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AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 18/03549 – N° Portalis DBVX-V-B7C-LWN6
[S]
C/
Commune COMMUNE DE [Localité 6]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT ETIENNE
du 16 Avril 2018
RG : F17/00364
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 10 OCTOBRE 2019
APPELANT :
[U] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Adeline LOUIS, avocat au barreau de LYON
ayant pour avocat plaidant Frédéric CHHUM de la SELARLU FREDERIC CHHUM AVOCATS substitué par Me Camille BONHOURE avocats au barreau de paris
INTIMÉE :
COMMUNE DE [Localité 6]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Philippe PETIT de la SELARL CABINET D’AVOCATS PHILIPPE PETIT ET ASSOCIE, substitué par Me Christopher SOVET, avocats au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 13 Juin 2019
Présidée par Rose-Marie PLAKSINE, Magistrat Conseiller rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Elizabeth POLLE-SENANEUCH, président
– Laurence BERTHIER, conseiller
– Rose-Marie PLAKSINE, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 10 Octobre 2019 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La municipalité de [Localité 6] exploite l’Opéra de la ville en régie directe. L’Opéra est composé de salariés pour l’administration et la fabrication des costumes et décors, et d’artistes, pour le choeur et l’orchestre.
Monsieur [U] [S] a été engagé, par la Ville de [Localité 6]/Opéra Théâtre (ci-après dénommée ‘la Ville de [Localité 6]’), en qualité de choriste, dans le cadre de contrats à durée déterminée de droit public successifs à compter du 14 juin 2007, en vertu des dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale issues de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 et du décret 88-145 du 15 février 1988.
Jusqu’au 17 juin 2016, les contrats faisaient référence au droit public.
A compter du 2 novembre 2016, les parties ont conclu des contrats à durée déterminée de droit privé, en application des dispositions des articles L. 1242-1, L. 1242-2 3ème et D. 1242-1 du Code du travail.
Monsieur [S] contestant le respect par l’employeur des prescriptions légales concernant les contrats à durée déterminée et soutenant que son emploi répondait à l’activité normale et permanente de l’opéra de [Localité 6], a, le 3 août 2017, saisi le conseil de prud’hommes de [Localité 6] pour voir requalifier ses contrats en contrat à durée indéterminée à temps plein et subsidiairement à temps partiel, et obtenir diverses condamnations notamment à titre de rappels de salaire et congés payés afférents, indemnité compensatrice de préavis, indemnités de licenciement et de travail dissimulé.
Par jugement du 16 avril 2018, le conseil de prud’hommes de [Localité 6] a :
– Dit qu’il se déclare incompétent pour statuer sur les demandes faites sur les contrats de droit public du 28 octobre 2008 au 17 juin 2016 au profit du tribunal administratif.
– Dit qu’il se déclare compétent pour statuer sur les contrats de droit privé pour les périodes du 27 mai au 17 juin 2008 et du 2 novembre 2016 au 24 juin 2017
– Dit que les contrats de travail à durée déterminée d’usage de droit privé entre Monsieur [U] [S] et la ville de Saint Etienne/Opéra sont bien fondés.
– Dit que Monsieur [S] n’était pas à la disposition permanente de la ville de [Localité 6]
– Débouté Monsieur [S] de l’ensemble de ses demandes
– Débouté la Ville de [Localité 6] de sa demande reconventionnelle
– Condamné Monsieur [S] aux dépens.
Monsieur [S] a interjeté appel du jugement le 14 mai 2018.
Par ses dernières conclusions, il demande à la Cour de :
Vu les articles L. 1242-1, L. 1242-2 et L. 1242-12 du Code du travail ;
Vu l’accord-cadre européen du 18 mars 1999 ;
– DIRE l’appel de Monsieur [S] recevable et bien fondé ;
– INFIRMER dans son intégralité le jugement ;
Statuant à nouveau,
IN LIMINES LITIS,
– REJETER l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par la Ville de [Localité 6]/Opéra au profit du Tribunal Administratif de Lyon ;
– SE DECLARER compétente pour juger de l’intégralité de la relation contractuelle de Monsieur [S] avec la Ville de [Localité 6]/Opéra ;
SUR LE FOND,
A TITRE PRINCIPAL,
– ORDONNER la requalification des contrats à durée déterminée d’usage de Monsieur [S] en contrat à durée indéterminée à temps plein, avec une rémunération mensuelle brute de 1.463 euros bruts et reprise d’ancienneté au 27 mai 2008 du fait de sa disposition permanente durant les périodes intercalaires ;
– CONDAMNER la Ville de [Localité 6]/Opéra au paiement des sommes suivantes :
o 2.926 euros à titre d’indemnité de requalification ;
o 21.268,71 euros bruts à titre de rappel de salaire du fait de la requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée à temps plein du fait de la disposition permanente de Monsieur [S] durant les périodes intercalaires ;
o 2.126,87 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
o 2.926 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
o 292,60 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
o 2.633,40 euros au titre d’indemnité légale de licenciement ;
o 15.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 8.778 euros à titre d’indemnité pour dissimulation d’emploi salarié ;
A TITRE SUBSIDIAIRE,
– ORDONNER la requalification des contrats à durée déterminée d’usage de Monsieur [S] en contrat à durée indéterminée à temps partiel, avec une rémunération mensuelle brute de 680,17 euros bruts et reprise d’ancienneté au 27 mai 2008 ;
– CONDAMNER la Ville de [Localité 6]/Opéra au paiement des sommes suivantes :
o 1.360,34 euros à titre d’indemnité de requalification ;
o 1.360,34 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
o 136,03 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
o 1.224,31 euros au titre d’indemnité légale de licenciement ;
o 15.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 4.081,02 euros à titre d’indemnité pour dissimulation d’emploi salarié ;
En tout état de cause,
– CONDAMNER la Ville de [Localité 6]/Opéra à payer à Monsieur [S] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
– ORDONNER à la Ville de [Localité 6]/Opéra le remboursement des indemnités-chômage perçues par Monsieur [S] à Pôle Emploi dans la limite de 6 mois ;
– ORDONNER les intérêts légaux sur les indemnités de rupture à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes de [Localité 6] du 3 août 2017 ;
– ORDONNER pour les autres indemnités à compter de la notification de l’arrêt ;
– ORDONNER à la Ville de [Localité 6]/Opéra la remise d’un bulletin de paie récapitulatif, d’un certificat de travail, et d’une attestation Pôle Emploi rectificatifs, sous astreinte de 50 euros pour jour de retard à compter de la notification de l’arrêt ;
– CONDAMNER la Ville de [Localité 6]/Opéra au paiement des dépens éventuels.
Par ses dernières conclusions, la Ville de [Localité 6] demande à la Cour de :
– Rejeter l’intégralité des demandes de Monsieur [S]
– Confirmer le jugement
– Condamner Monsieur [S] à lui verser la somme de 1 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– Laisser les dépens à la charge du demandeur.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2019.
*
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions aux conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la compétence du juge judiciaire
La Ville de [Localité 6] expose aux termes de ses dernières écritures que : ‘elle n’a jamais soulevé, dans ses conclusions, l’incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif mais elle a simplement indiqué que si le juge judiciaire examine la situation de Monsieur [S] c’est qu’il considère, presque mécaniquement, que Monsieur [S] occupe un emploi répondant à un besoin temporaire et ponctuel’, et ce, sur le fondement des dispositions de l’article 47 de la loi du n°2016-925 du 7 juillet 2016.
Pour autant, elle sollicite la confirmation du jugement alors qu’au terme de celui-ci, le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes faites sur les contrats de droit public du 28 octobre 2008 au 17 juin 2016 au profit du tribunal administratif.
Les explications de la Ville de [Localité 6] viennent donc en contradiction avec l’objet de ses demandes.
Il y a donc lieu d’examiner la question de la compétence de la juridiction prud’homale que Monsieur [S], à l’origine de la saisine du conseil de prud’hommes, revendique en se fondant sur la jurisprudence du Tribunal des conflits dans sa décision du 17 juin 2013 (n°C3910) opposant la ville de [Localité 6] à une violoniste de l’orchestre symphonique de [Localité 6].
*
Aux termes de l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, ‘les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.’
Il est constant que les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public à caractère administratif sont des agents contractuels de droit public quel que soit leur emploi.
Si des stipulations particulières ne peuvent déroger à une disposition d’ordre public régissant la répartition des compétences entre les juridictions administratives et judiciaires, il n’en va pas de même de dispositions législatives.
Or, en application de l’article L.762-1 du code du travail devenu les articles L.7121-2 et L.7121-3 du code du travail, tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste de spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
Ce texte constitue la dérogation législative au principe de compétence des juridictions administratives.
En l’espèce, Monsieur [S] a été embauché en qualité d’artiste de choeur en vue d’assurer des représentations à l’opéra théâtre de [Localité 6] et il n’est pas contesté que ses fonctions étaient celles d’un artiste de spectacle. Les dispositions susvisées du code du travail qui présument l’existence d’un contrat de travail lui sont applicables et ont pour effet de soumettre la relation de travail au droit privé.
La Ville de [Localité 6] fonde son argumentation sur l’article 47 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, pour conclure à la compétence des juridictions de l’ordre administratif.
Toutefois, l’article 2 du code civil s’oppose, par principe, à ce que la loi rétroagisse de sorte que l’article 47 de la loi du 7 juillet 2016 est inapplicable à la situation de Monsieur [S] s’agissant des contrats conclus avant son entrée en vigueur qui demeurent régis par les dispositions du code du travail. La présomption édictée par le code du travail n’est aucunement combattue, de sorte que l’existence d’un contrat de travail emporte la compétence de la juridiction judiciaire.
S’agissant des contrats conclus ultérieurs à cette loi, à compter du 2 novembre 2016, force est de constater qu’ils sont expressément régis par les dispositions du code du travail et sont soumis à la compétence du conseil de prud’hommes de [Localité 6] (article 10).
En conséquence, la situation juridique découlant des contrats de travail litigieux relèvent bien de la compétence de la juridiction judiciaire.
Le jugement doit par conséquent être infirmé en ce qu’il a déclaré la juridiction prud’homale incompétente au titre d’une partie des demandes concernant les contrats de droit public du 28 octobre 2008 au 17 juin 2016.
Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée
L’article L.1242-1 du code du travail énonce que :’Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise’.
L’article L.1242-2 du code du travail prévoit que :
‘Sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :
(…) 3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois’;
Par ailleurs, le contrat de travail à durée déterminée doit comporter la définition précise de son motif, et à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée suivant l’article L.1242-12 du code du travail.
Suivant l’article D.1242-1 6° du même code, les spectacles et l’action culturelle figurent parmi les secteurs d’activités dans lesquels il est possible de conclure des contrats à durée déterminée d’usage en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
*
Monsieur [S] fait valoir que les contrats de travail dans leur grande majorité (46 sur 52) ne comportaient pas de motifs de recours précis, en violation de l’article L.1242-12 du code du travail et ne visaient aucune disposition de ce code. Il ajoute qu’aucun usage ne permettait de recourir au contrat à durée déterminée pour pourvoir l’emploi d’artiste des choeurs de Monsieur [S] et que d’ailleurs de nombreux opéras et théâtres en France ([Localité 3], [Localité 1]-[Localité 5], [Localité 4], [Localité 7]…) recrutent leurs artistes en contrat à durée indéterminée afin de composer leur choeur permanent. Il soutient que pendant plus de neuf années ses fonctions pourvoyaient un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’opéra de [Localité 6] puisqu’il était engagé par quasiment autant de contrats que d’oeuvres montées et présentées, tous signés chaque année durant les mois de juillet-août, pour la saison à venir.
Monsieur [S] prétend par ailleurs qu’il importe peu que la programmation d’opéras n’occupe qu’une part des représentations de l’opéra-théâtre, cette circonstance ayant seulement pour effet de limiter son emploi à un temps partiel qui n’est aucunement exclusif de sa permanence.
La Ville de [Localité 6] réplique que la cour d’appel de Lyon a d’ores et déjà retenu que la commune de [Localité 6] était fondée à recruter par voie de contrat à durée déterminée d’usage un salarié placé dans une situation quasi identique à celle de Monsieur [S] dans la mesure où les trois conditions de l’article L.1242-2 du code du travail étaient remplies.
Le recours aux contrats successifs est justifié selon elle par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi dès lors en particulier que la programmation de l’opéra est multiple et que les choristes n’interviennent principalement que pour les oeuvres lyriques mais pas toutes, en fonction du nombre, du genre ou encore de la langue qui sont requis.
Elle prétend que les contrats de droit public conclus avant la jurisprudence du tribunal des conflits, ne relèvent pas du droit privé et des dispositions de l’article L.1242-12 du code du travail prévoyant la mention d’un motif de recours mais qu’en tout état de cause, tous les contrats litigieux précisaient le motif précis du recrutement et notamment la mention du spectacle et des conditions de son déroulement.
*
Il n’es pas discuté en l’espèce que l’activité d’opéra théâtre de la Ville de [Localité 6] se trouve dans le secteur d’activité dans lequel il est possible de conclure des contrats à durée déterminée d’usage en vertu des dispositions de l’article D.1242-1 6° du code du travail.
Il y a lieu de rechercher néanmoins si un usage constant autorise l’employeur à ne pas
recourir à un contrat de travail à durée indéterminée pour l’emploi concerné d’artiste de choeur dans son secteur d’activité.
La Ville de [Localité 6] se prévaut d’une jurisprudence de la cour d’appel de Lyon ayant reconnu l’existence d’un tel usage concernant un musicien de l’opéra de [Localité 6] et le fait que Monsieur [S] a été embauché pour de courtes durées en vue de participer à certains des spectacles réalisés par l’opéra-théâtre de [Localité 6].
Toutefois, l’emploi de musicien visé par l’arrêt de la cour de ce siège du 25 mars 2016 ne vise pas l’emploi de Monsieur [S] lequel doit seul donner lieu à une appréciation en l’espèce. Par ailleurs, le seul fait que les emplois occupés en contrat à durée déterminée par Monsieur [S] aient été de courte durée ne suffit pas à établir leur caractère par nature temporaire.
Monsieur [S] verse aux débats quant à lui diverses annonces d’emplois d’artistes de coeur, émises par des opéras français qui ne sont pas -contrairement à ce qu’indique la Ville de [Localité 6]- des opéras nationaux ([Localité 3], [Localité 2], [Localité 4]…), tout comme l’opéra de [Localité 6], en contrat à durée indéterminée, et ce en vue de constituer des choeurs permanents.
Il ne ressort pas de ces éléments l’existence d’un usage constant autorisant l’employeur à ne pas recourir à un contrat de travail à durée indéterminée pour l’emploi concerné d’artiste de choeur occupé par Monsieur [S].
Par ailleurs, il est établi qu’à compter du 27 mai 2008, Monsieur [S] a été embauché suivant 52 contrats à durée déterminée en vue de participer à la production d’oeuvres d’opéras précisément dénommées en qualité d’artiste de choeur.
La mention du cas légal n’a pas été précisé pour les contrats antérieurs au 2 novembre 2016.
Monsieur [S] soutient sans être démenti qu’il avait été intégré au ‘noyau’ du coeur et qu’à ce titre il a participé à la quasi totalité des spectacles lyriques et même d’autres (spectacles jeune public, fête de la musique), requérant un coeur entre 2010 et 2017 (soit 54 sur 57) (cf. ses pièces 1 à 10 et 38).
Dès lors, il est vain pour l’employeur de prétendre que Monsieur [S] n’a pas participé à l’ensemble des oeuvres programmées au sein de l’opéra théâtre, puisque toutes ne nécessitent pas la présence d’un choeur (par exemple, les ballets, concerts de variétés, récital de piano, etc…).
En outre, il ressort d’une interview donnée par le directeur de l’opéra-théâtre Monsieur [C] à ‘La lettre du musicien’ en 2012 que l’orchestre symphonique [Localité 6]-Loire et le choeur constituent des ‘formations musicales permanentes qui fonctionnent avec des intermittents titulaires de leur poste’ (pièce 23 de Monsieur [S]).
Monsieur [F], lui-même baryton au sein du choeur de l’opéra de [Localité 6] depuis 2007 évoque dans son attestation, sans être démenti, de ‘l’obligation de fidélité du chanteur à son employeur, année après année, sous peine de ne plus recevoir de travail par la suite’ (pièce 45 de Monsieur [S]), ce que confirme Monsieur [X] ancien directeur de l’opéra de 2009 à 2011 dans son courrier (pièce 37).
Le caractère permanent de l’emploi de Monsieur [S] et non temporaire est donc justifié au vu de ces éléments.
Il est manifeste dans ces conditions que les contrats à durée déterminée conclus entre les parties ne répondent pas aux critères légaux autorisant d’y recourir et avaient pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’opéra-théâtre.
Selon l’article L.1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L.1242-1 à L.1242-4, L.1242-6 à L.1242-8, L.1242-12 alinéa 1, L.1243-11 alinéa 1, L.1243-13, L.1244-3 et L.1244-4 du même code.
Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu d’infirmer le jugement et de dire y avoir lieu à requalifier les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 27 mai 2008.
Sur la requalification de la relation contractuelle de Monsieur [S] à temps partiel en temps plein
Monsieur [S] argue qu’il a travaillé à plusieurs reprises au-delà de la durée légale, ce qui constitue une présomption de contrat à durée indéterminée à temps plein dès lors que le recours par l’employeur à des heures complémentaires portant la durée du travail du salarié au-delà de la durée légale entraîne la requalification du contrat à temps partiel en un contrat à temps plein selon lui.
Il soutient qu’il existe également une telle présomption du fait de l’absence d’écrit mentionnant la durée hebdomadaire, ou le cas échéant mensuelle prévue et la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Il incombe selon lui à la Ville de [Localité 6] de rapporter la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue d’une part et de ce que Monsieur [S] n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’Opéra, ce qu’elle ne fait pas. Il précise que son emploi exigeait une très grande flexibilité et rendait impossible d’avoir d’autres employeurs puisque tributaire du planning édité par l’Opéra, communiqué tardivement et susceptible de connaître des modifications dans la limite de 24 heures à l’avance.
Il sollicite la condamnation de la Ville de [Localité 6] à lui verser la somme de 21 268,71 Euros outre les congés payés afférents sur la période du 25 juin 2014 au 24 juin 2017.
La Ville de [Localité 6] ne formule aucune observation sur ce point.
*
Les contrats de travail conclus par les parties prévoyaient des engagements pour des périodes (par exemple du ’10 avril 14h30 au 29 avril 2012 inclus’, ‘du mercredi 14 juin 2017 à 17 h et jusqu’au samedi 24 juin 2017″) sans jamais préciser la durée exacte du travail, ce qui est de nature à faire présumer une durée de travail à temps plein.
Par ailleurs et en outre, les heures complémentaires accomplies par un salarié à temps partiel ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement, tel qu’il ressort des dispositions de l’article L3123-17 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.
La requalification du contrat de travail en contrat de travail à temps plein doit donc, au vu de cette circonstance, être retenue et l’employeur condamné au paiement d’un rappel de salaires sur la base d’un temps plein et ainsi d’une rémunération mensuelle brute de 1.463 euros bruts, outre les congés payés, et ce compter de la date de la première irrégularité.
Monsieur [S] est donc fondé en sa demande de condamnation au rappel des salaires dus outre les congés payés afférents, déduction faite des salaires perçus, suivant son décompte, non critiqué au demeurant, ne serait-ce qu’à titre subsidiaire.
Le jugement qui a rejeté la demande sera infirmé sur ce point.
Sur la demande d’indemnité de requalification
Monsieur [S] sollicite l’octroi, sur le fondement de l’article L.1245-2 du code du travail, d’une indemnité correspondant à deux mois de salaire au motif que le contrat à durée déterminée a été érigé en système au sein de l’institution et que sa collaboration a duré plus de neuf années dans ces conditions.
La Ville de [Localité 6] ne fait état d’aucune remarque à ce titre.
Aux termes de l’article L.1245-2 alinéa 2 du code du travail, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
En l’espèce, il y a lieu de faire droit à la demande de Monsieur [S] eu égard aux circonstances de la cause et de condamner par conséquent la Ville de [Localité 6] à lui verser la somme de 1 463 Euros à titre d’indemnité de requalification.
Sur la demande d’indemnité pour dissimulation d’emploi salarié
Monsieur [S] prétend que la Ville de [Localité 6] exigeait de ses artistes un travail préparatoire de leurs oeuvres avant les répétitions et les représentations, au titre de l’article 6 de leur code du travail et que le fait de ne pas maîtriser parfaitement leur partition en amont était un motif d’exclusion. Ce travail n’était pas rémunéré, la ville comptant d’après lui sur le ‘relais’ des allocations chômage.
La Ville de [Localité 6] n’apporte aucun élément de contradiction sur ce point.
*
Aux termes de l’article L.8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, notamment de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
Il ressort en l’espèce de la lecture des l’article 6 des contrats de travail conclus entre les parties que : ‘ L’artiste doit se présenter à la première répétition en sachant parfaitement son rôle, l’inaptitude pouvant être un motif de rupture du contrat’.
Or, les contrats stipulent que l’artiste est engagé et rémunéré par un cachet journalier forfaitaire (de l’ordre de 75 Euros) à compter du premier jour de la répétition.
Il est donc manifeste que le salarié a dû, systématiquement, avant même le début des répétitions, fournir une prestation de travail pour maîtriser les oeuvres et ce sans être rémunéré.
Cette circonstance établit sans conteste le fait que l’employeur a mentionné intentionnellement un nombre d’heures travaillées inférieur à celui effectivement accompli.
Il y a lieu par conséquent de faire droit à la demande de condamnation formée par Monsieur [S] à l’encontre de la Ville de [Localité 6] à hauteur de la somme de 8 778 Euros. Le jugement sera infirmé à ce titre.
Sur le licenciement
Monsieur [S] soutient que le terme de son contrat à durée déterminée du 24 juin 2017 requalifié en contrat à durée indéterminée doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu’eu égard à son ancienneté de 9 années il est en droit de solliciter la condamnation de son employeur à lui verser les sommes suivantes :
– 2.926 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre celle de 292,60 Euros les congés payés afférents ;
– 2.633,40 euros au titre d’indemnité légale de licenciement ;
– 15.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Ville de [Localité 6] ne formule aucune observation ne serait-ce qu’à titre subsidiaire.
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L’employeur a cessé de fournir du travail et de verser un salaire à Monsieur [S] à l’expiration du contrat à durée déterminée qui a été requalifié. Il a ainsi mis fin aux relations de travail au seul motif de l’arrivée du terme d’un contrat improprement qualifié par lui de contrat de travail à durée déterminée.
Cette rupture est donc à son initiative et s’analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre droit au profit de Monsieur [S] au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts.
Monsieur [S] est fondé à solliciter l’octroi d’une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire sur le fondement de l’article L.1234-1 du code du travail, soit 2 926 euros outre les congés payés afférents, et d’une indemnité légale de licenciement d’un montant de 2 633,40 euros en application des dispositions de l’article R.1234-2 du même code dans sa rédaction applicable au litige.
En outre, en application de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, Monsieur [S] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l’absence de réintégration dans l’entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Monsieur [S] indique qu’il a vécu avec un statut professionnel précaire pendant 9 années, ce qui l’a placé dans une situation financière, morale et personnelle extrêmement difficile, qu’il a dû se reconvertir, qu’il est en formation et n’a aucun autre revenu que ceux servis par le Pôle Emploi.
Compte tenu de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Monsieur [S] âgé de 37 ans lors de la rupture, de son ancienneté de plus de 9 années, de l’absence de tout document concernant la situation professionnelle et financière actuelle de Monsieur [S] la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 12 000 euros.
En conséquence, le jugement qui a rejeté les demandes de Monsieur [S] sera infirmé.
Sur les autres demandes
Il convient de faire droit à la demande de remise des documents sociaux formée par Monsieur [S] comme précisé au dispositif de l’arrêt.
Sur le remboursement des allocations chômage
Aux termes de l’article L 1235-4 du Code du travail (dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016) : Dans les cas prévus aux articles L 1132-4, L1134-4, L1144-3, L 1152-3, L 1153-4, L 1235-3 et L 1235-11 le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.’
Il convient au vu des motifs qui précèdent d’ordonner d’office le remboursement par la Ville de [Localité 6] aux organismes concernés des indemnités de chômage payées à Monsieur [S] du jour de son licenciement au jour du prononcé du présent arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnité chômage, en application de l’article L 1235-4 du Code du travail.
Sur les intérêts au taux légal
Monsieur [S] sollicite la condamnation de la Ville de [Localité 6] aux intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes le 3 août 2017.
Le point de départ des intérêts légaux varie selon la nature de la créance.
Pour les sommes portant sur des rappels de salaire (indemnité de préavis, indemnité de congés payés…) Et l’indemnité de licenciement, les intérêts courent soit à compter de la saisine de la juridiction prud’homale correspondant à la date réception de la convocation du défendeur devant le bureau de conciliation qui vaut citation en justice suivant l’article R.1452-5 code du travail : la convocation) ou, s’ils ont fait l’objet d’une réclamation antérieure, à compter de la date de la demande de paiement.
Pour les sommes ayant le caractère de dommages et intérêts, les intérêts courent à compter de la décision de justice condamnant le débiteur. Ce point de départ vaut également en cas d’appel lorsqu’est prononcée la confirmation du jugement. En revanche, en cas de réformation, les intérêts dus sur les dommages et intérêts ne produisent d’effet qu’à compter de la décision d’appel.
Il en résulte que les condamnations prononcées par la cour et portant sur des rappels de salaire et indemnité de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter du 31 août 2017, date de réception de la convocation devant le conseil de prud’hommes de la Ville de [Localité 6] et du présent arrêt pour le surplus.
Sur les dépens et l’indemnité procédurale
Le jugement sera infirmé du chef des dépens et de l’indemnité procédurale.
La Ville de [Localité 6] qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et au versement d’une indemnité procédurale de 3 000 Euros à Monsieur [S]
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par décision publique, contradictoire, rendue en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes sauf en ce qu’il a dit qu’il se déclare compétent pour statuer sur les contrats de droit privé pour les périodes du 27 mai au 17 juin 2008 et du 2 novembre 2016 au 24 juin 2017 et a débouté la Ville de [Localité 6] de sa demande reconventionnelle.
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Se déclare compétente pour juger de l’intégralité de la relation contractuelle de Monsieur [U] [S] avec la Ville de [Localité 6]/Opéra.
Ordonne la requalification des contrats à durée déterminée d’usage de Monsieur [U] [S] en contrat à durée indéterminée à temps plein, avec une rémunération mensuelle brute de 1.463 euros bruts et reprise d’ancienneté au 27 mai 2008.
– Condamne la Ville de [Localité 6]/Opéra au paiement des sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2017 :
– 21.268,71 euros bruts à titre de rappel de salaire du fait de la requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée à temps plein ;
– 2.126,87 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
– 2.926 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 292,60 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
– 2.633,40 euros au titre d’indemnité légale de licenciement.
– Condamne la Ville de [Localité 6]/Opéra au paiement des sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :
– 1.463 euros à titre d’indemnité de requalification ;
– 12.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 8.778 euros à titre d’indemnité pour dissimulation d’emploi salarié.
Ordonne le remboursement par la Ville de [Localité 6] aux organismes concernés des indemnités de chômage payées à Monsieur [U] [S] du jour de son licenciement au jour du prononcé du présent arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnité de chômage, en application de l’article L 1235-4 du Code du travail.
– Ordonne à la Ville de [Localité 6]/Opéra la remise d’un bulletin de paie récapitulatif, d’un certificat de travail, et d’une attestation Pôle Emploi rectificatifs, dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt sous peine d’astreinte de 30 Euros par jour de retard pendant 60 jours.
Dit que les sommes allouées supporteront s’il y a lieu les cotisations ou contributions sociales.
Condamne la Ville de [Localité 6]/Opéra à payer à Monsieur [U] [S] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne la Ville de [Localité 6] aux dépens de première instance et d’appel.
La GreffièreLa Présidente
Elsa SANCHEZElizabeth POLLE-SENANEUCH