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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 12 AVRIL 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05325 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCHU2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juin 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 1 – RG n° F17/02410
APPELANTE
ASSOCIATION UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Sabine SAINT SANS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0426
INTIMÉS
Monsieur [N] [P]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440
SELAFA MJA prise en la personne de Maître [M] [V] [F] es-qualités de mandataire liquidateur de la Société TÉLÉCRAN PRODUCTIONS
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par Me Catherine LAUSSUCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0223
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. Stéphane MEYER, président de chambre
M.Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement du 11 février 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Télécran Productions et désigné Maître [B] en qualité d’administrateur judiciaire.
Le 3 mars 2015, Monsieur [N] [P] a conclu avec la société Télécran Productions un contrat de réalisateur d’une durée déterminée de 10 mois, en vue de la réalisation d’une série documentaire intitulée “Les sens du futur”, moyennant une rémunération mensuelle de 3 000 euros, outre les droits d’auteur.
Le 10 juin 2015, Monsieur [P] a déclaré prendre acte de la rupture de ce contrat de travail aux torts de la société Télécran Productions.
Par jugement du 18 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Télécran Productions et a désigné la société MJA en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 10 novembre 2015, Monsieur [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris et formé, à l’encontre de la société Télécran Productions, des demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat à durée déterminée.
Par jugement du 21 juin 2016, le conseil de prud’hommes de Paris, après avoir estimé que les parties n’étaient pas liées par un contrat de travail, s’est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du tribunal de grande instance de Paris.
Par arrêt du 16 mars 2017, la présente cour a infirmé ce jugement, dit que le contrat de réalisateur en cause s’analyse pour partie en un contrat de travail à durée déterminée d’usage en ce qu’il porte sur l’exécution matérielle de la réalisation de la série documentaire “Les sens du futur” et dit qu’en conséquence le conseil de prud’hommes de Paris est compétent pour juger du litige en ce qu’il porte sur la partie salariale des relations contractuelles litigieuses, renvoyant l’affaire devant ladite juridiction.
Par jugement du 26 juin 2020, revêtu de l’exécution provisoire, le conseil de prud’hommes de Paris, statuant en formation de départage, a rejeté l’exception de nullité du contrat de travail à durée déterminée soulevée par la société MJA, a déclaré ce contrat opposable à la procédure collective ainsi qu’à l’Ags et a fixé les créances de Monsieur [P] au passif de la liquidation judiciaire de la société Télécran Productions aux sommes suivantes :
– rappel de salaire du 3 mars au 10 juin 2015 : 7 000 € ;
– congés payés afférents : 700 € ;
– dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat : 23 000 € ;
– indemnité de fin de contrat : 3 000 € ;
– le conseil a également ordonné la remise à Monsieur [P] de bulletins de paie, d’un certificat de travail, d’un solde de tout compte ainsi que d’une attestation destinée à Pôle Emploi établis conformément au jugement ;
– le conseil a également déclaré le jugement opposable à l’Ags et précisé que sa garantie sera déterminée selon les modalités et limites résultant des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants du code du travail.
