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N° RG 21/02414 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K4WY
N° Minute :
C1
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELAS AGIS
Me Aurélia MENNESSIER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 09 MAI 2023
Appel d’un Jugement (N° R.G. 19/00982) rendu par le tribunall judiciaire de VIENNE en date du 04 mars 2021, suivant déclaration d’appel du 27 Mai 2021
APPELANTE :
Mme [A] [G]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Alexia SADON de la SELAS AGIS, avocat au barreau de VIENNE
INTIM É :
M. [Z] [D]
Né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Aurélia MENNESSIER, avocat au barreau de GRENOBLE substitué par Me GALLAY,avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Emmanuèle Cardona, présidente,
M. Laurent Grava, conseiller,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère
DÉBATS :
A l’audience publique du 28 février 2023, Laurent Grava, conseiller, qui a fait son rapport, assisté de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seul les avocats en leurs conclusions, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu à l’audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [Z] [D], artiste plasticien à [Localité 4] (38), a participé en continu pendant une vingtaine d’années durant la saison estivale au marché nocturne de la commune de [Localité 6] (83), jusqu’à ce que ses demandes d’emplacement fassent l’objet, à compter de 2012, de refus réitérés concomitamment à la désignation de Mme [A] [G] au service des marchés de la ville.
M. [Z] [D] a obtenu des juridictions administratives l’annulation successive des décisions de refus qui lui ont été opposées depuis le 5 avril 2012 (CAA Marseille le 2 février 2016 ; TA Toulon le 19 décembre 2014 ; TA Toulon le 7 avril 2016 ; TA Toulon 18 juillet 2016 ; TA Toulon 3 mai 2018).
M. [D] a également fait délivrer le 27 décembre 2013 une citation directe à Mme [A] [G] et Mme [I] [P] en charge également du services des marchés auprès de la commune de [Localité 6] devant le tribunal correctionnel de Toulon pour les infractions de discrimination à raison de l’état de santé et entrave à l’exercice d’une activité économique commises le 5 avril 2012, lequel a, par jugement en date du 16 juin 2014, faisant droit à l’exception de nullité soulevée par les prévenues, constaté la nullité de la citation directe.
M. [D] a de nouveau fait délivrer le 2 février 2015 une citation directe à Mme [A] [G] et Mme [I] [N] devant le tribunal correctionnel de Toulon pour discrimination à raison de l’apparence physique et refus d’embauche le 5 avril 2012, lequel les a relaxées des fins de la poursuite et a condamné M. [D] à leur verser à chacune la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale et celle de 300 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale suivant jugement rendu le 27 novembre 2015.
Le 28 septembre 2015, M. [Z] [D] a fait citer devant le tribunal correctionnel de Toulon Mme [I] [N], Mme [A] [C] et M. [K] [F], maire de la commune de [Localité 6] pour l’infraction de discrimination à raison de l’apparence physique et refus d’embauche commise le 30 avril 2013, lequel a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile poursuivante pour défaut de versement de la consignation suivant jugement rendu le 24 juin 2016.
De 2012 à 2019, M. [Z] [D] a adressé de nombreux courriers à la mairie de [Localité 6] à l’attention de Mme [A] [G] pour réclamer un emplacement sur le marché estival nocturne et dénoncer la discrimination dont il estime être l’objet du fait des rejets successifs de sa candidature depuis 2012 en dépit des décisions d’annulation prises par les juridictions administratives.
M. [D] a ensuite pris l’initiative d’écrire à Mme [A] [G] à une adresse située à [Localité 7] qui correspond à son domicile personnel.
Par acte délivré le 9 août 2019, Mme [A] [G] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Vienne M. [Z] [D] aux fins d’obtenir, sur le fondement des articles 9 du code civil, 8 de la convention européenne des droits de l’homme, 7 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne et sous le bénéfice de l’exécution provisoire, sa condamnation à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l’atteinte portée à sa vie privée, outre celle de 1 800 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire en date du 4 mars 2021, le tribunal judiciaire de Vienne a :
– débouté Mme [A] [G] de l’intégralité de ses demandes ;
– condamné Mme [A] [G] à verser à M. [Z] [D] la somme de 1 200 euros au titre de ses frais irrépétibles ;
– condamné Mme [A] [G] aux entiers dépens ;
– dit qu’il n’ya pas lieu d’assortir la présente procédure de l’exécution provisoire ;
– accordé à la SELARL Avocats Chapuis et Associés le droit prévu à l’article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 27 mai 2021, Mme [A] [G] a interjeté appel de la décision.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par conclusions n° 2 notifiées par voie électronique le 6 janvier 2022, Mme [A] [G] demande à la cour de :
– déclarer les présentes conclusions d’appelant recevables et bien fondées ;
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
– constater la violation de la vie privée de Mme [A] [G] par M. [Z] [D] ;
– déclarer M. [Z] [D] responsable civilement ;
– débouter M. [Z] [D] de ses demandes relatives à l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [Z] [D] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de l’atteinte à la vie privée subie par Mme [A] [G] ;
– condamner M. [Z] [D] au paiement d’une somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [Z] [D] au paiement des entiers dépens.
