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N° Q 17-82.122 F-D
N° 1756
CK
12 SEPTEMBRE 2018
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
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Mme Claudie X…,
Mme Brigitte I… B…, épouse Y…, partie civile,
contre l’arrêt de la cour d’appel d’ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 16 mars 2017, qui, pour escroquerie, a condamné la première à quinze mois d’emprisonnement avec sursis, cinq ans d’interdiction d’exercice de la profession de notaire, ordonné des mesures de confiscation et prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 13 juin 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Z…, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Z…, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN et de la société civile professionnelle THOUVENIN, COUDRAY et GRÉVY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général A… ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme X…, alors chargée d’un mandat de gestion des affaires de Madeleine B…, née […] et décédée, sans enfants, le […] , a acquis auprès de cette dernière, le […] , après expertise d’un commissaire priseur, un tableau intitulé “Vent et Poussière” signé de J… J… C…, peintre chinois de grande renommée, à un prix de 25 000 euros tenant compte de nombreux services rendus selon les indications qu’elle a elle-même portées au dos du rapport d’expertise estimant l’oeuvre à une valeur comprise entre 30 et 40 000 euros ; que Mme X… a revendu, le 26 octobre 2011, le tableau aux enchères publiques adjugé à un prix de 1 750 000 euros ; que par acte du 6 mars 2013, la fille adoptive et légataire universelle de Mme B…, Mme I… B…, épouse Y…, a notamment assigné Mme X… en nullité de la vente du tableau consentie par son auteur ; que le commissaire du gouvernement auprès du conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a transmis cette assignation au procureur de la République d’Angers ;
Attendu qu’à la suite de l’enquête diligentée, Mme X… a été poursuivie pour avoir, entre le 1er mars 2010 et le 7 décembre 2011, abusant de sa vraie qualité de notaire, trompé Madeleine B…, aujourd’hui décédée et aux droits de laquelle vient sa fille adoptive et légataire universelle, Mme I… B…, pour la déterminer à lui vendre un tableau à vil prix, avec ces circonstances que les faits ont été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et au préjudice d’une personne qu’elle savait particulièrement vulnérable en raison de son état physique ou psychique ; que le tribunal a déclaré Mme X… coupable du délit et l’a condamnée à verser, à titre de dommages-intérêts à Mme I… B…, la somme de 1 374 054,98 euros en réparation du préjudice matériel ; que la prévenue a interjeté appel du jugement de même que le ministère public et la partie civile ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Mme X…, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et 2, § 1, du protocole additionnel n° 7 à cette Convention, 14, § 5, du pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, 313-1, 313-2, 313-3, 313-7 et 313-8 du code pénal, préliminaire, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la prévenue, Mme X…, coupable d’avoir, en abusant de la qualité vraie de notaire et par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, trompé une personne âgée, Madeleine B…, pour la déterminer à consentir à un acte opérant obligation ou décharge, en l’espèce la vente d’un tableau à vil prix, avec ces circonstances que les faits avaient été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique dans ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ;
“aux motifs que les investigations avaient permis de trouver des éléments de référence permettant d’estimer la valeur réelle du tableau dès avant son acquisition par Mme X…, aisément accessibles même pour un particulier : – sur le site de la “Gazette de Drouot”, des oeuvres du même peintre, de dimensions comparables, étaient estimées, entre décembre 2009 et avril 2010, à des sommes comprises entre 150 000 et 400 000 euros, – sur le site internet “Artprice.com”, de telles oeuvres étaient estimées, entre décembre 2009 et avril 2010, à des sommes comprises entre 150 000 et 300 000 euros, – sur le site “Artshebdomedias.com”, un article en date du 8 juin 2010 titrait “Ventes de printemps à Paris, J… J…-C… envoûte la place”, pour deux toiles ayant “frôlé” le million d’euros ; le même article rapportait également la vente chez Sotheby’s d’une huile de 1992 à 960 750 euros, triple de l’estimation ; que ces informations étaient confirmées par d’autres références, disponibles entre l’acquisition du tableau et sa revente ; – sur le site “ArtwithoirtsC…n.com”, un article du 30 mai 2011 faisait état de la vente d’une oeuvre à 5,85 millions de dollars, – sur le site “Artprice.com” à nouveau, un article en date du 7 décembre 2010 sur les ventes d’automne à Hong-Kong mentionnait notamment trois enchères millionnaires d’oeuvres de J… J…-C…, les 27 et 28 novembre 2010 ; qu’il devait surtout être relevé que, lors des auditions par les enquêteurs, Mme X… avait déclaré qu’entre l’estimation de M. D…, le 6 mai 2010, et l’acquisition du tableau en juillet, elle avait procédé à des recherches sur internet, qu’elle qualifiait de “non abouties”, c’est-à-dire qu’elle n’avait pas trouvé précisément le tableau mais en avait vu d’autres du même artiste, plus colorés, avait consulté la biographie de ce dernier et constaté que ses oeuvres se vendaient à des niveaux de prix élevés, au-dessus de 100 000 euros ; qu’elle en avait déduit qu’une plus-value était possible ; que Mme X… avait également reconnu qu’elle était consciente que l’estimation de M. D… était basse ; qu’elle n’avait cependant pas donné connaissance à Madeleine B… de ces informations puisque la mention de la vente avait été portée de la main de celle-ci au dos du “rapport d’expertise” de M. D… en ne se référant qu’à celui-ci ; qu’il y avait bien tromperie effectuée consciemment par la prévenue ; que Mme X… faisait valoir dans ses écritures qu’il existait des liens d’amitié entre elle-même et Madeleine B… et que ce n’aurait pas été en sa qualité de notaire qui avait conduit cette dernière à lui vendre le tableau, ou qui avait été déterminante dans cette vente ; que la réalité de cette amitié n’était cependant pas ressortie des investigations et se trouvait sérieusement mise en doute par les déclarations de Mme Marie-Annick E…, directrice de la résidence “Les Renaissances Graslin” à Nantes où séjournait Madeleine B…, qui a avait fait état de visites régulières de Mme Y… mais avait dit n’avoir vu Mme X… qu’à une ou deux reprises ; qu’il apparaissait donc bien que c’était plus en raison de sa qualité de notaire, impliquant compétence et probité, qu’en sa qualité d’amie qu’un mandat de gestion rémunéré lui avait été confié quelques mois avant les faits, en la préférant à d’autres personnes, comme par exemple Mme E… ou un gestionnaire spécialisé de la résidence, ou encore une amie de Madeleine B… , telle Mme Juliette F…, épouse G…, également entendue dans le cadre de cette procédure ; que c’était dans l’exercice de ce mandat, lors d’un déplacement à La Baule à la suite d’un dégât des eaux, que Mme X… avait connu l’existence du tableau ; que c’était donc bien à l’occasion de l’exercice de ses fonctions que Mme X… avait trompé Madeleine B… ; qu’elle avait donc bien abusé d’une qualité vraie ; qui plus est, elle avait commis des manoeuvres, en utilisant un document, dont elle connaissait le caractère erroné, établi par un tiers, peu important que celui-ci l’eut rédigé de bonne foi ou non, pour amener cette personne âgée à lui céder le tableau à vil prix ;
“1°) alors que, le juge répressif ne peut statuer que sur les faits dont il est saisi et ne peut ajouter des circonstances non mentionnées dans le titre qui l’a saisi sans donner la possibilité au prévenu de présenter sa défense ; que l’ordonnance de renvoi visait l’escroquerie par l’abus de qualité vraie, faits sur lesquels les premiers juges avaient statué ; qu’en retenant d’office l’existence d’une escroquerie par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, la cour d’appel a excédé les limites de sa saisine ;
“2°) alors que, la juridiction d’appel ne peut ajouter des faits sur lesquels le tribunal n’a pas statué sans méconnaître la règle du double degré de juridiction ; qu’en retenant d’office le délit d’escroquerie par emploi de manoeuvres frauduleuses sur lesquelles le tribunal n’avait pas statué, la cour d’appel a méconnu la règle du double degré de juridiction ;
“3°) alors que, l’escroquerie ne peut résulter que d’un acte positif et non d’une simple omission ; que la cour d’appel ne pouvait retenir que la prévenue avait trompé la personne âgée pour avoir omis de lui indiquer que l’estimation du commissaire-priseur était basse et de lui donner les informations sur les prix de vente d’autres oeuvres du même peintre, trouvées lors de ses recherches sur internet, de tels éléments ne constituant que des omissions dont il n’était pas établi qu’elles auraient déterminé le consentement à la vente du tableau par sa propriétaire” ;