A l’encontre de ce jugement notifié le 2 juillet 2020, l’Ags a interjeté appel en visant expressément les dispositions critiquées, par déclaration du 31 juillet 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 octobre 2020, l’Ags demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité du contrat de travail à durée déterminée soulevée par la société MJA, en ce qu’il a déclaré ce contrat opposable à la procédure collective et en ce qui concerne la fixation des créances de Monsieur [P], que ce contrat soit déclaré inopposable à l’Ags, que la prise d’acte de Monsieur [P] soit requalifiée en démission, et que les créances de Monsieur [P] soient déclarées inopposables à l’Ags. Elle fait valoir que :
– la conclusion d’un contrat de travail en cause n’est pas un acte de gestion courante et aurait donc dû être ratifiée par l’administrateur judiciaire, ce qui n’a pas été le cas contrairement à ce que Monsieur [P] prétend ;
– la prise d’acte de la rupture doit être requalifiée en démission, aux motifs qu’elle est de pure circonstance et que le manquement reproché à la société se limite à un mois de salaire, dans un contexte de déconfiture ;
– l’indemnité de rupture réclamée Monsieur [P] est inopposable à l’Ags car la rupture est intervenue à son initiative ;
– les créances de nature salariales, sont également inopposables à l’Ags dans la mesure où elles sont nées postérieurement au jugement d’ouverture de redressement judiciaire ;
– à titre subsidiaire, l’Ags demande qu’il soit en tout état de cause fait application des limites légales de sa garantie.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 février 2023, la société MJA, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Télécran Productions, demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté son exception de nullité du contrat de travail et en ce qui concerne la fixation des créances de Monsieur [P], sa confirmation en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité de préavis, que soit prononcée la nullité du contrat de travail, à titre subsidiaire, que la prise d’acte de la rupture de ce contrat soit qualifiée de démission, le rejet des demandes de Monsieur [P], ainsi que sa condamnation à lui payer 3 000 € d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’une indemnité pour frais de procédure de 2 000 €. Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, la société MJA expose que :
– le contrat de travail est nul, aux motifs qu’il a été signé pendant la période suspecte et sans l’accord et la signature de l’administrateur judiciaire ;
– à titre subsidiaire, aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre et la prise d’acte de la rupture n’était pas justifiée, en l’absence de manquements suffisamment graves de la part de l’entreprise ;
– la demande de rappel de salaires est injustifiée ;
– Monsieur [P] ne justifie pas d’un préjudice au soutien de sa demande d’indemnité de rupture ;
– c’est Monsieur [P] qui est redevable d’un préavis ;
– sa demande de dommages et intérêts pour absence de délivrance de documents est injustifiée.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 février 2023, Monsieur [P] demande la confirmation du jugement, y ajoutant, la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Télécran Productions de 6 000 € de dommages et intérêts pour absence de délivrance des bulletins de salaire et documents de fin de contrat et le rejet des demandes adverses . Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, Monsieur [P] expose que :
– son contrat de travail est valable et opposable à la procédure collective car il ne créait aucun déséquilibre excessif entre les obligations réciproques des parties et constituait un acte de gestion courante de l’entreprise, s’inscrivant dans le cadre de la poursuite de son activité ; il a d’ailleurs été validé a posteriori par l’administrateur judiciaire ;
– sa prise d’acte était justifiée par l’absence de paiement de ses salaires à compter du 30 avril 2015, alors que lui-même exécutait ses obligations ;
– sa demande de rappel de salaires est justifiée car il est resté à la disposition de l’employeur et a accompli de nombreuses prestations ; cette créance étant née en cours de période d’observation, l’Ags doit sa garantie en application de l’article L.3253-8-2° du Code du travail ;
– l’absence de remise des documents de fin de contrat lui a été préjudiciable ;
– les dommages et intérêts pour rupture anticipée de contrat de travail à durée déterminée constituent une indemnité forfaitaire d’ordre public ne pouvant être réduite ;
– sa prise d’acte de la rupture étant intervenue avant la mise en liquidation judiciaire de l’entreprise, l’Ags doit sa garantie.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 21 février 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
* * *
MOTIFS
Sur la validité du contrat de réalisateur et son opposabilité à la procédure collective
Les dispositions des articles L.632-1 et suivants du code de commerce invoquées par la société MJA, ne sont pas applicables au présent litige, puisqu’elles concernent les actes accomplis en période suspecte, soit avant le prononcé du jugement d’ouverture de la procédure collective alors que le contrat de réalisateur conclu en l’espèce lui est postérieur.
Aux termes de l’article L.631-12 du même code, relatif au déroulement du redressement judiciaire, la mission du ou des administrateurs est fixée par le tribunal. Ce dernier les charge ensemble ou séparément d’assister le débiteur pour tous les actes relatifs à la gestion ou certains d’entre eux, ou d’assurer seuls, entièrement ou en partie, l’administration de l’entreprise.
Aux termes de l’article L.631-1 du même code, la procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.
Il résulte de ces dispositions que si le débiteur peut accomplir seul des actes de gestion courante, les actes d’administration doivent être accomplis avec l’accord de l’administrateur judiciaire.
En l’espèce, par jugement du 11 février 2015, ouvrant la procédure de redressement judiciaire de la société Télécran Productions, le tribunal de commerce a désigné l’administrateur judiciaire avec une mission d’assistance.
C’est par des motifs exacts en fait et justifiés en droit et qui ne sont pas utilement contredits par l’Ags et par le liquidateur judiciaire, que le conseil de prud’hommes a estimé, d’une part, que le contrat à durée déterminée en cause permettait à l’entreprise de poursuivre son activité commerciale normale, telle qu’autorisée par le tribunal de commerce, Monsieur [P] ayant été expressément recruté pour la réalisation d’un projet audiovisuel pour lequel elle avait obtenu des financements en décembre 2014, et d’autre part, qu’en tout état de cause, le contrat de travail litigieux avait finalement été ratifié par l’administrateur judiciaire ainsi que cela résulte de sa lettre du 25 mai 2015
C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a estimé que le contrat de travail en cause était valable et opposable à la procédure collective.
Sur les rappels de salaire
L’employeur étant tenu à fournir du travail au salarié et à lui verser la rémunération convenue, le salarié qui se tient vainement à la disposition de l’employeur pour travailler doit percevoir cette rémunération.
En l’espèce, Monsieur [P] produit de nombreux courriels et tableaux qui établissent que, non seulement il est resté à disposition de l’employeur du 3 mars au 10 juin 2015 mais qu’il a accompli au surplus des diligences en exécution de son contrat de travail.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a fait droit à sa demande de rappel de salaires correspondante, augmentée de l’indemnité de congés payés afférente.
Sur l’imputabilité de la rupture et ses conséquences
Il est de règle que le salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail et que cette prise d’acte produit, soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu’il rapporte la preuve de manquements de l’employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
En l’espèce, l’absence de paiement du salaire depuis le 3 mars 2015 constituait un motif suffisamment grave faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail et justifiant la prise d’acte du 10 juin suivant, étant à titre surabondant relevé que l’Ags et la société MJA ne produisent aucun élément justifiant une impossibilité, pour l’entreprise, de régler ces salaires.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a estimé que le prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur était justifiée et devait produire les effets d’une rupture anticipée de contrat à durée déterminée et a débouté la société MJA de sa demande de paiement d’indemnité de préavis.
Il résulte des dispositions de l’article L. 1243 -4 du code du travail, que cette rupture anticipée ouvre droit, pour Monsieur [P], à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat.
Contrairement à ce que prétend La société MJA, cette indemnité présente un caractère forfaitaire, le salarié n’étant pas tenu de rapporter la preuve d’un préjudice.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a fixé au passif de la liquidation judiciaire de l’entreprise une indemnité de 23 000 euros.
Il doit également être confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande d’indemnité de fin de contrat prévue par l’article L.1243-8 du code du travail, soit en l’espèce 3 000 euros, cette indemnité devant se cumuler avec la précédente.
Sur l’opposabilité des créances de Monsieur [P] à l’Ags et la garantie de cet organisme
Aux termes de l’article L.3253-8, 1° et 2°, l’Ags garantit les sommes suivantes :
” 1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l’employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle ;
2° Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
a) Pendant la période d’observation ;
b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité. […]
5° Lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire, dans la limite d’un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, les sommes dues :
a) au cours de la période d’observation. [..;] ”
En l’espèce, la créance de rappel de salaire étant née pendant la période d’observation, la garantie de l’Ags est limitée à 4 500 euros, outre 450 d’indemnité de congés payés afférente, sommes correspondant à un mois et demi de travail.
Par ailleurs, les créances résultant de la rupture du contrat de travail visées par les dispositions susvisées s’entendent d’une rupture à l’initiative de l’administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur.
C’est à tort que Monsieur [P] argue du fait que ces dispositions visent le jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire pour en déduire que sa créance résultant de la rupture est née avant le jugement prononçant la liquidation judiciaire, puisque seul le jugement prononçant le redressement judiciaire avait “ouvert” la procédure.
Par conséquent, les créances de dommages et intérêts pour rupture anticipée de contrat à durée déterminée et d’indemnité de fin de contrat ne sont pas garanties par l’Ags.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré, sauf à préciser que le Centre de Gestion et d’Etude, AGS-CGEA – Ile-de-France Ouest – Unité Déconcentrée de l’UNEDIC ne devra garantir que la créance de rappel de salaires de Monsieur [N] [P] et dans la limite de 4 500 €, outre 450 d’indemnité de congés payés afférente ;
Déboute Monsieur [N] [P] du surplus de ses demandes ;
Déboute la société MJA de ses demandes reconventionnelles ;
Dit que les dépens d’appel seront inscrits au passif de la société Télécran Productions.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT