Convention de rupture conventionnelle : 27 mai 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 19/01273

·

·

Convention de rupture conventionnelle : 27 mai 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 19/01273

ARRÊT DU

27 Mai 2022

N° 803/22

N° RG 19/01273 – N° Portalis DBVT-V-B7D-SL7U

AM/CH

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

29 Avril 2019

(RG F18/00155 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 27 Mai 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

Mme [Z] [U]

[Adresse 1]

[Localité 4]

réprésentée par Me Corinne PHILIPPE, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE :

S.A.S. ACCESS’OR

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me David LACROIX, avocat au barreau de VALENCIENNES

DÉBATS :à l’audience publique du 22 Mars 2022

Tenue par Alain MOUYSSET

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Séverine STIEVENARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Mai 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 mars 2022

FAITS ET PROCEDURE

Suivant plusieurs contrat de travail à durée déterminée Mme [Z] [U] a été embauchée depuis le 5 décembre 2014 par la société ACCESS OR, qui est l’une des sociétés détenues par la société JSK DEVELOPPEMENT, en qualité de vendeuse.

Son dernier contrat de travail à durée déterminée en date du 21 juillet 2015 a été suivant avenant du 5 octobre 2015 modifié en un contrat à durée indéterminée.

Le 6 avril 2017 la salariée a été placée en arrêt de travail, avant de prendre acte de la rupture du contrat de aux torts de l’employeur le 15 avril 2017.

Le 17 mai 2018 la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Valenciennes, lequel par jugement en date du 29 avril 2019 a débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes, en la condamnant à payer à la société la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Le 29 mai 2019 la salariée a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Vu les conclusions déposées le 16 février 2022 par la salariée.

Vu les conclusions déposées le 20 novembre 2019 par la société.

Vu la clôture de la procédure au 21 mars 2022.

SUR CE

De la rupture du contrat de travail

La prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse quand les griefs invoqués par le salarié à l’appui de celle-ci sont fondés, en revanche ladite prise d’acte doit produire les effets d’une démission quand aucun manquement grave à ses obligations ne peut être imputé à l’employeur.

Il appartient à ce titre au salarié de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations pour empêcher la poursuite des relations de travail, étant toutefois rappelé que lorsque le salarié invoque des agissements de harcèlement moral commis à son encontre les règles de preuve spécifiques à ce type de situation doivent recevoir application.

Il convient de rappeler à ce titre qu’en cas de litige, l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa version applicable au moment des faits, dispose que le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Il incombe à la partie adverse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce il convient tout d’abord de constater que les deux parties s’expliquent à titre liminaire dans leurs écritures sur la production par la salariée d’attestations émanant de

collègues de travail étant également en litige avec la société, laquelle stigmatise la situation de Mme [W], en soulignant ce qu’elle considère comme des contradictions décribilisant non seulement son dossier mais aussi celui des autres salariés.

Si les témoignages émanant de salariés étant également en litige avec la société doivent être examinés avec circonspection, compte tenu des risques d’impartialité pouvant être induits par une telle situation, pour autant ils peuvent être pris en compte s’ils sont corroborés par des éléments objectifs relativement aux faits qu’ils décrivent.

S’agissant de la situation de Mme [W], le fait que cette dernière ait parallèlement et même postérieurement à la signature d’une convention de rupture conventionnelle formalisé sa satisfaction quant au déroulement de la relation de travail au sein de la société, tout en indiquant que sa demande de rupture conventionnelle est la conséquence d’un changement de lieu géographique de vie, est seulement de nature à fournir des arguments à l’employeur quant à l’absence de vice de son consentement.

Le lien établi par la société entre sa situation et celle des autres salariées ne peut pris en compte que relativement à l’utilisation par l’une de ses collègues de travail d’un éventuel témoignage, et la possibilité de ne pas reconnaître à ce dernier de force probante, ce qui ne prive pas l’autre salariée de se prévaloir d’autres éléments.

Il y a lieu par ailleurs d’observer que les allégations de la société selon lesquelles les demandes des différentes salariées seraient le résultat d’une concertation, voire le signe d’un complot, ne reposent sur aucun élément objectif, étant précisé qu’il n’est pas impossible que les agissements de harcèlement moral aient été commis à l’égard de plusieurs personnes, et que la salariée indique avoir pris conscience de ne pas avoir été la seule à subir de tels actes.

Cette dernière présente des éléments de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral, à savoir des problèmes au niveau de plannings de travail, l’ayant conduite une fois à réclamer la transmission de l’un d’entre eux, et s’être vu reprocher une telle démarche en se voyant invitée à ne plus former de telles demandes, alors que le délai de prévenance n’était pas respecté

A cette occasion le représentant de la société a évoqué le faible chiffre d’affaires réalisé pour justifier son positionnement comme si cette situation l’autorisait à s’affranchir de règles apllicables en la matière.

Aux termes d’échange de courriers, qui corroborent les allégations de collègues de travail de la salariée, il apparait qu’en matière de congés payés, Mme [U] a rencontré des difficultés avec une remise en cause des périodes octroyées par une collaboratrice, étant précisé que ladite remise en cause est intervenue tardivement.

Une note à destination de l’ensemble des salariées des quatre magasins exploitant sous l’enseigne JULIEN D’ORCEL est révélatrice du positionnement de la société en la matière.

Cette dernière n’hésite pas à indiquer dans cette note à ces dernières « nous savons en toute transparence, que dans le cas de refus de notre part pour les dates indiquées nous pourrions subir soit des éventuels arrêts maladie de complaisance soient une volonté délibérée de ne pas réaliser les objectifs en chiffre d’affaires ».

Le contenu de cette note est révélateur de la pression exercée par la société à l’égard des vendeuses quant aux dates de congés pouvant leur être attribuées, et ce d’autant que dans ce même document il est précisé « il est grand temps que chacune prenne conscience ou se rappelle que si les congés est un droit acquis, il y a avant tout des devoirs envers l’entreprise qui lui a fait confiance en acceptant de l’intégrer dans la société pour se consacrer aux missions contractuelles ».

Cette note contient également des accusations relativement à des attitudes frauduleuses de salariées par fourniture d’arrêts de travail de complaisance, et des manquements professionnels par le biais d’une volonté délibérée de limiter le chiffre d’affaires.

Par ailleurs la salariée a été l’objet d’un avertissement pour un manque de disponibilté au profit de la clientèle, la société stigmatisant le fait qu’elle se consacrait à une tâche alors même que sa collègue était présente dans la réserve du magasin, étant observé que cette sanction a été délivrée le 29 mars 2017.

Il importe peu que les témoignages des collègues de travail de la salariée soient pour partie indirects en ce qu’ils relatent les propos de cette dernière, et qu’il existe des réserves quant aux garanties d’impartialité de ces témoins.

De même l’absence de justification de suites judiciaires aux dénonciations par la salariée auprès de l’inspection du travail de ses conditions de travail n’ont pas d’incidence, dès lors que les éléments précités pris dans leur ensemble font présumer harcèlement moral, de sorte qu’il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que cette décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il apparaît tout d’abord que la société ne fournit aucune explication et aucun élément s’agissant de la dégradation des conditions de travail au regard de ses pratiques en matière de planning et de congés payés, de même que relativement au caractère bien-fondé de l’avertissement.

La société soutient que les notes adressées ne l’ont pas été à titre personnel mais de manière collective, ne constituant à ce titre qu’un rappel de la réglementation applicable au sein de l’entreprise, de sorte qu’elles ne peuvent pas être le signe d’agissements de harcèlement moral qui doivent avoir été commis à titre individuel.

Toutefois, il convient de constater, au-delà du fait que certaines notes sont adressées individuellement à la salariée, que les reproches y étant formulés le sont à l’encontre de l’ensemble des membres d’une catégorie du personnel.

Certes des salariés n’exerçant pas les fonctions de vendeuse ne peuvent pas se prévaloir de courriers à destination de l’ensemble de cette catégorie, mais pour autant ces dernières le peuvent dès lors qu’il ne s’agit pas d’un simple rappel de consignes, mais que ces notes contiennent des menaces et la dénonciation de comportements fautifs de la part des vendeuses, sans en exclure une ou plusieurs.

La cour n’a pas retenu à ce titre les documents relatifs à la tenue vestimentaire des salariés, et plus particulièrement la nécessité de porter des talons hauts, dans la mesure où il ne s’agit que de l’évocation de règles de fonctionnement reprises dans un document de l’entreprise.

En revanche l’employeur ne peut pas passer sous silence la référence dans des notes à des arrêts de complaisance, à des comportements manifestant une volonté délibérée de restreindre le chiffre d’affaires, dans l’hypothèse d’un refus d’octroi de certains congés.

Il lui appartient en effet de démontrer que de telles pratiques ont pu être observées, et que ses accusations mêlées à des menaces sont fondées.

Or il n’est pas notamment justifié s’agissant de la salariée de contrôles lors d’un arrêt de travail ayant abouti à la contestation de son caractère fondé.

Cette carence de l’employeur s’ajoute à celle constatée relativement à une dégradation des conditions de travail consécutive à des pratiques en matière de planning et de congés payés source de stress pour la salariée.

La société ne peut pas se contenter de la production de témoignages de deux salariées faisant état de leur bonheur de travailler pour l’entreprise, dont l’une d’entre elle affirme même l’avoir réintégré à la suite d’un départ qu’elle a regretté, pour établir qu’aucun harcèlement moral ne lui est imputable.

De même elle souligne l’absence de constatations médicales au profit de la salariée pour contester la réalité d’une détérioration de son état de santé, alors même qu’il est suffisant que la dégradation des conditions de travail soit susceptible d’entraîner une telle détérioration, étant précisé qu’elle a été placée en arrêt de travail.

Par ailleurs la démonstration de l’existence de troubles psychologiques ne ressort pas que des constatations d’un praticien médical, et peut également être établie par des proches de la salariée ayant eu à observer son état de stress et son changement de comportement au cours de la période concernée.

L’absence d’un suivi psychologique est seulement de nature à être prise en compte dans le cadre de l’appréciation du préjudice de la salariée, dès lors qu’il constitue une contrainte pouvant être la marque de l’importance dudit préjudice.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la salariée a été victime d’agissements de harcèlement moral au cours de l’exécution du contrat de travail, que l’employeur limite à une période ancienne nettement antérieure à la prise d’acte, alors même que de tels agissements ont perduré jusqu’à la rupture du contrat de travail, comme la délivrance d’un avertissement.

La société ne peut pas soutenir que de tels agissements n’ont pas empêché la poursuite de la relation de travail, dans la mesure où la salariée n’a pas hésité à saisir l’inspection du travail pour dénoncer sa situation, alimentée par des faits anciens mais aussi récents.

Il ressort de ces éléments que la salariée a été victime d’agissements de harcèlement, qui sont constitutifs d’un manquement grave de la société à ses obligations rendant impossible le maintien de la relation de travail.

Il y a lieu en conséquence de dire que la prise d’acte doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La salariée a droit au paiement d’une indemnité de préavis de 1480 euros ainsi que des congés payés afférents à hauteur de 148 euros ainsi qu’une indemnité de licenciement de 518 euros, étant observé que ces sommes ont été contestées quant au principe de leur octroi mais pas en leurs montants.

Au regard l’ancienneté de la salariée dans l’entreprise ayant débuté le 21 juillet 2015, de sa qualification et de sa capacité à retrouver un emploi, des circonstances de la rupture et de leurs conséquences, il y a lieu au regard des dispsositions applicables à l’époque de lui allouer la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs la salariée a subi du fait du harcèlement moral un préjudice distinct de celui consécutif à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, qu’il convient de réparer par l’octroi d’une somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts.

En revanche le jugement entrepris doit être confirmé quant au rejet de sa demande en dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité, dès lors qu’indépendamment de la question de la constatation d’une telle violation, la salariée ne fait pas état d’un préjudice en lien avec une telle situation, se contentant d’affirmer que celle-ci lui cause nécessairement un préjudice, dont la réalité n’est pas ainsi établie.

De l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

L’équité commande de condamner la société à payer à la salariée la somme de 1800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés tant en première instance qu’en appel.

Des dépens

La société doit être condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté Mme [Z] [U] de sa demande en dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité, et quant au rejet de la demande de la société ACCESS OR en paiement d’une indemnité au titre de l’inexécution du préavis,

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,

Dit que la prise d’acte doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société ACCESS OR à payer à Mme [Z] [U] les sommes suivantes :

-1480 euros à titre d’indemnité de préavis outre la somme de 148 euros pour les congés payés afférents

-5000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

-1000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

-1800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Condamne la société ACCESS OR aux dépens.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE PRESIDENT

Monique DOUXAMI

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x