Elle expose les éléments principaux suivants au soutien de ses écritures :
– elle rappelle les faits et les procédures administratives, pénales et civiles ;
– la protection du lieu du domicile est une composante essentielle du droit au respect à la vie privée ;
– en effet, le secret de l’adresse d’une personne, a fortiori si elle exerce une fonction d’agent public, a pour objet de la protéger d’une éventuelle exposition à des sollicitations voire des actes de malveillance en raison de ses fonctions ;
– Mme [A] [G] n’a jamais accepté de faire connaître le lieu de son domicile ou de sa résidence, contrairement à ce que prétend M. [D] ;
– l’adresse trouvée sur internet est celle de « M. [S] [G] », à savoir le mari de Mme [A] [G] ;
– M. [D] identifiait donc, par une méthode inconnue, l’adresse privée de l’agent responsable, selon lui, de ses malheurs ;
– il a toujours été expliqué à M. [D] que sa candidature était refusée par suite d’une montée en gamme du marché nocturne de [Localité 6], avec des critères plus exigeants sur la qualité des produits proposés, mais aussi sur leur originalité et leur nouveauté ;
– les décisions de refus apposées à M. [D] chaque année sont annulées par les juridictions administratives pour des motifs de forme et non de fond ;
– toute utilisation illicite d’un élément de la vie privée suffit à ouvrir droit à réparation ;
– il suffit de lire les jugements correctionnels pour se rendre compte qu’à chaque fois, Mme [G] était domiciliée à la mairie de [Localité 6] et n’a jamais évoqué son adresse personnelle ;
– la vie privée des agents publics doit être respectée par tout un chacun, et l’idée qu’un inconnu qui semble avoir de très nombreuses ranc’urs à son égard, prenne le droit d’effectuer des recherches sur sa vie, puis de les utiliser aux fins d’intimidation, la terrorise ;
– il faut également préciser que Mme [G] subit toutes les procédures qu’initie M. [D] à son égard depuis près de 10 ans, ce qui constitue un acharnement.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 novembre 2021, M. [Z] [D] demande à la cour de :
A titre principal,
– confirmer en tous points le jugement de première instance, en ce qu’il a débouté Mme [G] de toutes ses demandes, fins et prétentions, et condamné celle-ci au paiement des dépens ainsi que de la somme de 1 200 euros au titre de ses frais irrépétibles ;
Et y ajoutant,
– condamner Mme [G] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de l’instance d’appel et aux entiers dépens de celle-ci ;
A défaut, à titre subsidiaire,
– limiter la condamnation prononcée à l’encontre de M. [D] à un euro symbolique ;
– juger que l’équité commande que chaque partie garde la charge des frais exposés dans le cadre de l’affaire, et rejeter la demande de Mme [G] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il expose les éléments principaux suivants au soutien de ses écritures :
– M. [D], artiste plasticien, a exercé son activité professionnelle sur le marché nocturne de [Localité 6] pendant 25 années consécutives ;
– En 2012, Mme [A] [G] a été nommée à la tête du service en charge de l’attribution des emplacement au sein de ce marché ;
– M. [D] s’est alors vu refuser systématiquement le renouvellement de son emplacement, sur lequel il comptait pour gagner sa vie depuis 25 ans ;
– malgré les annulations systématiques des refus par le juge administratif , Mme [G] et le service qu’elle dirige persistent, et ont réitéré sans conséquence pendant des années la décision illégale ;
– M. [D] se trouve dans une situation ubuesque : les tribunaux lui donnent systématiquement raison, mais il n’en reste pas moins privé injustement de l’accès à un événement qui constituait pour lui une source de revenus très substantielle ;
– face à ce blocage évidemment frustrant et difficilement tolérable, M. [D] a fait parvenir deux courriers au domicile de Mme [G] ;
– l’appelante échoue toujours à démontrer en quoi le fait de recevoir deux lettres à son domicile, même d’un expéditeur qu’elle jugerait indésirable, méconnaîtrait son droit à la vie privée ;
– le fait de recevoir du courrier n’est pas, en soi, une atteinte à la vie privée ;
– l’adresse de Mme [G], au moment des faits, était aisément disponible au public sur internet ;
– le fait que Mme [G] soit l’épouse de M. [S] [G] n’est pas non plus une information gardée ;
– ce dernier est assez connu dans la région par ses activités professionnelles à la tête du journal Var Matin, et il tient un cabinet de conseil référencé à son adresse personnelle sur internet ;
– M. [D] n’aucunement divulgué l’adresse de Mme [G] ;
– Mme [G] échoue intégralement à démontrer, en droit comme en fait, en quoi la réception de deux lettres à son domicile constitue une méconnaissance de son droit à la vie privée ;
– à titre subsidiaire, il conclut à l’euro symbolique.
La clôture de l’instruction est intervenue le 28 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
À titre liminaire :
Il convient de rappeler qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions des parties.
Par prétention, il faut entendre une demande en justice tendant à ce qu’il soit tranché un point litigieux.
Par voie de conséquence, les expressions telles que « juger », « dire et juger », « déclarer », « dégager » ou « constater » ne constituent pas de véritables prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l’examen des griefs formulés contre la décision entreprise et dans la discussion des prétentions et moyens, mais pas dans le dispositif même des conclusions.
En conséquence, il n’y a pas lieu de statuer sur celles-ci.
Sur la demande indemnitaire au titre de l’atteinte à la vie privée :
1) Les fondements textuels de l’action :
Au soutien de sa demande de condamnation à des dommages-intérêts en réparation d’une atteinte portée à sa vie privée, Mme [A] [G] invoque l’article 9 du code civil, l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, l’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne.
L’article 9 du code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée, que les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée et que ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
L’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme proclame que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, et de sa correspondance et qu’il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
L’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’homme proclame que nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation et que toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
Enfin l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.
2) L’envoi de 2 courriers à l’adresse privée de Mme [G] :
Dans le présent litige, M. [Z] [D] ne conteste pas avoir, outre les nombreux courriers qu’il a adressés à la mairie de [Localité 6] à l’intention de Mme [A] [G], adressé à cette dernière deux courriers, en mai 2018 et juin 2019, à une adresse située sur la commune de [Localité 7], et qui correspond manifestement à son adresse personnelle.
Mme [G] fait valoir que M. [D] a, pour ce faire, nécessairement recherché et identifié son adresse personnelle alors qu’elle n’a pas souhaité la faire connaître publiquement et qu’il a ainsi porté atteinte au respect de sa vie privée et de son domicile.
Si le fait d’épier, de surveiller et de suivre une personne caractérise à l’évidence une immixtion illicite dans la vie privée d’une personne, il n’est pas démontré que c’est ainsi que M. [Z] [D] a pu connaître l’adresse personnelle de Mme [A] [G].
De même, à l’époque des courriers incriminés, il n’est pas justifié que l’adresse de Mme [A] [G] n’ait pas été accessible à tout public sur les sites de référence officiels en la matière, étant rappelé que Mme [A] [G] est l’épouse d’une personne connue du public varois et qui communique elle-même son adresse personnelle sur internet dans le cadre d’une de ses activités professionnelles.
Pour désagréable qu’ait pu être le fait de recevoir à son domicile uniquement deux courriers personnels de la part de M. [Z] [D], cette seule circonstance ne constitue pas en soi une atteinte à la vie privée de Mme [A] [G].
Sa demande de dommages-intérêts formée à cet égard peut qu’être rejetée.
Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Mme [A] [G], dont l’appel est rejeté, supportera les dépens d’appel, ceux de première instance étant confirmés.
Pour la même raison, il ne sera pas fait droit à sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Z] [D] les frais engagés pour la défense de ses intérêts en cause d’appel. Mme [A] [G] sera condamnée à lui payer la somme complémentaire de 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [A] [G] à payer à M. [Z] [D] la somme complémentaire de 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne Mme [A] [G] aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE