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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 24 NOVEMBRE 2022
N° RG 20/02758 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UF7V
AFFAIRE :
[G] [U]
C/
S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE CANAL PLUS
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Novembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 20/00331
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Joyce KTORZA de la SELARL CABINET KTORZA
Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT-QUATRE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 26 octobre 2022, différé au 27 octobre 2022, puis prorogé au 17 novembre 2022, puis prorogé au 24 novembre 2022, les parties ayant été avisées dans l’affaire entre :
Madame [G] [U]
née le 19 Juin 1980 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Joyce KTORZA de la SELARL CABINET KTORZA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0053, substituée par Me Chloé PROVOST, avocate au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE CANAL PLUS
N° SIRET : 329 211 734
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438 – Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98
S.N.C. SOCIETE D’EXPLOITATION D’UN SERVICE D’INFORMATION (SESI)
N° SIRET : 412 916 215
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438 – Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98
S.A.S. C8 FILMS
N° SIRET : 438 114 746
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438 -Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 Juin 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-présidente placée,
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,
****************
Mme [G] [U] a signé entre 2013 et 2019 plusieurs contrats de travail à durée déterminée avec des sociétés du groupe Canal Plus, la société d’Edition de Canal Plus, la société SESI et la société C8 Films.
Par requête reçue au greffe le 5 mars 2020, Madame [G] [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt de diverses demandes à l’encontre de ces sociétés.
Par jugement du 19 novembre 2020, auquel la cour renvoie pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :
– débouté Madame [G] [U] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté les sociétés SESI, C8 et la Société d’édition de Canal Plus de leur demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Madame [G] [U] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 4 décembre 2020.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 20 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, Madame [G] [U], appelante, demande à la cour de :
– Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
– Statuant à nouveau :
¿ A titre principal :
-Dire et juger que la Société d’Exploitation d’un Système Informatique (« SESI »), la Société C8 et la Société d’Edition de Canal+ sont co-employeurs de Madame [U] ;
– En conséquence :
– Requalifier la relation de travail entre Madame [G] [U] et la Société d’Exploitation d’un Système Informatique (« SESI »), la Société C8 et la Société d’Edition de Canal+ en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 avril 2013 ;
– Fixer la rémunération mensuelle de référence de Madame [G] [U] à : 1 432 € ;
– Dire et juger que la rupture intervenue le 2 mars 2020 est constitutive d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;
– Condamner solidairement la Société d’Exploitation d’un Système Informatique (« SESI »), la Société C8 et la Société d’Edition de Canal+ à payer à Madame [G] [U] les sommes suivantes :
* Au titre de l’indemnité de l’article L. 1245-2 du Code du travail :10 000 €
* Au titre du rappel de salaire conséquemment à la baisse de collaboration : 10 981 €
* Au titre des congés payés afférents : 1 098 €
* Au titre du rappel de 13 ème mois : 3 963€
* Au titre de l’indemnité compensatrice de préavis : 4 296 €
* Au titre des congés payés afférents : 429 €
* Au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement : 2 219 €
* Au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de : 10 024 €
* Au titre des dommages et intérêts pour les circonstances brutales et vexatoires de la rupture la somme de : 5000 €
¿ A titre subsidiaire :
– Requalifier la relation de travail entre Madame [G] [U] et la Société d’Edition de Canal+ en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 avril 2013
– Fixer la rémunération mensuelle de référence de Madame [G] [U] à : 1 432 €
– Dire et juger que la rupture intervenue le 2 mars 2020 est constitutive d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
-En conséquence,
– Condamner la Société d’Edition de Canal+ à payer à Madame [G] [U] les sommes suivantes :
* Au titre de l’indemnité de l’article L. 1245-2 du Code du travail :10 000 €
* Au titre du rappel de salaire conséquemment à la baisse de collaboration : 10 981 €
