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SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 octobre 2021
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1131 F-D
Pourvois n°
G 19-14.067
à M 19-14.070 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 OCTOBRE 2021
1°/ M. [H] [L], domicilié [Adresse 4],
2°/ M. [U] [X], domicilié [Adresse 3],
3°/ M. [A] [M], domicilié [Adresse 2],
4°/ M. [V] [R], domicilié [Adresse 5],
5°/ la Confédération générale du travail de la Guadeloupe, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé respectivement les pourvois n° G 19-14.067, J 19-14.068, K 19-14.069 et M 19-14.070 contre quatre arrêts rendus le 21 janvier 2019 par la cour d’appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans les litiges les opposant à la société Arema, groupement d’intérêt économique, dont le siège est [Adresse 6], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leurs pourvois, les deux moyens de cassation communs annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de MM. [L], [X], [M], [R] et de la Confédération générale du travail de la Guadeloupe, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Arema, après débats en l’audience publique du 1er septembre 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, Mme Lecaplain-Morel, conseiller, et Mme Pontonnier greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° G 19-14.067 à M 19-14.070 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Basse-Terre, 21 janvier 2019), rendus sur renvoi après cassation (Soc. 30 novembre 2016, pourvoi n° 15-23.905), M. [L] et trois autres salariés, engagés en qualité de dockers occasionnels dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée d’usage par le GIE GSP ou le GIE Manugua aux droits desquels vient le GIE Arema, ont saisi la juridiction prud’homale pour demander notamment la requalification de chaque relation de travail en contrat à durée indéterminée et obtenir le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution de ces contrats et de leur rupture.
3. La Confédération générale du travail de la Guadeloupe est intervenue volontairement dans la procédure en cause d’appel sur renvoi de cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et le second moyen, ci-après annexés
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. Les salariés font grief aux arrêts de rejeter leurs demandes tendant à la requalification de leurs contrats de travail au sein du GIE Arema en contrats à durée indéterminée et de réintégration dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée et de rejeter leurs demandes de rappel de salaires, accessoires et primes, alors « que si, dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, il appartient néanmoins au juge de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi ; que ce caractère ne peut être déduit des seules dispositions des conventions et accords collectifs applicables au secteur d’activité ; qu’en l’espèce, pour conclure au caractère temporaire des emplois occupés par les salariés exposants, la cour d’appel a relevé que ces derniers figuraient sur la liste des dockers occasionnels, prioritaires en cas d’insuffisance du nombre de dockers professionnels annexée à l’accord d’entreprise n° 11 du 29 avril 2010 relatif à la gestion des dockers occasionnels et n’avaient donc pas de garantie d’emploi ; qu’en statuant ainsi sans rechercher si l’employeur rapportait la preuve d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire des emplois occupés par les exposants, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de la clause 5 de l’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la directive n° 1999/70 du 28 juin 1999, ensemble des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et L. 1245-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 122-1, L. 122-1-1, L. 122-3-13, 1er alinéa, et D. 121-2 du code du travail, devenus les articles L. 1242-1, L. 1242-2, L. 1245-1 et D. 1242-1 du même code, interprétés à la lumière des clauses 1 et 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 :
6. Aux termes du premier de ces textes, le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
7. S’il résulte de la combinaison des articles du code du travail susvisés que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
8. La détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d’usage ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.
9. Pour rejeter les demandes des salariés tendant à la requalification de leurs contrats de travail au sein du GIE Arema en contrats à durée indéterminée et à leur réintégration dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée et leurs demandes subséquentes en rappel de salaires, accessoires et primes, les arrêts, après avoir relevé que l’article 9b de la convention collective départementale du 31 juillet 1995 étendue, applicable en Guadeloupe, autorisait la conclusion de contrats d’usage pour les emplois relevant de la filière « exploitation portuaire », énoncent tout d’abord que les intéressés font partie de la liste des dockers occasionnels dressée par les partenaires sociaux lors de la mise en place du GIE Arema dans le cadre des discussions de branche qui ont donné lieu à un accord d’entreprise n° 11 le 29 avril 2010 relatif à la gestion des dockers occasionnels.
10. Les arrêts retiennent ensuite que les salariés figurant sur cette liste sont prioritaires en « cas d’insuffisance du nombre de dockers professionnels » et bénéficient d’une priorité pour une intégration en CDI au fur et à mesure des départs à la retraite dans le cadre d’un plan de sept ans, que cet accord est toujours appliqué au sein du GIE Arema, n’ayant pas été dénoncé par les partenaires sociaux, et que les personnes y figurant n’ont pas une garantie d’emploi mais une priorité d’embauche en cas de besoins, ce qui établit le caractère par nature temporaire de leur emploi, lesdits emplois occupés ne ressortissant pas, par hypothèse, de l’activité permanente de l’entreprise utilisatrice et ce, d’autant qu’ils sont amenés à être intégrés en contrat à durée indéterminée avant 2018.
11. Ils retiennent enfin que les salariés ne peuvent invoquer le bénéfice de la priorité journalière d’embauche en cas de besoins insuffisants, prévue dans l’accord d’entreprise, pour en déduire qu’ils occupent un emploi permanent dans l’entreprise et se plaindre par ailleurs que l’employeur ne respecte plus cette garantie depuis qu’ils ont saisi la juridiction prud’homale, que l’examen des bulletins de salaire des intéressés révèle que les dockers occasionnels ne sont jamais employés pour un mois complet mais selon un certain nombre d’heures correspondant à des vacations de trois heures ou à la journée, en cas de variation de l’activité portuaire de chargement et déchargement de navires, que les salariés ne peuvent arguer de leur ancienneté en tant que docker occasionnel pour démontrer qu’ils occupent durablement un emploi permanent de l’entreprise, eu égard à la spécificité du statut des dockers, et qu’ils ne peuvent de même invoquer la fréquence et la constance de leurs interventions pour arguer du caractère permanent de leur emploi, alors qu’ils sont seulement prioritaires en cas de nécessité de l’activité, aux termes de l’accord d’entreprise susvisé.
12. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants tirés de la détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d’usage dans la manutention portuaire, sans rechercher si le recours à des contrats à durée déterminée successifs était justifié par l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi de docker occupé par les intéressés, caractère qui ne pouvait être déduit des seules dispositions des conventions et accords collectifs applicables à ce secteur d’activité, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à ses décisions.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’ils rejettent les demandes de MM. [L], [X], [R] et [M] tendant à la requalification de leurs contrats de travail au sein du GIE Arema en contrat à durée indéterminée et à leur réintégration dans un poste de docker en contrat à durée indéterminée, rejettent leurs demandes subséquentes de rappel de salaires, accessoires et primes, les condamnent aux dépens et rejettent leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, les arrêts rendus le 21 janvier 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Basse-Terre ;
Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d’appel de Basse-Terre, autrement composée ;
Condamne le GIE Arema aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la Confédération générale du travail de la Guadeloupe et le GIE Arema et condamne ce dernier à payer à MM. [L], [X], [R] et [M] la somme globale de 3000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.