Contrat à durée déterminée d’usage : 12 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/03449

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Contrat à durée déterminée d’usage : 12 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/03449
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 12 AVRIL 2023

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/03449 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB4EM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Mars 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F18/09015

APPELANTE

Madame [M] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Gaëlle MÉRIGNAC, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007

INTIMEES

CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Antoine SAPPIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

S.A.R.L. JAM COMMUNICATION

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne MENARD, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière en préaffectation sur poste

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Entre le mois de septembre 1996 et le mois de novembre 2018, madame [P] a collaboré, en qualité de journaliste, à la rédaction de la revue mensuelle interne de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), visant à informer les collaborateurs de la société des projets internes de l’entreprise.

Elle a rédigé pour cette revue appelée CDCSCOPE un article par mois, onze mois par an, et elle avait par ailleurs d’autres activités professionnelles.

Sa rémunération lui était versée jusqu’à la fin de l’année 2017 par le GIE SCDC, qui intervenait en qualité de prestataire extérieur à la caisse des dépôts et consignations. Ce GIE a été dissout en décembre 2017, et les pigistes ont été rémunérés entre janvier et mars 2018 par un prestataire extérieur la société Edire, puis à partir d’avril 2018 par un nouveau prestataire la société Publicorp Wat, qui a confié la gestion des salaires à une société de portage la société Jam Communication.

En novembre 2018, la Caisse des dépôts et Consignations a décidé d’internaliser la réalisation de son journal CDCSCOPE, et madame [P] n’a plus été sollicité pour collaborer au journal.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 28 novembre 2018 afin principalement de voir reconnaître la situation de co-emploi avec la société Jam Communication et la Caisse des Dépôts et consignations, de voir requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminé, et d’obtenir des indemnités de rupture.

Par conclusions récapitulatives du 18 août 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, madame [P] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que son action n’était pas prescrite, de l’infirmer pour le surplus, de dire qu’elle est liée par un contrat à durée indéterminée à temps parties avec la caisse des dépôts et consignations depuis le 26 septembre 1996, d’ordonner la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la caisse des dépôts et consignation et de la société JAM communication avec effet au 17 novembre 2018, de dire que cette résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’écarter le plafonnement de l’article 1235-3 du code du travail, et d’ordonner la condamnation in solidum de la caisse des dépôts et consignations et de la société JAM communication au paiement des sommes suivantes:

20.329,62 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

5.523,51 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

552,35 euros au titre des congés payés afférents

44.188 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Par conclusions récapitulatives du 19 novembre 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la Caisse des dépôts et consignations demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté sa fin de non recevoir fondée sur la prescription, de le confirmer pour le surplus, de débouter madame [P] de toutes ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives du 18 novembre 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société JAM Communication demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter madame [P] des demandes formées contre elle, et de la condamner au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

Aux termes de l’article L1471-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la présente espèce, toute action portant sur l’exécution se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

La CDC soutient qu’en l’espèce, la situation décrite par madame [P] perdure depuis de nombreuses années, et que le délai de prescription de l’action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée court à compter du premier contrat, puisque la salariée avait parfaitement conscience du cadre juridique dans lequel se sont déroulées les relations contractuelles.

Toutefois, l’action en requalification, dont découle toutes les autres demandes, porte sur l’exécution du contrat de travail, de sorte que le délai de prescription est de deux ans.

Lorsqu’une action en requalification se fonde sur le recours aux contrats de mission pour pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente, le délai de prescription commence à compter du terme du dernier contrat de mission, soit en l’espèce en novembre 2018.

Le délai de prescription de deux ans n’était pas acquis à la date de la saisine du conseil de prud’hommes, cette fin de non recevoir a par conséquent été rejetée à raison par le premier juge.

I – SUR LES DEMANDES FORMÉES CONTRE LA CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS

– Sur la qualité d’employeur de la caisse des dépôts et consignations

Les articles rédigés par madame [P], à raison de un par mois, étaient destinés au journal interne de la CDC. Jusqu’au mois de novembre 2018, la réalisation de ce journal a été confiée à des prestataires extérieurs. Tout d’abord au GIE SDCD (services de la caisse des dépôts et consignations), puis après la dissolution de ce groupement, aux sociétés Edire et Wat, cette dernière ayant eu recours à une société de portage salarial la société Jam.

La rédactrice en chef du journal, qui confiait la rédaction des articles aux quatre pigistes formant l’équipe de journalistes, faisait partie d’une équipe interne à la CDC.

En définitive, au mois de novembre 2018, la CDC a pris la décision d’internaliser la rédaction de son journal, et a cessé de confier des articles à madame [P].

Les demandes de madame [P] pré-supposent l’existence d’un contrat de travail entre elle et la CDC depuis le début de sa collaboration au journal interne de cette dernière.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée. L’existence d’un contrat de travail implique l’existence d’un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les éventuels manquements de l’intéressé.

L’existence d’un lien de subordination n’est pas incompatible avec une indépendance technique dans l’exécution de la prestation, notamment pour les salariés qui ont un haut niveau de qualification.

Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

Madame [P] expose que nonobstant les différents changements de prestataires externes, elle n’a jamais cessé de travailler directement pour la CDC, et qu’elle était directement en lien avec la direction de la communication.

Elle verse aux débats de nombreux échanges de mails dont il résulte qu’elle recevait directement ses instructions de la direction de la communication de la CDC, en la personne de la rédactrice en chef du journal. A aucun moment les prestataires extérieurs n’interviennent dans ces échanges, et ils ne sont pas en copie. C’est aussi la CDC qui organisait matériellement les conditions de ses reportages, notamment en prenant ses billets de train, en prenant des rendez-vous avec les personnes à interviewer. Les instructions qu’elle recevait était parfois extrêmement précises.

La caisse des dépôts et consignations ne verse de son côté aucun élément, notamment sur ses liens avec les différents prestataires qui se sont succédé, et les contrats de prestation signés avec eux.

Le fait que madame [P] ait pu organiser son temps, et ait travaillé le plus souvent en dehors de l’entreprise, est inhérent aux fonctions de pigiste qu’elle exerçait, et n’est pas de nature à contredire l’existence d’une relation salariale.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que la caisse des dépôts et consignation était bien l’employeur de madame [P] depuis le mois de septembre 1996.

– Sur la demande de requalification de la relation en contrat à durée indéterminée

Il convient dans un premier temps de rechercher la nature des contrats de travail de madame [P].

Dans le cas où l’employeur n’est pas une entreprise de presse ou une agence de presse, la qualité de journaliste professionnel ne peut être retenue que si la personne exerce son activité dans une publication de presse disposant d’une indépendance éditoriale.

Ces conditions ne sont pas réunies en l’espèce, ce que ne conteste pas madame [P], dès lors que dans ses dernières écritures, elle fait référence non à des contrats de pige, mais à des contrat à durée déterminée d’usage.

Toutefois, de tels contrats, prévus par l’article L1242-2 3° du code du travail, ne peuvent être conclus que par écrit, et dans des secteurs limitativement définis.

En l’espèce, aucun contrat de travail n’est produit, et il semble qu’il n’en ait jamais été signé. Il n’est fait état d’aucun décret au convention qui autoriserait à avoir recours à des CDDU pour la rédaction d’articles destinés à des publications internes.

En l’absence de possibilité de recours au statut de journaliste pigiste d’une part, et de contrats de travail à durée déterminée d’autre part, la relation contractuelle avec la caisse des dépôts et consignation est nécessairement à durée indéterminée.

– Sur la rupture du contrat de travail

Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante.

Il n’est pas contesté qu’après avoir internalisé la rédaction de son journal, la caisse des dépôts et consignation a cessé de confier à madame [P] la rédaction d’articles.

L’absence de fourniture de travail constitue un manquement grave de l’employeur, justifiant la résiliation du contrat de travail. La résiliation judiciaire aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il sera fait droit aux demandes de madame [P] au titre de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité de préavis, dont les montants sont conformes aux dispositions conventionnelles applicables.

Pour demander à la cour d’écarter le barème prévu par l’article L1235-3 du code du travail, madame [P] se fonde sur les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, et sur les dispositions de l’article 10 de la convention n°158 de l’organisation internationale du travail.

Les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée disposent : ‘en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître : a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. A cette fin, les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial’.

Au regard de l’importance de la marge d’appréciation laissée aux Etats contractants par ces dispositions, elles ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Aux termes de l’article 10 de la convention n°158 de l’organisation internationale du travail, qui est d’application directe en droit interne, ‘si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée’.

Le terme ‘adéquat’ doit être compris comme réservant aux Etats une marge d’appréciation.

Les dispositions des articles L1235-3 et L1235-3-1 du code du travail, qui écartent le barème en cas de nullité du licenciement, qui laisse au juge la possibilité de proposer la réintégration, et qui encadre le montant des indemnités en fonction de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié, sont ainsi compatibles avec les dispositions de l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.

Aucun de ces fondements ne conduit donc la cour à écarter l’application de ces dispositions.

Madame [P] était âgée de 58 ans lorsque la société a cessé de lui donner du travail, et elle avait 22 ans d’ancienneté. Les salaires résultant ce cette relation représentaient en 2017, 25% de ses revenus. Elle ne donne aucun élément sur sa situation professionnelle ultérieure.

Compte tenu de ces éléments, il lui sera alloué une somme de 20.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

II – SUR LES DEMANDES FORMÉES CONTRE LA SOCIÉTÉ JAM COMMUNICATION

La société JAM était employeur de madame [P] dans le cadre de contrats de portage salarial à durée déterminée réguliers, conformes aux dispositions des articles L1254-1 et suivants du code du travail. Cette relation de travail a duré pendant sept mois.

Les contrats à durée déterminée signés avec cette société étant réguliers, il n’y a pas lieu en ce qui la concerne de prononcer la requalification de la relation contractuelle, de sorte qu’il ne sera pas fait droit en ce qui la concerne aux demandes d’indemnités de rupture.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement, sauf en ce qu’il a déclaré l’action recevable,

Statuant à nouveau,

DIT que la Caisse des Dépôts et consignations est employeur de madame [P] depuis septembre 1996, dans le cadre d’un contrat à durée déterminée.

PRONONCE la résiliation du contrat de travail liant madame [P] à la Caisse des Dépôts et consignations.

CONDAMNE la Caisse des Dépôts et Consignations à payer à madame [P] les sommes suivantes :

20.329,62 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

5.523,51 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

552,35 euros au titre des congés payés afférents

20.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

VU l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Caisse des Dépôts et Consignations à payer à madame [P] la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

CONDAMNE la Caisse des Dépôts et Consignations aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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