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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 15 NOVEMBRE 2022
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05173 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCGZI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Février 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° F 18/02977
APPELANTE
Madame [B] [A]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
INTIMEE
S.A INETUM anciennement dénommée S.A. GFI INFORMATIQUE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Léa DUHAMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0173
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière présente lors du prononcé.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [B] [A], née en 1978, a été engagée par la société Reverse Ingénierie par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 mars 2001 en qualité d’ingénieur, statut cadre position 1.2 coefficient 95 en application de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques (SYNTEC).
Le 2 janvier 2009, son contrat de travail a été transféré à la SA GFI Informatique, société de services du numérique (ESN) spécialisée dans le secteur d’activité du conseil en systèmes et logiciels informatiques et éditeur de logiciel.
Dans le dernier état des relations contractuelles, elle occupait le poste de consultante expérimentée catégorie Art 4 coefficient 130 et exécutait sa mission auprès du groupe CNP Assurances depuis le 18 juin 2016.
Par lettre datée du 16 octobre 2017, Mme [A] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 24 octobre 2017 avant d’être licenciée pour faute grave par lettre datée du 27 octobre 2017.
A la date du licenciement, Mme [A] avait une ancienneté de 16 ans. La société GFI informatique occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant son licenciement et réclamant diverses indemnités, Mme [A] a saisi le 28 juin 2018 le conseil de prud’hommes de Bobigny qui, par jugement du 27 février 2020, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
– Déboute Mme [A] de l’ensemble de ses demandes,
– Déboute la société GFI informatique de sa demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne Mme [A] aux entiers dépens.
Par déclaration du 29 juillet 2020, Mme [A] a interjeté appel de cette décision, notifiée signifiée le 9 juillet 2020.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er septembre 2020, Mme [A] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– fixer la moyenne mensuelle brute des 12 derniers mois de salaire à 5.124,67 euros,
– dire et juger le licenciement nul et par conséquent condamner la société GFI informatique à payer à Mme [A] :
– à titre d’indemnité de préavis : 15.374,02 euros,
– au titre des congés payés afférents : 1.537,40 euros,
– au titre du prorata sur la prime vacances sur préavis : 1.250 euros,
– au titre des congés payés afférents : 125 euros,
– à titre d’indemnité de licenciement conventionnel article 18 CCN : 27.331,59 euros,
– à titre d’indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement : 70.000 euros,
– au titre des dommages et intérêts pour manquement à son obligation : 31. 000 euros
Subsidiairement,
– Dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Condamner la société GFI à payer à Mme [A] :
– à titre d’indemnité de préavis : 15.374,02 euros,
– au titre des congés payés afférents : 1.537,40 euros,
– au titre du prorata sur la prime vacances sur préavis : 1.250 euros,
– au titre des congés payés afférents : 125 euros,
– Constater la nullité de la clause de non concurrence ;
– Condamner la société GFI à verser à Mme [A] la somme de 18.500 euros de dommages-intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence ;
– Condamner la société GFI à verser à Mme [A] la somme 31.000 euros de dommages-intérêts pour défaut de formation ;
– Condamner la société GFI à remettre à Mme [A] sous astreinte de 100 euros par jour de retard : attestation Pôle emploi, certificat de travail, bulletins de paie conformes ;
– Condamner la société GFI aux :
Intérêts au taux légal article 1231-6 du code civil,
Capitalisation des intérêts article 1342-2 du code civil,
Exécution provisoire de droit article 514 du code de procédure civile, R1454-28 du code du travail,
Article 700 du code de procédure civile : 3.000 euros,
Dépens article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 novembre 2020, la société GFI informatique demande à la cour de’:
A titre principal :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bobigny en ce qu’il a débouté Mme [A] de l’intégralité de ses demandes,
– la condamner au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire :
– requalifier le licenciement de Mme [A] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
– la débouter du surplus de ses demandes,
– condamner reconventionnellement Mme [A] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
A titre infiniment subsidiaire :
– limiter le montant des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 15.419 euros,
– débouter la Salariée du surplus de ses demandes.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 11 octobre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le prêt de main d’oeuvre illicite
Pour infirmation de la décision entreprise, Mme [A] soutient en substance avoir fait l’objet d’un prêt de main d’oeuvre illicite ; qu’elle n’a eu durant ses missions aucun contact avec son employeur hormis ponctuellement pour des questions administratives, sans aucun suivi ou instruction de la part de son employeur, ni sur son activité, ni sur ses conditions de travail, la mettant dans une situation d’isolement ; que la société CNP, pour laquelle elle a effectué sa dernière mission, lui confiait ainsi des tâches similaires à ses propres salariés, et décidait sans valeur ajoutée ni technicité spécifique propre à l’existence d’une prestation de service qu’elle était officiellement chargée de réaliser ; que la société CNP avait un pouvoir de sanction en ce qu’elle n’a pas seulement demandé à changer d’interlocuteur mais a mis fin à la mission en demandant de lui signifier son renvoi.
La société GFI Informatique réplique que toute fourniture de main d’oeuvre n’a pas en soi un caractère illicite ; que seules les opérations à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre sont interdites ; que la spécificité des ESN dont l’objet est la réalisation de prestations informatiques pour le compte d’entreprises clientes est nécessairement prise en compte pour apprécier la licéité des opérations de mise à disposition du personnel ; que les sociétés GFI Informatique et CNP étaient liées par un contrat commercial portant sur une tâche déterminée.
L’article L.8241-1 du code du travail dispose que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite.
Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre :
1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, aux entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequin ;
2° Des dispositions de l’article L. 222-3 du code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives ;
3° Des dispositions des articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du présent code relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d’employeurs mentionnées à l’article L. 2231-1.
Une opération de prêt de main-d”uvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition.
L’article L.8241-2 du code du travail dans sa version applicable au litige précise que les opérations de prêt de main-d’oeuvre à but non lucratif sont autorisées.
Dans ce cas, les articles L. 1251-21 à L. 1251-24, L. 2313-3 à L. 2313-5 et L. 5221-4 du présent code ainsi que les articles L. 412-3 à L. 412-7 du code de la sécurité sociale sont applicables.
Le prêt de main-d”uvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :
1° L’accord du salarié concerné ;
2° Une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l’identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l’entreprise utilisatrice par l’entreprise prêteuse;
3° Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l’entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d’exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail.
A l’issue de sa mise à disposition, le salarié retrouve son poste de travail ou un poste équivalent dans l’entreprise prêteuse sans que l’évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne soit affectée par la période de prêt.
Les salariés mis à disposition ont accès aux installations et moyens de transport collectifs dont bénéficient les salariés de l’entreprise utilisatrice.
Un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir refusé une proposition de mise à disposition.
La mise à disposition ne peut affecter la protection dont jouit un salarié en vertu d’un mandat représentatif.
Pendant la période de prêt de main-d”uvre, le contrat de travail qui lie le salarié à l’entreprise prêteuse n’est ni rompu ni suspendu. Le salarié continue d’appartenir au personnel de l’entreprise prêteuse ; il conserve le bénéfice de l’ensemble des dispositions conventionnelles dont il aurait bénéficié s’il avait exécuté son travail dans l’entreprise prêteuse.
Le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de l’entreprise prêteuse sont consultés préalablement à la mise en ‘uvre d’un prêt de main-d”uvre et informés des différentes conventions signées.
Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l’entreprise prêteuse est informé lorsque le poste occupé dans l’entreprise utilisatrice par le salarié mis à disposition figure sur la liste de ceux présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés mentionnée au second alinéa de l’article L. 4154-2.
Le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, les délégués du personnel de l’entreprise utilisatrice sont informés et consultés préalablement à l’accueil de salariés mis à la disposition de celle-ci dans le cadre de prêts de main-d”uvre.
L’entreprise prêteuse et le salarié peuvent convenir que le prêt de main-d”uvre est soumis à une période probatoire au cours de laquelle il peut y être mis fin à la demande de l’une des parties. Cette période probatoire est obligatoire lorsque le prêt de main-d”uvre entraîne la modification d’un élément essentiel du contrat de travail. La cessation du prêt de main-d”uvre à l’initiative de l’une des parties avant la fin de la période probatoire ne peut, sauf faute grave du salarié, constituer un motif de sanction ou de licenciement.
En l’espèce, la société CNP Assurances et la société GFI Informatique ont conclu le 20 juillet 2016 un contrat de prestations de conseil aux termes duquel le prestataire, GFI Informatique, société de conseil spécialisée dans le domaine du test et de la recette fonctionnelle, a été sélectionné pour ses compétences son expérience et sa capacité à répondre à l’intégralité des besoins exprimés par le client. Ce contrat de prestation précise que le personnel de chacune des parties, affecté à l’exécution des prestations demeurera en toutes circonstances placé sous l’autorité la direction et la surveillance exclusives de son employeur. La lettre de mission d’application signée par les sociétés CNP Assurances et GFI Informatique précise que les objectifs attendus par le client est l’assistance MOA (maîtrise d’ouvrage) sur le projet de refonte du système d’information des moyens de paiement avec plusieurs lots de travaux à mener, la mission entrant en vigueur le 2 octobre 2017 pour se terminer le 31 octobre 2017, la durée pouvant être prolongée jusqu’à livraison du dernier livrable. Les pièces versées aux débats, y compris celles produites par la salariée, établissent l’expertise de celle-ci et le savoir-faire particulier dont elle disposait mais aussi qu’elle demeurait sous la subordination juridique de la société GFI Informatique. Les attestations versées aux débats sont insuffisantes à établir qu’elle recevait des directives de la société CNP Assurances, ce que ne sont pas les demandes ou attentes formulées par celle-ci dans le cadre de la mission confiée à GFI Informatique et exécutée par Mme [A], et que la société cliente exerçait un pouvoir de direction et de sanction. Peu important en l’espèce que la salariée ait exercé sa mission au sein de la société CNP Assurances avec du matériel mis à disposition par celle-ci. C’est par simple allégation que la salariée affirme que la société CNP Assurances avait ‘décidé de l’affecter non pas sur la prestation convenue mais à d’autres travaux courants de simple exécutante afin de compenser le manque de main d’oeuvre de son personnel’ sans produire aucun document en ce sens provenant de la société CNP Assurances.
Il s’ensuit que l’existence d’un prêt de main d’oeuvre illicite n’est pas démontrée et que c’est à juste titre que les premiers juges ont débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre. La décision sera confirmée de ce chef.
Sur le licenciement
Pour infirmation de la décision déférée Mme [A] fait valoir essentiellement que son licenciement est nul eu égard aux faits de harcèlement moral dont elle a été victime et subsidiairement qu’il est sans cause réelle et sérieuse motifs pris du manquement de son employeur à son obligation de sécurité ; que dès lors que l’employeur a manqué à l’égard du salarié à son obligation de sécurité, celui-ci ne peut plus invoquer les conséquences de ce harcèlement à l’encontre de son collaborateur qu’il a été dans l’incapacité de protéger ; qu’en tout état de cause, l’unique geste d’humeur reproché ne peut être qualifié de faute grave dès lors que la salariée n’a fait l’objet d’aucun reproche pendant 16 ans.
La société GFI Informatique réplique que Mme [A] n’a pas été licenciée parce qu’elle a demandé à changer de mission ou qu’elle aurait dénoncé un prétendu harcèlement moral mais bien parce qu’elle a commis une faute qui rendait impossible le maintien de son contrat de travail.
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1152-2 du même code dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L’article L.1152-3 du même code précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Il est constant que le juge a le pouvoir de requalifier la gravité de la faute reprochée au salarié en
restituant aux faits leur exacte qualification juridique conformément à l’article’12 du code de procédure civile ; qu’en conséquence, si le juge ne peut ajouter d’autres faits à ceux invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement, lorsque celui-ci intervient pour motif disciplinaire, il doit rechercher si ces faits, à défaut de caractériser une faute grave, comme le prétend l’employeur, ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige est ainsi rédigée :
‘… Le 13 octobre 2017, vous avez été rencontrée en milieu d’après-midi par votre commerciale Mme [U] [Z] pour le suivi de votre prestation au sein du client CNP Assurances.
A cette occasion il a été acté avec Mme [H] [T] de CNP Assurances que, après la première prolongation d’un mois de votre mission celle-ci serait de nouveau prolongée de deux mois jusqu’à fin décembre 2017, date à laquelle elle ne serait pas reconduite.
En effet, vous aviez exprimé le souhait de ne plus travailler pour ce compte et le client souhaitait la mise en place d’un remplacement sur la mission. Votre management tenant compte de votre souhait mais également de la continuité de service à mettre en place avec ce client, a prolongé votre mission pour deux mois (novembre et décembre 2017), afin de mettre en place et d’assurer un biseau.
Alors que cette sortie de mission était donc actée pour fin décembre 2017, en fin d’après-midi le même jour, vous avez adressé à l’équipe complète du client CNP Assurances un email dans lequel vous avez dénigré et insulté les membres de l’équipe avec laquelle vous travaillez, individuellement et nominativement dans les termes suivants :
‘A toute fin de mission, il est coutume de réaliser un message à l’attention des personnes ayant partagées celle-ci. Ce que je tenais à faire puisque voilà un peu plus d’un an que j’ai intégré l’organisation de la CNP dans le cadre du projet de la Nouvelle plate-forme des paiements mise en place.
Forte de cette expérience, voici ce que je reteindrai et probablement véhiculerai :
Dans l’organisation en mode projet, à la CNP, la loi empirique de [X] s’applique ; chacun cherche à évoluer pour nourrir son ambition jusqu’à atteindre un niveau de responsabilité au sein de sa propre incompétence.
Cependant, je tenais à adresser un message plus personnel à mes chers interlocuteurs avec lesquelles j’ai eu l’occasion de travailler (même brièvement !):
@ [N] [S] : Il est fort dommage que tu n’ais pas été plus impliquée dans le cadre de ce projet. Tu es, de loin, la plus compétente de l’équipe projet.
@ [O] [L] : Nous nous sommes croisés qu’une seule fois sur ce projet mais cela t’as permis d’émettre un avis sur ma prestation auprès de ma société. Heureusement pour moi que je suis encore appréciée chez GFI après 2 démissions, 5 projets à succès en 17 ans de bons et loyaux services !
@ [P] [M] : Que dire sinon que ton départ du projet ne s’est même pas remarqué ! Merci pour ta sympathie !
@ [V] [K] : Depuis le début de min intervention, je m’efforce de rechercher à comprendre ton rôle et ta valeur ajoutée sur ce projet ; Oh miracle, à la lecture du mail ci-dessus, j’ai enfin compris.
@ [C] [W] : De par ton expérience sur les moyens de paiements depuis plus de 10 ans, tu jouies d’une ‘certaine compétence’ qui es toute relative aux nombres d’années de présence sur le sujet ! Tu semble être l’incarnation même du Principe managérial de [X].
@ [J] [E] : Il est effectivement très utile (voir nécessaire) dans le cadre d’un projet informatique de réaliser des processus métiers ; encore faut-il qu’il y ait au moins un autre acteur qui le comprenne.
Malgré tout, une question restera, pour moi, sans réponse ‘Pourquoi avoir changé de plate-forme de paiements ”
NB : Pour les personnes n’ayant jamais entendu parler de la ‘loi empirique de [X] sur l’incompétence dans les organisations hiérarchiques, je vous invite à consulter votre moteur de recherche et notamment Wikipédia par exemple.
Terminons par une note positive : les évolutions technologiques et la nécessaire transformation des organisations vers le type AGILE permettront d’observer une totale disparation du paysage économique de votre type de management et ainsi de l’état d’esprit qui en découle.’
Le lundi 16 octobre 2017 en début de matinée, le client nous a fait savoir que compte tenu du message du 13 octobre 2017 et de l’attitude dont vous aviez fait preuve qu’il jugeait inacceptables, il mettait fin à votre prestation au sein de ses locaux à effet immédiat.
Par ailleurs, le client nous indiquait également que votre message nuisait gravement à la crédibilité de GFI et qu’il réfléchissait aux conséquences de celui-ci sur la poursuit de ses autres prestations avec GFI.
Votre comportement est inadmissible.
En toutes circonstances et en dépit de l’appréciation personnelle éventuelle que l’on peut voir de telle ou telle personne, le comportement en entreprise se doit demeurer strictement professionnel et il est tout à fait intolérable de dénigrer et de proférer des insultes à l’égard de son entourage professionnel qui plus est des membres de l’équipe d’un client.
Outre l’émoi bien compréhensible des intéressés face à vos écrits, vous avez mis en péril l’ensemble des prestations du groupe GFI au sein d’un client stratégique CNP Assurances et donc le CA espéré pour 2017 est plus de 2 millions d’euros.
Les observations que nous avons recueillies lors de l’entretien préalable n’ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Nous ne pouvons tolérer votre attitude qui constitue un manquement professionnel intolérable gravement préjudiciable aux intérêts de l’entreprise et qui ne nous permet pas de vous maintenir davantage dans nos effectifs.
Compte tenu de la gravité des faits, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave sans prévis ni indemnité.’
Il est établi que Mme [A] a envoyé à 17H22 le courriel repris dans la lettre de licenciement à Mme [T], Mme [L] responsable du domaine production des comptes pilotage et performance du département de la maîtrise d’ouvrage, ainsi qu’aux membres de l’équipe projet, salariés de la société CNP Assurances avec comme objet ‘Fin de mission’.
La salariée prétend que son comportement n’est que la conséquence du harcèlement subi et présente à l’appui de ses allégations les éléments suivants :
– les attestations de Mme [G], de M. [F] et de Mme [I] selon lesquelles, ‘systématiquement, toutes les propositions et alertes que [B] pouvait remonter à l’équipe projet étaient refusées ou non prises en compte, la direction de projet la recadrait en lui précisant à chaque fois qu’elle n’était pas à la CNP pour cela, sachant que personne ne lui stipulait clairement ce qu’elle devait faire, d’ailleurs très vite son rôle s’est limité à ne réaliser que des taches sans valeur ajoutée en simple exécutante’ (Mme [G]) ; ‘[B] subissait une dégradation injuste de ses conditions de travail et d’exécution de sa mission par les critiques, les dénigrements et la mauvaise foi dont pouvaient faire preuve les membres de l’équipe projet avec elle’ (M. [F]) ; à plusieurs reprises, [B] a demandé à quitter cette mission (M. [F], Mme [I]) ;
– un certificat médical du 15 juin 2018 selon lequel Mme [A] a suivi un traitement ‘pour stress au travail’ d’avril 2017 à décembre 2017 ;
– la lettre de licenciement dans laquelle est évoqué le fait que Mme [A] avez exprimé son souhait de ne plus travailler pour la CNP Assurances lors de l’entretien du 13 octobre 2017.
Mme [A] présente ainsi des éléments qui pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Il appartient donc à l’employeur d’établir que les agissements invoqués par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
A cet effet, la société GFI Informatique fait valoir que l’entretien du 13 octobre 2017 n’a pas été organisé à l’initiative de Mme [A] qui aurait souhaité alerter son employeur de la situation de harcèlement ; que la salariée n’a émis aucune réserve sur la prolongation annoncée de sa mission pour une période de deux mois afin d’assurer son remplacement ; que Mme [A], qui n’avait jamais alerté son employeur sur une quelconque difficulté lors de sa mission, a préféré faire part de ses revendications directement auprès de la société cliente, n’hésitant pas à remettre en cause l’autorité du responsable de projet et discréditer ce dernier devant les différents interlocuteurs.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que le 13 octobre 2017, Mme [A] a rencontré Mme [Z], directrice d’affaires au sein de GFI Informatique, pour le suivi de sa prestation au sein de CNP Assurances ; que lors de ce rendez-vous, Mme [A] lui a annoncé que sa mission ‘côté métier’ prenait fin en décembre et a indiqué que le contexte était tendu avec la MOE (maîtrise d’ouvrage), qu’elle ne souhaitait pas aller au delà de fin décembre ; qu’il a alors été convenu de proposer à la cliente (CNP) un remplacement entre novembre et décembre permettant de garantir une période de recouvrement ; que Mme [A] n’a fait aucun commentaire, ce qui n’est pas contredit par celle-ci ; qu’il n’a pas été fait état de harcèlement, ou de mal-être particulier, mais seulement d’un contexte tendu avec la maîtrise d’ouvrage ; que Mme [T] de CNP Assurances a ensuite rejoint Mme [Z] et Mme [A], elle s’est dite très satisfaite de la prestation de Mme [A] et a confirmé qu’elle souhaitait la garder jusque fin décembre sans que cela puisse aller au delà ; que c’est après cet entretien dont le contenu n’est nullement contredit par la salariée, que celle-ci a envoyé à 17H22 le courriel incriminé à l’ensemble de l’équipe projet de la CNP ; que la salariée ne saurait justifier l’envoi de ce message particulièrement dénigrant et vexatoire pour les membres de l’équipe avec laquelle elle avait travaillé dans le cadre de sa mission par le harcèlement subi dont elle n’a jamais fait état auprès de son employeur et notamment le 13 octobre 2017 lors de son entretien avec Mme [Z] ; que de surcroît la société GFI Informatique avait bien pris en compte le souhait de Mme [A] de mettre fin à sa mission, sans qu’il puisse lui être opposé le temps nécessaire pour proposer un remplacement à défaut pour la salariée de l’avoir alertée sur l’urgence de la situation. Il s’ensuit que le licenciement de Mme [A] n’est pas intervenu en raison d’un harcèlement, de la dénonciation d’un harcèlement, ou d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, mais bien en raison d’une faute imputable à la salariée dont la gravité est de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
En conséquence, c’est à juste titre que les premiers juges ont débouté Mme [A] de ses demandes au titre de son licenciement. La décision sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l’obligation de prévention
Mme [A] sollicite des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le non-respect par son employeur de son obligation de prévention du harcèlement et du manquement à son obligation générale de sécurité de résultat en matière de protection de la santé physique et mentale des salariés.
La société GFI conteste ce manquement et fait valoir que la salariée n’a jamais fait état de la moindre plainte à ce titre.
Il résulte des éléments des débats que la société GFI a tenu compte du souhait de la salariée de cesser sa mission chez CNP Assurances ; qu’il n’est nullement établi que l’employeur a été alerté d’une quelconque façon du mal être de Mme [A] et de l’urgence de lui faire cesser sa mission. En outre, la salariée ne justifie pas de son préjudice.
En conséquence, il convient de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts. Il sera ajouté en ce sens à la décision du conseil de prud’hommes.
Sur la clause de non concurrence
Pour infirmation de la décision sur ce point, Mme [A] soutient essentiellement que la clause de non-concurrence insérée au sein de son contrat de travail est nulle motifs pris qu’elle substance que celle-ci ne prévoit aucune contrepartie financière et qu’elle porte ainsi une atteinte sans contrepartie à sa liberté de travail.
La société GFI Informatique rétorque que cette clause de non-concurrence malgré sa nullité, doit, pour justifier le versement de dommages et intérêts, causer un préjudice à Mme [A], et qu’elle doit démontrer ce préjudice.
La clause de non-concurrence prévue par le contrat de travail stipule que le consultant s’engage expressément pendant une période de 12 mois à compter de son départ effectif de la société à ne pas entretenir quelque relation professionnelle que ce soit, directement ou indirectement avec les clients de la société pour lesquels il aura accompli une ou plusieurs missions au cours des 12 mois précédant son départ de la société ; que cet engagement couvre [Localité 5] et la région parisienne.
Cette clause ne prévoit aucune contrepartie financière de telle sorte qu’elle est nulle.
Contrairement ce que soutient Mme [A], qui a travaillé comme consultante maîtrise d’ouvrage à la Banque de France d’octobre 2017 à octobre 2018, puis comme consultante chef de projet à la Société Générale à compter de novembre 2018, elle ne justifie nullement que la clause de non-concurrence nulle lui a causé un préjudice.
En conséquence, c’est à juste titre que les premiers juges l’ont déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre. La décision critiquée sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut de formation
Pour infirmation, Mme [A] fait valoir qu’elle n’a jamais reçu de formation en lien avec son métier pourtant très technique, ce qui constitue selon elle un manquement à une obligation de son employeur, de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies, et des organisations.
La société GFI Informatique réplique qu’il s’agit d’une obligation d’adaptation du salarié à son poste de travail et non à un nouvel emploi, et qu’en l’occurrence, Mme [A] a enchaîné les contrats et retrouvé un emploi dès la rupture de leurs relations contractuelles dans le même domaine, dès lors, elle n’a pas semblé souhaiter se reconvertir, et était selon la société GFI informatique, adaptée à son poste de travail, puisqu’elle a tout de suite été embauchée ailleurs. Elle ne prouve donc l’existence d’aucun préjudice justifiant l’octroi de dommages et intérêts.
L’article L. 6321-1 du code du travail fait obligation à l’employeur d’assurer tout au long du contrat, l’adaptation de ses salariés à l’évolution de leurs emplois, des technologies et des organisations ce pendant leur contrat.
En l’espèce, Mme [A] qui a retrouvé un emploi dès son licenciement, en qualité de consultante à la banque de France, ne justifie pas du préjudice réclamé en conséquence d’un défaut de formation. Par confirmation du jugement critiqué, il convient de débouter Mme [A] de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur les frais irrépétibles
Mme [A] sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à la société GFI Informatique la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement déféré ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE Mme [B] [A] de sa demande de dommages-intérêts au titre du l’obligation de prévention,
CONDAMNE Mme [B] [A] aux entiers dépens ;
CONDAMNE Mme [B] [A] à verser à la S.A INETUM anciennement dénommée S.A. GFI INFORMATIQUE la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente.