Convention de rupture conventionnelle : 8 juin 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/05717

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Convention de rupture conventionnelle : 8 juin 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/05717

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/05717 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MRG4

[V]

C/

Société ERAS

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lyon

du 04 Juillet 2019

RG : 17/00116

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 08 JUIN 2022

APPELANT :

[T] [V]

né le 27 Octobre 1959 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Malika BARTHELEMY-BANSAC de la SELARL CABINET D’AVOCATS MALIKA BARTHELEMY BANSAC ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société ERAS

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Olivier GELLER de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON,

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Avril 2022

Présidée par Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Joëlle DOAT, présidente

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Antoine MOLINAR-MIN, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 08 Juin 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Président et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

[T] [V] a été embauché à compter du 1er juin 2011 par la SA ERAS, devenue la SAS ERAS, en qualité de responsable de projet, statut cadre, suivant contrat de travail écrit à durée indéterminée du 22 février 2011 soumis à la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (IDCC 1486).

Par avenant au contrat de travail du 14 avril 2014, [T] [V] a été promu aux fonctions d’« expert all », position 2.3, coefficient 150.

[T] [V] a été mis à la disposition de la société de droit suisse ERAS SUISSE SA du 28 septembre au 26 octobre 2015, puis embauché par cette société à compter du 2 novembre 2016 en qualité de responsable projets, suivant contrat de travail écrit à durée indéterminée du 22 septembre 2016.

[T] [V] a, parallèlement, régularisé le 23 septembre 2016 avec la SAS ERAS INGENIERIE une convention de rupture de son contrat de travail, homologuée par décision de la DIRECCTE du 10 octobre 2016, de sorte que la relation de travail a pris fin le 1er novembre 2016.

Le 16 janvier 2017, [T] [V] a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande indemnitaire au titre de la fraude à ses droits par l’employeur à l’occasion de la conclusion de la rupture conventionnelle de son contrat de travail puis, au dernier état de ses demandes, d’une contestation de la rupture conventionnelle ainsi conclue, et de demandes indemnitaires et salariales à l’encontre de la société ERAS SUISSE et de la SAS ERAS INGENIERIE au titre de la rupture de la relation de travail ensuite notamment de son licenciement pour motif économique par la société ERAS SUISSE SA par correspondance du 27 février 2018.

Par jugement en date du 4 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Lyon ‘ section encadrement ‘ a :

PRIS ACTE de la déclaration de [T] [V] qui déclare abandonner ses demandes contre la société ERAS SUISSE ;

DIT ET JUGÉ que la convention de rupture conventionnelle signée entre [T] [V] et la SAS ERAS INGENIERIE le 23 septembre 2016 était valable et régulière et qu’elle n’était pas entachée de nullité ;

DÉBOUTÉ [T] [V] de l’intégralité de ses demandes ;

DÉBOUTÉ la SAS ERAS INGENIERIE de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT ET JUGÉ que les dépens de l’instance resteraient à la charge de [T] [V].

[T] [V] a interjeté appel de cette décision le 1er août 2019.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 12 mai 2022 et auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, [T] [V] sollicite de la cour de :

DIRE ET JUGER recevable et bien fondé l’appel qu’il a interjeté le 1er août 2019 à l’encontre du jugement rendu le 4 juillet 2019 par le conseil de prud’hommes de Lyon ;

RÉFORMER le jugement en ce qu’il a dit et jugé que la convention de rupture conventionnelle signée avec la SAS ERAS INGENIERIE, le 23 septembre 2016, est valable et régulière et qu’elle n’est pas entachée de nullité ;

RÉFORMER le jugement en ce qu’il l’a débouté de l’intégralité de ses demandes ;

RÉFORMER le jugement en ce qu’il a dit et jugé que les dépens de l’instance resteront à sa charge ;

CONFIRMER le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

DIRE ET JUGER que son consentement à la rupture conventionnelle n’a pas été libre et éclairé ;

DIRE ET JUGER que la rupture conventionnelle a été conclu suivant une fraude à la loi ;

DIRE ET JUGER que la rupture conventionnelle de son contrat de travail est nulle et de nul effet ;

DIRE ET JUGER que la demande incidente de la société ERAS est infondée ;

En conséquence,

CONDAMNER la société ERAS à lui payer la somme de 127 583,76 euros ;

CONDAMNER la société ERAS à lui payer la somme de 9 598,31 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

CONDAMNER la société ERAS à lui payer la somme de 15 947,97 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis non pris ;

CONDAMNER la société ERAS à lui payer la somme de 1 594,80 euros au titre des congés payés afférents,

Outre, sur l’ensemble des sommes précités, intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l’article 1343-2 du code civil ;

DÉBOUTER la société ERAS de sa demande incidente, en ce qu’elle demande à titre subsidiaire sa condamnation en paiement de la somme de 9 607,63 euros bruts ;

CONDAMNER la société ERAS à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société ERAS aux entiers dépens de l’instance.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 25 février 2022 et auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS ERAS sollicite de la cour de :

CONFIRMER le jugement en ce qu’il a :

-dit et jugé que la convention de rupture conventionnelle signée entre [T] [V] et la SAS ERAS INGENIERIE, le 23 septembre 2016, est valable et régulière et qu’elle n’est pas entachée de nullité ;

– débouté [T] [V] de l’intégralité de ses demandes ;

-dit et jugé que les dépens de l’instance resteront à la charge de [T] [V] ;

DÉBOUTER Monsieur [V] de l’intégralité de ses demandes ;

LE CONDAMNER à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Subsidiairement,

LE CONDAMNER à lui verser la somme de 9 607,63 euros au titre de l’indemnité spécifique de rupture, par le jeu des répétitions ;

CONDAMNER le même aux entiers dépens d’instance.

La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 10 mars 2022, et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience du 12 avril suivant.

SUR CE :

– Sur la nullité de la convention de rupture :

[T] [V] soutient, en substance, que la convention de rupture signée le 23 septembre 2016 avec la SAS ERAS est en réalité nulle et de nul effet en ce que :

– son consentement a été vicié par le projet de licenciement dont il a été l’objet à compter de juillet 2016 et par la « violence morale et économique » subie de l’employeur, caractérisée par « une forte pression répétée, plusieurs reproches injustifiés et de multiples menaces de licenciement », s’agissant notamment de la proposition de l’employeur de régulariser une transaction ensuite du licenciement dont il allait faire l’objet ;

– la circonstance qu’il a exigé que le contrat de travail avec la filiale suisse de la SAS ERAS soit régularisé avant toute rupture conventionnelle de son contrat de travail ne signifie pas qu’il aurait été à l’initiative de la rupture de son contrat de travail ;

– la signature d’une convention de rupture constituait en réalité une fraude à la loi dès lors qu’il aurait pu faire l’objet d’une mutation au sein de la filiale suisse, alors que son employeur lui a imposé la signature d’une rupture conventionnelle afin d’éviter de reprendre son ancienneté et modifier les modalités de sa rémunération, ses déplacements au sein de la société cliente ne donnant plus lieu à indemnisation ;

– la rupture conventionnelle du contrat de travail avait en réalité pour but d’éviter la procédure plus contraignante de licenciement pour motif économique.

La SAS ERAS fait notamment valoir, en réponse, que le salarié ne peut valablement soutenir que son consentement à la convention de rupture aurait été vicié, dès lors que :

– la rupture conventionnelle du contrat de travail a fait suite au projet clair et non équivoque du salarié de conclure un contrat de travail avec sa filiale de droit suisse et d’organiser sa mobilité géographique en Suisse ;

– la convention de rupture a fait suite à deux entretiens du salarié avec les représentants de l’entreprise et à plusieurs échanges de courriels de négociation quant aux conditions de la rupture, mais également de démarches directes d’information du salarié auprès de la DIRECCTE, et n’a d’ailleurs pas donné lieu à rétractation dans le délai légal imparti ;

– la validité du consentement s’apprécie à la date de la rupture conventionnelle, soit au 23 septembre 2016, de sorte que les conditions d’exécution (et de rupture) du contrat de travail au sein d’ERAS SUISSE, alléguées, demeurent étrangères aux débats ;

– en tout état de cause, Monsieur [V] n’apporte aucun élément de nature à démontrer que la société ERAS avait connaissance, en septembre 2016, de difficultés économiques rencontrées par la société ERAS SUISSE, ni qu’elle aurait pu préjuger d’un licenciement, au 30 avril 2018.

* * * * *

Il apparaît que, par convention régularisée le 23 septembre, [T] [V] et la SAS ERAS INGENIERIE ont convenu de la résiliation d’un commun accord du contrat de travail qu’ils avaient conclu le 22 février 2011, à effet au 1er novembre 2016.

Il convient de rappeler à cet égard que, sauf cas de fraude ou de vice du consentement, l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail ou de difficultés économiques n’affecte pas la validité de la convention de rupture conclue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail.

Il ressort précisément de l’article 1109 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, que la convention est frappée de nullité lorsque le consentement de l’un des contractants n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol.

Or, il convient de relever en l’espèce que les allégations de [T] [V] selon lesquelles, au cours des semaines précédant la conclusion de la convention de rupture litigieuse, il aurait fait l’objet d’un projet de licenciement pour motif économique et, plus généralement, de différentes pressions de l’employeur en vue notamment de le placer dans la crainte de son licenciement, ne sont étayées par le salarié que par la production de courriels des 26 juillet, 8 août, 12 septembre et 16 septembre 2016 dont il est lui-même l’auteur et dénués de toute valeur probante.

Et le courriel reçu le 20 septembre 2016 de la « responsable RH ‘ région [Localité 5] centre-ouest » de la société évoquant les conditions consensuelles de son embauche par la société de droit suisse ERAS à compter du 1er novembre suivant, d’une part, exposant à [T] [V] que, au regard des délais de rétractation et d’homologation de la rupture conventionnelle envisagée et lui proposant « d’avancer dès que possible avec la signature du formulaire pour déposer l’homologation de la rupture conventionnelle, afin qu’elle prenne effet au 31/10 », d’autre part, et l’interrogeant sur la date à laquelle il serait disponible pour signer cette convention, enfin, est très insuffisant à objectiver l’existence de la pression de l’employeur dont se prévaut l’appelant en vue de le contraindre à accepter la rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Il convient de relever, parallèlement, que :

– les allégations du salarié selon lesquelles la SAS ERAS INGENIERIE envisageait, à la période de la rupture, de procéder à la rupture de son contrat de travail, au regard notamment « d’un manque de missions », ne reposent sur aucune pièce probante ;

– [T] [V] ne peut soutenir valablement que la rupture conventionnelle de son contrat de travail lui aurait en réalité été imposée par son employeur dans l’objectif de le priver des avantages liés à son ancienneté à l’occasion du transfert de son contrat de travail au profit d’une filiale de droit suisse du groupe alors, précisément, que la rupture consensuelle du contrat de travail qu’envisageaient les parties en vue de l’embauche du salarié par la société de droit suisse ERAS SA, dès lors que cette nouvelle embauche devait intervenir à titre définitif, ne pouvait avoir lieu que dans le cadre de la rupture conventionnelle homologuée prévue et encadrée par les dispositions précitées de l’article L. 1237-11 du code du travail ;

– il n’est pas objectivé par l’appelant que la SAS ERAS INGENIERIE aurait eu connaissance, à la date de conclusion de la convention litigieuse, de difficultés économiques de la société de droit suisse ERAS SA, a fortiori d’une ampleur telle qu’elles auraient, nécessairement ou probablement, été de nature à remettre en cause la pérennité du contrat de travail que s’apprêtait à conclure son salarié avec cette société ;

– les allégations du salarié selon lesquelles le transfert de son contrat de travail à la société de droit suisse ERAS SA, par la conclusion d’une convention de rupture suivie de la conclusion d’un contrat de travail de droit suisse, était en réalité destiné à permettre à l’employeur de contourner les dispositions du droit du travail français encadrant les licenciements pour motif économique et d’en supporter la charge comme le coût, ne reposent sur aucune pièce probante.

Il ne peut ainsi être considéré au terme des énonciations qui précèdent que, ainsi que l’affirme [T] [V], la conclusion d’une convention de rupture avec son employeur le 23 septembre 2016 aurait procédé d’une intention frauduleuse de la SAS ERAS INGENIERIE.

Ainsi, faute pour l’appelant de rapporter la preuve des vices du consentement dont il entendait se prévaloir, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté [T] [V] de sa demande tendant à la nullité de la convention de rupture qu’il a régularisée avec son employeur le 23 septembre 2016, et de ses demandes indemnitaires et salariales afférentes à la rupture de la relation de travail.

– Sur les demandes accessoires :

[T] [V], partie perdante au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de l’instance.

Et il serait particulièrement inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce ci-dessus exposées notamment, de laisser à la charge de la SAS ERAS INGENIERIE l’intégralité des sommes qu’elle a de nouveau été contrainte d’exposer en justice pour la défense de ses intérêts.

Il convient par conséquent de condamner [T] [V] à verser à la SAS ERAS INGENIERIE la somme de 600 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE [T] [V] à verser à la SAS ERAS INGENIERIE la somme de six cents euros (600 euros) par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE [T] [V] de la demande qu’il formait sur le fondement de ces mêmes dispositions ;

CONDAMNE [T] [V] au paiement des dépens de l’instance d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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