 0 25 au perforateur manuel sur 40 cm de profondeur puis scellement chimique des trois barres) » (pièce n° 49) ;

* condamner Mme [L] à régler aux Epoux [Y] la somme de 15 000 € au titre de l’indemnité prévue par l’article 682 du Code Civil

– à titre subsidiaire et dans l’hypothèse où il ne serait pas fait droit aux prétentions des Epoux [Y] précitées (choix de la solution n° 2 proposée par l’expert judiciaire) :

* autoriser le propriétaire de la parcelle CI [Cadastre 7] à emprunter occasionnellement le passage suivant pour accéder à sa parcelle CI [Cadastre 7] (passage sur la parcelle CI [Cadastre 5]) : emprise « l’escalier et la rampe existants, pour se poursuivre au-delà par un passage de 1,50 m de large qui aboutit dans la parcelle n° [Cadastre 7] » comme représenté « aux Plans de l’Etat des Lieux (annexe 1-1), (annexe 1-1A) et (annexe 1-2). Assiette de passage. L’axe est désigné suivant les lettres A-B-C-D-E. Entre A et E la largeur est celle de l’escalier et de la rampe d’accès, au-delà la largeur sera de 1.50 m » »,

* juger et ordonner que cette autorisation de passage est donnée aux conditions suivantes :

. le passage sur la parcelle CI [Cadastre 5], propriété [Y], au profit de la parcelle CI [Cadastre 7], est occasionnel et seulement autorisé pour permettre l’entretien de la parcelle CI [Cadastre 7] ;

. il est réglementé de la façon suivante :

. passage deux fois par an (une journée tous les 6 mois)

. sur demande adressée par courrier recommandé avec A.R. par le propriétaire de la parcelle CI [Cadastre 7] au propriétaire de la parcelle CI [Cadastre 5] afin de fixer un rendez-vous pour que l’accès soit rendu possible.

. ces deux passages par an s’effectueront aux risques et périls de Madame [L] et de toute personne qui pourrait l’accompagner ou la substituer pour ce faire

* condamner Mme [L] à régler aux Epoux [Y] la somme de 10 000 Euros au titre de l’indemnité prévue par l’article 682 du Code Civil,

Encore plus subsidiairement et si par impossible, la Cour ne faisait pas droit aux demandes principales et subsidiaires d’infirmation du jugement formées par les époux [Y] et à leurs prétentions :

– déclarer à titre principal irrecevable, et subsidiairement mal fondée, la fin de non-recevoir (prescription) soulevée par Mme [L] ; par voie de conséquence, de déclarer Mme [L] irrecevable en sa demande tendant à déclarer irrecevables les demandes de M. [ET] [Y] et Mme [T] [Y] d’indemnisation des moins-value de l’immeuble et de préjudice de jouissance.

– débouter Mme [L] de l’ensemble de ses demandes

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Cahors le 7 janvier 2022 en ce qu’il a :

* jugé que compte tenu de la dangerosité actuelle du passage sur la parcelle n° [Cadastre 5], l’exercice de la servitude de passage ne pourra s’exercer qu’après la réalisation par Mme [L] des travaux mis à sa charge ;

* jugé que Mme [B] [L] devra prendre en charge, et faire réaliser par un homme de l’art et sur facture, les travaux d’aménagement de ce passage et de mise en sécurité préconisés par M. [SI] dans sa note du 30 décembre 2020 (détaillée dans sa solution 2 et schéma de M. [SI] en côte 3 de la pièce 49 des époux [Y]), sans que les époux [Y] n’aient à lui présenter un devis d’entreprise préalablement et sous réserve des autorisations administratives et de la production auprès des époux [Y] d’un devis, à savoir :

. création d’un palier escalier en béton au niveau 126.35

. réfection des marches béton (prévision = 15 marches)

. pose d’un portillon pour accès à la propriété [L] au niveau 126.50

. pose de 5 ml de garde corps depuis le palier (niv. 126.35) de part et d’autre de la première volée de l’escalier

. pose de 8 ml de garde corps sur le mur [Y]

