Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 29 JUIN 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/01741 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OB4F
ARRET N°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 FEVRIER 2019
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG F 18/00559
APPELANT :
Monsieur [I] [K]
né le 11 Août 1986 à [Localité 4]
de nationalité Française
CCAS [Localité 1]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Philippe JABOT de la SELARL CHEVILLARD, JABOT, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
SAS PAINDOR MONTPELLIER
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Sandra FLEURY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Représentée par Me Nathalie KOULMANN, avocat au barreau de NICE
Ordonnance de clôture du 15 Avril 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 MAI 2022,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence FERRANET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président
Madame Florence FERRANET, Conseiller
Madame Isabelle MARTINEZ, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par Mme Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
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EXPOSE DU LITIGE :
M. [K] a été embauché par la société Paindor Montpellier le 17 octobre 2016 en qualité de technicien de maintenance selon contrat de travail à durée indéterminée à temps complet avec une annualisation de son temps de travail à 1607 heures par an.
Le 19 janvier 2018, M. [K] sollicite une rupture conventionnelle de son contrat de travail.
Le 29 janvier 2018, la société Paindor Montpellier refuse d’accéder à la demande de M. [K].
Le 14 février 2018, M. [K] renouvelle sa demande de rupture conventionnelle.
Le même jour, il adresse un courrier à la société Paindor Montpellier, dénonçant un harcèlement moral qui se traduit par des astreintes abusives.
Le 15 février 2018, la société Paindor Montpellier notifie un avertissement à M. [K].
Le 19 février 2018, M. [K] conteste son avertissement.
Le 26 février 2018, la société Paindor Montpellier conteste les termes des courriers adressés par M. [K] le 14 février 2018 et confirme l’avertissement.
Le 15 mars 2018, la convention de rupture conventionnelle est formalisée, prévoyant une sortie des effectifs au 26 avril 2018.
M. [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier le 5 juin 2018, sollicitant le versement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts et indemnités.
Par jugement rendu le 12 février 2019, le conseil de prud’hommes de Montpellier a :
Condamné la société Paindor Montpellier à verser à M. [K] la somme de 3 500 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect des règles du repos quotidien et des plannings d’astreinte ;
Débouté M. [K] de sa demande au titre du travail dissimulé ;
Débouté M. [K] de sa demande au titre du repos compensateur ;
Débouté M. [K] de sa demande au titre du rappel de prime d’astreinte ;
Condamné la société Paindor Montpellier à verser à M. [K] la somme de 750 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Débouté la société Paindor Montpellier de sa demande au titre de l’article 32-1 du Code de procédure civile ;
Débouté la société Paindor Montpellier de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné la société Paindor Montpellier aux entiers dépens.
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M. [K] a interjeté appel de ce jugement le 12 mars 2019.
Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 28 octobre 2019, il demande à la cour de :
Condamner la société Paindor Montpellier au paiement des sommes suivantes :
– 10 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des conséquences des violations répétées des règles du repos quotidien ;
– 13 380 € au titre de l’amende forfaitaire pour travail dissimulé ;
– 469,28 € à titre de rappel de prime d’astreinte, outre la somme de 46,92 € au titre des congés payés afférents ;
– 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société Paindor Montpellier aux entiers dépens.
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Dans ses dernières conclusions déposées par RPVA le 11 mars 2020, la société Paindor Montpellier demande à la cour de :
Débouter M. [K] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner M. [K] à lui verser la somme de 1 000 € pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile ;
Condamner M. [K] au paiement de la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
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Pour l’exposé des moyens il est renvoyé aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.
L’instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 15 avril 2022 fixant la date d’audience au 9 mai 2022.
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MOTIFS :
Sur la demande de dommages-intérêts relative au recours abusif aux astreintes et au non-respect du repos quotidien :
L’article L.3121-9 du Code du travail définit l’astreinte comme « une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise » et précise que « la durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif. ».
L’article 75 de la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie industrielle prévoit que « la programmation individuelle des périodes d’astreinte devra être portée à la connaissance de chaque salarié concerné un mois à l’avance, sauf circonstances exceptionnelles et sous réserve que le salarié en soit averti au moins un jour franc à l’avance ».
En l’espèce, M. [K] sollicite le versement de la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour usage abusif du dispositif d’astreinte et non-respect du repos quotidien au motif, d’une part, qu’il est d’astreinte de manière permanente durant notamment 49 semaines sur l’année 2017 et, d’autre part, que l’astreinte ne saurait faire échec au temps de repos quotidien.
Bien que la société Paindor démontre que M. [K] était destinataire des relevés récapitulatifs des astreintes effectuées puisque le salarié les produit lui-même avec ses bulletins de salaire, elle n’apporte aucun élément permettant de justifier de ce qu’elle remplissait son obligation de fournir à M. [K] la programmation des astreintes pour le mois suivant.
Dès lors, si les relevés produits aux débats révèlent que le salarié n’est finalement intervenu qu’un faible nombre de fois par an, le manque d’information concernant les périodes d’astreinte était de nature à affecter objectivement et très significativement la faculté pour ce dernier de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts.
En outre, exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien, ceci étant précisé que les heures de repos doivent être consécutives de sorte que l’intervention interrompt la période de repos qui ne recommence qu’à compter du moment où le salarié a regagné son domicile. La seule possibilité pour que l’intervention ne fasse que suspendre le temps de repos est le cas des travaux urgents. Toutefois, dans ce cas, le salarié doit bénéficier d’un repos compensateur d’une durée égale au repos supprimé et, sauf cas de force majeure, l’employeur doit informer préalablement l’inspection du travail.
Or, il ressort des relevés de pointage que le temps de repos quotidien minimal de 11 heures n’a pas été respecté à 16 reprises sur la période du 17 octobre 2016 au 31 mars 2018 : en 2016 les 16-17/11 et 1-2/12, en 2017 les 4-5/01, 16-17/18/01, 17-18/03, 18-19/05, 28-29/05, 15-16/06, 20-21-22/06, 15-16/08, 23-24/10, 23-24/11 et en 2018 les 9-10/01 et 22-23/02.
La société Paindor, qui ne justifie pas avoir rempli les conditions relatives aux travaux urgents, a ainsi violé le droit au repos quotidien de son salarié à plusieurs reprises durant la relation contractuelle.
Il résulte de ces constatations que la société Paindor a violé ses obligations non seulement en matière d’organisation des astreintes mais également en matière de repos quotidien. Dès lors, M. [K] est fondé à solliciter le versement de dommages-intérêts à ce titre.
Le salarié soutient avoir subi un préjudice particulièrement important du fait des manquements de l’employeur à son égard, notamment sur le plan personnel, avec des difficultés familiales et une séparation avec sa compagne. Au soutien de cette affirmation, il produit l’attestation de Mme [W], qui atteste de ce que M. [K] était constamment en astreinte en dehors de son temps de travail, de sorte qu’ils ne pouvaient pas se déplacer, ce qui a conduit à leur séparation car il lui était impossible de continuer à supporter « cette situation de stresse, d’angoisse et d’harcèlement de la part de son entreprise ». Elle témoigne également de ce que suite à son départ de l’entreprise ils se sont remis ensemble dans une relation « totalement nouvelle, différente et opposé, sans stresse et apaisé ».
Par conséquent, le préjudice de M. [K] sera justement évalué à la somme de 5 000 €. La société Paindor sera condamnée au versement de cette somme à titre de dommages-intérêts. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le rappel de prime d’astreinte :
L’article 76 de la convention collective applicable prévoit l’allocation d’une compensation financière à raison de 3,5 fois le montant du Minimum Interprofessionnel Garanti (MIG) par jour d’astreinte, majorée de 50% les dimanches et jours fériés.
En l’espèce, M. [K] sollicite le versement de la somme de 469,28 € à titre de rappel de prime d’astreinte au motif qu’il aurait été d’astreinte 365 jours par an et non 140 jours comme l’affirme l’employeur.
La société Paindor soutient que la prime d’astreinte est forfaitaire et calculée par mois et non par jour. Or, la convention collective fait expressément varier la compensation financière selon le nombre de jours d’astreinte.
Dans la mesure où la société Paindor n’est pas en mesure de justifier le nombre de jours d’astreinte de M. [K], il sera fait droit à la demande de rappel de prime d’astreinte du salarié, de sorte que la société Paindor devra lui verser la somme de 469,28 € à ce titre, outre la somme de 46,92 € au titre des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le travail dissimulé :
L’article L 8221-5 du Code du travail dispose que « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
« 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
« 2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
« 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales. »
L’article L 8223-1 du Code du travail dispose que « En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. »
En l’espèce, le salarié soutient que le délit de travail dissimulé est caractérisé par le fait que l’employeur ne lui réglait pas la totalité des astreintes réalisées et des déplacements effectués.
M. [K] ne sollicite aucun rappel de salaire concernant les déplacements effectuées. Toutefois, l’élément matériel du délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié est bien caractérisé par le non-paiement de la totalité des astreintes réalisées.
En revanche, la preuve de l’élément intentionnel, nécessaire à la caractérisation du délit de travail dissimulé, n’est pas rapportée.
Par conséquent, [K] sera débouté de sa demande d’indemnité de travail dissimulé. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle de l’employeur au titre de la procédure abusive :
La société Paindor sollicite, à titre reconventionnel, l’allocation de la somme de 1 000 € sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile au motif que M. [K] aurait abusé de son droit d’ester en justice.
Toutefois, il a été partiellement fait droit aux demandes du salarié de sorte qu’il ne peut être considéré que celui-ci a abusé de son droit d’ester en justice. La société Paindor sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes :
La société Paindor, qui succombe principalement, sera tenue aux dépens d’appel et condamnée au versement de la somme de 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement rendu le 12 février 2019 par le conseil de prud’hommes de Montpellier en ce qu’il a débouté M. [K] de sa demande de rappel de prime d’astreinte et sur le quantum des dommages-intérêts pour non-respect des règles du repos quotidien et de l’astreinte, et le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau ;
Condamne la société Paindor à verser à M. [K] les sommes suivantes :
– 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect des règles du repos quotidien et de l’astreinte ;
– 469,28 € à titre de rappel de prime d’astreinte, outre la somme de 46,92 € au titre des congés payés afférents ;
Y ajoutant ;
Condamne la société Paindor aux dépens d’appel et au versement de la somme de 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,