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N° RG 19/00227 – N° Portalis DBV2-V-B7D-ICGA
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 03 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE DIEPPE du 17 Décembre 2018
APPELANT :
Monsieur [K] [P]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me François GARRAUD de la SCP GARRAUD OGEL LARIBI HAUSSETETE, avocat au barreau de DIEPPE
INTIMEES :
Me [E] [O] – Mandataire liquidateur de la Société METRA
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Linda MECHANTEL de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Frédéric CAZET, avocat au barreau de PARIS
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Linda MECHANTEL de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Frédéric CAZET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 21 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 21 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 03 Novembre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 03 Novembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [K] [P] a été engagé par la SA Metra en qualité de chargé de mission suivant contrats de mission à durée déterminée du 7 janvier 2014 au 31 décembre 2016.
Considérant que ces contrats avaient pour objet de pourvoir durablement à l’activité de l’entreprise et que certains d’entre eux ne répondaient pas aux exigences légales, par requête enregistrée au greffe le 30 juin 2017, M. [P] a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir requalifier sa relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée et obtenir le paiement de rappels de salaire et d’indemnités.
Par jugement rendu le 17 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de Dieppe a débouté M. [P] de ses demandes de requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, de rappel au titre de la participation et de l’intéressement, débouté les parties du surplus de leurs demandes et laissé à chacune la charge de ses dépens.
M. [P] a interjeté un appel limité le 14 janvier 2019 de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
Par jugement du 2 décembre 2020, le tribunal de commerce de Dieppe a prononcé la liquidation judiciaire de la société Metra et Mme [O] [E] a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 1er septembre 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 mars 2019, l’appelant demande à la cour de :
-réformer le jugement entrepris,
en conséquence,
-condamner la société Metra à lui verser les sommes suivantes :
dommages et intérêts au titre de la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée : 7 369,15 euros,
dommages et intérêts non-respect de la procédure de licenciement : 7 369,15 euros,
dommages et intérêts sur le fondement du licenciement sans cause réelle et sérieuse : 44 214,87 euros,
indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents : 24 318,20 euros,
indemnité de licenciement : 4 925,05 euros,
indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,
-condamner la société Metra à lui verser l’intéressement et la participation dus pour la période d’emploi du 7 janvier 2014 au 10 mai 2017.
L’appelant fait valoir qu’il avait pour mission de faire l’interface entre la société Metra et le client, assistant ce dernier dans la conception, la réalisation, la copie, la création de contenants verriers commandés et fabriqués,
que la relation de travail doit être requalifiée en contrat à durée indéterminée, dès lors qu’il a été occupé durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise, pour avoir travaillé sur la période du 16 février 2014 au 10 mai 2017, soit pendant plus de 3 ans et qu’il a pourvu durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise, 21 contrats ayant été conclu, dont un en date du 29 décembre 2015 totalisant une durée de 12 mois,
que la requalification est encore encourue en raison soit de l’imprécision des motifs, soit d’une pluralité de motifs,
qu’un contrat de travail à durée déterminée unique indiquant deux motifs différents couvrant deux périodes distinctes doit être requalifié en contrat à durée indéterminée,
qu’ainsi les contrats du 18 février 2015 et du 30 juillet 2015 mentionnent respectivement huit et sept missions distinctes en Colombie et en Inde, soit sur deux lieux géographiques différents et le contrat du 29 décembre 2015 prévoit des missions dans ces mêmes lieux sans aucune précision de date,
que doit encore être requalifié le contrat du 30 juillet 2015 devant s’achever le 17 décembre 2015, alors qu’il s’est poursuivi au-delà du terme fixé, le bulletin de salaire, le certificat de travail et l’attestation pôle emploi délivrés par l’employeur démontrant qu’il a travaillé jusqu’au 19 décembre 2015,
que la société Metra ne saurait prétendre avoir recouru au contrat d’usage prévu pour les activités de coopération, d’assistance technique, d’ingénierie et de recherche à l’étranger, alors que le contrat de travail à durée déterminée successif doit être justifié par des raisons objectives qui s’entendent d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi que le juge doit vérifier, seul le dernier contrat régularisé entre les parties ayant ainsi été expressément qualifié de contrat d’usage,
que le recours au contrat d’usage est illicite, les contrats ayant été conclus sur une période de 3 ans, dix-neuf d’entre eux concernant les deux mêmes clients, les deux dernières missions confiées totalisant une durée d’emploi de 12 mois, le contenu de la mission ainsi libellé « assistance de la direction générale et participation à des actions de recherche et de développement » démontrant en outre que l’emploi n’est pas temporaire,
que l’employeur n’apporte aucun élément pour justifier des raisons objectives qui lui font recourir à des contrats de travail à durée déterminée,
que les contrats signés entre les parties ne sauraient non plus être qualifiés de contrats de mission à l’exportation tels que prévus par l’article L. 1223-5 du code du travail et par l’accord de branche de la métallurgie du 23 septembre 2005, aucun d’entre eux ne faisant référence aux contrats spécifiques de mission à l’exportation, ni à l’accord national susvisé prévoyant ses modalités de mise en ‘uvre, de sorte que ce moyen présenté à titre subsidiaire devra être écarté.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 août 2021, Mme [O] [E], ès qualités de mandataire liquidateur, demande à la cour de :
-confirmer le jugement rendu,
-débouter M. [P] de l’ensemble de ses demandes,
-condamner M. [P] au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La société Metra réplique qu’elle a pour activité la production, la réalisation d’échantillonnage puis de séries de moules à destination de clients verriers dans les domaines multiples, tels la verrerie de table, les bouteilles, les pots, mais également, la verrerie technique de pointe,
qu’ayant été confrontée à des difficultés financières et placée en redressement judiciaire en 2004, un plan de continuation a été mis en place en juillet 2016 et une mutation progressive de son fonds de commerce a été opérée vers des secteurs à forte valeur ajoutée sur des marchés en France et à l’international, ainsi que vers les marchés de haute technologie,
qu’en raison des connaissances et de l’expérience acquises, elle était susceptible d’apporter une mission d’assistance technique à des verreries sur des marchés émergents à l’étranger,
que c’est dans ces conditions qu’elle s’est attachée les services de M. [P], consultant en verrerie et expert réputé dans le soufflage du verre, recruté par M. [U], directeur général opérationnel.
Elle fait valoir que les missions d’assistance technique du salarié ne sont pas en lien direct avec l’activité habituelle et permanente de la société, l’adjonction d’un expert n’ayant pas eu pour effet de fidéliser la clientèle ni eu d’impact en termes de chiffre d’affaires,
que M. [P] s’est d’ailleurs toujours comporté comme un consultant indépendant non salarié et n’était pas placé sous son autorité hiérarchique,
qu’il n’a jamais établi le moindre rapport de des missions et le moindre compte-rendu de ses visites chez les clients,
que s’est en toute opportunité qu’il conteste la nature et le renouvellement de ses contrats postérieurement au licenciement pour faute grave de M. [U],
que les contrats répondaient bien à des missions précises et temporaires et n’avaient donc pas pour objet de pourvoir un emploi permanent de l’entreprise,
que M. [P] n’intervenait que ponctuellement en tant qu’expert consultant dans le cadre d’une assistance technique à l’étranger qui est un usage courant dans le secteur verrier pour permettre une montée en gamme et qui est donc par nature ponctuelle, occasionnelle et temporaire,
que la jurisprudence tend du reste à rendre son importance à la nature de l’emploi occupé par le salarié plutôt qu’à s’attacher au seul critère de l’activité de l’entreprise,
qu’une succession de contrats à durée déterminée autonome les uns par rapport aux autres n’emporte pas nécessairement une requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée,
que chacune des missions réalisées par M. [P] était justifiée par une demande de prestation sollicitée par le client au regard d’un besoin spécifique de son expertise en verrerie,
que les dispositions des articles L1242-12 et L1243-11 du code du travail ont été respectées, le contrat du 30 juillet 2015 s’est bien achevé au terme fixé, le temps de déplacement pour le retour d’une mission n’étant pas constitutif de temps de travail effectif et en dépit de l’existence de plusieurs missions, le motif de recours est de nature indivisible, consistant en la réalisation d’une unique et même prestation d’assistance et d’expertise pour le compte de plusieurs clients situés dans plusieurs régions géographiques à l’étranger,
qu’à titre subsidiaire, l’accord national du 23 septembre 2005 relatif au contrat de mission à l’exportation signé dans la branche métallurgie peut trouver à s’appliquer, étant relevé que son préambule vise particulièrement les entreprises du secteur qui entendent « mettre en valeur le savoir-faire de l’industrie française », et favoriser les exportations industrielles,
qu’il conviendra de requalifier la relation de travail en « contrat de mission à l’exportation » à durée indéterminée comportant des missions d’expertise de verrerie à l’export, qui ne sont pas directement rattachées aux commandes et à la fabrication de moules qui est l’activité permanente de l’entreprise et dont les modalités de rupture ont été aménagées par les dispositions conventionnelles de telle sorte que la fin de la mission constitue un motif réel et sérieux de rupture,
qu’en ce qui concerne la demande de rappel au titre de la participation et de l’intéressement, qui n’est ni chiffrée ni motivée, elle ne peut qu’être rejetée.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 août 2021, l’AGS CGEA de [Localité 4] demande à la cour de :
à titre principal,
-confirmer le jugement en toutes ses dispositions en ce qu’il a débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes,
à titre subsidiaire,
-débouter M. [P] de sa demande de requalification de sa relation de travail en un contrat de mission à l’exportation,
à titre infiniment subsidiaire,
-réduire le montant des dommages et intérêts à la somme de 22 107,45 euros,
-dire que la garantie est limitée toutes sommes confondues et charges incluses à la somme de 78 456 euros,
en toute hypothèse,
-donner acte au CGEA de [Localité 4] de ses réserves et statuer ce que de droit quant à ses garanties,
-déclarer la décision opposable au CGEA et à l’AGS dans les limites de la garantie légale,
-dire que la garantie de l’AGS n’a qu’un caractère subsidiaire et lui déclarer la décision opposable dans la seule mesure d’insuffisance de disponibilités entre les mains du mandataire judiciaire,
-dire que la demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile n’entre pas dans le champ d’application des garanties du régime,
-dire que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-6 et L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15, L.3253-18, L.3253-19, L 3253-20, L.3253-21, L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail,
-dire qu’en tout état de cause la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D.3253-5 du code du travail,
-dire que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
-statuer ce que de droit quant aux dépens et frais d’instance sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’association concluante.
L’Unedic AGS CGEA délégation de [Localité 4] rappelle qu’aucune condamnation directe ne pourra être prononcée à l’encontre du CGEA qui ne pourra que faire l’avance en l’absence de fonds disponibles des créances constatées et fixées par la cour d’appel dans les limites de sa garantie et des plafonds déterminés par les dispositions légales et réglementaires.
Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée de mission en contrat à durée indéterminée,
elle indique adopter l’argumentation développée par Mme [E], ès qualités et sollicite le rejet de l’ensemble des demandes présentées par M. [P].
Sur le rappel au titre de la participation et de l’intéressement
que la garantie de l’AGS ne peut intervenir que sur présentation d’un relevé de créances dont les créances revendiquées doivent être justifiées tant dans leur principe que sur leur quantum,
que les demandes de M. [P], qui ne sont ni chiffrées ni motivées, ne peuvent qu’être écartées.
Sur les conséquences de la requalification
que compte tenu de l’ancienneté de M. [P], soit deux années révolues, les règlements du 1er au 10 mai 2017 ayant concerné le maintien de salaire de M. [P] durant son accident du travail, les dommages et intérêts du fait de la rupture ne peuvent être fixés qu’entre 3 mois minimum et 3,5 mois maximum, soit entre 22 107,45 et 25 792,02 euros.
MOTIFS
1- Sur la demande de requalification des contrats de mission
M. [P] a été engagé par la société Metra en qualité de chargé de mission dans le cadre de vingt et un contrats à durée déterminée, ayant pour objet la réalisation de missions ponctuelles d’assistance de la direction générale auprès de clients de Metra à l’étranger, étant prévu que le salarié peut être amené à participer à des actions de recherche et de développement, lesdits contrats se déclinant comme suit :
– le 7 janvier 2014, du 13 au 19 janvier 2014, pour une mission en Inde (7 jours),
– le 13 février 2014, du 16 février 2014 au 26 février 2014, pour une mission en Inde (10 jours),
– le 26 février 2014, du 4 mars 2014 au 18 mars 2014, pour une prestation réalisée en Colombie (14 jours),
-le 9 avril 2014, du 13 au 20 avril 2014 pour une mission en Inde (7 jours),
– le 29 avril 2014, du 18 au 26 mai 2014 pour une mission en Colombie (8 jours),
– le 17 juin 2014, du 19 au 29 juin 2015, pour une mission en Inde (10 jours),
– le 30 juin 2014, du 1er au 7 juillet 2014 pour une mission en Colombie (6 jours),
– le 1er août 2014, du 10 au 18 août 2014 pour une mission en Colombie (8 jours)
– le 11 septembre 2014, du 17 au 25 septembre 2014 pour une mission en Colombie (8 jours),
-le 14 octobre 2014, du 21 au 23 octobre 2014, pour une mission se déroulant au salon Glasstec à Düsseldorf en Allemagne (2 jours),
– le 11 novembre 2014 du 11 au 22 novembre 2014, pour prestation de travail ponctuelle à l’étranger (11 jours),
-le 22 novembre 2014, du 24 novembre au 3 décembre 2014 pour une mission à Mumbai, en Inde. (10 jours),
– le 6 janvier 2015, du 12 au 18 janvier 2015 pour une mission à Bogota, en Colombie (6 jours),
– le 6 janvier 2015, du 25 janvier au 3 février 2015, pour une mission à Mumbai en Inde (9 jours),
– le 23 janvier 2015, du 8 février au 15 février 2015 pour une mission en Inde (7 jours),
– le 18 février 2015, du 24 février 2015 au 4 mars 2015 pour une mission à en Inde (8 jours),
– le 18 février 2015, du 23 mars 2015 au 16 juillet 2015 pour plusieurs missions en Inde et en Colombie (4 mois) devant se dérouler :
du 23 au 31 mars 2015 en Inde, du 12 au 23 avril 2015 en Colombie, du 27 avril 2015 au 4 mai 2015 en Inde, du 11 au 22 mai 2015 en Colombie, du 25 mai au 2 juin 2015 en Inde, du 7 au 19 juin 3015 en Colombie, du 22 au 29 juin 2015 en Inde et du 5 au 16 juillet 2015 en Colombie, la mission ayant été adaptée pour la circonstance comme suit : « réaliser des missions ponctuelles d’assistance de la direction générale auprès de deux clients de Metra dont les sites de production se situent en Inde et en Colombie, M. [P] pouvant être amené à participer à des actions de recherche et de développement »,
– le 13 mars 2015, du 9 au 17 mars 2015 auprès d’un client de la société situé en Colombie (8 jours),
– le 17 juillet 2015, du 20 au 24 juillet 2015, pour une mission en Écosse ( 4 jours),
-le 30 juillet 2015, du 24 août au 17 décembre 2015 au motif de missions multiples en Inde et en Colombie (3 mois et demi), réparties comme suit :
du 24 août au 1er septembre 2015 en Inde, du 6 au 18 septembre 2015 en Colombie, du 21 au 28 septembre 2015 en Inde, du 4 au 16 octobre 2015 en Colombie, du 26 octobre au 2 novembre 2015 en Inde, du 8 au 20 novembre 2015 en Colombie, du 6 au 17 décembre 2015 en Inde, avec la même mission développée,
– le 29 décembre 2015, du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 (un an), pour réaliser des missions ponctuelles d’assistance de la direction générale dans la mise en production de moules de verrerie auprès de clients Metra dont les sites de production se situent en Inde et en Colombie, M. [P] pouvant être amené à participer à des actions de recherche et de développement,
l’article 3 intitulé « motif du recours au contrat à durée déterminée et justification », énonçant : « Le présent contrat à durée déterminée est conclu pour pourvoir un emploi pour lequel il est d’usage constant de ne pas embaucher en contrat à durée indéterminée. Cet emploi est temporaire. Justification précise : activités de coopération, d’assistance technique, d’ingénierie et de recherche à l’étranger. ».
M. [P] sollicite en conséquence la requalification de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée faisant valoir :
-qu’ils ont pour objet de pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise,
– que certains d’entre eux ont un motif imprécis quant aux missions confiées,
– que l’exécution de l’un desdits contrats a excédé son terme de deux jours.
Aux termes de l’article L.1242-1 du code du travail un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
L’article L. 1242-2 du code du travail, alors en vigueur, dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié (1°), l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3°).
L’article D 1242-1 du même code dispose en outre qu’: « en application du 3° de l’article L. 1242-2, les secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois sont les suivants :
{‘} 11° Les activités de coopération, d’assistance technique, d’ingénierie et de recherche à l’étranger. »
Selon l’article L. 1245-1 du code du travail est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6 à L. 1242-8, L. 1242-12, alinéa premier, L. 1243-11, alinéa premier, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4.
Il résulte des textes précités que le recours au contrat à durée déterminée est possible pour les emplois concernés lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, étant précisé que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs doit être justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi et que le fait d’user de contrat à durée déterminée dans un secteur où il est d’usage d’y recourir n’empêche pas la requalification en contrat à durée indéterminée.
Il n’est pas discutable que M. [P] a été employé dans le cadre de missions d’assistance technique auprès de clients situés à l’étranger. Si tant est qu’il convienne de s’attacher bien plus à la nature de l’emploi occupé par le salarié qu’à l’activité de l’entreprise pour qualifier le contrat d’usage, il n’est établi, au cas d’espèce, ni la nature temporaire de cet emploi, la durée des contrats n’étant pas pertinente, alors que les relations se sont étalées sur 3 ans et qu’à compter de janvier 2015, les missions se sont poursuivies selon un rythme soutenu, déterminant les parties à conclure un unique contrat recouvrant de multiples missions les 18 février et 30 juillet 2015, le dernier contrat régularisé entre elles totalisant en outre une durée de douze mois, ni l’existence d’un usage constant permettant de recourir au contrat à durée déterminée d’usage pour la réalisation des prestations à l’étranger, alors que l’intimée se contente d’affirmer que « l’assistance technique est un usage très courant dans le secteur verrier pour permettre une montée en gamme et … est donc par nature ponctuelle, occasionnelle et temporaire. », tout en reconnaissant par ailleurs l’importance de cette activité lorsqu’elle indique (page 14 de ses conclusions) que « l’activité de l’entreprise Metra, telle que décrite plus haut, inclut bien cette possibilité d’assistance technique des clients à l’étranger, puisque son développement à l’international est un des axes de Metra. ».
Les missions exécutées de façon régulière, sur un rythme non aléatoire au profit du même employeur démontrent qu’elles relevaient d’un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, laquelle ne justifie pas d’éléments permettant à la juridiction de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié, ce dont il résulte que la relation de travail dans son ensemble sera requalifiée en contrat à durée indéterminée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les moyens soulevés par le salarié tirés de l’imprécision des motifs et de la poursuite du contrat à durée déterminée au-delà du terme.
2- Sur la demande de requalification en contrat de mission à l’exportation
La société Metra revendique subsidiairement l’application de l’accord national du 23 septembre 2005 relatif au contrat de mission à l’exportation signé dans la branche Métallurgie, lequel vise les entreprises du secteur qui entendent « mettre en valeur le savoir-faire de l’industrie française » et favoriser les exportations industrielles.
Elle fait valoir que les règles de rupture de ce contrat échappent au droit du licenciement économique, la fin de la mission constituant un motif sui generis de rupture du contrat et une cause réelle et sérieuse de licenciement permettant d’exclure les dispositions légales et conventionnelles applicables au licenciement économique, l’article 8 de l’accord prévoyant en cas de licenciement fondé sur la fin de la mission, que le salarié bénéficiera d’une indemnité spéciale de licenciement dont le montant ne sera pas inférieur, quelle que soit la durée de la mission, à 8 % de la rémunération totale brute perçue par l’intéressé durant le contrat de mission à l’exportation,
que M. [P] a reçu une indemnité de précarité de 10 % à l’issue de chacun de ses contrats, laquelle est non-restituable au sens de la jurisprudence en cas de requalification, mais s’avère d’un montant supérieur à l’indemnité de 8 % fixée par le texte conventionnel sur les contrats de mission à l’exportation.
L’article L1223-5 du code du travail énonce « Un accord collectif de branche ou d’entreprise détermine les contrats de travail conclus pour la réalisation d’une mission à l’exportation accomplie en majeure partie hors du territoire national, dont la rupture à l’initiative de l’employeur à la fin de la mission n’est pas soumise aux dispositions relatives au licenciement économique »
L’accord national du 23 septembre 2005 relatif au contrat de mission à l’exportation indique en son préambule qu’il ouvre la possibilité d’organiser, par accord collectif de branche ou d’entreprise, des contrats de travail à durée indéterminée, dits « contrats de mission à l’exportation », pour lesquels l’achèvement de la mission convenue peut être constitutif d’un motif de licenciement non soumis à la procédure de licenciement pour motif économique. Le présent accord national, qui s’inscrit dans les dispositions de l’article L. 321-12-1, a d’abord pour objet, en permettant la conclusion de ces nouveaux contrats de travail, d’offrir des opportunités d’embauches en France, notamment à de jeunes candidats à la recherche d’un premier emploi, dès lors qu’ils seraient préparés à leur mission, ou à des seniors à la recherche d’un emploi et désirant valoriser leur expérience professionnelle ou en acquérir une nouvelle.
Le présent accord entend ensuite, en mettant en valeur le savoir-faire de l’industrie française, favoriser les exportations industrielles et amorcer ainsi un mouvement plus général de création d’emplois dans la branche de la métallurgie.
Il définit la mission à l’exportation à l’article 3, comme celle effectuée en majeure partie du temps hors du territoire national, pour la réalisation de laquelle il a été conclu.
Le contrat fixe en outre :
– les principales modalités d’exécution de la mission, notamment : ‘ le mode de déplacement ; ‘ le mode d’hébergement ; ‘ le mode de remboursement des frais ; ‘ les modalités de prise des congés payés ; ‘ les moyens mis à la disposition du salarié pour réaliser sa mission ‘,
– les conditions générales de déplacement (repos hebdomadaire, jours fériés’ ),
– les règles tenant au reclassement : l’employeur est tenu d’informer son salarié des emplois disponibles recensés dans l’entreprise, ainsi que des modalités d’accès à ces emplois,
– les modalités d’information des représentants du personnel : une fois par an, l’employeur informe le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, sur le nombre de contrats de mission à l’exportation conclus dans l’entreprise, les motifs de recours à ce type de contrat et les pays de destination, ainsi que, le cas échéant, sur les projets envisagés de nouveaux contrats de mission à l’exportation.
Les conditions de conclusion d’un tel contrat sont donc strictement encadrées tant quant à la forme qu’au fond, conditions qui ne sauraient être satisfaites en cas de requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de sorte que l’employeur ne peut se prévaloir de l’aménagement des modalités de la rupture des relations de travail prévu à l’accord susvisé.
3- Sur les conséquences de la requalification
Le contrat de travail de M. [P] ayant été rompu sans engager la procédure de licenciement, la rupture du contrat de travail doit être analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [P] bénéficiait d’une ancienneté de 3 ans révolus, la somme de 7 369,15 euros, correspondant à la moyenne des salaires entre mai 2016 et avril 2017, non discutée, pouvant être retenue à titre de salaire de référence.
En application des dispositions de l’article L 1245-2 alinéa 2 du code du travail qui dispose : « lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s’applique sans préjudice de l’application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée ».
Il convient de fixer la somme allouée à hauteur d’un mois de salaire, soit 7 369,15 euros.
Toutefois, M. [P] ne saurait prétendre à une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.
Aux termes des articles L 1234-1 et suivants du code du travail, M. [P] a droit à une indemnité compensatrice de préavis déterminée par la loi ou la convention. Il lui sera alloué la somme de 22 107,45 euros correspondant à 3 mois de salaire à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents à hauteur de 2 210,75 euros.
En application de l’article L1234-9 du code du travail, alors en vigueur, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Il sera alloué à M. [P] la somme réclamée de 4 925,05 euros, non contestée dans son mode de calcul.
En application de l’article L.1235-3 du code du travail, applicable au cas d’espèce, M. [P] peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu’il a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement.
En raison de son âge au moment de son licenciement, comme étant né en 1972, de son ancienneté dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi, il lui sera alloué la somme de 44 214,87 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation du préjudice matériel et moral qu’il a subi du fait de la perte de son emploi.
4- Sur la demande au titre de la participation et l’intéressement
Le salarié indique qu’il est constant et non contesté que la société Metra fait bénéficier à ses salariés de participation et d’intéressement, qu’il n’a jamais obtenu aucune somme de ce chef, qu’il convient d’ordonner à l’employeur, de communiquer l’ensemble des éléments de calcul de la participation et de l’intéressement servis à l’ensemble de son personnel entre 2014 et 2017 de manière à ce qu’il soit en mesure de chiffrer sa demande.
La cour concède que les prétentions du salarié ne peuvent être chiffrées en l’absence de tous éléments de calcul. Il lui incombe cependant à tout le moins de démontrer que des sommes ont bien été versées par l’employeur au titre de la participation et de l’intéressement pour justifier sa demande de communication de pièces.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
5 – Sur les autres demandes
5-1 Sur l’intervention et la garantie de l’AGS
Il conviendra de donner au CGEA de [Localité 4] de son intervention dans le cadre des dispositions des articles L 625-1 et L 631-18 du code de commerce, issus de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde des entreprises et des dispositions du décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005 pris en application de ladite loi et de déclarer le jugement à intervenir opposable au CGEA de [Localité 4] en qualité de gestionnaire de l’AGS, dans les limites et plafonds légaux.
5-2 – Sur la fixation de la créance
Il conviendra de procéder à la fixation du montant des créances qui sont soumises au régime de la procédure collective.
6 – Sur les frais du procès
En qualité de partie succombante, Mme [E], ès qualités, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Il n’est pas inéquitable de mettre à sa charge le paiement des frais irrépétibles à hauteur de 1 000 euros en faveur de M. [P].
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [P] de ses demandes au titre de la participation et de l’intéressement,
L’infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
Requalifie les contrats de mission à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
Fixe les créances de M. [P] au passif de la liquidation judiciaire de la société Metra aux sommes de :
7 369,15 euros à titre d’indemnité de requalification,
4 925,05 euros à titre d’indemnité de licenciement,
22 107,45 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 2 210,75 euros au titre des congés payés afférents,
44 214.87 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déclare l’AGS CGEA de [Localité 4] tenue à garantie pour ces sommes dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, en l’absence de fonds disponibles,
Déclare l’arrêt opposable à Mme [E], ès qualités, dans la limite de ses garanties légales et réglementaires,
Y ajoutant,
Condamne Mme [E], ès qualités, à payer à M. [P] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne Mme [E], ès qualités, aux dépens de première instance et d’appel.
La greffièreLa présidente