RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 25 MAI 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/03636 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7RV3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Février 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F17/01703
APPELANTE
Madame [Z] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me France CARMINATI-GELBERT, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC001
INTIMÉE
SAS FRANPRIX LEADER PRICE DIRECTION ET SUPPORTS
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Sabine SAINT SANS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0426
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 décembre 2012, Mme [R] a été engagée en qualité de responsable comptable, statut cadre, par la société Casino Services, ledit contrat de travail ayant été transféré à la société Franprix Leader Price Direction et Supports à compter du 1er juillet 2013 selon avenant du même jour, la salariée exerçant en dernier lieu les fonctions de responsable comptable centralisation et process. La société Franprix Leader Price Direction et Supports emploie habituellement au moins 11 salariés et applique la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.
Les parties ont signé une convention de rupture conventionnelle le 20 janvier 2016.
Invoquant une situation de harcèlement moral, sollicitant la nullité de la rupture conventionnelle et s’estimant insuffisamment remplie de ses droits, Mme [R] a saisi la juridiction prud’homale le 4 juillet 2016.
Par jugement du 12 février 2019, le conseil de prud’hommes de Créteil a :
– dit qu’il n’a pas existé de violence morale et donc de vice du consentement, lors de la conclusion de la rupture conventionnelle le 20 janvier 2016, la nullité n’étant donc pas prononcée,
– fixé le salaire mensuel brut à 6 176,41 euros,
– condamné la société Franprix Leader Price Direction et Supports au paiement des sommes suivantes :
– 6 724,57 euros au titre des heures supplémentaires et 672,45 euros au titre des congés payés afférents,
– 211,05 euros à titre de rappel d’une journée de salaire pour février 2016 et 21,11 euros de congés payés afférents,
– 6 128,03 euros au titre de la prime de performance 2015 et 612,80 euros au titre des congés payés afférents,
– 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la délivrance des documents sociaux sur les seuls éléments concernés par la décision de justice prononcée, soit l’attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire récapitulatif, après un délai de 4 semaines à compter de la notification du jugement, date à partir de laquelle commencera à courir l’astreinte, que le conseil réduit à un montant de 15 euros par jour et par document, le conseil se réservant le droit de liquider ladite astreinte et d’en fixer une nouvelle si besoin est,
– débouté Mme [R] du surplus de ses demandes,
– ordonné l’application de l’intérêt légal sans capitalisation conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil,
– rappelé que l’article R. 1454~28 du code du travail détermine les jugements qui sont de droit exécutoire à titre provisoire,
– débouté la société Franprix Leader Price Direction et Supports de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– pris acte de ce que, l’engagement de la société Franprix Leader Price Direction et Supports de procéder au versement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence à hauteur de 27 809,47 euros bruts et au versement de 2 780,95 euros bruts au titre des congés payés afférents, a été rempli et reconnu comme tel par Mme [R],
– mis les dépens à la charge de la société Franprix Leader Price Direction et Supports.
Par déclaration du 14 mars 2019, Mme [R] a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 septembre 2020, Mme [R] demande à la cour de :
– infirmer le jugement uniquement en ce qu’il a dit qu’il n’a pas existé de violence morale et donc de vice du consentement lors de la conclusion de la rupture conventionnelle le 20 janvier 2016 et n’a pas prononcé la nullité de ladite rupture conventionnelle, fixé le salaire mensuel brut à 6 176,41 euros, condamné la société Franprix Leader Price Direction et Supports à lui payer la somme de 6 724,57 euros au titre des heures supplémentaires et 672,45 euros au titre des congés payés afférents et l’a déboutée du surplus de ses demandes,
statuant à nouveau,
– condamner la société Franprix Leader Price Direction et Supports au paiement des sommes suivantes :
– 54 836,68 euros bruts au titre du rappel des heures supplémentaires effectuées sur la période du 21 février 2013 au 21 février 2016, augmentés de 5 483,67 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 33 577,86 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la violation de l’obligation de sécurité,
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de suivi médical obligatoire,
– 33 577,86 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la situation de harcèlement moral,
– 667,10 euros bruts à titre de prime de 13ème mois,
– 2 363,79 euros bruts à titre de reliquat sur la contrepartie financière à l’interdiction de non-concurrence augmentée des congés payés afférents, soit 236,38 euros bruts,
– dire la rupture conventionnelle frappée de nullité en raison de l’existence d’un vice du consentement,
– condamner en conséquence la société Franprix Leader Price Direction et Supports au paiement des sommes suivantes :
– 13 915,38 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 391,54 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 5 228,17 euros, subsidiairement 4 103,96 euros, à titre d’indemnité de licenciement,
– 67 155,72 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– prendre acte de son accord pour restituer la somme de 4 200 euros bruts versée à titre d’indemnité spéciale de rupture conventionnelle, si et seulement si la nullité de la rupture conventionnelle est ordonnée, et ordonner la compensation de cette somme avec les condamnations prononcées à l’encontre de l’employeur,
– dire que ces sommes porteront intérêt légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,
– dire y avoir lieu à la capitalisation des intérêts en application de l’article 1154 du code civil,
– condamner la société Franprix Leader Price Direction et Supports à lui remettre une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes à la décision à intervenir, ainsi que des bulletins de paie pour la période du 21 février 2016 au 21 mai 2016 (préavis), sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document,
– condamner la société Franprix Leader Price Direction et Supports à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par ordonnance du 12 novembre 2019 n’ayant pas fait l’objet d’un déféré, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel a déclaré irrecevables les conclusions transmises par RPVA le 6 septembre 2019 par la société Franprix Leader Price Direction et Supports.
