Contrat d’Artiste : 31 janvier 2018 Cour de cassation Pourvoi n° 15-28.352

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Contrat d’Artiste : 31 janvier 2018 Cour de cassation Pourvoi n° 15-28.352
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CIV. 1

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 31 janvier 2018

Cassation partielle

Mme BATUT, président

Arrêt n° 112 F-D

Pourvoi n° C 15-28.352

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Culturespaces, société anonyme, dont le siège est […]                               ,

contre l’arrêt rendu le 1er décembre 2015 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. Timothée E…, domicilié […]                      ,

2°/ à M. Grégoire E…, domicilié […]                                              ,

3°/ à Mme Anne-Lofton X…, domiciliée […]                                                      ,

4°/ à la société Cathédrale d’images, société à responsabilité limitée, dont le siège est […]                                                                           ,

défendeurs à la cassation ;

La société Cathédrale d’images, Mme X… et MM. Timothée et Grégoire E… ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l’appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 19 décembre 2017, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Y…, conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Randouin, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Y…, conseiller, les observations de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Culturespaces, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Cathédrale d’images, de Mme X… et de MM. Timothée et Grégoire E…, l’avis de M. Z…, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’en 1975, Albert A…, auteur notamment de l’ouvrage « La grammaire élémentaire de l’image » publié en 1962, a découvert les Carrières des […] et des […], anciennes carrières d’extraction de pierres désaffectées, propriété de la commune des Baux-de-Provence (la commune), et décidé d’y réaliser son projet « L’Image totale », consistant à intégrer le spectateur au sein d’images projetées sur des sols et des parois naturels ; qu’après avoir consenti un droit d’occupation à l’association présidée par Albert A…, la commune a autorisé la société Cathédrale d’images, que celui-ci a ensuite créée, à organiser des spectacles audiovisuels sur ce site et lui a consenti un bail commercial ; qu’au décès d’Albert A…, survenu […] , son activité a été reprise par son épouse, Anne A…, qui a dirigé la société Cathédrale d’images jusqu’à son décès […] , puis par son petit-fils, M. Timothée E… ; qu’après avoir signifié à la société Cathédrale d’images un congé avec refus de renouvellement du bail pour motif grave et légitime, la commune a attribué l’exploitation artistique des carrières à la société Culturespaces, à l’issue d’une procédure d’appel d’offres de délégation de service public portant sur la mise en valeur du site ; que la société Cathédrale d’images, Mme X…, MM. Timothée et Grégoire E…, en leur qualité d’ayants droit d’Anne et Albert A…, et à titre personnel s’agissant de Mme X… et de M. Timothée E…, ont assigné la société Culturespaces en contrefaçon de droit d’auteur et parasitisme ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que la société Cathédrale d’images, Mme X…, et MM. Timothée et Grégoire E… font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ qu’est éligible à la protection des droits d’auteur l’oeuvre dont les éléments qui la constituent présentent, pris dans leur combinaison, une originalité ; qu’en retenant que les décisions prises, s’agissant du cheminement des spectateurs à l’intérieur, de l’emplacement du matériel et des zones de projection, étaient des choix contraints par la technique et la nature du site qui ne reflétaient dès lors pas une démarche artistique révélatrice de la personnalité des intéressés, sans examiner le caractère original du projet dans son ensemble, résultant de la combinaison d’éléments caractéristiques à savoir le détournement par Albert A…, puis par M. E… d’une ancienne carrière désaffectée pour en faire une scénographie audiovisuelle dans laquelle le spectateur chemine en immersion totale dans l’image, la cour d’appel a violé les articles L. 111-1 et L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ qu’à tout le moins, en ne répondant pas au moyen des conclusions invoquant la combinaison de ces différents éléments comme constitutive d’une oeuvre originale et caractéristique, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu’est éligible à la protection des droits d’auteur l’oeuvre dont les éléments qui la constituent présentent, pris dans leur combinaison, une originalité ; que, parmi les éléments qui, pris dans leur ensemble, présentaient l’originalité revendiquée par les appelants, était invoqué, notamment, le choix par Albert A… de carrières désaffectées pour y créer un spectacle total sur le thème en 1977 de la passion du Christ ; que la cour d’appel, en écartant la demande de protection de l’oeuvre d’Albert A…, puis de M. E…, sans examiner ces éléments pourtant invoqués, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1 et L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;

4°/ que n’est pas exclusive d’une démarche originale donnant lieu à une création éligible à la protection des droits d’auteur la nécessité de respecter certaines contraintes techniques ou naturelles pour réaliser l’oeuvre imaginée ; qu’en affirmant que l’apport créatif et original d’Albert A… puis de M. E… ne pouvait être retenu dès lors qu’il n’était pas établi que leurs décisions ont traduit une démarche artistique révélatrice de leur personnalité puisque les choix opérés ont été plus contraints par la technique et la nature des lieux qu’arbitraires, la cour d’appel a violé les articles L. 111-1 et L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;

5°/ que la circonstance que l’oeuvre audio-visuelle formelle n’ait pas été modifiée, malgré les changements de spectacles, n’exclut pas le caractère original de cette oeuvre ; qu’en fondant son refus de reconnaître l’existence d’une oeuvre protégeable au motif inopérant que les choix opérés par Albert A… n’ont pas été remis en question au fil des années alors que les spectacles donnés dans les carrières étaient chaque année différents, la cour d’appel a violé les articles L. 111-1 et L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle ;

6°/ qu’à supposer adoptés les motifs du jugement relatifs à la caractérisation de la scénographie invoquée, les juges ne peuvent rejeter une demande sans examiner tous les éléments de preuve fournis par les parties ; que les appelants produisaient la description du cheminement du premier spectacle, donné en 1977, dans un compte rendu de ce spectacle, ainsi qu’un plan mentionnant le découpage en dix parties, représentant des chapitres, des images projetées pour ce même spectacle, ainsi qu’un plan indiquant que les projections avaient lieu aux murs, plafonds et sols ; qu’en rejetant leur demande faute de caractérisation du parcours des visiteurs ou du défilement des images ou de la puissance des projecteurs, sans examiner les éléments de preuve fournis en ce sens par les appelants, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

7°/ qu’à supposer adoptés les motifs du jugement relatifs à la caractérisation de la scénographie invoquée, les appelants faisaient valoir, plan d’Albert A… à l’appui, que le spectacle donné en 1977 était découpé en plusieurs chapitres repris de la passion du Christ ; qu’en rejetant leur demande faute de caractérisation des éléments définissant l’oeuvre sans répondre à ce moyen des conclusions, la cour d’appel a de nouveau violé l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d’abord, que l’arrêt retient, à bon droit, que le détournement des Carrières des […] et des Grands Fonts des Baux-de-Provence pour y projeter des reproductions d’oeuvres artistiques afin d’immerger le spectateur dans des images, n’est l’expression que d’une idée qui, comme telle, ne peut être éligible à la protection conférée par le droit d’auteur ;

Attendu, ensuite, qu’appréciant souverainement la portée des éléments de preuve mis aux débats, parmi lesquels les comptes-rendus de réunion, les notes et les plans établis en 1976, la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, constaté, d’une part, que ceux-ci n’étaient pas de nature à caractériser l’apport créatif initial d’Albert A…, d’autre part, qu’aucune mention ne permettait d’appréhender précisément les caractéristiques postérieures invoquées, tenant au parcours des visiteurs, au défilement des images, au choix des emplacements du matériel technique et des surfaces sur lesquelles sont projetées les images ;

Attendu, enfin, qu’elle a estimé, dans l’exercice de son pouvoir souverain, que les caractéristiques revendiquées, prises en combinaison, si elles étaient le reflet du travail de transformation des anciennes carrières pour en faire un lieu de spectacles audiovisuels et donner ainsi corps à l’idée d’Albert A…, demeuraient cependant insuffisantes à établir que la scénographie invoquée traduisait une démarche artistique révélatrice de la personnalité des auteurs ;

D’où il suit que le moyen, qui critique des motifs surabondants en ses quatrième et cinquième branches, et qui manque en fait en ses sixième et septième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Délibéré par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation après débats à l’audience publique du 25 avril 2017, où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme Tréard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, M. Graveline, greffier de chambre ;