. au-delà, pose d’une volée d’escalier métallique droite de 2,50 m de longueur environ avec un garde corps, pour franchir 1,50 m de dénivelé, sur 2,50 m de projection horizontale

. au-delà de cet escalier, aménagement de l’accès sur 4 m de longueur jusqu’à la parcelle de Mme [L]

* jugé que Mme [B] [L] devra adresser aux époux [Y] copie du devis des travaux envisagés et les prévenir de la date du début des travaux, de leurs modalités et de leur durée qui ne pourra pas excéder 1 mois, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée 2 mois avant le début de ces travaux afin que ces derniers puissent s’organiser ;

* fixé à la somme de 20 000 Euros l’indemnisation du préjudice résultant de la moins-value de l’immeuble des époux [Y] et à la somme de 15 000 Euros l’indemnisation de leur préjudice de jouissance ; la Cour condamnera Madame [L] à payer ces sommes à [ET] et [T] [Y] ;

* condamné Mme [B] [L], à compter du début des travaux, à payer Mme [T] [Y] et M. [ET] [Y] la somme de 20 000 Euros à titre d’indemnisation du préjudice résultant de la moins-value et la somme de 15 000 Euros à titre d’indemnisation du préjudice de jouissance ;

* jugé que Mme [B] [L] devra supporter l’entretien et les réparations de ce passage et en supporter les frais ; elle y sera condamnée ;

* jugé que Mme [B] [L] ne pourra pas installer un brise-vue sur le passage et notamment sur le garde-corps longeant le chemin d’accès à la passerelle numéro section CI [Cadastre 7].

Y ajoutant :

– ordonner que l’obligation de réalisation des travaux préalables à l’exercice du droit de passage, et telle que définie par l’arrêt à intervenir, suivra les parcelles CI [Cadastre 6] et [Cadastre 7] commune de [Localité 11] en quelques mains qu’elles se trouvent, en cas de mutation, et pèsera sur les propriétaires successifs,

– ordonner que l’indemnité qui sera mise à la charge de Mme [B] [L] au bénéfice de Mme [T] [Y] et M. [ET] [Y], par application de l’article 682 du Code Civil, et à laquelle elle sera condamnée :

* pèsera sur les propriétaires successifs des parcelles CI [Cadastre 6] et [Cadastre 7], commune de [Localité 11], et devra être réglée par eux, dans l’hypothèse où Mme [L] transmettrait ces biens immobiliers (par vente, donation, échange, ou tout autre acte translatif de propriété) avant que les travaux n’aient été réalisés et que l’indemnité n’ait été réglée,

* profitera aux propriétaires successifs de la parcelle CI [Cadastre 5], commune de [Localité 11], et devra leur être réglée, dans l’hypothèse où M. et Mme [Y] transmettraient leur bien immobilier (par vente, donation, échange, ou tout autre acte translatif de propriété) avant que les travaux n’aient été réalisés et que l’indemnité n’ait été réglée.

– En toutes hypothèses :

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Cahors du 7 janvier 2022 en ce qu’il a jugé que les entiers dépens comprenant le coût de l’expertise judiciaire, seront supportés par moitié entre Mme [B] [L] d’une part et les époux [Y] d’autre part et que chacun supportera ses frais d’actes et d’états hypothécaires, et ses frais de constat ;

– et statuant à nouveau,

– condamner Mme [L] aux entiers dépens de première instance, en ceux compris les frais d’expertise judiciaire et le coût du procès-verbal de constat de la S.C.P. Montaubric Derrien pour 324,09 Euros ainsi que les frais de demandes d’actes et états hypothécaires qu’ont dû régler les époux [Y] pour assurer leur défense pour 36 euros, qui seront recouvrés par Me Paulette Sudre, avocat, dans les formes et conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

* condamner [B] [L] à régler à M. et Mme [Y] la somme de 5 000 Euros à titre de dommages et intérêts, sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

* débouter [B] [L] de l’ensemble de ses demandes

* condamner [B] [L] aux entiers dépens d’appel, qui seront recouvrés par Me Sudre, avocat, dans les formes et conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

——————-

MOTIFS :

1) Considérations préliminaires :

Aucune des parties n’a mis en cause la disposition du jugement constatant l’état d’enclave de la parcelle n° [Cadastre 7] appartenant à Mme [L].

En effet, l’état d’enclave de cette parcelle est indiscutable et indiscuté.

La parcelle n° [Cadastre 6] n’étant pas enclavée, ce sont seulement les parcelles n° [Cadastre 7] (fonds dominant) et n° [Cadastre 1] (fonds servant) qui sont concernées par le litige.

Le jugement qui a accordé une servitude de passage au profit de la parcelle n° [Cadastre 6] doit être réformé.

2) Sur l’assiette du droit de passage :

a : état des lieux :

Selon le rapport d’expertise judiciaire, sur la parcelle n° [Cadastre 6], contre la parcelle n° [Cadastre 1], existe un ancien escalier/chemin en pierres.

Cet escalier/chemin rejoint la parcelle n° [Cadastre 1] et la longe dans sa partie Est pour grimper en hauteur et, en continuant de traverser la parcelle n° [Cadastre 1] à l’aide d’une ancienne rampe d’accès, sur une largeur de 1,50 M, permet de rejoindre la parcelle n° [Cadastre 7], située plus haut et enclavée.

L’expert a expliqué que ‘l’usage restreint du passage est difficile, mais en accord avec la topographie des lieux’ et qu’il ne peut être utilisé qu’occasionnellement pour le seul entretien de la parcelle n° [Cadastre 7] compte tenu qu’il surplombe une falaise de 6 mètres.

Il est toutefois acquis qu’il est très difficile d’y faire passer des matériels permettant un entretien normal de la parcelle n° [Cadastre 7] et plusieurs témoins indiquent que l’emprunter pourrait se révéler dangereux compte tenu du risque de chutes ([F] ; [G] ; [A] ; [K] ; [WM] ; [I] ; [O]).

b : prescription d’une assiette :

Vu l’article 685 du code civil,

Les éléments produits aux débats ne permettent pas de considérer que l’escalier/chemin mentionné au paragraphe ci-dessus constitue l’assiette d’une servitude de passage.

En effet, rien n’atteste qu’une servitude a été constituée ou admise à cet endroit :

– le titre de propriété des époux [Y] mentionne que ‘le vendeur déclare qu’il n’a créé ni laissé créé aucune servitude sur l’immeuble vendu et qu’à sa connaissance il n’en existe pas d’autres que celles pouvant résulter de la situation des lieux, de la loi ou de l’urbanisme’.

– le titre de propriété de Mme [L] ne mentionne pas qu’elle bénéficierait d’une servitude de passage.

– les titres de propriété antérieurs des 18 décembre 1980 et 8 octobre 1930 (propriété [L]) sont muets sur ce point.

Un acte de vente du 4 juillet 1913 (propriété [L]) fait référence à un jugement rendu le 5 novembre 1912 par le tribunal civil de Cahors entre les anciens propriétaires des lieux, qui a :

– ‘dit que le sentier litigieux est commun aux parties en cause et qu’il doit être considéré comme faisant la division des deux jardins,

– dit en conséquence que la parcelle marquée au plan de l’expert par la lettre F est la propriété exclusive de [J],

– dit que la partie de terrasse située à l’Ouest de la ligne formant le prolongement de l’axe du mur mitoyen est commun, mais doit servir seulement au passage des propriétaires des deux maisons et être libéré de tout dépôt d’objet quelconque. [X] devra enlever la chaise qu’il y maintient,

– dit qu’il sera loisible à chacune des parties en cause d’imposer à son voisin une clôture sur l’assiette et au milieu du sentier litigieux,

– dit que le mur de clôture aura la dimension indiquée par les usages de [Localité 11] pour les murs et clôtures.’

Sur le document annexé à cet acte, l’escalier/chemin en litige est dessiné, tel qu’il se situe actuellement, mais est qualifié de ‘sentier commun’.

Il ne s’agit donc pas de l’assiette d’un droit de passage sur la parcelle n° [Cadastre 1] mais d’un sentier destiné à l’usage des deux voisins à une époque où la configuration des lieux n’était pas ce qu’elle est actuellement (la terrasse commune n’existe plus ni les deux venelles, et l’escalier a été construit plus tard).