L’instruction a été clôturée le 15 février 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 16 mars 2022.
MOTIFS
En application de l’article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs, étant rappelé que dès lors que les conclusions de l’intimé ont été déclarées irrecevables, celui-ci est également réputé s’être approprié les motifs du jugement.
Sur la convention de forfait en jours et les heures supplémentaires
L’appelante soutient que les conditions de validité de la convention de forfait en jours n’ont pas été respectées par l’intimée, aucune convention de forfait jour n’ayant été régularisée, seul un article de son contrat de travail prévoyant le calcul de sa durée de travail en jours, ce qui est manifestement insuffisant tant au regard des conditions légales que jurisprudentielles, aucun entretien annuel sur la charge de travail avec son supérieur hiérarchique n’ayant été réalisé depuis son entrée au sein du groupe en 2012, aucun de ses supérieurs hiérarchiques n’ayant en charge de suivre régulièrement l’organisation de son travail, l’amplitude de ses journées d’activité et sa charge de travail, aucun moyen de contrôle du respect du temps de repos quotidien et hebdomadaire n’ayant été assuré.
En application des dispositions des articles L. 3121-39 et L. 3121-46 du code du travail dans leur version en vigueur à la date des faits litigieux ainsi que de celles de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire et des accords d’entreprise des 19 avril 2001 (accord de substitution et avenant à l’accord « Ombrelle » sur l’aménagement et la réduction du temps de travail) et 2 juillet 2013 (accord d’adaptation du statut des salariés en provenance de la société Casino Services au statut collectif de FPLP DS), au vu du contrat de travail initial ne fixant pas le nombre de jours de travail retenu au titre du forfait annuel en jours et de l’absence de clause relative à la durée du travail dans le cadre de l’avenant du 1er juillet 2013 (la durée du forfait annuel en jours n’apparaissant que dans l’article relatif à la rémunération), étant par ailleurs relevé que l’employeur ne justifie pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé de la salariée, et ce s’agissant notamment de la mise en oeuvre des garanties conventionnelles en matière de suivi de l’amplitude et de la charge de travail ainsi que de l’organisation d’un entretien portant sur la charge et l’amplitude de travail, sur l’organisation du travail dans l’entreprise ou l’établissement, sur l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération, la cour confirme en conséquence le jugement en ce qu’il a déclaré nulle la convention de forfait en jours litigieuse et dit que la salariée était dès lors en droit de réclamer le paiement d’heures supplémentaires.
Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Selon l’article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Dès lors, compte tenu de la saisine de la juridiction prud’homale intervenue le 4 juillet 2016 et d’une rupture du contrat de travail fixée au 21 février 2016, il apparaît que, contrairement à ce qui a été retenu à tort par les premiers juges, les demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires formées par la salariée au titre de la période courant à compter du 21 février 2013 ne sont pas prescrites.
Au vu des pièces communiquées par la salariée et notamment des récapitulatifs hebdomadaires des heures accomplies, du décompte précis et détaillé des heures supplémentaires réclamées au titre de la période litigieuse ainsi que des courriels échangés dans le cadre de son activité professionnelle, l’intéressée apparaît présenter à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle indique avoir accomplies permettant à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. En réponse, l’employeur ne fournit pas d’éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié.
Par conséquent, au vu de l’ensemble de ces éléments et au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées, après analyse des pièces produites, la cour retient la réalisation d’heures supplémentaires et accorde à la salariée, par infirmation du jugement, la somme de 54 836,68 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période du 21 février 2013 au 21 février 2016 outre 5 483,67 euros au titre des congés payés y afférents.
Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
La salariée fait valoir qu’elle a subi une surcharge de travail chronique sans aucun décompte de son temps de travail ni suivi de sa charge de travail, alors qu’elle était soumise à un calcul en jours de son temps de travail. Elle souligne avoir été sollicitée de manière constante par sa supérieure hiérarchique qui n’a eu de cesse de lui confier de plus en plus de tâches, affirmant n’avoir confiance qu’en elle en raison de la grande qualité de son travail, et qu’elle était ainsi amenée à travailler constamment et régulièrement à des heures tardives et même le samedi matin en période de clôture des comptes. Elle indique avoir été très affectée par cette surcharge de travail au point de voir son état de santé se dégrader.
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
En l’espèce, au vu des différentes pièces versées aux débats par la salariée et notamment des nombreux mails échangés dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle ainsi que de l’attestation établie par un ancien collègue de travail (M. [N]) permettant notamment de retenir que la supérieure hiérarchique de l’intéressée lui avait effectivement confié de nombreuses tâches et responsabilités supplémentaires au cours de la relation de travail au motif de la grande qualité de son travail et lui imposait des horaires de travail très importants, n’hésitant en outre pas à lui demander de continuer à travailler durant ses arrêts de travail pour maladie, cette charge de travail excessive ayant provoqué une dégradation de ses conditions de travail et une altération de son état de santé physique et psychique ainsi que cela résulte de l’attestation précitée, de son dossier de médecine du travail et des autres certificats médicaux produits par l’intéressée, il apparaît que l’employeur, qui ne produit pas de pièces de ce chef, ne justifie pas avoir effectivement pris les différentes mesures nécessaires prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité de la salariée et protéger sa santé physique et mentale.
Dès lors, la société intimée ayant ainsi manqué à son obligation de sécurité, ledit manquement ayant causé à la salariée un préjudice spécifique compte tenu de l’importance des répercussions sur son état de santé, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur la demande de dommages-intérêts pour pour défaut de suivi médical obligatoire
La salariée indique que si elle a bénéficié de sa visite médicale à l’embauche réalisée le 20 décembre 2012, son employeur n’a jamais organisé de nouvelle visite, l’absence de visite médicale lui ayant nécessairement causé un grief en ce qu’elle a ainsi travaillé durant près de quatre ans sans aucun suivi médical.
En application des dispositions de l’article R. 4624-16 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations de la salariée, cette dernière ne justifiant pas du principe et du quantum du préjudice allégué ni en toute hypothèse de son caractère distinct de ceux déjà réparés par l’attribution des sommes et indemnités précitées, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté l’intéressée de sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef.
Sur le harcèlement moral
L’appelante soutient avoir été victime d’actes répétés’de harcèlement moral se caractérisant notamment par un retrait de son équipe de travail et donc d’une partie de ses fonctions et responsabilités, une absence de fourniture de travail, un retrait des listes de diffusion de courriels pourtant relatifs à ses attributions, une absence d’étude de poste contrairement à la demande du médecin du travail ainsi qu’une dégradation significative de son état de santé en lien avec ses conditions de travail.
Selon l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, l’article L. 1154-1 du même code disposant, dans sa rédaction applicable au litige, que lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, l’appelante produit une fiche bilan infirmier du 27 octobre 2015 faisant état d’une sensation de malaise sans perte de connaissance survenue au travail, son dossier de médecine du travail, la fiche d’aptitude médicale sous réserve d’étude de poste établie par le médecin du travail le 3 novembre 2015, des échanges de mail afférents à ses conditions de travail au cours du mois de novembre 2015, différents justificatifs et certificats médicaux relatifs aux arrêts de travail dont a bénéficié l’intéressée ainsi que des attestations précises, circonstanciées et concordantes établies par d’anciennes collègues de travail (Mmes [F] et [W]) ayant personnellement été témoins des conditions de travail de l’intéressée, lesdits éléments faisant état de la mise en ‘uvre par l’employeur de pratiques managériales génératrices d’humiliation, d’anxiété et de perte de confiance se manifestant, à compter de son retour dans l’entreprise à la fin du mois d’octobre 2015 après une période d’arrêts de travail pour maladie, par une attitude irrespectueuse de sa supérieure hiérarchique (ne plus dire bonjour ni adresser la parole à la salariée) ainsi que par des pratiques d’isolement avec mise à l’écart, retrait des tâches et des responsabilités ainsi que des membres de son équipe, lesdits agissements ayant eu pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer la santé physique et mentale de la salariée ainsi que cela résulte des nombreux éléments médicaux versés aux débats.