Attendu que la société Culturespaces fait grief à l’arrêt de dire qu’elle a commis des actes de parasitisme, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en l’absence de toute protection par des droits privatifs, la reprise d’un concept de spectacles n’est pas, en elle-même, fautive, à moins qu’elle n’intervienne dans des circonstances particulières, contraires aux usages loyaux du commerce ; que la recherche d’une économie au détriment d’un concurrent n’est pas en tant que telle fautive, mais procède de la liberté du commerce et de la concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu qu’en proposant un spectacle dans la continuité de celui exploité auparavant par la société Cathédrale d’images dans le même lieu, la société Culturespaces aurait profité des efforts déployés par cette société pendant plus de trente ans, qu’elle aurait économisé des frais de conception, de mise au point et de promotion pour l’exploitation de ses spectacles, qu’elle aurait « limité la prise de risque quant au succès commercial d’une valeur économique qui avait fait ses preuves » et qu’elle aurait ainsi fait une « utilisation indue » du travail et des investissements de la société Cathédrale d’images ; qu’en statuant ainsi, tout en constatant que la société Culturespaces avait créé ses propres spectacles et consacré d’importants investissements pour les mettre en place, la cour d’appel s’est déterminée par des motifs impropres à justifier en quoi le fait, pour la société Culturespaces, d’exploiter, dans le lieu qui lui a été concédé par la commune dans le cadre d’une délégation de service public, le même concept de spectacles que son prédécesseur, qui n’avait lui-même pas répondu à l’appel d’offres de la commune, serait constitutif d’un comportement déloyal et partant fautif, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;

2°/ qu’en l’absence de toute protection par des droits privatifs, la reprise d’un concept de spectacles n’est pas, en elle-même, fautive, à moins qu’elle n’intervienne dans des circonstances particulières, contraires aux usages loyaux du commerce ; qu’un savoir-faire ne peut faire l’objet d’une appropriation déloyale s’il ne présente pas un caractère confidentiel et s’il n’est pas propre à une entreprise ; qu’en affirmant qu’en proposant le même concept de spectacles, la société Culturespaces aurait fait une utilisation indue du savoir-faire de la société Cathédrale d’images et qu’elle aurait ainsi « commis des actes de parasitisme en profitant du savoir-faire » de cette société, sans relever aucune circonstance propre à caractériser l’existence d’une appropriation déloyale, par la société Culturespaces, d’un savoir-faire qui aurait été confidentiel et propre à la société Cathédrale d’images, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;

3°/ que le parasitisme suppose la démonstration d’actes contraires aux usages loyaux du commerce ; que la création d’un risque de confusion ne peut être constitutive d’une faute de concurrence déloyale qu’à la condition d’être le résultat d’agissements déloyaux ; que le fait, pour celui qui reprend l’exploitation artistique d’un lieu public, dans le cadre d’une délégation de service public, de se placer dans la continuité de son prédécesseur et de faire référence, dans la communication au public, aux spectacles auparavant exploités par ce dernier dans les mêmes lieux, n’est pas en soi constitutif d’un agissement déloyal ; qu’en l’espèce, après avoir relevé que la société Culturespaces a délibérément cherché à se placer dans la continuité de la société Cathédrale d’images et l’a même revendiqué, la cour d’appel a retenu qu’« un risque de confusion a par suite été créé dans l’esprit du public » et que la société Culturespaces aurait ainsi commis des actes de parasitisme en profitant indûment de la notoriété de la société Cathédrale d’images ; qu’en statuant ainsi, sans prendre en considération le fait que la société Culturespaces reprenait l’exploitation artistique de lieux connus du public sous le nom de « Cathédrale d’image », à la suite d’un appel d’offres pour une délégation de service public auquel la société éponyme n’avait pas daigné répondre, et sans caractériser en quoi, dans ce contexte, le risque de confusion qui aurait été créé dans l’esprit du public entre les spectacles de la société Cathédrale d’images et ceux de la société Culturespaces aurait été le résultat d’agissements déloyaux de cette dernière, dont elle relève elle-même qu’elle était en droit d’évoquer son prédécesseur, et qu’elle avait procédé à d’importantes modifications et créé ses propres spectacles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;

4°/ que l’usage d’un signe devenu, dans l’esprit du public, la désignation usuelle d’un lieu, ne constitue pas en soi une faute de concurrence déloyale ; qu’en reprochant à la société Culturespaces d’avoir fait référence au signe « Cathédrale d’images » dans sa communication et d’avoir ainsi créé un lien et un risque de confusion avec la société Cathédrale d’images et commis des actes de parasitisme en profitant de la notoriété de cette société, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette expression n’était pas devenue, du fait de son exploitation par la société éponyme jusqu’en 2008, la désignation usuelle, pour le public, du lieu dont la commune a ensuite confié la gestion à la société Culturespaces par contrat de délégation de service public, la cour d’appel a entaché sa décision d’une insuffisance de motivation, en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;

 


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