Enfin, si le précédent propriétaire de la propriété [Y] (Mme [U]) a pu autoriser l’ancien propriétaire de la propriété [L] (M. [E]), à emprunter de temps en temps l’escalier/chemin, c’est à titre de simple tolérance révocable à tout moment et ensuite refusée par les époux [Y].

Ainsi, [Z] [E], fille de l’ancien propriétaire, indique que si son père accédait par les escaliers, c’était du fait de ‘relations parfaitement cordiales avec Mme [U] notre voisine avec qui nous partagions la propriété de ces escaliers’.

Par suite, Mme [L] n’est pas fondée à se prévaloir d’une prescription de l’assiette du droit de passage qu’elle revendique.

c : fixation du passage :

Selon l’article 683 du code civil, le passage doit régulièrement être pris du côté où le tracé est le plus court du fonds entravé à la voie publique mais doit néanmoins être fixé dans l’endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé.

En l’espèce, la parcelle enclavée est constituée d’un terrain à flanc de coteau non mécanisable qui ne peut pas réellement servir de jardin d’agrément, mais qui doit être accessible pour l’entretenir.

L’expert judiciaire a identifié qu’il est possible de désenclaver la parcelle n° [Cadastre 7] par création d’un escalier, soit droit soit en colimaçon, situé en pointe Sud de la parcelle n° [Cadastre 6] débouchant sur une passerelle passant, en partie, au-dessus et dans un angle de la parcelle n° [Cadastre 1], et se terminant sur la parcelle n° [Cadastre 7].

M. [SI] a étudié de façon plus précise les modalités pouvant être mises en oeuvre et en a identifié deux :

1) création d’un escalier métallique sur la parcelle n° [Cadastre 6], avec palier intermédiaire surplombant la propriété [Y] par deux potelets de métal, comme proposé par M. [W] :

Il a précisé que cet escalier n’a pas à être ancré dans un mur voisin, que les potelets lui servant de support sur la propriété [Y] seront d’une longueur maximum de 1,50 m et que la partie haute sera fixée sur une traverse fondée dans le rocher qui affleure, et débouchant sur la parcelle n° [Cadastre 7].

2) aménagement et mise en sécurité de l’escalier/chemin ancien existant :

Il s’agirait alors de la création d’un escalier en béton au niveau 126.35, de la réfection de 15 marches en béton, de la pose d’un portillon pour l’accès à la propriété de Mme [L] au niveau 126.50, de la pose d’un garde-corps depuis le palier et de part et d’autre de la première volée de l’escalier, et contre le mur de la propriété [Y], et au-delà d’une volée métallique droite de 2,50 m de longueur avec garde-corps pour franchir 1,50 m de dénivelé sur 2,50 m de projection horizontale, puis aménagement de l’accès sur 4 m de longueur jusqu’à la parcelle de Mme [L].

M. [SI] a expliqué que cette solution serait d’un coût moindre que la première mais qu’elle présente un ‘double handicap considérable’ :

– cheminement entièrement aménagé sur la parcelle [Y],

– création d’une vue droite et plongeante sur la terrasse et les pièces de vie des époux [Y] tout au long des 10 m longeant le mur.

Il résulte clairement de ces propositions que c’est la première proposition qui est la moins dommageable pour le fonds servant tout en permettant un accès de qualité identique, pour Mme [L], à sa parcelle enclavée.

Le tribunal a néanmoins retenu la seconde solution au vu d’une opposition de la mairie à la première et en concluant que sa réalisation est incertaine.

Mme [L] a effectivement déposé en mairie une déclaration préalable à la réalisation de travaux non soumis à permis de construire pour ‘escalier hélicoïdal ou droit en galvanisé afin de communiquer entre mes 2 parcelles CI [Cadastre 6] et CI [Cadastre 7], hauteur escalier 6 m’ qui a fait l’objet d’un arrêté d’opposition le 21 janvier 2021.

Mais cette opposition n’est pas motivée par une impossibilité de construire cet escalier compte tenu des règles d’urbanisme, mais par référence à l’avis défavorable de l’architecte des bâtiments de France qui a estimé que ‘le projet présenté, par sa composition et par les matériaux utilisés, ne correspond pas aux caractères du bâti traditionnel local qui participe à la qualité’.

Les époux [Y] ont écrit, le 28 novembre 2022, à l’architecte des bâtiments de France en indiquant en détail les travaux objets de la première proposition et en joignant l’arrêté d’opposition.

L’architecte des bâtiments de France leur a répondu le 29 novembre 2022 en expliquant, s’agissant de son refus, ‘la forme sous laquelle le dossier a été déposé n’était pas de nature à assurer une bonne intégration dans ce contexte d’abords de monuments historiques’, ajoutant ‘mon service et moi-même restons à disposition pour conseiller le porteur de projet sur les conditions d’acceptabilité (discrétion et finesse de la structure envisagée, teinte adaptée au contexte, dessin permettant d’apprécier l’intégration notamment depuis le pont [P] [ET])’.

Il en résulte que d’un point de vue des règles d’urbanisme et d’intégration architecturale, il est tout à fait possible de mettre en oeuvre la première proposition, en prenant attache avec l’architecte des bâtiments de France pour connaître les matériaux et couleurs de nature à permettre l’acceptation du projet, ce que n’a pas fait Mme [L].

Enfin, le coût d’installation d’un tel dispositif, 19 580 Euros selon le devis de l’entreprise [YP], n’est nullement exorbitant (M. [SI] a estimé à 12 000 Euros le coût de la seconde proposition, mais l’indemnisation des époux [Y] serait alors majorée).

Par conséquent, c’est la première solution qui doit être retenue et le jugement sera infirmé sur ce point.

d : travaux pour l’exercice de la servitude :

Aux termes de l’article 697 du code civil, celui auquel est due une servitude a le droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver.

Selon l’article 698 du même code, ces ouvrages sont à ses frais et non à ceux du propriétaire assujetti.

Il en résulte en l’espèce que Mme [L] doit assumer entièrement le coût de la solution retenue, qu’il n’y a pas spécialement à préciser compte tenu qu’elle est libre des travaux à faire sur sa propriété, après accord de l’autorité administrative.

Il sera seulement prévu qu’elle pourra, conformément à la solution retenue, surplomber et faire reposer deux potelets de métal sur la parcelle n° [Cadastre 1].

Enfin, la servitude de passage étant un droit réel attaché à un fonds, elle suit ce fonds en cas de changement de propriétaire de sorte qu’il est inutile de le préciser spécifiquement, comme le réclament les intimés.

3) Sur l’indemnisation des époux [Y] :

L’article 682 du code civil dispose que le propriétaire du fonds dominant doit indemniser le propriétaire du fonds servant proportionnellement au dommage qu’il peut causer.

a : prescription de l’action en paiement :

En premier lieu, l’article 123 du code de procédure civile dispose que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause.

Il en résulte que Mme [L] peut opposer aux époux [Y], pour la première fois en appel, la prescription de leur action en paiement de l’indemnité de l’article 682 du code civil.

En second lieu, selon l’article 685 du code de procédure civile, l’action en indemnité est prescriptible.

Toutefois, en vertu des articles 2250 et 2251 du code civil, elle peut faire l’objet d’une renonciation expresse ou tacite et la renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.

En l’espèce, dans sa lettre du 22 mars 2017 réclamant un droit de passage, Mme [L] a proposé ‘en contrepartie’ le versement ‘d’une indemnité proportionnée au dommage pouvant être causé’ à fixer ‘par acte sous seing privé ou par acte notarié’.

Dans l’assignation délivrée le 21 décembre 2017, elle a, au cas où une expertise serait ordonnée, demandé que l’expert soit chargé, notamment, de ‘fixer l’indemnité qui serait due aux propriétaires des parcelles qui deviendraient des fonds servants en évaluant le préjudice occasionné par la servitude de passage qui serait mise en place.’

Après dépôt du rapport d’expertise judiciaire, dans ses conclusions récapitulatives devant le tribunal, elle a demandé qu’il lui soit donné acte ‘qu’elle offre de verser aux époux [Y] à titre principal la somme symbolique de 1 Euro en réparation du dommage occasionné s’agissant d’un passage d’ores et déjà existant, à titre subsidiaire, la somme de 675 Euros en réparation dudit dommage’.

En proposant à plusieurs reprises l’indemnisation de l’établissement du droit de passage, Mme [L] a renoncé sans équivoque à se prévaloir de la prescription qui, dès lors, n’est pas acquise.

b : montant de l’indemnisation :

L’indemnité prévue à l’article 682 du code civil n’est pas limitée à la valeur du terrain au prorata de la surface grevée, mais doit prendre en compte l’ensemble des dommages occasionnés.

En l’espèce, le rapport d’expertise judiciaire est peu explicite sur le préjudice causé à la propriété des époux [Y] et se limite à indiquer que seul l’usage fréquent du passage serait de nature à créer une réelle gêne.

M. [SI] a indiqué que la solution n° 1 ‘sera tellement plus respectueuse de l’intimité des époux [Y]’.

En effet, le passage sur la parcelle n° [Cadastre 1] sera limité au débouché de l’escalier en partie Sud Est de cette parcelle et sera éloigné de la terrasse arrière de la propriété [Y].

Les époux [Y] ont également demandé l’avis de M. [IY], expert immobilier, qui a évalué la maison des époux [Y] à 125 000 Euros (elle avait été achetée 99 090 Euros en 2004).

Cette évaluation est conforme à celle effectuée en 2018 par l’agence immobilière Maisons et Châteaux, mais inférieure à la valeur estimée par le cabinet [M] intervenu à la demande de Mme [L].

M. [IY] a noté, tout comme l’expert judiciaire, que ‘l’hypothèse d’une servitude de passage à l’arrière du terrain impacte sensiblement la valeur de l’ensemble’ et que, pour la solution retenue, ‘dans l’hypothèse où un escalier métallique hélicoïdal ou non serait implanté sur le fonds voisin, il subsisterait également un surplomb visuel sur la propriété de M. et Mme [Y]. Ce préjudice visuel direct serait certes moins pénalisant, dans la mesure où la vue sur l’intérieur de la maison d’habitation serait plus réduite. Néanmoins cet escalier, avec son gabarit et également sa vue plongeante sur la cour de la maison, impacterait également de façon sensible la valeur du bien.’ et a estimé la moins-value à 25 000 Euros.

L’agence Maisons et Châteaux avait toutefois estimé la moins-value à 12 500 Euros.

Il convient cependant de rappeler qu’il s’agit d’un passage qui n’est destiné à être utilisé qu’occasionnellement pour l’entretien de la parcelle n° [Cadastre 7] et qui ne peut être comparé, par exemple, avec un passage destiné à l’accès à une maison.

L’expertise [M] et l’avis de valeur Sud Espace Immobilier, produits par Mme [L], sont muets sur l’impact de la servitude de passage sur la valeur de la maison, et si l’avis de l’agence Safti qu’elle dépose également aux débats dénie toute moins value, il n’évoque pas l’impact de la réalisation des travaux à effectuer.

M. [IY] a également indiqué que, après travaux, compte tenu de la possibilité de vue à l’intérieur de l’étage arrière de la maison des époux [Y], ‘leur intimité serait très sensiblement perturbée par l’existence de cette servitude’ et que ‘la nécessité de clore les pièces ou d’utiliser des rideaux occultant s’imposera’, précisant que ‘le seul espace de vie extérieure et de vie privative se situe de ce côté-là, à l’arrière de la maison’.

Il y a donc lieu d’allouer une indemnité couvrant à la fois la dépréciation de l’immeuble, et le trouble de jouissance causé, préjudices avérés, soit la somme totale de 12 000 Euros.

Toutefois, il ne peut être dit que l’indemnité mise à la charge de Mme [L] sera due par un tiers si elle vend son fonds avant de s’en être acquittée.

En effet, le présent arrêt ne peut, par avance, mettre une somme d’argent à la charge d’un tiers alors qu’en tant qu’ayant cause à titre particulier du vendeur, un éventuel acquéreur est un tiers à l’égard des obligations antérieurement contractées par son vendeur à l’occasion de la chose cédée.

4) Sur les demandes annexes :

C’est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le tribunal a rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [L].

Il suffit d’ajouter qu’il est établi que les époux [Y] ont proposé à Mme [L] d’utiliser l’escalier/chemin à titre provisoire au cours de la procédure.

Ensuite, dès lors que Mme [L] est fondée, par principe, à solliciter un droit de passage et qu’elle était en droit de discuter des solutions proposées et des indemnisations réclamées, son attitude ne peut être qualifiée de fautive.

La demande de dommages et intérêts présentée par les époux [Y] doit être rejetée.

Enfin, si les dépens de 1ère instance ont justement été partagés par le tribunal, chaque partie succombant partiellement, l’équité permet d’allouer aux intimés, en cause d’appel, la somme de 2 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

– la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

– REJETTE la fin de non-recevoir opposée par [B] [L] à la demande d’indemnisation du préjudice subi du fait de la servitude de passage ;

– INFIRME le jugement SAUF en ce qu’il a :

– écarté des débats la pièce numéro n°8 communiquée par Mme [B] [L] intitulée «Attestation M. [E]» selon le bordereau de communication de pièces n°2 de la demanderesse,

– constaté l’état d’enclave de la parcelle inscrite au cadastre de la commune de [Localité 11] ([Localité 11]) sous le numéro section CI [Cadastre 7],

– dit que Mme [B] [L] devra adresser aux époux [Y] copie du devis des travaux envisagés et les prévenir à la date du début des travaux de leurs modalités et de leur durée qui ne pourra pas excéder 1 mois, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée 2 mois avant le début de ces travaux afin que ces derniers puissent s’organiser,

– rappelé que Mme [B] [L] devra supporter l’entretien et les réparations de ce passage et en supporter les frais,

– dit que Mme [B] [L] ne pourra pas installer un brise-vue sur le passage et notamment sur le garde-corps longeant le chemin d’accès à la parcelle numéro section CI [Cadastre 7],

– rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par [B] [L],

– jugé que les entiers dépens comprenant le coût de l’expertise judiciaire seront supportés par moitié entre Mme [B] [L], d’une part, et les époux [Y] d’autres part, et que chacun supportera ses frais irrépétibles, ses frais d’actes et d’états hypothécaires et ses frais de constat.

– STATUANT A NOUVEAU sur les points infirmés,

– DIT que, sur la commune de [Localité 11] (46), la parcelle cadastrée section CI n° [Cadastre 1] est grevée d’une servitude de passage au profit de la parcelle cadastrée section CI n° [Cadastre 7] ;

– DIT que, pour exercer son droit de passage, le propriétaire de la parcelle cadastrée section CI n° [Cadastre 7] peut passer au-dessus de la parcelle cadastrée section CI n° [Cadastre 1] selon la localisation du point 131.5 du rapport d’expertise de M. [W], dont un exemplaire du croquis est annexé au présent arrêt ;

– DIT que sous ce point, le propriétaire de la parcelle cadastrée section CI n° [Cadastre 7] peut ancrer dans la parcelle cadastrée section CI n° [Cadastre 1], un palier intermédiaire d’accès reposant sur deux potelets métal de 1,50 m maximum afin, à partir d’un escalier situé sur la parcelle cadastrée section CI n° [Cadastre 6], d’accéder à la parcelle cadastrée section CI n° [Cadastre 7] par une traverse fondée sur le rocher ;

– CONDAMNE [B] [L] à payer conjointement à [GV] [Y] et [T] [V] épouse [Y] la somme de 12 000 Euros en indemnisation des dommages occasionnés à leur fonds par la servitude de passage ;

– Y ajoutant,

– REJETTE la demande de dommages et intérêts présentée par [GV] [Y] et [T] [V] épouse [Y] ;

– CONDAMNE [B] [L] à payer conjointement à [GV] [Y] et [T] [V] épouse [Y] la somme de 2 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNE [B] [L] aux dépens de l’appel qui pourront être recouvrés directement par Me Sudre pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

– Le présent arrêt a été signé par André Beauclair, président, et par Nathalie Cailheton, greffière, à laquelle la minute a été remise.

La Greffière, Le Président,

 


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