Dès lors, il apparaît que l’appelante présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
L’intimée, dont les conclusions ont été déclarées irrecevables, ne justifie aucunement que les différents agissements précités ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le fait pour le conseil de prud’hommes de relever que la salariée indique avoir subi un harcèlement moral à compter du 3 novembre 2015 alors qu’elle était en arrêt de travail depuis le 8 septembre 2015 est manifestement erroné en ce que l’intéressée a effectivement repris le travail du 26 octobre au 20 novembre 2015, de même qu’est injustifié et pour le moins inopérant le fait pour les premiers juges d’affirmer de manière péremptoire que la mise en comparaison des diverses attestations produites par les parties conduit à privilégier les faits présentés par l’employeur sur le caractère de la salariée et ses conséquences négatives au sein de l’équipe de travail, que la situation invoquée de « mise au placard » repose sur une interprétation personnelle négative de la salariée qui n’a émis aucune contestation au moment de sa mise en place ou que la perte momentanée de l’accès à l’outil informatique relève plus d’un problème technique que d’une volonté malsaine de l’employeur à rencontre de la salariée.
Par conséquent, l’existence de faits de harcèlement moral étant caractérisée en l’espèce et l’appelante justifiant d’un préjudice spécifique résultant des agissements de harcèlement moral dont elle a fait l’objet de la part de son employeur, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef.
Sur la rupture conventionnelle
L’appelante soutient que l’existence d’une situation de harcèlement moral à son égard est caractérisée et que les semaines durant lesquelles elle s’est retrouvée ostracisée ont eu de telles répercussions sur son état de santé qu’il lui était manifestement impossible de laisser perdurer cette situation, le fait pour la société intimée de faire état de sa volonté univoque de ne plus lui donner de travail ayant renforcé la situation de contrainte. Elle affirme qu’au moment de la signature de la rupture conventionnelle, elle se trouvait en tout état de cause dans un état de faiblesse extrême provoqué par son état de santé, qu’elle n’était pas en mesure de comprendre les tenants et les aboutissants de cette rupture conventionnelle qui lui était imposée, sa grande fragilité psychologique au moment de cette signature étant incompatible avec la notion de consentement libre et éclairé.
Aux termes de l’article L. 1237-11 du code du travail, l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie, la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne pouvant être imposée par l’une ou l’autre des parties, celle-ci résultant d’une convention signée par les parties au contrat et étant soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties, l’article L. 1237-14 prévoyant que tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation relève de la compétence du conseil des prud’hommes, à l’exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif, le recours juridictionnel devant être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention.
En application de ces dispositions, il sera rappelé que l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture et qu’en l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail.
En l’espèce, au vu des seules pièces versées aux débats par la salariée, la cour ne peut que relever que cette dernière ne justifie pas, mises à part ses propres affirmations, qu’elle se trouvait, au moment de la signature, dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral et des troubles psychologiques qui en ont résulté ni du fait que la dégradation de son état de santé psychique entraînait pour elle une contrainte morale telle qu’elle l’empêchait d’avoir un consentement libre et éclairé au jour de la conclusion de la rupture conventionnelle, et ce alors qu’il résulte de son courrier du 2 janvier 2016 que c’est elle qui a pris l’initiative de solliciter la mise en place d’une procédure de rupture conventionnelle en indiquant que « salariée de votre entreprise au poste de responsable comptable depuis le 1er septembre 2012, je vous informe que j’envisage de quitter les fonctions que j’exerce actuellement. Je souhaite en effet me consacrer à de nouveaux projets professionnels en dehors de la région parisienne. Afin de mettre fin à mon contrat de travail de façon amiable, je vous propose d’entamer la procédure de rupture conventionnelle prévue aux articles L. 1237-11 et suivants du code du travail. En cas d’accord de votre part, je me tiens à votre disposition pour convenir d’une date d’entretien afin que nous fixions ensemble les conditions de mon départ de l’entreprise », l’argumentaire développé par l’appelante pour justifier de l’absence de tout projet d’installation familiale à la Réunion étant sans incidence de ce chef en ce que le courrier précité ne fait état que de projets professionnels hors région parisienne.
