Contrat à durée déterminée d’usage : 17 novembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/00356

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Contrat à durée déterminée d’usage : 17 novembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/00356
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C9

N° RG 21/00356

N° Portalis DBVM-V-B7F-KWUP

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Ladjel GUEBBABI

la SELARL LEXAVOUE [Localité 6] – [Localité 5]

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 17 NOVEMBRE 2022

Appel d’une décision (N° RG 18/01118)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 10 décembre 2020

suivant déclaration d’appel du 14 janvier 2021

APPELANTE :

Société SASP [Localité 6] FOOT 38 prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Ladjel GUEBBABI, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIME :

Monsieur [P] [M]

né le 20 Août 1972 à LONGJUMEAU

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Jean-jacques BERTRAND de la SCP BERTRAND & ASSOCIE, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 14 septembre 2022,

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS,Greffière en présence de Mme AL TAJAR Rima, Greffière stagiaire conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 17 novembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L’arrêt a été rendu le 17 novembre 2022.

EXPOSE DU LITIGE’:

M. [P] [M] a été engagé pour la saison 2016/2017 par la société anonyme sportive professionnelle [Localité 6] Foot 38 selon un contrat à durée déterminée d’usage à temps partiel (22 heures/semaine) du 1er août 2016 au 30 juin 2017, en qualité d’entraîneur, statut cadre.

Ce même contrat a stipulé l’éventuelle prolongation du contrat de travail pour les saisons 2017/2018 et 2018/2019 si le club accédait au Championnat de France National 1 à l’issue de la saison 2016/2017.

A l’issue de la saison 2016/2017, le club a été promu en Championnat National 1, 3ème division.

Le 1er juillet 2017, un avenant au contrat de travail a été signé pour deux saisons, du 1er juillet 2017 au 30 juin 2019. Ce contrat de travail à durée déterminée a été conclu sur la base d’un temps plein.

A l’issue du dernier match de la saison 2017/2018, le club a accédé, le 27 mai 2018, au championnat professionnel de Ligue 2.

Par courrier du 11 juin 2018, la société [Localité 6] Foot 38 a adressé à M. [M] une convocation à un entretien préalable dans l’éventualité de la rupture de son contrat à durée déterminée pour faute grave.

L’entretien a été fixé au lundi 18 juin 2018.

Le 19 juin 2018, dans un communiqué de presse, M. [M] a précisé qu’il était toujours sous contrat de travail, n’avait commis aucune faute et souhaitait continuer à entraîner les joueurs de club.

Par courrier du 21 juin 2018, la société [Localité 6] Foot 38 a adressé à M. [M] une lettre de rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée pour faute grave, à raison de la violation de son devoir de loyauté, de réserve et de ses obligations les plus élémentaires, lui reprochant d’avoir ainsi créé un trouble important dans l’organisation interne et externe du club.

Par courrier du 26 juin 2018, M. [M] a contesté les termes de la lettre de rupture de son contrat. Il a également précisé que la commission fédérale des éducateurs et entraîneurs de football de la fédération française de football n’avait pas été saisie préalablement à la rupture de son contrat, conformément aux dispositions de l’article 11 du contrat de travail signé le 1er juillet 2017.

Le 27 juin 2018, le conseil de M. [M] a écrit à ladite commission au sujet de ce défaut de saisine préalable par le club.

Par courrier du 2 octobre 2018, la fédération française de football a répondu à M. [M] que la commission fédérale du statut des éducateurs n’avait pas compétence pour statuer sur ce type de litige, qui était du ressort du conseil de prud’hommes.

Par requête en date du 12 octobre 2018, M. [P] [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble de diverses prétentions au titre de la rupture abusive de son contrat de travail à durée déterminée, se prévalant d’un vice de fond entachant la procédure de rupture anticipée et de l’absence de toute faute grave.

La société [Localité 6] Foot 38 s’est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 10 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Grenoble a’:

– Jugé que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de M. [M] est abusive et ne repose pas sur une faute grave’;

– Condamné la SASP [Localité 6] Foot 38 à payer à M. [M] les sommes suivantes’:

– 276 260,13 € (deux cent soixante-seize mille deux cent soixante euros et treize cts) à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée,

– 72 000,00 € (soixante-douze mille euros) à titre de dommages et intérêts pour préjudice professionnel, moral, social et familial,

– 1 500,00 € (mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Lesdites sommes avec intérêts de droit à compter de la présente décision’;

– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement et la consignation des sommes à la caisse des dépôts et consignations – DRFIP Auvergne Rhône-Alpes – [Adresse 3]’;

– Dit que la partie bénéficiaire, sur présentation d’un certificat de non-appel ou d’un arrêt de la cour d’appel de Grenoble portant condamnation, pourra se faire remettre les fonds consignés, à hauteur du montant de la condamnation passée en force de chose jugée’;

– Débouté M. [P] [M] de ses autres demandes’;

– Débouté la SASP [Localité 6] Foot 38 de sa demande reconventionnelle’;

– Condamné la SASP [Localité 6] Foot 38 aux dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées dont l’accusé de réception a été signé les 15 et 23 décembre 2020.

Par déclaration en date du 14 janvier 2021, la société [Localité 6] Foot 38 a interjeté appel à l’encontre de cette décision.

La société [Localité 6] Foot 38 s’en est remise à des conclusions transmises le 30 juin 2022 et demande à la cour d’appel de’:

A titre principal,

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :

Jugé que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de M. [M] est abusive et ne repose pas sur une faute grave,

Et accordé des dommages-intérêts à M. [M]’;

Statuant à nouveau,

CONSTATER que la rupture du contrat de travail à durée déterminée de M. [M] fondée sur une faute grave est parfaitement fondée et justifiée’;

DEBOUTER M. [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions’;

A tout le moins, LIMITER le montant des dommages-intérêts perçus par M. [M] au titre de la rupture du contrat de travail au minimum prévu par l’article L1243-4 du code du travail, soit la somme de 144.000,00€’;

DEBOUTER M. [M] de ses demandes indemnitaires au titre d’un préjudice distinct constitué d’une perte de chance et d’un prétendu préjudice moral, professionnel et familial’;

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a’:

– retenu qu’il n’y a pas eu violation d’une garantie de fond qui rendrait la rupture du contrat abusive,

A titre infiniment subsidiaire,

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [M] de ses demandes au titre de la perte de chance relative à ses primes de résultats et à la prolongation de son contrat de travail’;

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société SASP [Localité 6] Foot 38 au paiement de la somme de 72’000,00 € au titre du préjudice professionnel, moral, social et familial’;

En tout état de cause,

CONDAMNER M. [P] [M] au paiement de la somme de 3’000 € au titre de l’article 700 du code procédure civile’;

CONDAMNER le même aux entiers dépens de l’instance.

M. [P] [M] s’en est rapporté à des conclusions transmises le 10 août 2022 et demande à la cour d’appel de’:

DÉCLARER recevable et bien-fondé M. [M] en toutes ses demandes fins et conclusions’;

Y faisant droit,

INFIRMER, le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble du 10 décembre en ce qu’il a jugé que le défaut de saisine de la commission fédérale du statut des éducateurs préalablement à la rupture anticipée du contrat de M. [M] ne constituait pas une violation de la garantie de fond’;

Statuant à nouveau,

JUGER que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de M. [M] par la SASP [Localité 6] Foot 30 est abusive pour violation d’une garantie de fond’;

En tout état de cause,

CONFIRMER le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble du 10 décembre 2020 en ce qu’il a :

– Jugé que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de M. [M] est abusive et ne repose pas sur une faute grave,

– Condamné la SASP [Localité 6] Foot 38 à payer à M. [M] les sommes suivantes :

– 276 260,13 € (deux cent soixante-seize mille deux cent soixante euros et treize cts) à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée,

– 72 000,00 € (soixante-douze mille euros) à titre de dommages et intérêts pour préjudice professionnel, moral, social et familial,

– 1.500 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

– Débouté la SASP [Localité 6] Foot 38 de sa demande reconventionnelle,

– Condamné la SASP [Localité 6] Foot 38 aux dépens.

REFORMER le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble du 10 décembre 2020 en ce qu’il a limité à 72.000 € la réparation du préjudice professionnel, moral, social et familial’;

REFORMER le jugement en ce qu’il a dit que les condamnations prononcées porteraient intérêt de droit à compter de la date de cette décision, soit le 10 décembre 2020′;

INFIRMER le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble du 10 décembre 2020 en ce qu’il a débouté M. [M] de ses autres demandes’;

Statuant à nouveau,

CONDAMNER le [Localité 6] Foot 38 à verser à titre de dommages et intérêts (articles L.1243-1 et L. 1243-4 du code du travail) à M. [M] les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts complémentaires et distincts’:

– Sur la perte de chance :

– 30.000,00 € au titre des primes de résultat ;

– 400.000,00 € au titre du préjudice pour non-prolongation de contrat ;

– Sur le préjudice professionnel, moral, social et familial : 144 000,00 € au titre de la réparation entière de ces préjudices toutes causes confondues (professionnel, moral, social et familial).

FIXER le point de départ des intérêts de retard au taux légal avec capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du Code civil’:

– Au 11 octobre 2018, date de la requête introductive d’instance pour la somme de 276.260,13€,

– Au 10 décembre 2020, date du jugement, pour les somme de 72.000 € à titre de dommages et intérêts et 1.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, fixées par le conseil de prud’hommes,

– À la date de prononcé de l’arrêt pour le surplus des condamnations.

DEBOUTER le [Localité 6] Foot 38 de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions’;

CONDAMNER le [Localité 6] Foot 38 à payer à M. [M] la somme de 8.000,00 € par application de l’article 700 C.P.C’;

CONDAMNER le [Localité 6] Foot 38 en tous les dépens de première instance et d’appel.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.

La clôture a été prononcée le 11 août 2022 et l’audience a été fixée le 14 septembre 2022′; la décision a été mise en délibéré au 17 novembre 2022.

EXPOSE DES MOTIFS’:

Sur la demande au titre de la rupture du contrat de travail à durée déterminée d’usage’:

L’article 1243-1 du code du travail dispose que, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

La faute grave se définit comme un manquement du salarié d’une gravité telle qu’elle empêche la poursuite du contrat de travail.

L’employeur doit rapporter la preuve de la faute grave qu’il allègue.

L’article 1243-3 du code du travail prévoit que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L.’1243-8 du même code.

Cette indemnité constitue une réparation forfaitaire minimale incompressible et indépendante du préjudice subi. Elle ne peut subir aucune réduction.

Toutefois, il ne s’agit là que d’un minimum destiné à compenser le seul préjudice né de la rupture anticipée du contrat à durée déterminée et consécutif à la perte de salaire. Il appartient au juge d’évaluer souverainement le montant du préjudice subi par le salarié en raison de cette rupture. Le montant de la somme allouée peut donc être supérieur à celle que le salarié aurait perçue jusqu’au terme de son contrat.

À cette indemnité s’ajoutent l’indemnité de fin de contrat prévue par l’article L.’1243-8 du code du travail.

En l’espèce, la lettre de rupture adressée à M. [P] [M] le 21 juin 2018 est ainsi rédigée’:

«’Par email du 11 juin 2018 confirmée par courrier recommandé du même jour, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de rupture anticipée de votre contrat de travail à durée déterminée, entretien qui s’est tenu le mardi 18 juin 2018 à 10h.

Les explications recueillies au cours de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation.

En conséquence, parla présente, nous vous notifions la rupture anticipée de votre contrat de travail à durée déterminée pour faute grave pour les motifs ci-après exposés.

Vous êtes embauché depuis le 1er juillet 2017 en qualité d’entraîneur principal de football de l’équipe de [Localité 6] Foot 38.

À ce titre, votre mission consiste notamment à préparer les joueurs aux compétitions, à les encadrer et vous exercez vos fonctions sous l’autorité et selon les directives du Président et par délégation du Manager général.

Votre contrat de travail précise expressément ‘ parce qu’il s’agit là d’une obligation fondamentale ‘ que vous devez «’adopter une conduite qui ne puisse porter atteinte aux intérêts du club, au nom de son équipe et à l’image du football’».

Le contrat précise également que toute intervention dans un média intervient «’à la demande du club’».

Vous êtes tenu à une obligation de discrétion et de réserve qui doit être strictement respectée car elle participe au devoir de loyauté qui constitue une de vos obligations de salarié.

Or, vous avez pris l’initiative de révéler dans la presse et dans les médias l’état de vos relations privées contractuelles avec notre société, au surplus en public et ce à plusieurs reprises.

Ainsi dès le début du mois de juin et peut être même un peu avant et au moment où notre club est sous les feux des projecteurs car nous venons d’accéder en Ligue 2 et que tout notre milieu professionnel s’interroge sur notre avenir, vous annoncez à divers médias et à nous-mêmes indirectement (!) que vous ne serez plus aux commandes de l’équipe que vous venez de faire monter.

Cette décision que vous médiatisez s’accompagne d’une autre initiative de votre part : vous prévenez au même moment vos joueurs, dont certains sont choqués et se sentent obligés de vous apporter leur soutien tant vos propos sont déstabilisateurs et sème le doute sur l’imputabilité de la rupture que vous venez d’annoncer brutalement, profitant évidemment de la soudaine notoriété du club qui vous emploie.

Vous entretenez ensuite ce trouble et tenez régulièrement informé la presse locale et spécialisée de vos états d’âme et révéler en public votre situation ‘ conflictuelle selon vous ‘ avec votre employeur. Les conséquences de votre attitude seront dramatiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de notre club sportif professionnel.

Alors que vous avez une autorité morale et juridique sur vos joueurs dont vous êtes garant de la santé morale, psychologique et sportive, vous les laissez s’épancher dans la presse, vous ne les encadrez plus, vous profitez de ce choc que vous avez provoqué et du soutien qu’il vous apporte tout naturellement. La presse s’en fait l’écho et décrit parfaitement une équipe que vous avez ainsi abandonnée à vos propres émotions et conflits intérieurs et juridiques ! Les joueurs, votre équipe, sont décrits comme déçus par la situation de votre départ que vous leur avez annoncé brutalement, sans ménagement et sans aucun respect alors que vous êtes leur coach et qu’ils ont tout donné pour mener notre club en ligue 2.

Le management de vos joueurs à cette occasion s’est révélé catastrophique, leur santé morale ne vous inquiète pas, vous persistez à mettre en avant votre intérêt personnel au détriment de celui de l’entreprise qui vous emploie.

Il sera notamment dévoilé par les mêmes médias que vous avez tenté de vous faire embaucher par notre concurrent parisien, ceci expliquant peut-être cela ‘

Le séisme que vous avez délibérément provoqué, à ce moment précis de la vie de notre entreprise a contraint notre président à s’exprimer à son tour en appelant à l’unité et en minimisant la situation pour apaiser.

Vous ne vous arrêtez pas en si bon chemin et toujours sans l’accord de votre employeur, en pleine crise publique que vous avez provoquée, vous continuez les interviews, vous servant allègrement de la montée du club en Ligue 2 pour marquer le contraste avec votre départ et laisser délibérément apparaître que celui-ci vous serait imposé, décidé et qu’il serait injuste.

N’hésitez pas à critiquer votre président et le manager général auprès du journaliste auprès duquel vous formulerez de nouvelles plaintes le 10 juin, par exemple allant jusqu’à déclarer toujours publiquement que notre Président serait «’neuf dans le métier’» et que sa vision des choses serait particulière’!

Vous révélez ensuite toujours dans le même souci d’intérêt personnel que vous recevez la convocation à entretien préalable qui vous sera délivré le 11 juin, ainsi que le contenu de cette entretien particulièrement privé et les reproches qui vous feront seront faits.

Enfin dans une énième lettre, vous anticiperez sur notre décision annonçant la rupture de votre contrat alors qu’aucune décision n ‘a encore été prise le tout face à une presse interloquée par votre situation et vos éclats. Vous tenterez de rattraper par un énième communiqué vos propos, dont vous aurez compris lors de de l’entretien préalable qu’ils ne peuvent être tolérés par notre club. L’irréparable aura pourtant été commis et votre attitude vous est directement imputable.

La situation est si grave que certains de nos partenaires s’interrogent sur la poursuite de leur partenariat avec nous et nous interpellent sur la médiatisation à outrance, très dénigrante et péjorative que vous avez provoquée puis entretenue au mépris des intérêts de notre club.

Vous avez violé gravement votre devoir de loyauté, votre devoir de réserve et vos obligations les plus élémentaires, ce qui au surplus a créé un trouble important dans notre organisation interne et externe.

Nous vous notifions en conséquence par la présente la rupture anticipée pour faute grave de votre contrat de travail à durée déterminée, rupture qui prendra effet à compter de la première présentation postale du présent courrier recommandé.’».

Il en ressort que la SASP [Localité 6] Foot 38 reproche à M. [P] [M] d’avoir violé son devoir de loyauté et de réserve en relatant, dans la presse, ses difficultés avec le club quant à son départ en tant qu’entraîneur et d’avoir tenu des propos dénigrants à l’égard du président et de la direction du club.

D’une première part, il ressort du contrat de travail conclu entre les parties que le salarié s’est engagé à’:

– « Adopter une conduite qui ne puisse porter atteinte aux intérêts de son club, au renom de son équipe ou à l’image du football,

– Etre disponible à la demande de son club pour toute interview réalisée pour ou par la presse, la radio ou la télévision,

– Se conformer à tout moment au présent statut, au règlement intérieur du club, aux règlements de la FFF ainsi qu’au Règlement dopage en vigueur.’».

De plus, l’article 16 du règlement intérieur prévoit que «’le Personnel s’engage à adopter un comportement irréprochable en dehors de ses activités afin de ne pas porter atteinte aux intérêts du Club et au renom de son équipe. Le Personnel s’engage à s’abstenir de tout commentaire public négatif sur le Club et notamment sur les choix tactiques et sportifs.’».

L’article 20 dudit règlement précise que «’Le Personnel s’engage à répondre, à la demande du Club, à toutes demandes d’interview réalisées pour la presse, la radio et/ou la télévision’».

Pour autant, contrairement à ce que soutient l’employeur dans ses conclusions (page 11), rien n’oblige le salarié à communiquer avec la presse «’uniquement sur demande de l’employeur, dans le respect des valeurs et de l’intérêts du club, et selon les directives de sa hiérarchie’».

D’une deuxième part, les articles de presse produits par l’employeur demeurent insuffisants pour établir le grief reproché à M. [M].

En effet, il ne ressort pas desdits articles que le salarié serait à l’origine de la rumeur de son départ, relatée par les différents médias dès le 2 juin 2018, étant donné que les articles restent évasifs en indiquant «’Selon nos informations’» ou «’l’information livrée par nos confrères’», sans directement cité M. [M]. D’ailleurs, certains articles mentionnent qu’il demeurait injoignable suite à cette nouvelle.

Différents articles mentionnent que des tensions existaient déjà entre le salarié et la direction du club, ce qu’a confirmé le président du GF 38 dans un communiqué du 8 juin 2018, en précisant que «’depuis plusieurs mois maintenant, des désaccords opposent le GF 38 et son entraîneur. Garant de l’institution du club, je ne peux cautionner certains faits. Ainsi des discussions ont été entamées pour trouver une solution dans l’intérêt des deux parties’».

Or, il ressort de ce communiqué que la question du maintien d'[P] [M] à son poste d’entraîneur ne résulte pas de l’annonce médiatique de son éviction mais des désaccords antérieurs entre la direction du club et le salarié.

Par ailleurs, l’employeur n’apporte aucun élément permettant de démontrer que le salarié aurait indiqué les noms de son éventuel successeur, plusieurs noms ayant été suggérés dans la presse, ni qu’il aurait été au courant de telles négociations.

Certes, il ressort d’un article, en date du 5 juin 2018 que «’L’entraîneur du GF’38 [P] [M] ne sera plus aux commandes de l’équipe qu’il a fait monter du CFA à la Ligue 2 en deux saisons. C’est lui-même qui l’a annoncé aux joueurs lundi. Tandis que le club grenoblois s’enferme dans le mutisme depuis samedi, l’ancien entraîneur de [Localité 7] a pris l’initiative de prévenir ses joueurs.’».

Cependant, rien n’est versé aux débats par l’employeur permettant d’établir que son annonce auprès des joueurs constitue un mensonge de sa part pour influer sur les négociations avec le club quant à une hausse de sa rémunération, dès lors que le mail de [W] [V], en date du 29 mai 2018, indique, contrairement à la lecture qu’en fait l’employeur, que le salarié est à l’origine de la proposition d’évolution de son contrat et que, selon certains articles, les négociations en date du lundi 4 juin ont échoué en raison des désaccords antérieurs avec la direction.

De plus, quand bien même le salarié a annoncé son départ aux joueurs avant même que l’employeur lance la procédure de rupture de son contrat, il ne peut pas lui être reproché d’en avoir discuté avec les joueurs de son équipe, puisque les joueurs pouvaient avoir connaissance de cette information, la rumeur étant déjà parue dans les médias depuis plusieurs jours.

En outre, en réaction à l’annonce de son départ, rien n’interdisait au salarié de rechercher un autre club pour la prochaine saison sportive, l’article produit par l’employeur datant du 11 juin 2018, alors que la rumeur s’est propagée dès le 2 juin 2018 et que des négociations avec la direction avaient échoué le 4 juin 2018.

D’une quatrième part, contrairement à ce que soutient l’employeur, il ne ressort pas de l’article publié dans Le Sport Dauphinois, en date du 10 juin 2018 et intitulé «’La L2, c’est aussi grâce à eux’! Quand O. [M] était encore aux commandes…’», que [P] [M] a tenu des propos dénigrants à l’égard du Président et de la direction du club.

En effet, le salarié a précisé, dans son interview, «’Le président est relativement neuf dans ce métier et sa vision des choses est différente des autres président. [W], lui, connaît parfaitement l’environnement grenoblois.’», ainsi que «’Nous avons des divergences mais nous avons su faire cause commune pour l’intérêt du club. Maintenant que nous allons changer de dimensions, nous devons être très réactifs dans nos prises de décisions. À nous d’être très unis et de conserver la même ligne directrice pour continuer à faire grandir le club.’».

Ainsi, ces propos ne sont pas dépréciateurs du Président ou de la direction du club et, au contraire, le salarié met en avant sa volonté de coopération et d’entente avec la direction du président.

De plus, l’employeur ne démontre pas en quoi ses propos constitueraient un abus de la liberté d’expression du salarié, en ce qu’ils ne sont ni injurieux, ni diffamatoires, ni excessifs.

Dès lors, il résulte des énonciations précédentes que la SASP [Localité 6] Foot 38 n’établit pas les griefs reprochés à M. [P] [M] dans la lettre de rupture anticipée pour faute grave.

En conséquence, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les moyens soulevés par le salarié tenant au non-respect d’inclure les griefs dans la convocation à un entretien préalable et au non-respect de la saisine de la commission fédérale des éducateurs et des entraineurs de football, il convient, par confirmation du jugement entrepris, de requalifier la rupture anticipée de M. [P] [M] en date du 21 juin 2018 en rupture anticipée abusive.

Sur les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail’:

D’une première part, en application de l’article L.’1243-4 du code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L.’1243-8.

En l’espèce, le contrat de travail ayant été rompu le 21 juin 2018 alors qu’il devait prendre fin le 30 juin 2019, le salarié est bien-fondé à solliciter des dommages et intérêts à hauteur de la rémunération qu’il aurait dû percevoir pendant douze mois.

Le contrat de travail précise, en son article 5 intitulé «’Rémunérations’», que «’Monsieur [M] percevra une rémunération de son activité au sein et pour le compte du club, en Championnat de France de Ligue 2, une rémunération mensuelle brute de base de 12’000’€ (douze milles euros)’» et que «’En complément de sa rémunération mensuelle, M. [M] bénéficiera du double des primes de matchs des joueurs selon le barème défini dans le règlement intérieur du club pour la saison en cours. Ces primes sont payables mensuellement et inclue l’indemnité de congés payés.’».

Dès lors, par réformation du jugement entrepris quant au quantum, la SAS [Localité 6] Foot 38 est condamnée à payer à M. [P] [M] la somme de 265’639,13’€, correspondant aux salaires du 21 juin 2018 au 30 juin 2019 (144’935,58’€, outre 14’493,55’€ de congés payés) ainsi qu’aux primes de résultat minimales perçues pendant la saison (106’210’€, l’indemnité de congés payés y étant déjà inclue).

D’une deuxième part, il convient de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts au titre de la perte de chance des primes de résultat, étant donné que la saison 2018/2019 n’avait pas commencé au moment de la rupture de son contrat de travail et qu’il a déjà été indemnisé à ce titre en application de l’article L.’1243-4 du code du travail.

D’une troisième part, il convient de débouter le salarié de la perte de chance de prolongation ou renouvellement du contrat à durée déterminée en ce que cette chance demeure hypothétique et que sa disparition n’était pas actuelle au moment de la rupture du contrat.

D’une quatrième part, il convient de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts au titre des préjudices professionnel, moral, social et familial, en ce qu’il a précédemment été indemnisé du préjudice professionnel en application de l’article 1243-1 du code du travail et qu’il ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice moral, social et familial.

Sur les demandes accessoires’:

La SASP [Localité 6] Foot 38, partie perdante à l’instance au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d’en supporter les entiers dépens.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [P] [M] l’intégralité des sommes qu’il a été contraint d’exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu’il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la SAS [Localité 6] Foot 38 à lui payer la somme de 1’500’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de la condamner à lui verser la somme de 2’000’€ au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

Sur la capitalisation des intérêts’:

Au visa de l’article 1231-7 du code civil, dès lors que les sommes indemnitaires allouées en principal sont d’un montant laissé à l’appréciation du juge, les intérêts au taux légal ne courent qu’à compter de la décision qui les prononce.

Il s’ensuit que la condamnation au paiement de la somme de 265’639,13’€ produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt dès lors que le jugement entrepris est réformé quant au quantum.

Au visa de l’article 1343-2 du code civil, il y a lieu de dire que les intérêts au taux légal se capitaliseront, dès lors qu’ils seront dus pour une année entière.

PAR CES MOTIFS’:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l’appel et après en avoir délibéré conformément à la loi’;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a’:

– Condamné la SASP [Localité 6] Foot 38 à payer à M. [P] [M] la somme de 1’500’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Débouté M. [P] [M] de ses demandes de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de percevoir les primes de résultat et de la prolongation de son contrat de travail,

– Débouté la SASP [Localité 6] Foot 38 de sa demande reconventionnelle,

– Condamné la SASP [Localité 6] Foot 38 aux dépens’;

L’INFIRME pour le surplus’;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SASP [Localité 6] Foot 38 à payer à M. [P] [M] la somme de deux cent soixante-cinq mille six cent trente-neuf euros et treize centimes ( 265’639,13’€) au titre des dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat à durée déterminée’;

DÉBOUTE M. [P] [M] de sa demande de dommages et intérêts au titre des préjudices professionnel, moral, social et familial’;

DIT que les intérêts sur les condamnations porteront intérêt au taux légal dans les conditions prévues par l’article1231-7 du code civil’;

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus sur les sommes dues selon les modalités de l’article 1343-2 du code civil’;

DÉBOUTE la SASP [Localité 6] Foot 38 de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

CONDAMNE la SASP [Localité 6] Foot 38 à payer à M. [P] [M] la somme de 2’000’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

CONDAMNE la SASP [Localité 6] Foot 38 aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

 


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