* Au titre des congés payés afférents : 1 098 €
* Au titre du rappel de 13 ème mois : 3 963€
* Au titre de l’indemnité compensatrice de préavis : 4 296 €
* Au titre des congés payés afférents : 429 €
* Au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement : 2 219 €
* Au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de : 10 024 €
* Au titre des dommages et intérêts pour les circonstances brutales et vexatoires de la rupture la somme de: 5 000 €
– En tout état de cause :
– Condamner la Société d’Edition de Canal+ à payer à Madame [G] [U] sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, pour la procédure d’appel : 7 000 €
– Le tout avec intérêt de retard à compter de la réception par la Société d’Edition de Canal+ de la convocation adressée par le Greffe du Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt pour le Bureau de jugement ;
– Condamner la Société d’Edition de Canal+ aux dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 21 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la Société d’Edition de Canal Plus, la SNC Société d’exploitation d’un service d’information SESI et la SAS C8 Films, intimées, demande à la cour de :
¿ A titre principal, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En conséquence de quoi,
– Au titre de la fin de non-recevoir :
– Constater de plus fort l’absence de tout co-emploi / immixtion entre les Sociétés C8, SESI et Société d’Edition de Canal+ (SECP),
– Et en conséquence :
– Dire et juger de plus fort que par effet de l’ordonnance du 22 septembre 2017 (article L.1471-1 du Code du travail), Mme [U] est prescrite dans son action à l’encontre des Sociétés C8 et SESI, et confirmer le jugement sur ce point ;
– Dire et juger de plus fort que Mme [U], qui ne rapporte pas la preuve d’un co-emploi / d’une immixtion, le litige est limité à sa collaboration avec la seule société SECP, et confirmer le jugement sur ce point ;
– Au fond
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Dit et jugé régulier tant au fond que sur la forme, au regard de l’usage constant propre au secteur de l’audiovisuel autorisé par les articles L.1242-2 et D.1242-1 du Code du travail, le recours à l’emploi intermittent pour l’emploi de Scripte occupé par Mme. [U],
– Et a en conséquence :
– Débouté Mme. [U] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre de la requalification,
– Et y ajoutant :
– Condamner Mme. [U] à payer la somme de 2.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
¿ A titre subsidiaire (en cas de requalification) :
* Fixer à 630,66 euros le salaire de référence de Mme. [U] ;
* Fixer à 439,00 euros l’indemnité de requalification,
* Fixer à 1 892,00 euros l’indemnité de préavis, augmentée de 189,20 euros à titre de congés-payés ; * Fixer l’indemnité de licenciement à 157,66 euros ;
* Fixer à 630,66 euros le rappel sur 13 ème mois ;
* Fixer, à 630,66 euros l’Indemnité prévue à l’article L.1235-3 du Code du travail ;
¿ En tout état de cause,
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Débouté Mme. [U] de sa demande en rappel de salaire sur l’année 2019,
– Débouté Mme. [U] de sa demande en dommages-intérêts pour conditions brutales et vexatoires de la rupture.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 22 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
– Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action envers les sociétés SESI et C8 et sur l’existence d’un co-emploi,
Les sociétés SESI et C8 soulèvent la fin de non recevoir des demandes de Mme [U] à leur encontre au motif de leur prescription.
Elle soutiennent concernant la Société SESI, que si les parties ont eu à collaborer à compter du mois de septembre 2017, elles n’ont plus jamais trouvé à collaborer au delà du mois de janvier 2019, soit plus d’un an, au jour de la saisine du Conseil de Prud’hommes le 5 mars 2020.
Concernant la Société C8, elles font valoir que les parties n’ont plus jamais trouvé à collaborer au-delà du mois de novembre 2018, soit 15 mois au jour de la saisine du Conseil de Prud’hommes le 5 mars 2020.
Elles en déduisent que l’action de Mme [U] sur les conséquences de la rupture de sa relation contractuelle à l’encontre des sociétés SESI et C8 est prescrite au regard de la prescription annale instituée par l’article L. 1471-1 du Code du travail, applicable aux contestations portant sur la rupture de la relation de travail.
En réponse, Mme [U] soutient qu’elle faisait l’objet d’un co-emploi auprès de trois employeurs distincts (les sociétés SESI, Société Canal+, et société C8), qui ne constitueraient qu’un seul et même employeur, au motif que ces sociétés appartiennent toutes au groupe Canal+ et que les sociétés C8 et SESI seraient des filiales à 100% de la Société Canal +, emportant, selon elle, confusion d’intérêt, d’activités et de direction.
Sur le co-emploi,
La Cour rappelle que hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de co-employeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.
Il appartient dès lors à Mme [U], d’établir l’immixtion de la Société d’Edition de Canal plus dans la gestion économique et sociale des sociétés SESI (CNEWS) et C8, ou inversement une absence d’autonomie décisionnelle des sociétés SESI et C8 avec un contrôle étroit et constant de la Société d’Edition de Canal plus et des choix stratégiques et des décisions importantes en matière de gestion économique et sociale prises au niveau de la direction de la Société d’Edition de Canal plus.
Au vu des pièces qu’elle produit, Mme [U], n’établit pas l’existence d’une immixtion permanente de la société d’Edition de Canal plus dans la gestion économique et sociale des sociétés SESI (CNEWS) et C8, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de ces dernières et se borne tout au plus à affirmer que les sociétés SESI et C8 seraient des filiales de la Société d’Exploitation de Canal+, ce qui n’est pas établi et demeure contesté, ou appartiendraient à un même groupe, ce qui ne suffit pas à établir le co-emploi allégué. Mme [U] sera dès lors déboutée de ses demandes au titre de la reconnaissance d’un co-emploi.
Sur la fin de non recevoir,
Il est établi que la relation de travail entre Mme [U] et la société SESI est arrivée à échéance au mois de janvier 2019, alors que Mme [U] a saisi le 5 mars 2020 le Conseil des Prud’hommes, soit plus d’un an après l’échéance contractuelle. Son action à l’encontre de la Société SESI sera dès lors déclarée prescrite en application de la prescription visée à l’article L. 1471-1 du Code du travail, applicable aux contestations portant sur la rupture de la relation de travail.
Il est également établi que la relation de travail entre Mme [U] et la société C8 est arrivée à échéance au mois de novembre 2018, alors que Mme [U] a saisi le 5 mars 2020 le Conseil des Prud’hommes, soit plus de 12 mois après l’échéance contractuelle. Son action à l’encontre de la Société C8 sera dès lors déclarée prescrite en application de la prescription visée à l’article L. 1471-1 du Code du travail, applicable aux contestations portant sur la rupture de la relation de travail.
– Sur la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée auprès de la Société Canal + en contrat à durée indéterminée,
Mme [U] fait valoir que ses différents contrats de travail à durée déterminée auprès de la Société Canal + avaient pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de la société. Elle expose que la nature de ses fonctions de Scripte, comme les modalités de leur exécution au sein de l’entreprise Canal+, correspondant à un emploi technique nécessaire au quotidien et à une collaboration continue, depuis 6 années, sur des programmes différents, poursuivis ou renouvelés, révèlent l’existence d’un poste permanent.
Elle soutient que la Société Canal+ ne peut pas justifier, d’éléments concrets et précis permettant de caractériser un emploi par nature temporaire.
Elle indique que le risque commercial pris par l’entreprise pour les émissions qu’elle produit ne constitue pas une raison objective de recours aux CDD d’usage, dès lors que ce risque n’est pas diffèrent des risques pris par toute entreprise commerciale qui ne sait pas par avance le succès ou non des produits qu’elle commercialise.
Mme [U] rappelle avoir vu ses engagements systématiquement reconduits pendant 6 années de collaboration.
Elle soutient également que la Société Canal+ ne peut invoquer la circonstance que son activité ferait partie des secteurs dérogatoires, pour établir les raisons objectives permettant la succession de CDD, dès lors que la mention de ce que l’activité de l’employeur relève d’un des secteurs cités à l’article D.1212 du Code du travail ne suffit pas, en soi, à légitimer le recours au contrat à durée déterminée d’usage.
Elle prétend en outre que l’argument tiré de l’application d’un accord professionnel est inopérant dès lors que la succession de CDD doit être justifiée non pas par l’identification d’un métier mais par des éléments concrets tenant à l’activité du salarié et aux conditions de son exercice.
Selon elle, l’emploi de scripte tel qu’elle l’a occupé au sein de la Société Canal+ est un emploi permanent correspondant à l’objet même de l’entreprise, à savoir la fabrication, 365 jours par an, de productions audiovisuelles et le morcellement de ses jours de travail ne fait pas disparaître le caractère permanent de cet emploi au sein de l’entreprise.