Il sera par ailleurs observé que les termes du courrier précité apparaissent peu compatibles avec l’état de faiblesse physique et mentale allégué par la salariée, cette dernière manifestant au contraire une volonté ferme, claire et non équivoque d’engager une processus de rupture conventionnelle, l’intéressée n’ayant de surcroît pas hésité, comme cela a été justement relevé par les premiers juges, à relancer l’employeur à ce titre.
Enfin, il convient de constater que la salariée, qui était en arrêt de travail depuis le 23 novembre 2015, a bénéficié d’un large délai de réflexion hors du cadre professionnel quotidien pour prendre sa décision, tant avant l’envoi de son courrier précité que jusqu’à l’organisation de l’entretien du 20 janvier 2016 pour s’accorder sur le principe et les modalités de la rupture, l’intéressée s’étant en outre abstenue de toute rétractation durant le délai de réflexion de 15 jours ayant couru jusqu’au 4 février 2016 et n’ayant finalement dénoncé la rupture conventionnelle litigieuse que suivant courrier du 25 mars 2016, courrier aux termes duquel elle contestait également le montant des sommes perçues dans le cadre du solde de tout compte, la salariée enjoignant alors fermement à l’intimée de réviser le chiffrage de la transaction sous quinzaine, à défaut de quoi elle se verrait dans l’obligation de saisir les juridictions compétentes.
En toute hypothèse, il sera relevé que les seuls éléments médicaux et attestations rédigées par des proches produits par la salariée ne permettent pas de démontrer l’existence d’une situation de faiblesse psychique entraînant pour elle une contrainte morale telle qu’elle l’empêchait d’avoir un consentement libre et éclairé au jour de la conclusion de la rupture conventionnelle le 20 janvier 2016.
Par conséquent, l’existence d’un vice du consentement n’étant pas rapportée, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de nullité de la rupture conventionnelle ainsi que de ses différentes demandes indemnitaires et financières en résultant au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture.
Sur la demande de rappel de prime de 13ème mois
L’appelante soutient qu’aux termes de son contrat de travail, elle bénéficiait d’une prime de 13ème mois et qu’à la rupture de son contrat de travail, cette prime aurait dû lui être payée au prorata de son temps de présence dans l’entreprise.
Cependant, en application des dispositions de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, les premiers juges ayant justement retenu que les stipulations du contrat de travail de l’intéressée faisait référence à la prime annuelle prévue par les dispositions conventionnelles précitées, les conditions d’attribution de ladite prime imposant d’être titulaire au moment du versement d’un contrat de travail en vigueur, soit en l’espèce en décembre 2016 alors que le contrat a été rompu à la date du 21 février 2016, étant observé qu’aucun versement au prorata du temps de présence n’est prévu dans une telle hypothèse (à l’inverse des situations de départ à la retraite ou de mise à la retraite, de décès, de licenciement économique, de départ en congé non rémunéré suspendant le contrat de travail ou de retour d’un tel congé intervenant en cours d’année), la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de rappel formée de ce chef.
Sur la demande de rappel de salaire au titre du mois de février 2016
L’appelante fait valoir que sur le bulletin de salaire du mois de février 2016 correspondant au solde de tout compte, l’employeur lui a retiré la somme de 1 477,33 euros bruts correspondant à 7 jours non travaillés alors que seuls six jours auraient dû être retirés, le contrat de travail ayant pris fin au 21 février 2016.
Au vu du bulletin de paie du mois de février 2016, étant constaté que les premiers juges ont justement relevé que seuls 6 jours auraient effectivement dûs être déduits et non 7, la cour confirme le jugement en ce qu’il a accordé à la salariée un rappel de salaire d’un montant de 211,05 euros de ce chef outre 21,11 euros au titre des congés payés y afférents.
Sur la prime de performance 2015
L’appelante soutient être en droit de percevoir une prime de performance au titre de l’année 2015 en application de l’article 4 de son contrat de travail en ce qu’elle a, comme chaque année, pleinement atteint, voire même dépassé, ses objectifs annuels.
Au vu du contrat de travail initial du 30 novembre 2012 prévoyant le versement, en sus du salaire de base, d’une rémunération variable en fonction des résultats de son activité et de la réalisation d’objectifs définis périodiquement par l’entreprise, l’avenant du 1er juillet 2013 stipulant expressément que la rémunération sera calculée conformément aux dispositions de l’accord d’adaptation du statut des salariés en provenance de la société CASINO SERVICES au statut collectif de la société Franprix Leader Price Direction et Supports, l’article 4-5 (rémunération variable) dudit accord d’adaptation indiquant que les salariés transférés continueront à bénéficier du dispositif de rémunération variable applicable au sein de leur société d’origine pour la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent, il apparaît que les modalités de rémunération variable dont bénéficiait l’appelante ont ainsi été maintenues postérieurement au transfert du contrat de travail intervenu à compter du 1er juillet 2013.
Dès lors, étant par ailleurs relevé que l’intéressée s’est effectivement vue fixer des objectifs au titre de l’année 2015 ainsi que cela résulte de son entretien annuel d’évaluation du 17 septembre 2015, le quantum retenu par les premiers juges n’étant pas contesté, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué à la salariée un rappel de prime de performance au titre de l’année 2015 d’un montant de 6 128,03 euros outre 612,80 euros au titre des congés payés y afférents.
Sur la clause de non-concurrence
L’appelante fait valoir qu’alors qu’elle sollicitait la condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 2 363,79 euros bruts à titre de reliquat sur la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence, le conseil de prud’hommes l’en a débouté en estimant à tort qu’il convenait de faire abstraction des heures supplémentaires qu’aurait pu effectuer la salariée, et ce alors que son calcul n’inclut nullement les heures supplémentaires effectuées mais se limite à reprendre le salaire de base figurant sur son bulletin de salaire, soit 4 642,04 euros.
Il résulte de l’article 3 (clause de non concurrence) de l’avenant du 1er juillet 2013 que : « en contrepartie de l’engagement que vous prenez, il vous est dû pendant la durée de l’obligation de non concurrence une indemnité mensuelle spéciale égale à un douzième de 50 % de votre salaire de base annuel ».
Dès lors, compte tenu d’un salaire mensuel de base (hors heures supplémentaires) de 4 642,04 euros, la salariée, qui était ainsi en droit de percevoir une contrepartie financière d’un montant total de 30 173,26 euros, n’ayant été réglée de ce chef que de la somme de 27 809,47 euros, la cour accorde à la salariée, par infirmation du jugement, une somme de 2 363,79 euros à titre de reliquat de contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence outre 236,38 euros au titre des congés payés y afférents.
Sur les autres demandes
Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné la remise à la salariée d’une attestation Pôle Emploi et d’un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la décision, les circonstances de l’espèce ne commandant par ailleurs aucunement d’augmenter le montant de l’astreinte fixée par les premiers juges.
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt, ou du jugement en cas de confirmation pure et simple, pour les créances indemnitaires.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil, par infirmation du jugement.
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser à la salariée, au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens, la somme supplémentaire de 1 500 euros, la somme accordée en première instance étant confirmée.
L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement en ce qu’il a fixé le salaire mensuel brut à 6 176,41 euros, condamné la société Franprix Leader Price Direction et Supports au paiement de la somme de 6 724,57 euros au titre des heures supplémentaires et 672,45 euros au titre des congés payés afférents et en ce qu’il a débouté Mme [R] de ses demandes de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ainsi que pour harcèlement moral, de sa demande de reliquat de contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence et de congés payés afférents ainsi que de sa demande de capitalisation des intérêts ;
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Franprix Leader Price Direction et Supports à payer à Mme [R] les sommes suivantes :
– 54 836,68 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période du 21 février 2013 au 21 février 2016 outre 5 483,67 euros au titre des congés payés y afférents,
– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
– 2 363,79 euros à titre de reliquat de contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence outre 236,38 euros au titre des congés payés y afférents ;
Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Franprix Leader Price Direction et Supports de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt, ou du jugement en cas de confirmation pure et simple, pour les créances indemnitaires ;
Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l’article 1343-2 du code civil ;
Condamne la société Franprix Leader Price Direction et Supports à payer à Mme [R] la somme supplémentaire de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [R] du surplus de ses demandes ;
Condamne la société Franprix Leader Price Direction et Supports aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT