Convention de rupture conventionnelle : 15 novembre 2016 Cour d’appel de Versailles RG n° 15/03917

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Convention de rupture conventionnelle : 15 novembre 2016 Cour d’appel de Versailles RG n° 15/03917

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 NOVEMBRE 2016

R.G. N° 15/03917

AFFAIRE :

[X] [O]

C/

Association ESPERER 95

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 03 Juillet 2015 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CERGY PONTOISE

Section : Activités diverses

N° RG : 15/00174

Copies exécutoires délivrées à :

SELARL ROUMIER SPIRE

Me David VAN DER BEKEN

Copies certifiées conformes délivrées à :

[X] [O]

Association ESPERER 95

le :

Copie Pôle Emploi

le:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE NOVEMBRE DEUX MILLE SEIZE,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [X] [O]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Comparante en personne, assistée de Me Sylvain ROUMIER de la SELARL ROUMIER SPIRE, avocat au barreau de PARIS,

APPELANTE

****************

Association ESPERER 95

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me David VAN DER BEKEN, avocat au barreau de VAL D’OISE,

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue le 27 Septembre 2016, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,

Madame Sylvie BORREL, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Mélissa FABRE greffier en pré-affectation

FAITS ET PROCÉDURE,

Statuant sur l’appel formé par Madame [O] à l’encontre du jugement en date du 3 juillet 2015 par lequel le conseil de prud’hommes de CERGY-PONTOISE a jugé que la prise d’acte de rupture de son contrat de travail par Madame [O] s’analyse en une démission, a, en conséquence, débouté cette dernière de l’ensemble de ses demandes, et l’a condamné à verser à l’association ESPERER 95 la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi et débouté ladite association de sa demande d’indemnité de procédure, mettant les dépens à la charge de Madame [O].

Vu les écritures développées à la barre par Madame [O] qui, faisant valoir que l’association ESPERER 95 a gravement manqué à ses obligations légales d’ordre public, au visa de l’article L.1224-1 du Code du travail, et à celles contenues dans une convention de transfert du 2 décembre 2014, que l’association a fait une application déloyale du contrat de travail au visa de l’article L.1222-1 du Code du travail en lui retirant sa tâche principale dans le cadre de l’exploitation du logiciel SYPLO, en la déqualifiant, en la mettant à l’écart et en modifiant la structure de sa rémunération, sollicite de la Cour qu’elle infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, juge que le contrat de travail de Madame [O] est rompu à la date du 6 février 2015 aux torts et griefs de l’association ESPERER 95 du fait des manquements graves commis ; que ce licenciement nul produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque Madame [O] ne sollicite pas sa réintégration, en conséquence, condamne l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] les sommes suivantes :

– La somme de 2500 € au titre de l’indemnité conventionnelle de préavis ;

– La somme de 250 € au titre des congés payés sur préavis ;

– La somme de 7 500 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement;

– La somme de 25 000 € au titre des dommages et intérêts pour rupture nulle, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l’article L 1235-3 du Code du travail,et, en tout état de cause, condamner l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] à titre de dommages et intérêts pour application déloyale du contrat de travail, conformément aux articles 1222-1 du Code du travail et 1134 du Code civil, la somme de 12.500 euros de dommages et intérêts ; condamner l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions d’ordre public de l’article L 1224-1 du Code du travail ; ordonne à l’association ESPERER 95 de remettre à Madame [O] les documents conformes suivants :

– bulletins de paie

– attestation POLE EMPLOI

-certificat de travail

– reçu pour solde de tout compte,

le tout, sous astreinte de 250 € par jour de retard et par document, la Cour d’appel se réservant le droit de liquider l’astreinte ;

– ordonne à l’association ESPERER 95 de régulariser la situation de Madame [O] auprès des organismes sociaux, caisse de retraite CNA V, caisse de retraite complémentaire, sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document, la Cour se réservant la liquidation de l’astreinte ; prononce l’exécution provisoire sur l’intégralité du Jugement conformément à l’article 515 du Code de procédure civile ; condamne l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] les intérêts et les intérêts sur les intérêts dus au taux légal (anatocisme) conformément à l’article 1154 du Code Civil ; condamne l’association ESPERER 95 à payer à Mme [O] la somme de 4.300 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; condamne l’association ESPERER 95 aux entiers dépens ainsi qu’aux éventuels frais d’exécution,

Vu les écritures développées à la barre par l’association ESPERER 95, qui sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a dit que la prise d’acte de rupture du contrat de travail par Madame [O] s’analyse en une démission, a débouté Madame [O] de l’ensemble de ses demandes ; reçu l’Association ESPERER 95 en ses demandes reconventionnelles et a condamné Madame [O] à lui verser la somme de 1,00 euro (Un euro) à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi, et mis les éventuels dépens à la charge de Madame [O] ; l’infirmation du jugement déféré pour le surplus et, statuant à nouveau, sollicite la condamnation de Madame [O] à payer à l’Association ESPERER 95 les sommes suivantes :

– 2 493,48 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, le débouté de Madame [O] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires ; et la condamnation de Madame [O] aux éventuels et entiers dépens de la procédure d’appel ;

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé détaillé des moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues oralement l’audience.

EXPOSE DU LITIGE

L’appelante a été engagée, le 19 avril 1995, par l’association IDL 95, en qualité de secrétaire, sur la base de 19 heures par semaine, au coefficient 250, selon la convention collective alors applicable du SNAESCO (centre sociaux et socioculturels).

Son horaire est passé à 30 heures à compter du 1er septembre 1999.

A compter du 1er janvier 2004, à la suite d’une modification de la classification conventionnelle, elle exerce l’emploi d’assistante d’exploitation, rattachée à l’emploi-repère d’assistante de direction, avec attribution de 431 points.

Une lettre du 27 décembre 2013 définit ses missions à partir du 1er janvier 2014.

Cette lettre contresignée par Madame [O], précise que, parallèlement à des missions d’organisation et de préparation de comités techniques, de gestion administrative de dossier, de tenue de tableaux de bord, de statistiques mensuelles de participation à la fabrication d’outils en lien avec l’activité et une participation au bilan de celle-ci, Madame [O] interviendra comme assistante, sur la base de 0,43 ETP, au fonctionnement global du service SIAO-I en étant plus particulièrement chargée de l’enregistrement dans le logiciel SYPLO des demandes de logement des ménages hébergés, de l’enregistrement dans le logiciel PROGDIS de demandes d’hébergement ainsi que de la participation à la construction d’outils de communication pour le SIAO.

Le 5 septembre 2014, le préfet du Val d’Oise décide, dans un but de regroupement, de transférer le volet «’insertion’» de l’activité «service intégré d’accueil et d’orientation’» (SIAO- I) géré jusqu’alors par l’association IDL95 à l’association ESPERER 95, laquelle gérait déjà l’activité urgence hébergement de ce service SIAO (SIAO-U – 115).

Les deux associations signent le 2 décembre 2014, une convention de transfert à effet du 1er janvier 2015 se plaçant dans le cadre des dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail. L’association IDL 95 conservant, après ce transfert, ses propres activités.

La convention précitée prévoit, pour ce qui concerne Madame [O], le transfert de son contrat de travail, pour le seul volet relatif au domaine du SIAO-I (0,43 ETP) ; la salariée bénéficiant, avant le transfert, d’un temps partiel (0,83 ETP) et consacrant une partie de son activité au SIAO-I (0,43 ETP) comme il a été dit précédemment ; le transfert s’effectuant avec reprise du planning répartissant son affectation sur ce service, à l’exception de la classification conventionnelle qui deviendra celle de la convention collective du 15 mars 1966 : «Établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées’» applicable à l’association ESPERER 95, cessionnaire de l’activité SIAO-I.

L’appelante adresse une lettre le 23 décembre 2014 à son futur employeur, indiquant qu’à l’issue d’une réunion collective du service SIAO, il lui aurait été proposé une convention de rupture conventionnelle ou à défaut un licenciement, ce qui est contraire aux engagements pris dans le cadre du transfert et que, par ailleurs, elle n’aurait pas été invitée à la réunion collective du 18 décembre précédent, enfin elle sollicite une fiche de poste.

L’association ESPERER 95 lui répond le 30 décembre suivant en contestant le contenu de sa lettre, rappelant notamment qu’elle n’est pas encore son employeur, confirmant son transfert, précisant qu’elle disposera de sa fiche de poste (assistante de saisie ‘ technicien qualifiée) dès le 2 janvier 2015 à son arrivée et qu’elle travaillera, selon les mêmes horaires qu’auparavant chez son précédent employeur, l’association IDL 95, les mardis et vendredis de 9 heures à 12 heures et de 13 heures à 17 heures.

Après congés octroyés par l’association IDL 95, Madame [O] prend ses fonctions au sein d’ ESPERER 95, le 6 janvier jusqu’au 20 janvier 2015 puis est placée en arrêt de travail pour état anxieux avec insomnies du 22 janvier au 3 février 2015.

L’appelante adresse une lettre le 5 février 2015 à l’association ESPERER 95 réclamant le règlement de son salaire du mois de janvier précédent.

Le lendemain 6 février, Madame [O] notifie à l’association ESPERER 95, une prise d’acte de rupture de son contrat de travail parce qu’il n’a pas été transféré à l’identique au sein de l’association précitée. Elle indique qu’elle était auparavant «’assistante de direction’» coefficient 431, et que désormais elle est «’assistante de saisie’».

Enfin, le 5 mars 2015, l’appelante saisit le conseil de prud’hommes de CERGY PONTOISE pour, dans l’état de ses dernières demandes, voir condamner l’intimée à une indemnité de préavis et les congés payés afférents, une indemnité de licenciement conventionnelle, des dommages et intérêts pour non respect de l’article L.1224-1 du Code du travail, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la remise des documents sociaux conformes avec astreinte, une indemnité de procédure, l’exécution provisoire, l’application de l’intérêt légal (article 1154 du Code civil), la régularisation de sa situation, sous astreinte, auprès des organismes sociaux de retraite de base et complémentaire, dire que la juridiction se réserve le droit de liquider l’astreinte.

L’association ESPERER 95 a reconventionnellement sollicité l’indemnité de préavis, l’euro symbolique pour préjudice et une indemnité de procédure. Le Conseil de prud’hommes a statué comme il a été dit précédemment.

MOTIFS DE LA DECISION

Lorsque l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d’employeur, le salarié est en droit de s’y opposer.

L’appelante fait valoir qu’à l’occasion du transfert du SIAO-I, son contrat de travail a été modifié par son nouvel employeur la conduisant à prendre acte de la rupture de son contrat de travail.

L’intimée objecte qu’aucune modification n’a été apportée au contrat de travail de Madame [O].

Sur la prise d’acte de rupture

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail ; que cette rupture produit soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Madame [O] reproche à l’association ESPERER 95 quatre griefs’justifiant sa prise d’acte : (i) lui avoir retiré, dans le cadre du transfert de son contrat de travail, sa tâche principale d’exploitation relative au logiciel SYPLO, (ii) l’avoir «’déqualifiée’», (iii) l’avoir mise à l’écart dans la nouvelle organisation et les nouvelles répartitions des tâches, (iv) d’avoir modifié la structure de sa rémunération.

Il revient à Madame [O] de rapporter la preuve de ces manquements. En cas de doute, la rupture s’analyse en une démission.

Sur le premier grief’: le retrait de la tâche SYPLO

Il résulte des pièces versées au débat, par l’une et l’autre des parties, qu’avant le transfert, Madame [O] travaillait pour l’association IDL95, à temps partiel, comme assistante d’exploitation pour un équivalent temps plein de 0,83 (soit 29,05 heures) et que, selon la lettre du 27 décembre 2013, 0,43 ETP de son temps de travail (15,05 heures par semaine soit deux jours par semaine) était consacré à l’activité SIAO Insertion, seule cette activité étant transférée. Cette même lettre précise que les tâches relevant du SIAO Insertion se répartissaient entre l’enregistrement des demandes dans SYPLO (avec détail du process), mais également dans le système PROGDIS avec, en sus, une participation à la construction d’outils de communication, sans précision de temps affecté à l’une ou l’autre de ces trois tâches.

L’appelante verse une attestation de Monsieur [N], directeur général de l’association IDL95, du 22 janvier 2015, selon laquelle 0,40 ETP était consacré à l’enregistrement dans SYPLO, le solde du temps (0,03) était consacré aux autres missions. Cette attestation sera considérée avec circonspection car, outre qu’elle ne remplit pas les conditions de formes exigées, elle est postérieure au transfert, et établie manifestement pour les besoins de la cause de Madame [O] et non dans le cadre des informations échangées entre les deux associations à l’occasion du transfert. L’appelante verse d’autres attestations ([R], [X]) de personnes qui ne sont plus salariées de l’association IDL 95, recevables en la forme, qui établissent que Madame [O] était essentiellement en charge de SYPLO et en était la référente.

L’intimée verse au débat l’attestation, régulière en la forme, de Madame [P], désormais salariée à plein temps de l’intimée qui est imprécise sur la répartition du temps consacré au logiciel SYPLO et les autres tâches effectuées par Madame [O] dans le cadre de l’activité SIAO-I , ainsi qu’un courriel du 3 avril 2015 de Madame [M], chef du service hébergement logement de la DDCS du VAL D’OISE, qui expose que si Madame [O] a effectivement travaillé sur le logiciel SYPLO puisqu’elle bénéficiait d’une habilitation à cet effet, elle n’était pas la seule puisqu’une autre salariée Madame [K] était également impliquée et ce depuis le début de l’année 2014 lors de la mise en place du logiciel SYPLO.

L’appelante verse un tableau intitulé «Activité SYPLO SIAO-I ‘ Année 2014» sans en préciser l’origine et qui a été établi pour les besoins de la procédure dont on peut seulement déduire que lors des absences de l’appelante les mardis et vendredis (congés ou maladie) elle était remplacée ces jours là soit par Madame [K] soit par Madame [Q] ce qui suppose que ces deux salariées intervenaient sur le logiciel SYPLO. De plus, Madame [O] n’établit pas que le logiciel SYPLO n’était utilisé que les mardis et vendredis jours de sa présence au sein de l’association IDL95.

De ce qui précède l’on déduit que Madame [O], avant le transfert, travaillait, uniquement les mardis et vendredis, essentiellement sur le logiciel SYPLO, depuis le début de l’année 2014, mais pas exclusivement, elle devait assumer d’autres tâches dans le cadre du SIAO-Insertion. En outre, elle n’était pas la seule à intervenir sur celui-ci puisque Madame [K] et Madame [Q] intervenaient également et qu’il n’est pas établi , enfin, que le logiciel SYPLO n’était utilisé que les mardis et vendredis.

La convention de transfert précise que l’appelante est rémunérée à 2 447,64 euros par mois en qualité d’assistante de prospection avec la classification conventionnelle d’assistante de direction coefficient 431, qu’elle exerce son activité, à titre principal, sur le SIAO-I pour un ETP de 0,43. Le transfert du contrat de travail de l’appelante porte uniquement sur l’activité SIAO-I (page 7 et 8, paragraphe 7 de la convention de transfert). La convention de transfert précise que ce transfert s’effectue avec reprise du planning répartissant l’activité de l’appelante sur ce service (SIAO-I). La convention de transfert n’opère pas de distinction entre la mission SYPLO et les autres missions (ex PROGDIS) relevant également du SIAO-I. Enfin la convention de transfert précise que la classification conventionnelle ne sera pas reprise et deviendra celle de la convention collective applicable à l’association ESPERER 95.

Madame [O] à son retour de congés le 6 janvier 2015 signe une fiche de poste, mentionnant l’emploi d’assistante de saisie et la qualification de technicien confirmé, avec son nouvel employeur et n’exprime pas de réserve sur ce document.

La lecture comparative de cette fiche de poste avec celle de Madame [K], établie dans le même contexte, conduit à considérer que l’appelante sera davantage impliquée dans l’exploitation du logiciel PROGDIS que dans le logiciel SYPLO dont l’exploitation est confiée désormais à Madame [K].

Madame [O] établit ainsi que son nouvel employeur n’envisageait pas de lui confier la mission SYPLO dans les même conditions d’importance que précédemment.

Cela exposé, ce retrait ne constitue pas, en soi, un manquement grave puisque l’appelante se voyait confier d’autres missions (ex’: PROGDIS) selon l’organisation mise en place par le nouvel employeur l’association ESPERER.

Il n’apparaît pas non plus que cette modification de mission constitue une modification du contrat de travail imposant de recueillir l’accord préalable du salarié avant de la lui imposer.

En l’espèce, ce n’est que depuis le début de l’année 2014 que l’appelante, en poste depuis 1994, a été chargée plus particulièrement de la mission SYPLO, logiciel nouvellement implanté, qu’il ne peut être considéré que cette mission constitue un élément essentiel et déterminant du contrat de travail au même titre que la qualification, les horaires ou la rémunération.

Il s’en déduit que ce grief doit être écarté parce qu’il ne constitue ni un manquement suffisamment grave, ni une modification du contrat de travail.

Sur le second grief’: la «’déqualification’»

Il ressort des pièces versées au débat qu’avant le transfert, l’appelante occupait l’emploi d’assistante de prospection avec la qualification d’assistante de direction au regard de la convention collective alors applicable (CCN ALSF’«’personnel des acteurs du lien social et familial’» du 4 juin 1983) ainsi que cela ressort de ses bulletins de salaires.

A l’occasion du transfert, le nouvel employeur a soumis une fiche de poste à Madame [O], intitulée «’Assistante de saisie’» avec la qualification de «’Technicien qualifié’».

L’intimée fait valoir qu’elle a été juridiquement contrainte de replacer, dès l’entrée en vigueur du transfert, les salariés transférés dans la grille de classification de la convention collective de l’Association ESPERE 95 ainsi que la loi le prévoit (L 2261-14 du Code du travail) et la convention de transfert en application de celle-ci.

L’appelante soutient, au contraire, que le nouveau statut conventionnel ne s’applique, dès le transfert, que sous réserve des dispositions plus favorables à la salariée, issues de la précédente convention collective qui continuent de s’appliquer pendant le délai de 15 mois, prévu par les textes après le transfert.

En cas de transfert du contrat de travail par application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail, la convention collective dont relève le cessionnaire s’applique immédiatement au salarié, les dispositions plus favorables de l’accord mis en cause continuant cependant à lui bénéficier dans les conditions prévues par l’article L. 2261-14 du code du travail.

Est un avantage individuel acquis celui qui correspond à un droit déjà ouvert à titre personnel, par un fait antérieur à la dénonciation, et non à un droit simplement éventuel.

Il s’ensuit que l’emploi, la qualification et l’attribution d’un coefficient hiérarchique, prévus par la convention collective précédente, et accordée à Madame [O], constituent des avantages individuels dont elle demande le bénéfice dans les délais prévus par l’article L.2261-14 c’est à dire le délai de préavis de 3 mois et le délai de survie de 12 mois qui s’y ajoute sous réserve de la signature éventuelle d’un accord de substitution entre-temps.

Il convient de vérifier si les avantages individuels revendiqués par l’appelante sont plus favorables ou non à la salariée que ceux imposés par le nouvel employeur.

Dans l’affirmative, à moins de recueillir l’autorisation expresse de la salariée, la signature par l’appelante accusant réception de la nouvelle fiche d’emploi étant insuffisante à cet égard, le nouvel employeur ne peut imposer une remise en cause de ses avantages individuels acquis avant l’expiration des délais légaux précités ou la mise en ‘uvre de l’accord de substitution qui n’est entré en vigueur que le 12 juillet 2015, postérieurement à la prise d’acte de la rupture par l’appelante.

En l’espèce, l’appelante soutient que l’emploi d »«’assistante de saisie’» avec la qualification de «’technicien qualifié’», figurant sur la fiche de poste remise le 6 janvier, recouvre moins de responsabilités et n’accorde pas le même degré d’autonomie que l’emploi d’assistante d’exploitation avec la qualification d’assistante de direction, et est donc moins favorable.

L’intimée fait valoir que, comme il est indiqué sur le bulletin de salaire du mois de janvier 2015, Madame [O] bénéficie de l’emploi d »«’agent administratif’» avec la qualification de «’technicien supérieur’».

La Cour relève que la lettre adressée le 30 décembre 2014 à l’appelante précise que la fiche de poste «’d’assistante de saisie, technicien qualifié’» lui sera remise à son arrivée en janvier, que ladite fiche de poste précise «’assistante de saisie’» et «’technicien qualifié’» ; qu’une lettre du 2 janvier 2015 de l’intimée à l’appelante lui confirme ses horaires de travail en qualité «’d’opératrice de saisie’»’; que le nouvel employeur ne s’explique pas sur cette éventuelle erreur, ni ne justifie avoir tenté de la corriger rapidement, que le bulletin de salaire ne sera délivré que dans le courant du mois de février, ainsi qu’il ressort de la lettre du nouvel employeur à l’appelante du 9 février 2015, lequel loin de rectifier l’éventuelle erreur se réfère à nouveau à la fiche de poste, de sorte que l’appelante était fondée à croire, lors de sa prise d’acte de rupture le 6 février 2015, qu’elle était assistante de saisie, technicien qualifié et non agent administratif’, technicien supérieur.

L’examen comparé de l’emploi repère d’assistante de direction, d’une part, et de technicien qualifié, d’autre part, occupés avant et après le transfert, conduit à considérer que la qualification imposée par le nouvel employeur était moins favorable à Madame [O], en terme de responsabilité et d’autonomie.

En effet, la convention collective des acteurs du lien social et familial du 4 juin 1983 décrit l’emploi repère d’assistant de direction dont bénéficiait Madame [O], avant le transfert, ainsi’:

– «’Emplois assimilés : assistant de gestion, assistant fédéral, secrétaire de direction, responsable administratif.

– Mission : assiste la direction dans l’exécution de ses tâches, reçoit délégation pour réaliser des actions et missions particulières.

– Assure le secrétariat et certaines activités de comptabilité.

– Prépare certains dossiers après avoir reçu les indications nécessaires de son supérieur.

– Assure les liaisons entre les services de la structure.

– Coordonne, organise et contrôle la transmission de l’information.

– Prend en charge de manière autonome des missions particulières à la demande de son supérieur.

– Représente parfois la structure lors de manifestations particulières.’»

La convention collective, des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées applicable à Madame [O] à l’issue du transfert, définit le poste de technicien qualifié proposé ainsi’: « ».emploi dont le titulaire est responsable de l’application des règles relevant d’une technique bien déterminée exigeant des connaissances professionnelles qualifiées. Dans le cadre de consignes générales permanentes et selon des instructions précises sur les objectifs et le mode opératoire, l’intéressé met en ‘uvre les moyens nécessaires, avec des applications pouvant être diversifiées. Il peut être appelé à prendre des initiatives pour adapter les instructions et prévoir les moyens d’exécution….’»

Outre les tâches de liaison et la coordination de l’information entre services, l’assistant de direction bénéficie d’une autonomie dans la prise en charges de missions spécifiques confiées par sa direction et peut la représenter épisodiquement. Le technicien qualifié applique des méthodes avec possibilité d’initiatives mais dans le cadre de consignes générales permanentes. Il ne bénéficie d’aucune autonomie même sur des missions ponctuelles, et ne peut représenter même parfois sa structure.

Il sera relevé, au surplus, que la proposition tardive par le nouvel employeur à Madame [O] de la qualification de «’technicien supérieur’» qui ne peut s’acquérir qu’après avoir exercé au moins 10 ans comme technicien qualifié, est une reconnaissance implicite de ce que la qualification de technicien qualifié était en réalité une déqualification.

En effet, l’emploi de technicien supérieur se définit comme’: «’emploi exigeant des connaissances générales et techniques qualifiées ainsi qu’une expérience professionnelle permettant au titulaire de prendre des initiatives et des décisions pour adapter, dans les cas particuliers, ses interventions en fonction de l’interprétation des informations ;

– l’intéressé peut être appelé dans sa spécialité à conseiller d’autres personnes et exercer un contrôle. Il peut assurer l’encadrement d’un groupe composé principalement d’agents administratifs et éventuellement de techniciens qualifiés ;

– accessible aux personnes titulaires d’un BTS, DUT etc., et aux techniciens qualifiés comptant au moins dix ans d’ancienneté dans cette fonction ou dans un emploi équivalent’».

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens et arguments développés par les parties, il sera jugé que le nouvel employeur a commis ainsi un manquement suffisamment grave justifiant la prise d’acte de rupture du contrat de travail par Madame [O] produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

– le préavis et les congés payés afférents

L’appelante sollicite la somme de 2.500 euros à ce titre sans en justifier précisément. L’intimée évalue elle-même l’indemnité de préavis à 2.493,48 euros (2 mois, sur la base d’un salaire mensuel, à temps complet de 2 909,12 € rapporté à 65 heures mensuelles, soit 2 909,12 € / 151,67 heures mensuelles x 65 H = 1 246,74 €) et sera condamnée à cette somme ainsi qu’aux congés payés afférents soit’: 249,34 euros.

– l’indemnité de licenciement conventionnelle

L’appelante réclame l’indemnité de licenciement conventionnelle sur la base de la convention collective applicable de son ancien employeur, alors que son contrat de travail a été transféré au 1er janvier 2015 à l’association ESPERER 95 régie par la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, s’agissant de l’application d’une disposition relevant du statut collectif et non d’un avantage individuel.

L’indemnité de licenciement prévue par cette convention est égale à une somme calculée sur la base d’un demi-mois de salaire par année d’ancienneté, étant précisé que ladite indemnité de licenciement ne saurait dépasser une somme égale à 6 mois de salaire et que le salaire servant de base au calcul de l’indemnité de licenciement est le salaire moyen des 3 derniers mois.

Compte tenu de l’ancienneté de Madame [O], l’indemnité conventionnelle sera fixée au maximum de 6 mois, sur la base du salaire mensuel de 1 246,74 euros soit 7 480,44 euros.

– l’indemnisation du préjudice du fait de la perte injustifiée de l’emploi

L’intimée justifie de ce que Madame [O] a été réaffectée, dès le mois de février 2015, par l’association IDF 95, à la Maison Relais LES COQUELICOTS, ce que Madame [O] n’a pas contesté, ni dans ses écritures, ni à l’audience, précisant qu’elle percevait une rémunération équivalente à celle qu’elle percevait auparavant à compter du mois de septembre 2015.

Le montant des dommages et intérêts pour le préjudice consécutif à la rupture sans cause réelle et sérieuse sera justement indemnisé au montant de 10.000 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail par l’intimée

L’appelante reproche à l’intimée sa mauvaise foi dans l’exécution du contrat de travail.

L’intimée objecte que Madame [O] n’en rapporte pas la preuve.

L’exécution de bonne ou mauvaise foi du contrat de travail entre Madame [O] et l’association ne peut s’apprécier qu’à compter de la date de transfert du 1er janvier 2015 jusqu’à la date de prise d’acte de rupture soit le 6 février 2015. Il y a lieu de préciser que Madame [O] n’a pris son service, alors qu’elle était invitée à prendre son poste le 2 janvier par son nouvel employeur, que le 6 janvier après avoir pris des congés accordés par son ancien employeur et non par son nouvel employeur. Madame [O] sera placée en arrêt de travail du 22 janvier au 3 février 2015, puis prendra acte de sa rupture le 6 février 2015.

Il résulte des pièces versées au débat que l’association ESPERER 95 a indiqué sur la fiche de poste, remise le 6 janvier, que l’appelante serait assistante de saisie avec la qualification de technicien qualifié mais que l’intimée fait figurer sur le bulletin de salaire du mois de janvier 2015 de Madame [O], et pour la première fois, l’emploi d’agent administratif avec la qualification de technicien supérieur au coefficient 715, que l’intimée s’est fondée sur cette dernière qualification pour exposer que Madame [O] n’était pas lésée par le changement de positionnement conventionnel, alors que dans sa lettre du 9 février, l’association se référait encore à la fiche de poste et non à l’emploi et la qualification figurant sur le bulletin de salaire, qu’ainsi l’intimée a fait preuve de mauvaise foi dans l’exécution du contrat de travail.

L’appelante ne justifie pas du montant du préjudice réclamé qui sera justement évalué à 1 000 euros .

Sur la violation des dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail

Il résulte de la décision prise par la Cour précédemment que l’association ESPERER95 n’a pas respecté les dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail à l’occasion du transfert du contrat de travail de Madame [O] en modifiant son emploi et sa qualification.

L’appelante ne justifie pas du quantum du préjudice réclamé qui sera justement évalué à 1 000 euros.

Sur les demandes reconventionnelles de l’intimée

L’intimée sollicite la confirmation des condamnations suivantes prononcées par le jugement entrepris.

– sur l’indemnité de préavis

La prise d’acte de rupture s’analysant en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’association ESPERER 95 sera déboutée de sa demande à ce titre.

– sur le préjudice subi par l’association évalué à un euro symbolique

L’intimée reproche à l’appelante d’avoir pris brusquement acte de la rupture de son contrat de travail et sollicite réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi à raison d’un euro symbolique.

La célérité de l’appelante à procéder à une prise d’acte de rupture se justifie au regard du comportement déloyal de son nouvel employeur et de sa santé, Madame [O] ayant été placée en arrêt maladie dès le 22 janvier 2015 quelques jours après sa prise de fonction.

L’intimée sera déboutée de sa demande.

– sur les dépens mis à la charge de l’appelante en première instance

L’association ESPERER 95, succombant, devra supporter les dépens de première instance et d’appel.

Sur les demandes accessoires

L’équité conduit à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’association ESPERER 95 sera condamnée à verser à Madame [O] la somme de 4.000 euros tant pour la première instance qu’en cause d’appel.

L’intimée sera déboutée de sa demande à ce titre.

Il y aura lieu d’ordonner la production des documents sociaux conformes à la présente décision, l’astreinte ne se justifiant pas.

Il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire, ni de faire application des dispositions de l’article 1154 du Code civil.

Les dépens de première instance et d’appel seront à la charge de l’association ESPERER 95.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DIT que la prise d’acte de rupture par Madame [O] de son contrat de travail le 6 février 2015 doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] une indemnité de préavis de’2.493,48 euros, ainsi qu’une indemnité de congés payés afférente de 249, 34 euros,

CONDAMNE l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] une indemnité conventionnelle de licenciement de 7 480,44 euros,

CONDAMNE l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 10 000 euros

CONDAMNE l’association ESPERER 95 à réparer le préjudice subi du fait de sa mauvaise foi dans l’exécution du contrat de travail et , ainsi, à payer à Madame [O], la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.

CONDAMNE l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] des dommages et intérêts de 1 000 euros pour non respect des dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail,

ORDONNE la remise, sans astreinte, d’un bulletins de paie récapitulatif, de l’attestation POLE EMPLOI, d’un certificat de travail, d’un reçu pour solde de tout compte, le tout conforme au présent arrêt,

CONDAMNE l’association ESPERER 95 à rembourser à POLE EMPLOI dans la limite de 2 mois les indemnités versées , le cas échéant, à Madame [O],

CONDAMNE l’association ESPERER 95 à payer à Madame [O] une indemnité de 4.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile’;

DEBOUTE les parties de leurs demandes, plus amples ou contraires,

CONDAMNE l’association ESPERER 95 aux dépens de première instance et d’appel

– prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président et par Madame FABRE, Greffier en pré affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,

 


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