La circonstance qu’elle ait travaillé pour d’autres entreprises ne permettrait pas non plus à la Société Canal+ de s’affranchir de ses obligations d’employeur au motif qu’elle aurait travaillé pour d’autres entreprises lorsque Canal+ ne lui fournissait pas de travail, celle-ci étant sans conséquence sur la nature, temporaire ou non, de l’emploi de scripte pour lequel l’employeur a recouru à des contrats à durée déterminée.
La Société Canal + rétorque que son appartenance au secteur audiovisuel visé par l’article D. 1242-1 du Code du travail ne peut être sérieusement contestée, lui permettant le recours au contrat à durée déterminée pour les fonctions intermittentes par nature occupées par Mme [U].
Elle fait valoir qu’un tel usage des CDD pour des fonctions intermittentes est constant dans le secteur audiovisuel et a été validé par l’ensemble des partenaires sociaux.
Elle indique que le recours au CDD d’usage est justifié par des raisons objectives conformes au sens de l’Accord Cadre Européen du 18 mars 1999.
Aux termes de l’article L.1242-2 du Code du travail, le législateur a expressément autorisé le recours aux contrats à durée déterminée dans le cas des ” emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois “.
L’article L. 1242-2 du Code du travail renvoie à l’article D.1242-1 du Code du travail pour ce qui concerne la liste des secteurs d’activités concernés. Le secteur de l’audiovisuel, auquel est rattachée la Société Canal+ y figure.
Le recours par cette Société du secteur de l’audiovisuel à l’emploi intermittent est donc dans son principe conforme à la loi.
Il ressort en outre des pièces produites et notamment des lettres d’engagement et des fiches de paie que Mme [U], que celle-ci a travaillé au sein de la Société Canal+ de manière irrégulière, durant 11 mois à compter du 5 février 2019 jusqu’au 27 janvier 2020, suivant des conditions variables, sa mission consistant à intervenir en qualité de scripte pour des productions audiovisuelles très ponctuelles.
Il est établi que la Société Canal+ a eu recours aux services de Mme [U] par une succession d’engagements à durée déterminée ‘au mois le mois’, dont chaque engagement, autonome par rapport au précédent, lui a été présenté comme un contrat d’usage et a organisé sa collaboration sur toute la période de ses CDD.
Il convient dès lors de rechercher si le secteur d’activité dans lequel évolue la Société Canal+ autorise le recours à l’emploi en contrat à durée déterminée d’usage, et si l’employeur rapporte la preuve que, pour le ou les emplois concernés, à savoir celui de ‘scripte’, l’usage constant est de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée.
S’il résulte de la combinaison des articles L. 122-1, L. 122-1-1 et D. 121-2 du code du travail, devenus articles L. 1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du même code, que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
En l’espèce, il est constant, d’une part, que l’activité de l’employeur relevait du secteur de l’audiovisuel et, d’autre part, que tout au long de la relation contractuelle, la salariée a occupé des fonctions de scripte.
S’agissant du cadre général de la relation de travail et de la question de savoir si l’employeur pouvait potentiellement engager la salariée dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée d’usage, il convient de relever que l’audiovisuel est visé par l’article D. 1242-1 du code du travail parmi les secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Dans le même sens, notamment, le protocole d’accord sur les modalités d’application à Canal+ de l’Accord interbranche sur le recours au contrat à durée déterminée d’usage dans les spectacles daté du 3 mai 1999 mentionne le métier de scripte parmi les fonctions de l’activité production susceptibles d’être occupées dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée de longue durée.
Si ces textes concourent à démontrer que les fonctions de scripte occupées par la salariée pouvaient potentiellement autoriser le recours à un contrat de travail à durée déterminée d’usage, ils ne suffisent pas à établir que, concrètement, le recours à ce type de contrat était justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
En ce sens, l’employeur ne saurait ne prévaloir d’une présomption de licéité du recours au contrat de travail à durée déterminée d’usage qui résulterait des stipulations d’accords collectifs.
S’agissant du caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par l’appelante, la cour relève que les fonctions exercées par celles-ci consistaient, comme il n’est pas contesté par l’employeur, à ‘exécuter, (…) créer superviser, des scriptes pour des emisissons télévisées’.
En cela, la diversité des émissions auxquelles participait la salariée, telle qu’elle résulte de ses lettres d’engagement produites par l’employeur, démontre que l’activité de la salariée répondait à un besoin permanent de la société, lequel correspondait à l’activité normale et permanente de conception et de production de scriptes pour des programmes de télévision de cette dernière.
Dans ce contexte, la société ne saurait valablement arguer du volume limité de l’activité de la salariée à son service et de sa variation.
A ce titre, les bulletins de paie produits par la salariée pour l’ensemble de la relation contractuelle et les nombreuses lettres d’engagements produits par la société démontrent le caractère durable de la relation de travail entre les parties.
La cour relève a contrario que l’employeur ne produit aucun élément démontrant que la salariée aurait refusé des prestations de travail qui lui ont été proposées, le nombre réduit d’interventions de la salariée sur les derniers mois ne démontre nullement le caractère temporaire de l’emploi occupé par la salariée.
Plus généralement, la décision de l’employeur de solliciter la salariée de manière parfois épisodique ne saurait en aucun cas démontrer le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé. Il convient ainsi de souligner que le caractère irrégulier dans le temps des interventions de la salariée ne résulte que de choix unilatéraux de l’employeur liés à l’organisation du travail.
De même, la question de savoir si la salariée a pu, parallèlement à son engagement par l’intimée, travailler pour le compte d’autres sociétés est sans incidence sur le caractère permanent du poste de scripte qu’elle occupait, lequel est établi au regard des besoins de l’intimée, compte tenu de son activité normale et permanente de conception et de production de programmes de télévision.
Au surplus, la circonstance selon laquelle la salariée exerçait ses fonctions durant moins de 180 jours par an ne saurait remettre en cause le caractère temporaire de son emploi. Si l’Avenant n° 6 du 1er juillet 2016 modifiant le champ d’application de la convention collective et les dispositions du CDD d’usage impose à l’employeur de proposer une offre d’emploi en contrat à durée indéterminée sur les mêmes fonctions à tout salarié employé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée d’usage, plus de 180 jours de travail (d’au moins 7 heures) par année, constatés sur trois années civiles consécutives auprès d’une même entreprise, une telle règle ne saurait en aucun cas s’interpréter comme fixant un critère permettant de démontrer le caractère temporaire d’un emploi.
Au vu de ces éléments, il n’est pas établi que l’emploi de l’appelante dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs était justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
Par conséquent, il y a lieu de requalifier la relation de travail entre les parties en contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 5 février 2019, date à laquelle a débuté la relation entre les parties.
Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.
Sur les conséquences financières de la requalification :
Compte tenu de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, la cessation des relations de travail entre les parties le 27 janvier 2020 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et justifie le versement de diverses sommes à ce titre.
– Sur le salaire mensuel moyen de l’appelante
Aux termes de l’article R. 1234-4 du code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :
1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l’ensemble des mois précédant le licenciement ;
2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.
Par ailleurs, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les autres stipulations contractuelles.
En l’espèce, les variations s’agissant des prestations de travail effectuées par la salariée à compter de l’année 2019 et la baisse de rémunération qui s’en est suivie ont été convenues entre les parties, ainsi qu’il résulte des lettres d’engagements signées par elles et produites par l’employeur.
Ainsi, dès lors que la relation de travail entre les parties a cessé le 27 janvier 2020, il convient de se référer à cette date pour procéder au calcul du salaire moyen perçu par la salariée.
Au dernier état de sa situation professionnelle, le salaire de référence de Mme [U] était de 630,66 euros (moyenne des 3 derniers mois de salaire – mois de novembre 2019 à janvier 2020 – soit 1 892,00 euros : 3 mois = 630,66 euros).
Il ne peut être fixé de salaire de référence sur les 12 derniers mois travaillés, Mme [U] n’ayant travaillé que sur une période de 11 mois. Au vu des rémunérations perçues par l’appelante au cours des trois derniers mois précédant la rupture de son contrat de travail, il y a lieu de fixer son salaire mensuel moyen de référence à 630, 66 euros bruts.
