Convention de rupture conventionnelle : 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01656

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Convention de rupture conventionnelle : 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01656

ARRÊT DU

24 Juin 2022

N° 1087/22

N° RG 20/01656 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TDPX

AM/AL

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de HAZEBROUCK

en date du

18 Mai 2020

(RG 18/00091 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 24 Juin 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [S] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A. ROQUETTE FRERES

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Benoit GUERVILLE, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS :à l’audience publique du 10 Mai 2022

Tenue par Alain MOUYSSET

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Cindy LEPERRE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 Avril 2022

FAITS ET PROCEDURE

Suivant contrat de travail dit d’adaptation M. [S] [K] a été embauché le 18 mai 2000 par la société ROQUETTES FRERES en qualité d’opérateur de fabrication.

Après avoir bénéficié d’un contrat à durée déterminée le salarié a été recruté dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2002.

Le salarié ayant un projet professionnel personnel, des négociations ont été entreprises à son initiative en vue de la conclusion d’une convention de rupture conventionnelle, mais elles n’ont pas abouti.

Le 29 octobre 2018 le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la société, laquelle en a pris acte par courrier du 13 novembre 2018.

Le 6 décembre 2018 le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’Hazebrouck, lequel par jugement en date du 18 mai 2020 a dit que la prise d’acte du salarié ne justifie pas un manquement grave de l’employeur et s’analyse en une démission claire et non équivoque, et a débouté le salarié de l’intégralité de ses demandes mais aussi la société, en condamnant le salarié aux dépens.

Le 30 juillet 2020 le salarié a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Vu les conclusions déposées le 3 mai 2022 par le salarié.

Vu les conclusions déposées le 6 janvier 2021 par la société.

Vu la clôture de la procédure au 19 avril 2022.

SUR CE

De la rupture du contrat de travail

La prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse quand les griefs invoqués par le salarié à l’appui de celle-ci sont fondés, en revanche ladite prise d’acte doit produire les effets d’une démission quand aucun manquement grave à ses obligations ne peut être imputé à l’employeur.

Il appartient à ce titre au salarié de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

En l’espèce le salarié soutient qu’il n’a pas bénéficié d’un suivi médical périodique alors même que sa qualité d’agent de fabrication avait pour conséquence de l’exposer de manière régulière à des agents pathogènes, et plus particulièrement au trichloréthylène.

Il fait également valoir qu’il a été soumis à un risque grave pour sa santé, qui a perduré dans le temps jusqu’au moment où il s’est vu contraint de prendre acte de la rupture de son contrat de travail, sans qu’aucune mesure d’évaluation de ce risque n’ait été prise pour l’employeur, qu’aucun mesurage du niveau d’exposition n’a été réalisé et que de manière générale toutes les prescriptions réglementaires applicables dans ce genre de situation ont été méconnues.

Il convient tout d’abord de rappeler que la lettre formalisant les griefs soutenant la prise d’acte ne fixe pas les limites du litige, de sorte que le salarié peut se prévaloir d’autres manquements que ceux invoqués dans cette missive, sauf à ce que ces derniers ne soient pas survenus postérieurement à ladite prise d’acte.

Il apparaît à ce titre que le salarié, qui avait dans la dite lettre fait état d’une exposition à un produit pathogène jusqu’en septembre 2016, affirme dans ses écritures avoir été en contact avec le trichloréthylène au-delà de cette date, comme cela ressort d’un projet de fiche d’exposition faisant mention d’un emploi en qualité d’opérateur fabrication dans le secteur  » recherche pilote 2  » jusqu’en 2018.

Il se prévaut de ce fait de l’arrêté inter-préfectoral de mise en demeure du 29 novembre 2017, et des constats ayant motivé la prise d’un tel arrêté, tels qu’effectués par l’inspecteur de l’environnement spécialité installations classées.

Il y a lieu ensuite d’indiquer que le fait pour un salarié d’avoir tenté dans un premier temps d’obtenir une rupture amiable du contrat de travail au motif du développement d’un nouveau projet professionnel ne lui interdit pas de formuler par la suite une prise d’acte de la rupture en invoquant des manquements de l’employeur à ses obligations.

Ainsi la société ne peut pas conclure au caractère infondé de cette décision du salarié au seul motif que celui-ci a eu la volonté de rompre le contrat de travail pour des raisons totalement étrangères aux manquements reprochés.

En effet les conséquences de la prise d’acte doivent être fixées en fonction non pas de telles considérations, mais seulement au regard de l’existence de manquements suffisamment graves imputables à l’employeur et ayant rendu la poursuite de la relation de travail impossible.

S’agissant des manquements invoqués par le salarié, il apparait que ce dernier fait état d’un catalogue de mesures règlementaires que l’employeur aurait dû prendre pour soutenir que leur non respect a eu pour conséquence la mise en danger de sa santé.

Certes les éléments fournis par la société sont parcellaires en ce qu’ils ne couvrent pas l’intégralité de la période d’exposition du salarié à un agent pathogène le trichloréthylène et plus particulièrement la plus ancienne, mais pour autant ils permettent d’apporter des réponses aux questions posées par M. [K].

Il ressort de ces éléments que ce dernier bénéficiait des équipements de protection individuelle et que l’installation fonctionnait bien en vase clos depuis l’année 2005, comme cela ressort notamment d’une attestation d’exposition professionnelle, dont les données sont contestées par le salarié au regard d’un projet d’attestation sans que ce dernier, bien que soulignant l’absence de signature de ce document, ne remette en cause son authenticité en le qualifiant de faux.

Outre le fait qu’un simple projet n’a pas la même valeur que le document final, il convient de constater que les autres documents remis par la société permettent de compléter les données y figurant, comme par exemple l’emploi occupé par M. [K] entre 2013 et septembre 2016, à savoir les fonctions d’opérateur fabrication exerçées notamment au sein du pilote 2.

L’attestation d’exposition professionnelle fournit également des renseignements sur la fréquence pour chaque opérateur des changements de fûts de trichloréthylène, qui constituent une opération délicate, étant toutefois réalisée en extérieur.

Or chaque opérateur procédait à un tel changement une fois par an, étant précisé qu’il ne s’agit pas du seul risque auquel un opérateur peut être exposé du fait de l’utilisation de ce produit pathogène.

La société justifie également par la production de rapports de l’APAVE en date du 7 mai 2014 que des opérations de mesurages ont bien été réalisées conformément à la législation applicable, même si le salarié souligne qu’il n’est pas justifié de la réalisation de telles opérations sur la durée totale d’exposition.

Après avoir observé que cet organisme explique qu’une durée de prélèvements inférieure à celle d’exposition n’a pas de conséquences au niveau du mesurage dans la mesure où ladite exposition est homogène tout au long de la journée de travail, il convient de constater qu’aucun dépassement des  » VLEP  » n’est apparu.

Le rapport d’analyse réalisée le 14 août 2015 relatif à des contrôles d’exposition s’inscrit dans la même lignée que le constat opéré par l’APAVE, puisqu’il conclut à une absence de détection du produit, étant précisé que les différentes cartographies du risque CMR concernant la période de 2008 à 2015 vont dans le même sens et permettent de constater que de manière constante la société a procédé à différentes opérations et contrôles, et tenté d’améliorer les conditions d’utilisation de l’agent pathogène.

Il apparaît ainsi qu’en 2013 des achats de fûts  » sécurité  » safetainer ont été effectués, alors que précédemment une hôte aspirante a été mise en place, étant observé qu’il est fait état de dosages d’ambiance et même parfois de rares incidents comme deux rejets accidentels suite à une fuite au niveau de la purge d’un ventilateur.

Ces cartographies permettent d’ailleurs de constater que le caractère parcellaire des documents remis par l’employeur n’est pas le reflet d’une absence de suivi, puisque celles-ci font bien état d’opérations dont la réalité n’est pas contestable, mais pour lesquelles aucun document spécifique n’est remis, étant précisé qu’en qualité d’exploitant d’installations classées la société fait l’objet d’un contrôle de la part notamment de l’inspecteur environnent.

Dans le rapport de cet inspecteur en date du 10 janvier 2019, il apparaît que trois inspections ont été menées entre le 11 juillet 2017 et le 11 décembre 2018 et que sur la même période une réunion a été tenue au sein du lieu d’exploitation.

Il apparaît à ce titre que dès le 11 décembre 2018, date de l’inspection ayant donné lieu au rapport du 10 janvier 2019, l’inspecteur a pu constater que les non conformités majeures ayant fait l’objet de l’arrêté préfectoral de mise en demeure du 29 novembre 2017 ont toute été progressivement levées par la transmission d’un certain nombre de justificatifs de la part de l’exploitant, de sorte que la date d’abrogation de l’arrêté n’est pas nécessairement révélatrice d’une inaction de la part de l’employeur, comme l’allègue le salarié.

S’agissant de l’état de santé de ce dernier, la société fournit des fiches d’aptitude médicale qui ne couvrent qu’une partie de la durée d’exposition, étant précisé que la dernière date du 23 juin 2017, qu’elle fait état d’un suivi individuel renforcé et de la réalisation d’une prochaine consultation en juin 2019 tout en mentionnant au titre du poste de travail la qualification suivante opérateur démoplans bioprocédés.

Il convient de souligner que relativement à un suivi individuel renforcé cette dernière fiche d’aptitude corrobore la mention figurant à ce titre dans l’attestation d’exposition professionnelle, dont la teneur est contestée par le salarié.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que l’absence quasi totale de suivi médical et de respect par l’employeur des dispositions réglementaires applicables en raison d’une exposition à un agent pathogène, telle qu’alléguée par le salarié, ne correspond pas à la réalité de la situation de l’entreprise, même si l’on ne peut ignorer le caractère parcellaire des documents fournis.

Même si l’on considère que du chef de ce dernier constat, l’employeur a manqué à certaines de ses obligations, pour autant de tels manquements n’ont pas empêché la poursuite de la relation de travail et ne peuvent à ce titre légitimer la prise d’acte par le salarié.

En effet les allégations de ce dernier relativement à une exposition plus longue que celle reconnue par la société, qui se prévaut à ce titre d’une affectation du salarié au site pilote 3, n’étant pas concerné par une telle exposition, sont non seulement contredites par des éléments fournis par la société mais aussi par la teneur de certains propos du salarié.

En effet dans un mail du 14 janvier 2018 M. [K] présente son départ comme la possibilité pour un opérateur  » P2″ d’intégrer une place au sein du  » DP3 « , et indique dans un courriel du mois d’avril 2018 qu’il n’est nullement intéressé par un poste au pilote 2, ce qui démontre qu’il n’y était plus affecté.

Ce mail est d’autant plus intéressant que le salarié se présente comme éventuellement volontaire pour intégrer le pilote 2 si les conditions sont propices à un départ, ce qui n’est pas réellement compatible avec des craintes légitimes au niveau de son état de santé du fait d’une telle affectation.

Il apparaît ainsi d’une part que le salarié n’était plus exposé depuis septembre 2016 dans les mêmes conditions que précédemment à un agent pathogène, et d’autre part qu’il n’a jamais remis en cause la poursuite de la relation de travail durant notamment cette période plus ancienne, ayant même envisagé pour faciliter son départ de l’entreprise de retourner dans son précédent poste de travail.

Il convient au regard de l’ensemble de ces éléments et plus particulièrement de l’absence d’impossibilité de maintien du contrat de travail du fait des manquements invoqués de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de l’intégralité de ses demandes après avoir jugé que la prise d’acte doit s’analyser en une démission.

En revanche le jugement entrepris doit être infirmé quant au rejet de la demande en dommages et intérêts formulée par la société du fait du caractère brusque de la rupture consécutif au défaut d’exécution du préavis.

Il y a lieu en conséquence de condamner le salarié à payer à la société la somme de 7650,38 euros de ce chef.

De l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Des dépens

Le salarié qui succombe doit être condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté la société ROQUETTE FRERES de sa demande en dommages et intérêts,

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,

Condamne M. [S] [K] à payer à la société ROQUETTE FRERES la somme de 7650,38 euros à titre de dommages-intérêts,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [S] [K] aux dépens.

LE GREFFIER

[U] [H]

LE PRESIDENT

Monique DOUXAMI

 


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