Votre panier est actuellement vide !
13/01/2023
ARRÊT N°2023/12
N° RG 21/02625 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OHDO
AB/AR
Décision déférée du 19 Mai 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( 19/02027)
ALAOUI N.
[K] [N]
C/
S.A. [5]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 13 1 23
à Me Bernard DE LAMY
Me Pauline VAISSIERE
POLE EMPLOI
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
pCOUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT
Monsieur [K] [N]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Pauline VAISSIERE de la SELARL VOA, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.INSTITUT POLYTECHNIQUE DES SCIENCES AVANCÉES
([5]) venant aux droits de l’association [5] par reprise de l’actif et du passif depuis le 13/04/2021,
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège sis [Adresse 3]
Représentée par Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant) et par Me Patricia GIRAUD, avocat au barreau de PARIS (plaidant)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant A.Pierre-Blanchard, conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. Brisset, présidente
A. Pierre-Blanchard, conseillère
F. Croisille-Cabrol, conseillère
Greffier, lors des débats : A. Ravéane
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. Brisset, présidente, et par A. Ravéane, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [K] [N] a été embauché suivant contrat de travail à durée déterminée d’usage, en qualité de formateur occasionnel (chargé de travaux dirigés en physique) à temps partiel du 1er février au 24 juin 2016, par l'[5] [Localité 7].
Cinq autres contrats de travail à durée déterminée à temps partiel de plusieurs mois chacun ont été conclus sur une période s’étendant du 29 août 2016 au 6 juillet 2018.
La convention collective nationale de l’enseignement privé indépendant est applicable au litige.
Par requête en date du 10 décembre 2019, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse aux fins de solliciter la requalification des contrats de travail à durée déterminée à temps partiel en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, sa reclassification au niveau cadre, et le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 19 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Toulouse a, en substance :
– dit que M. [N] ne relève pas du statut cadre,
– débouté M. [N] de toutes ses demandes,
– condamné M. [N] [K] à payer à l'[5], à titre de trop perçu de salaire au titre de la prime de précarité , la somme de 5 979,03 euros,
– dit qu’il n’y a pas lieu de rembourser à l’lPSA de somme à titre de rappel de salaire en juillet 2020,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que les dépens éventuels sont à charge de M. [N],
– dit n’y avoir lieu à l’application de l’exécution provisoire du jugement.
M. [N] a relevé appel de ce jugement le 14 juin 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d’appel les chefs critiqués.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 novembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence, M. [N] demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
– débouter l'[5] de l’ensemble de ses demandes,
– juger que M. [N] exerçait en réalité des fonctions relevant du statut cadre,
– juger que M. [N] s’est tenu à la disposition permanente de l'[5] [Localité 7] pendant l’intégralité de la relation contractuelle,
– juger que les contrats conclus pour une durée déterminée à temps partiel entre M. [N] et l'[5] [Localité 7] s’analysent en des contrats à durée indéterminée à temps complet,
En conséquence :
– condamner l’Association [5] à verser à M. [N] les sommes suivantes :
*97 021,35 euros bruts de rappels de salaire correspondant au temps complet pour la période du 1er février 2016 au 6 juillet 2018, outre 9 702,13 euros bruts de congés payés afférents,
*6 825,15 euros nets à titre d’indemnité de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
*2 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour mauvaise classification,
*11 615,48 euros nets à titre de dommages et intérêts pour défaut de délivrance des documents de contrat pour les contrats du 29 août 2016 au 4 septembre 2017,
*4 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour retard dans la délivrance des documents de fin de contrat à l’issue du contrat se terminant le 6 juillet 2018,
*10 000 euros nets de dommages et intérêts pour manquements contractuels divers,
– condamner l’association [5] aux entiers dépens et à verser à M. [N] la somme de :
*2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance,
* 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel,
– condamner l’association [5] à remettre à M. [N] , les bulletins de salaire, l’attestation d’assurance chômage et le certificat de travail conformes à la présente décision sous astreinte de 50 euros par jour à compter de la décision à intervenir.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 novembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence, l'[5] demande à la cour de :
– juger M. [N] recevable mais mal fondé en son appel,
– débouter M. [N] de toutes ses demandes,
– juger la SA [5] recevable et bien fondée en son appel incident,
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse en date du 19 mai 2021 en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle de la société [5] relative au remboursement de la somme 4 426,63 euros qu’elle a payé indûment à M. [N], à titre de rappel de salaire,
Statuant à nouveau :
– condamner M. [N] à rembourser à la SA [5], la somme de 4 426,63 euros qui lui a été réglée indûment à titre de rappel de salaire, avec intérêts légaux à compter du 11 septembre 2020, date des conclusions formant cette demande reconventionnelle
Pour le surplus :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse en date du 19 mai 2021 en toutes ses autres dispositions.
A titre subsidiaire, dans le cas la cour infirmerait l’ensemble des dispositions du jugement entrepris :
– juger que par l’effet de la prescription toute demande de M. [N] portant sur des contrats signés antérieurement au 10 décembre 2017 est prescrite,
– juger que M. [N] ne relève pas du statut cadre faute de réunir les quatre conditions cumulatives prévues par l’article 6.5.1 de la convention collective de l’enseignement privé indépendant,
– débouter M. [N] de sa demande de dommage et intérêts pour mauvaise classification professionnelle,
– juger qu’il n’y a pas lieu de requalifier les contrats à durée déterminée d’usage de M. [N] en contrat à durée indéterminée,
– juger qu’il n’y a pas lieu de requalifier en contrats à temps complet les contrats à durée déterminée à temps partiel de M. [N],
– débouter M. [N] de sa demande de rappel de salaire et d’indemnité de requalification,
– juger que la SA [5] n’a pas commis de manquements dans la délivrance des documents de fin de contrat,
– débouter M. [N] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,
– débouter M. [N] de sa demande au titre de l’octroi de titres restaurant,
– débouter M. [N] de sa demande de dommages et intérêts pour manquements contractuels divers, la preuve de ces manquements n’étant pas rapportée,
– condamner M. [N] à rembourser à la SA [5], la somme de 5 979,03 euros au titre de l’indemnité de précarité indûment perçue,
– juger que dans le cas où les contrats à durée déterminée à temps partiel seraient requalifiés en contrats à temps plein, le montant du rappel de salaire sera calculé sur une moyenne de rémunération qui devra être fixée à 32 euros/h et qu’au regard de la prescription applicable, ce rappel de salaire ne pourra porter que sur la période du décembre 2017 à juillet 2018.
MOTIFS :
Sur la demande de requalification des contrats à temps partiel en contrat à temps complet :
Sur la prescription :
Il résulte des dispositions de l’article L3245-1 du code du travail que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour, ou, lorsque le contrat est rompu, sur les sommes dues au titre des trois dernières années précédent la rupture du contrat.
L’action en requalification d’un contrat à temps partiel en contrat à temps plein a pour objet une créance de salaire, de sorte qu’elle se prescrit conformément aux dispositions susvisées.
En l’espèce, la relation contractuelle a été rompue le 6 juillet 2018, et M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes le 10 décembre 2019, il n’est donc pas prescrit en ses demandes, portant toutes sur une période postérieure au 6 juillet 2015.
Sur le fond :
En vertu des articles L 3123-14, L 3123-21, L 3123-22 et L 3123-24 du code du travail, le contrat de travail à temps partiel est un contrat écrit ; il doit mentionner la durée hebdomadaire ou le cas échéant mensuelle du travail et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d’aide à domicile, la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification, et les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié.
Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article L3123-9 du code du travail que les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par le salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée du travail fixée conventionnellement.
A défaut, le contrat de travail à temps partiel est requalifié en contrat à temps complet à compter de la première irrégularité.
En l’espèce, M. [N] invoque au soutien de sa demande de requalification en contrat à temps complet plusieurs moyens, parmi lesquels celui du dépassement de la durée légale du travail à plusieurs reprises et dès le mois de juin 2016, étant précisé que les autres irrégularités invoquées sont postérieures à cette date (avril 2017 pour l’absence de mention du dépassement de la durée initiale de 10%, et signature tardive des contrats à compter du 29 août 2016).
Et en effet, la cour constate à la lecture des bulletins de paie produits qu’à plusieurs reprises la durée du travail a dépassé la durée légale mensuelle : en juin 2016 (181,25h), en janvier 2017 (213,5), en mai 2017 (176,12h), en juin 2017 (176,25h), en juillet 2018 (193,53 h).
Le même constat est fait, si l’on calcule le temps de travail de manière ‘glissante’ du 15 du mois en cours au 15 du mois suivant comme le préconise l’employeur : en juin 2016 (160,5h), en février 2017 (193h), en mai 2017 (207,5h), en juillet 2018 (213,5h).
L'[5] oppose au salarié que nombre de ces heures complémentaires n’auraient pas été commandées mais résulteraient de l’action de M. [N] consistant à être volontaire pour participer à des réunions ou accomplir certaines tâches, et à s’arranger pour que les étudiants n’aient pas fini le programme dans les délais impartis.
Or, ces considérations sont inopérantes dès lors que l’employeur a validé les heures complémentaires effectuées, sans réserve, et les a rémunérées en les mentionnant sur les bulletins de paie.
Sont tout aussi inopérantes les considérations des parties sur la prévisibilité ou l’absence de prévisibilité dans la fixation des plannings de M. [N].
Ainsi, il sera fait droit, par infirmation du jugement entrepris à la demande de requalification des contrats à temps partiel en contrat à temps complet, et ce à compter du mois de juin 2016.
M. [N] demande des rappels de salaire de 91 621,35 € en excluant les périodes interstitielles ; il se fonde sur un taux horaire de 45 € que critique l’employeur.
En effet, il ressort des stipulations contractuelles que M. [N] se voyait appliquer un taux horaire différent selon les prestations : 45 € pour les travaux dirigés, 37 € pour les travaux pratiques, et 16 € pour les heures pédagogiques.
La ventilation de ces heures est variable selon les mois, ce qui donne un taux horaire moyen différent selon les mois, par exemple 28,70 €/h en avril 2018, 21,54 €/h en mai 2018, et 23,33 €/h en juin 2018.
Par définition, il est ignoré la ventilation des heures qui auraient pu être faites sur un temps plein, mais en tout état de cause il ne saurait être appliqué à M. [N] un taux horaire de 45 €, non conforme à la réalité de son travail complet.
La cour adoptera donc la méthode proposée à titre subsidiaire par l’employeur, en retenant un taux horaire moyen de 32 € calculé à partir des trois taux pratiqués, moyenne de 32,66 € que la cour arrondit à la valeur absolue inférieure compte tenu de la faible pondération des travaux dirigés par rapport aux autres prestations.
Le salaire moyen de référence de M. [N] sera donc fixé à 32 x 151,67 = 4954,45€ bruts.
La requalification en contrat à temps complet porte sur la période du 1er juin 2016 au 6 juillet 2018, mais le salarié ne présente à la cour aucun moyen sérieux selon lequel il se serait tenu à disposition de l’employeur durant les périodes séparant deux contrats à durée déterminée, et déduit de ses calculs les périodes interstitielles nonobstant sa demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
Le salaire qu’aurait dû percevoir M. [N] s’élève donc à :
– pour la période du 1er au 24 juin 2016 (0,8 mois) = 0,8 x 4954,45 = 3963,56 €
– pour la période du 29 août au 16 décembre 2016 (3,6 mois) = 3,6 x 4954,45 = 17836,02 €
-pour la période du 3 janvier au 31 mars 2017 (2,9 mois) = 2,9 x 4954,45 = 14 367,90€
-pour la période du 3 avril 2017 au 8 juillet 2017 (3,16 mois) = 3,16 x 4954,45 = 15656,06 €
-pour la période du 4 septembre 2017 au 6 juillet 2018 (10,06 mois) = 10,06 x 4954,45 = 49841,76 €
soit un total de 101 665,30 €.
Sur les mêmes périodes, M. [N] a perçu une rémunération totale de 74 985,19€.
Il reste donc dû par l'[5] à M. [N] la somme de 26 680,11 € bruts à titre de rappel de salaire sur la période globale du 1er juin 2016 au 6 juillet 2018, outre 2668,01€ bruts au titre des congés payés y afférents.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
M. [N] inclut dans sa demande globale de rappel de salaire une demande en paiement de 5400 € au titre de la création de cours en ligne sans expliciter plus avant cette demande ; il se réfère à la pièce n°42 de l’employeur, laquelle est constituée d’un échange de mails dont il ne ressort aucun accord entre les parties pour la réalisation de cours en ligne moyennant cette somme, de sorte que la dite somme ne peut être incluse dans les rappels de salaire alloués.
Sur la demande de requalification des contrat à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée :
Sur la prescription :
Aux termes de l’article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ; il en résulte que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur un vice de forme (par exemple l’absence d’une mention au contrat susceptible d’entraîner sa requalification, ou le non respect du délai de remise du contrat au salarié), court à compter de la conclusion de ce contrat ; en revanche le point de départ du délai de prescription de la même action en requalification mais fondée sur un vice de fond, tel qu’un motif illicite ou inopérant de recours au contrat à durée déterminée, est la date du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, la date de terme du dernier contrat.
En l’espèce, le salarié invoque un motif illicite de recours au contrat à durée déterminée, c’est-à-dire un vice de fond, de sorte que le délai de prescription a commencé à courir le 6 juillet 2018, date de terme du dernier contrat à durée déterminée.
Ainsi que rappelé précédemment, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes le 10 décembre 2019, il n’est donc pas prescrit en ses demandes relatives à la requalification des contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée .
Sur le fond :
Aux termes de l’article L.1242-2 du code du travail dans sa rédaction applicable à la cause, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement, dans plusieurs hypothèses, notamment pour des « emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. »
L’article D.1242-1 du code du travail énonce en un point 7° que l’enseignement fait partie des secteurs dans lesquels il est possible de recourir au contrat à durée déterminée d’usage.
Toutefois la convention collective de l’enseignement privé indépendant prévoit en son article 3.3.5 une liste limitative d’emplois permettant de recourir aux contrats à durée déterminée d’usage :
-enseignants dispensant des cours qui ne sont pas systématiquement mis en ‘uvre dans l’établissement ;
-enseignants chercheurs régulièrement inscrits pour la préparation d’un doctorat et dont les travaux sont encadrés ou co-encadrés par un salarié de l’école ;
-intervenants occasionnels dont l’activité principale n’est pas l’enseignement ;
-enseignants dont les cours sont dispensés sous forme d’options ;
-correcteurs, membres de jurys ;
-surveillants des intervenants et des externats dès lors qu’ils ont le statut étudiant ;
-chargés d’études et conseillers réalisant des missions ponctuelles.
Force est de constater au regard des pièces produites et des explications des parties que M. [N] n’appartient à aucune des catégories de salariés visés à l’article 3.3.5 précité.
En effet, M. [N] enseignait la physique, soit une matière obligatoire, non optionnelle dans le cursus maths sup/maths spé mis en place par l'[5], ainsi qu’en attestent ses anciens collègues Messieurs [M] et [V], et plusieurs anciens étudiants.
M. [N] n’était pas inscrit pour la préparation d’un doctorat, n’était ni correcteur, ni membre de jury, ni surveillant, ni chargé d’études, et il avait bien pour activité principale l’enseignement.
Par ailleurs il est observé que les 4 premiers contrats à durée déterminée visaient le statut de formateur occasionnel, statut impliquant une activité n’excédant pas 30 jours par an au sein de l’établissement, alors que les contrats étaient signés pour plusieurs mois d’activité.
Enfin, l’employeur soutient qu’en application de l’article 3.3.6 de la convention collective, le recours au contrat à durée déterminée à temps partiel est autorisé pour les enseignants intervenant moins 75% de leur année scolaire ou universitaire, or cet article est relatif au contrat de travail à durée indéterminée intermittent, lequel relève de dispositions spécifiques et n’est pas le type de contrat conclu entre les parties, et il renvoie, pour les contrats à durée déterminée, à l’article 3.3.5 déjà examiné.
Ainsi, l’employeur a embauché M. [N] sous contrat à durée déterminée d’usage, c’est-à-dire sans viser l’un des motifs de recours autorisé au contrat à durée déterminée, alors que la situation ne le permettait pas.
Par conséquent, la cour estime, contrairement au conseil de prud’hommes, qu’il y a lieu de requalifier les contrats à durée déterminée conclus entre les parties en contrat à durée indéterminée dès le 1er février 2016.
M. [N] est ainsi fondé à obtenir une indemnité de requalification par application de l’article L.1245-2 du code du travail, dont le montant, ne pouvant être inférieur à un mois de salaire, sera fixé en l’espèce à la somme de 5000 € compte tenu des circonstances de la cause.
Sur la demande indemnitaire pour classification conventionnelle erronée :
La classification du personnel enseignant est régie par l’article 6.5 de la convention collective de l’enseignement privé indépendant.
En application de cet article, le statut de cadre est attribué à un enseignant dès lors qu’il satisfait aux quatre critères cumulatifs suivants :
-la possession d’un diplôme ou d’un titre de niveau minimum bac + 4 ;
-une expérience d’enseignement d’au minimum trois années scolaires complètes dans un ou plusieurs établissements relevant du champ d’application de la convention collective ;
-une charge de travail dans l’établissement correspondant au minimum à 2/3 de la durée conventionnelle de sa catégorie ;
-l’initiative et la liberté d’agir et de faire ainsi définies :
*avoir la possibilité d’adapter le programme des cours, soit dans ses grandes lignes par une approche différente, soit d’après le niveau des élèves ou des étudiants ;
*avoir la possibilité de choisir les sujets, le rythme des contrôles de connaissance et des examens internes quand la structure le permet.
Le statut de technicien est quant à lui attribué aux salariés qui ne satisfont pas aux conditions requises pour bénéficier du statut de cadre.
En l’espèce M. [N], classé technicien, revendique le statut cadre.
La cour constate qu’il remplit effectivement les deux conditions de diplôme et d’expérience exigées, non contestées par l’employeur :
-il est diplômé d’un bac + 8, il dispose d’un doctorat de mécanique de l’Université Pierre et [I] [Y] ([Localité 6]) ;
-il dispose de plus de trois années d’expérience d’enseignement puisqu’il a travaillé pendant 9 ans à l'[4] de [Localité 6] en qualité d’enseignant chercheur.
S’agissant de la troisième condition tenant à la charge de travail, il est rappelé que la durée conventionnelle de travail des cadres à temps complet est fixée à 1534 heures annuelles, et donc que le salarié doit justifier d’une charge de travail des 2/3 soit 1022,67 h.
L'[5] estime que cette condition n’est pas remplie au vu des heures de travail fixées dans chaque contrat à durée déterminée, or il a été vu que M. [N] effectuait de très nombreuses heures complémentaires et il appartient à la cour d’examiner le nombre d’heures effectivement accomplies et non le nombre d’heures théoriques.
Or il résulte des bulletins de paie produits que, sur l’année civile complète de 2017, M. [N] a accompli 1126,25 h, de sorte que la cour considère, sans examiner plus avant l’argumentation des parties relative aux ‘heures induites’, que cette troisième condition est remplie.
S’agissant de la quatrième condition, relative à la liberté d’action et l’initiative dans l’adaptation des programmes des cours et le choix des sujets, M. [N] explique qu’il avait entière latitude pour organiser ses cours, que, par exemple, il a construit intégralement l’enseignement de mécanique des fluides (cours et travaux dirigés) de deuxième année (AERO 2), matière pour laquelle il a aussi écrit les sujets de contrôle continu, de devoirs surveillés, d’examens partiels et de rattrapage et en a défini le rythme.
Il ajoute que ce cours est d’ailleurs toujours en ligne sur la plateforme mise à disposition des 26 écoles et des 30.000 étudiants du groupe IONIS, cours pour lequel il a notamment reçu par un courriel du 28 août 2017 les compliments de Monsieur [C], directeur associé de l'[5].
Il verse aux débats des échanges de mails avec la direction et ses collègues, confirmant ces éléments, ainsi que le fait que M. [N] était professeur référent pour les étudiants de la classe Aero1T5, et qu’il participait à la réunion permettant de préparer l’organisation des enseignements de physique pour l’année 2016/2017.
Ainsi cette quatrième condition est remplie.
La cour estime donc, par infirmation du jugement entrepris, que M. [N] remplit les conditions visées à l’article 6.5 de la convention collective de l’enseignement privé indépendant, pour se voir reconnaître le statut de cadre.
Il ne formule aucune demande de rappel de salaire à ce titre, mais sollicite des dommages-intérêts pour avoir été privé des avantages du statut cadre (cotisations aux organismes sociaux).
La cour estime ce préjudice constitué, lequel justifie qu’il soit fait droit à la demande de M. [N] présentée à hauteur de 2000 € .
Sur le défaut et le retard de délivrance des documents de fin de contrat :
M. [N] soutient que l'[5] ne lui a pas délivré les documents de fin de contrat à l’issue de chaque contrat à durée déterminée, puis a délivré des documents erronés, et ce malgré ses relances, et qu’il n’a pu de ce fait percevoir les indemnités de chômage durant les périodes interstitielles.
Il produit des échanges de mails avec la direction de l’école à ce sujet, en mars 2017 puis août 2017, puis septembre 2017.
Il en ressort qu’il a réclamé les documents à plusieurs reprises, et que l’employeur lui a demandé de confirmer son adresse postale en septembre 2017.
En effet, l'[5] justifie avoir répondu au mail de M. [N] le 24 avril 2017, avoir adressé à M. [N] à trois reprises entre le mois de mars et de mai 2017 lesdits documents par voie postale, lesquels sont revenus avec la mention ‘n’habite pas à l’adresse indiquée’ et avoir procédé à une première remise en main propre en mai 2017, puis à un autre envoi le 7 septembre 2017.
Elle a également répondu au mail de M. [N] du 9 septembre 2017 évoquant une date de fin de contrat erronée et l’absence d’attestation pour 2016.
Toutefois, M. [N] produit les éléments relatifs à ses démarches auprès de Pôle emploi : il en ressort qu’il a été reçu trois fois par une conseillère de cet organisme, laquelle lui écrit suite à sa réclamation que les différentes attestations Pôle emploi fournies en juillet 2018 puis le 16 août 2018 puis le 24 septembre 2018 étaient toutes ‘erronées’ et ‘incohérentes’, de sorte que les droits de M. [N] ne pouvaient être ouverts, et que la situation a été débloquée par l’appel téléphonique de la conseillère à l'[5] en septembre 2018 afin d’expliquer comment remplir les documents.
Ainsi, M. [N] a subi un retard dans la perception de ses allocations, mais ce même document montre que la conseillère a ‘validé définitivement votre admission à l’ARE le 9 novembre 2018, et le 14 novembre un mandatement couvrant la période du 23 juillet au 31 octobre 2018 était émis’, de sorte que M. [N] a finalement été rempli de ses droits.
Le retard important subi par le salarié dans la perception de ses allocations, dû au manquement de l’employeur quant à son obligation de délivrer une attestation Pôle emploi conforme, sera réparé par l’allocation de la somme de 800 € à titre de dommages-intérêts.
En revanche, la demande d’indemnisation de ses périodes inter contrats présentée à hauteur de 11 615,48 € au titre d’allocations non perçues sera rejetée, puisque Pôle emploi a régularisé rétroactivement sa situation financière.
Sur les autres manquements de l'[5] :
M. [N] soutient avoir subi un préjudice dans la mesure où il a été privé des avantages accordés aux salariés de l'[5] en contrat à durée indéterminée : bureau pour travailler, tickets restaurant, badge pour prendre l’ascenseur et pour les distributeurs de la cafétéria (-50%), mutuelle d’entreprise, actions du comité d’entreprise, fournitures pour travailler.
S’agissant des tickets restaurant, dont il n’est pas contesté qu’il en a été privé au motif qu’il travaillait à temps partiel et non sur des journées complètes, M. [N] est fondé à en obtenir la contrepartie financière au regard de la requalification des contrats à temps partiel en contrat à temps complet, correspondant à la somme de 1755 €. Il inclut cette somme dans sa demande globale formulée à hauteur de 10 000 € à titre de dommages-intérêts.
S’agissant de la différence de traitement de M. [N] avec ses collègues ‘professeurs permanents’, dont attestent Messieurs [J], [V], [U], [E], et [D] quant aux conditions matérielles d’exercice, l'[5] n’oppose qu’un simple mail de la responsable pédagogique, affirmant le 12 octobre 2022 que ‘M. [N] avait bien un badge’, ce qui est inopérant étant précisé que le registre de remise de badges évoqué dans ce mail n’est pas produit.
S’agissant de la mutuelle d’entreprise, l’employeur explique que le statut de travailleur à temps partiel de M. [N] dispensait de toute affiliation, or il a été vu que la durée de travail du salarié atteignait souvent et même dépassait la durée légale de travail à temps complet, de sorte que, même sans évoquer la requalification à temps complet, les conditions spécifiques à la dispense d’affiliation n’étaient pas remplies et que M. [N] aurait dû en bénéficier.
S’agissant de l’absence de bureau pour travailler et de l’absence de fournitures, M. [N] n’objective nullement que ces éléments étaient fournis aux salariés dits permanents, l’école expliquant qu’au regard des effectifs les enseignants bénéficiaient de salles collectives.
De même, M. [N] ne produit aucun élément sur les prétendus avantages sociaux dont il aurait été privé.
Ainsi, le préjudice né de l’absence de perception des tickets restaurant auxquels il avait droit, l’absence d’affiliation à la mutuelle, l’absence de badge d’ascenseur pour accéder au 5ème étage (celui de l’école) sans prendre les escaliers, et l’absence de badge pour bénéficier des réductions sur les boissons et denrées de la cafétéria, que le salarié qualifie de ‘manquements contractuels divers’ dans ses prétentions, sera réparé par l’allocation d’une somme de 2500 € à titre de dommages-intérêts.
Sur la demande reconventionnelle de l'[5] en remboursement d’un trop perçu au titre de la prime de précarité et de salaires :
L’article L.1243-8 du code du travail dispose que lorsque, à l’issue d’un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation.
Cette indemnité est égale à 10 % de la rémunération totale brute versée au salarié.
Elle s’ajoute à la rémunération totale brute due au salarié. Elle est versée à l’issue du contrat en même temps que le dernier salaire et figure sur le bulletin de salaire correspondant.
Il est toutefois constant qu’aucune prime de précarité n’est due dans le cadre de la conclusion de contrat à durée déterminée d’usage, et que l'[5] a pourtant versé cette indemnité régulièrement à M. [N] en fin de chaque contrat à durée déterminée. De ce fait l'[5] en demande restitution.
Mais d’une part, il a été vu que l’employeur avait improprement utilisé le régime juridique du contrat à durée déterminée d’usage au lieu du contrat à durée déterminée de droit commun, ce dernier ouvrant droit à cette prime, et d’autre part, l’indemnité de précarité reste acquise au salarié quand le contrat à durée déterminée est judiciairement requalifié en contrat à durée indéterminée.
Dans ces conditions, la demande de restitution de la prime de précarité présentée par l'[5] sera rejetée, par infirmation du jugement déféré.
Par ailleurs, l'[5] demande la restitution de salaires à hauteur de 4426,63 € qu’elle estime avoir indûment versés à M. [N] en juillet 2018 à la suite d’une réclamation de celui-ci pour une régularisation de salaires échus en 2016.
L'[5] soutient que M. [N] a présenté des calculs erronés, confondant des sommes nettes et des sommes brutes.
Or il résulte des pièces produites (pièce 24 du salarié, pièces 42 et 43 de l’employeur) que M. [N] a toujours effectué ses calculs en net pour solliciter des sommes nettes, et que l'[5], qui a validé ces calculs et les tableaux des heures effectuées, ne présente à la cour aucun élément démonstratif d’un quelconque indû.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande reconventionnelle.
Sur le surplus des demandes :
Il sera ordonné à l'[5] de remettre à M. [N] un bulletin de salaire récapitulatif, l’attestation d’assurance chômage et le certificat de travail conformes à la présente décision, sans que le prononcé d’une astreinte soit nécessaire.
L'[5], succombante, sera condamnée aux dépens de première instance par infirmation du jugement entrepris, ainsi qu’aux dépens d’appel, et à payer à M. [N] la somme de 4000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu’il a :
-débouté M. [N] de sa demande en paiement de la somme de 11 615,48 € nets pour défaut de délivrance des documents de fin de contrat,
-débouté l'[5] de sa demande reconventionnelle en répétition de salaires à hauteur de 4 426,63 €,
Le confirme sur ces points,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et, y ajoutant,
Requalifie les contrats à temps partiel en contrat à temps complet à compter du 1er juin 2016,
Requalifie les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2016,
Dit que M. [K] [N] devait bénéficier du statut cadre,
Condamne l’Institut Polytechnique des sciences Avancées à payer à M. [K] [N] les sommes suivantes :
-26 680,11 € bruts à titre de rappel de salaire, sur la période globale du 1er juin 2016 au 6 juillet 2018,
-2 668, 01 € bruts au titre des congés payés y afférents,
-5 000 € à titre d’indemnité de requalification de l’article L1245-2 du code du travail,
-2 000 € à titre de dommages-intérêts pour application d’une classification conventionnelle erronée,
-800 € à titre de dommages-intérêts pour retard dans la transmission des documents de fin de contrat,
-2 500 € à titre de dommages-intérêts pour manquements contractuels,
-4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel,
Ordonne la remise par l’Institut Polytechnique des sciences Avancées à M. [K] [N] d’un bulletin de paie récapitulatif, d’une attestation Pôle Emploi et d’un certificat de travail rectifiés conformes au présent arrêt,
Rejette la demande d’astreinte,
Rejette la demande reconventionnelle de l’Institut Polytechnique des sciences Avancées relative à la restitution de la prime de précarité à hauteur de 5 979,03 €,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne l’Institut Polytechnique des sciences Avancées aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.
La greffière La présidente
A. Raveane C. Brisset