– Sur les sommes allouées à la salariée
L’appelante, qui disposait d’une ancienneté de 11 mois et percevait un salaire moyen de 630, 66 euros bruts au moment de la rupture, est fondée à percevoir différentes sommes.
– Sur l’indemnité de requalification
Suivant l’article L. 1245-2 du code du travail, la requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée justifie le versement d’une somme à titre d’indemnité de requalification, compte tenu du préjudice créé par la situation de précarité subie par la salariée durant 11 mois, notamment en matière de droits à la retraite.
L’indemnité de requalification sera limitée à un mois de salaire, prise sur la base du salaire moyen perçu, soit 630, 66 euros.
– Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement
Mme [U] comptant une collaboration comprise sur une période de plus de 11 mois, au terme de son dernier engagement, l’indemnité de licenciement sera donc fixée à 25 % du salaire de référence (630,66 euros) x 1 (année) = 157,66 euros.
En application des articles L. 1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail, il lui sera alloué une somme de 157, 66 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
Sur le préavis et les congés payés sur préavis
Dans la mesure où la salariée n’a pas pu accomplir le préavis d’une durée de trois mois prévu par l’article L. 1234-1 du code du travail, elle sera indemnisée par le versement d’une indemnité de préavis d’un montant de 1892 euros, outre une somme de 189, 20 euros au titre des congés payés y afférents.
-Sur le rappel de 13ème mois
Il est du à Mme [U] un rappel de 13ème mois d’un montant de 630,66 euros.
-Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Compte tenu des circonstances de la rupture et de l’ancienneté de 11 mois de Mme [U] au service de la société au moment de la rupture, une somme de 650 euros sera allouée à la salariée à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera donc infirmé sur l’ensemble de ces points.
En revanche, s’agissant de la demande de l’appelante relative au rappel de salaires résultant de la baisse unilatérale d’activité fournie par l’employeur et de rémunération subséquente, il est observé que ces conditions contractuelles ont été acceptés par cette dernière, ainsi qu’il résulte des lettres d’engagement qu’elles a signées. En tout état de cause, l’appelante ne produit aucun élément démontrant qu’elle s’est tenue à la disposition de l’employeur pour poursuivre la relation contractuelle selon les conditions antérieures à sa baisse d’activité au cours de l’année 2019.
Mme [U] sera déboutée de ses demandes de ce chef.
Sur les dommages intérêts pour conditions brutales et vexatoires de la rupture,
Mme [U] forme une demande de dommages et intérêts en arguant de conditions brutales et vexatoires inhérentes à la rupture de son dernier contrat.
La Société Canal + s’oppose à cette demande et soutient que les conditions d’une rupture brutale et vexatoires ne sont pas établies.
Il est relevé que l’échéance de la collaboration entre les parties est intervenue par simple survenance du terme convenu entre les parties, conformément au dernier engagement conclu dont la requalification en CDI ne pouvait alors être connue de l’employeur.
Les pièces produites ne sont pas de nature à établir la preuve d’un manquement, ni même d’une déloyauté de la Société Canal+ à l’encontre de Mme [U].
Mme [U] sera dès lors déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre et le jugement déféré confirmé.
– Sur les intérêts
Les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation.
Les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
– Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et d’allouer à ce titre une somme de 1.500 euros à la salariée que la SA Société d’édition de Canal + sera condamnée à lui payer.
La SA Société d’édition de Canal + sera en outre condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu le 19 novembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, sauf en ce qu’il déboute Mme [G] [U] de sa demande de rappel de salaires consécutivement à la baisse de collaboration ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Ordonne la requalification de la relation de travail entre Mme [G] [U] et la société anonyme Société d’Edition de Canal+ en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 février 2019 ;
Condamne la société anonyme Société d’Edition de Canal+ à verser à Mme [G] [U] les sommes suivantes :
– 630,66 euros à titre d’indemnité de requalification en application de l’article L. 1245-2 du code du travail;
– 630,66 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à la prime de treizième mois ;
– 1.892 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 189,20 euros au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis ;
– 157,66 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 650 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation,
Dit que les créances indemnitaires sont productive d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société anonyme Société d’Edition de Canal+ aux dépens de première instance et d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,