ARRÊT DU
05 JUILLET 2022
NE/CO**
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N° RG 21/00036 –
N° Portalis DBVO-V-B7F-C3CO
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[G] [W]
C/
SCEA LA FERME DU BOUYSSOU
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Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° 76 /2022
COUR D’APPEL D’AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d’appel d’Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le cinq juillet deux mille vingt deux par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président assistée de Chloé ORRIERE, greffier
La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire
ENTRE :
[G] [W]
né le 07 décembre 1968 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Nezha FROMENTEZE, avocat inscrit au barreau du LOT
APPELANT d’un jugement du Conseil de Prud’hommes – formation paritaire de CAHORS en date du 15 décembre 2020 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 20/00033
d’une part,
ET :
La SCEA LA FERME DU BOUYSSOU prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Guy NARRAN, avocat postulant inscrit au barreau d’AGEN et par Me Julien FONTANINI, avocat plaidant inscrit au barreau du TARN-ET-GARONNE
INTIMÉE
d’autre part,
A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 01 février 2022 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président de chambre et Nelly EMIN, conseiller, assistés de Chloé ORRIERE, greffier. Les parties ayant été avisées de ce que l’arrêt serait rendu le 12 avril 2022, lequel délibéré a été prorogé ce jour par mise à disposition. Les magistrats en ont, dans leur délibéré rendu compte à la cour composée, outre eux-mêmes, de Benjamin FAURE, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés.
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FAITS ET PROCÉDURE
La société civile d’exploitation agricole (SCEA) la FERME du BOUYSSOU exerce son activité à [Localité 5] dans le Lot.
Selon contrat à durée indéterminée en date du 4 septembre 2017, M. [G] [W] a été embauché par la SCEA La FERME du BOUYSSOU en qualité de directeur commercial national. La relation de travail était régie par la convention collective du travail des exploitants agricoles du Lot.
Le contrat de travail comportait par ailleurs une clause aux termes de laquelle la durée de travail de Monsieur [W] était de 217 jours travaillés par an, avec une totale liberté pour Monsieur [W] dans l’organisation de son temps de travail à l’intérieur de ce forfait annuel.
La rémunération de M. [W] était définie comme suit dans le contrat de travail :
«1- en considération des caractéristiques précitées de sa fonction, Monsieur [G] [W] percevra une rémunération forfaitaire mensuelle brute de 4000 € pour 217 jours travaillés par an.
2- Monsieur [G] [W] percevra en plus de sa rémunération fixe une rémunération variable égale à 1 % du chiffre d’affaires hors-taxes réalisées et factures acquittées par son équipe sur les marchés décrits dans l’objectif de 4 millions d’euros hors-taxes et seulement sur ces marchés là (les comités d’entreprise et les collectivités et les revendeurs sur la gamme produit dits secs et conserves)
Cette prime sera versée à partir du mois de janvier 2019 et lissée de façon égale et mensuelle sur les 12 mois de l’année suivante, elle sera calculée sur le chiffre d’affaires de l’année civile précédente, soit 2018 et ainsi de suite.
3- Il est convenu entre les parties sans que cela puisse constituer un quelconque acquis, que Monsieur [G] [W] percevra une prime commerciale de 2000 euros bruts mensuels du 1er septembre 2017 au 31 décembre 2018.
Pour quelque raison que ce soit, démission et licenciement quelque soit la cause de licenciement, si Monsieur [G] [W] quitte l’entreprise en 2018, il ne pourra en aucun cas faire valoir des commissions sur les ventes réalisées en 2017 et 2018 ».
Le contrat comportait par ailleurs une clause « objectifs » stipulant que ‘pour 2018, Monsieur [W] a pour objectif la réalisation de 4 000 000 euros HT de chiffre d’affaires avec l’équipe telle qu’elle sera au 01/09/2017, soit avec ses commerciaux’, la société se réservant la possibilité en cas de non-atteinte de l’objectif de procéder au licenciement de Monsieur [W].
Le 2 janvier 2019 les parties ont signé un avenant stipulant :
« (‘)
Pour rappel dans le contrat signé le 28/06/2017, Monsieur [G] [W] devait réaliser un objectif de 4 millions d’euros hors-taxes annuels, le réalisé sera inférieur à 2 500 000 euros hors-taxes sur les marchés convenus et réalisés par son équipe commerciale. La non réalisation de cet objectif peut justifier son licenciement tel que dit dans son contrat.
Il est convenu entre les parties de modifier l’objectif de chiffre d’affaires hors-taxes à réaliser au 31/07 /2019 soit 2 200 000 euros hors-taxes de devis signés et/ou produits facturés sur les marchés CE/collectivités, revendeurs sur la gamme produit dit secs et conserves.
Les parties conviennent qu’à l’issue des prochains sept mois, soit au 31/07/2019 et au regard du chiffre d’affaires réalisé un nouvel avenant sera signé fixant de nouvelles règles de rémunération.
Au cas où Monsieur [G] [W] n’atteindrait pas au 31 juillet 2019 l’objectif qui lui est fixé, la société se réserve la possibilité de procéder au licenciement de Monsieur [G] [W], justifié par la non-réalisation de l’objectif de chiffre d’affaires contractuellement fixé ».
Le 1er août 2019 les parties ont signé un nouvel avenant stipulant :
« (‘)
Pour rappel dans le contrat signé le 28 juin 2017 Monsieur [G] [W] devait réaliser un objectif de 4 millions d’euros hors-taxes annuels, le réalisé a été inférieur à 2 500 000 euros hors-taxes sur les marchés convenus et réalisés par son équipe commerciale. La non réalisation de cet objectif peut justifier son licenciement tel que dit dans son contrat.
Il a été convenu au mois de janvier 2019 entre les parties de modifier l’objectif de chiffre d’affaires hors-taxes à réaliser au 31 juillet 2019 soient 2 200 000 euros hors-taxes de devis signés et/ou produits facturés sur les marchés CE/collectivités, revendeurs sur la gamme produits secs et conserves.
Le résultat obtenu à l’échéance est de 1 200 000 euros hors-taxes. La non réalisation de cet objectif peut justifier votre licenciement tel que dit dans l’avenant signé le 2 janvier 2019.
Les objectifs fixés n’ont pas été réalisés entraînant des pertes économiques importantes pour l’entreprise, néanmoins et après discussion il est convenu entre les parties qu’un nouvel objectif de 3 000 000 d’euros hors-taxes toujours sur la gamme de produits et marchés devant être réalisé au 31/12/2019.
(‘)
Si à la date du 31 /12/2019 l’objectif fixé n’est pas réalisé la prime commerciale de 2000 euros sera supprimée à compter du 01/01/2020 et le contrat pourra être rompu pour non réalisation des objectifs fixés. Devant le manque de résultats probants sur le marché de l’épicerie fine, il est décidé que chaque commercial doit réaliser un nouveau client tous les mois à compter du mois de septembre 2019.’
Le 30 décembre 2019 Monsieur [W] et son employeur ont signé une rupture conventionnelle du contrat de travail aux termes de laquelle les parties convenaient de fixer à la somme de 3700 euros l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle.
Cette rupture conventionnelle a fait l’objet d’une homologation par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRRECTE) d’Occitanie. Le contrat de travail de Monsieur [W] a été rompu à la date du 14 février 2020.
Par requête en date enregistré au greffe le 13 mai 2020, Monsieur [W] a saisi le conseil des prud’hommes de Cahors pour réclamer paiement de rappels de rémunération et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement en date du 15 décembre 2020, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties en première instance et des motifs énoncés par les premiers juges, le conseil des prud’hommes de Cahors a condamné la SCEA La FERME du BOUYSSOU à verser à Monsieur [W] la somme de 965,21 euros au titre du rattrapage de la prime commerciale 2019, mais a débouté [G] [W] de toutes ses prétentions en le condamnant aux entiers dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 14 janvier 2021, [G] [W] a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas critiquées.
La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 2 décembre 2021.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
I. Moyens et prétentions de Monsieur [G] [W], appelant principal et intimé sur appel incident
Monsieur [W] conclut à l’infirmation du jugement entrepris et demande à la Cour :
1°) de condamner la SCEA La FERME du BOUYSSOU à lui verser la somme de 46 924 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de la part variable, outre la somme de 4 624 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés en faisant valoir :
– que la part variable de la rémunération n’est pas graduée ou pondérée en fonction du chiffre d’affaires atteint, pas plus qu’elle n’est conditionnée par l’atteinte de l’objectif fixé ;
– que la part variable est égale à 1 % du chiffre d’affaires hors-taxes réalisé par Monsieur [W] et que la prime commerciale n’est pas constitutive d’une avance sur la part variable ;
– que les deux avenants établis en janvier et août 2019 ne modifient pas les modalités de la rémunération mais portent sur la révision des objectifs de chiffre d’affaires à réaliser ;
– que dans l’avenant du 1er août 2019 le versement de la prime commerciale d’un montant mensuel de 2000 euros a été prolongé pour l’année 2019 ;
– que si la part fixe et la prime commerciale ont été versées conformément aux engagements contractuels, la part variable de la rémunération ne lui a pas été versée ;
– que l’intimée ne saurait lui reprocher des mauvais résultats alors qu’elle ne s’en est pas saisie quand elle en avait la possibilité ainsi que lui permettaient les avenants qui indiquaient que la non-réalisation de l’objectif pouvait justifier le licenciement ;
– que la simple lecture des avenants permet d’écarter l’argumentation de la SCEA La FERME du BOUYSSOU selon laquelle le paiement de la commission de 1 % était lié à l’atteinte de l’objectif de 4 000 000 d’euros hors-taxes ;
– que c’est tout aussi vainement que l’employeur lui oppose une prétendue renonciation à ses droits au motif qu’il n’avait pas sollicité le versement de la part variable durant les trois années de collaboration ;
– que l’argumentation des premiers juges est totalement inacceptable puisqu’au regard des dispositions contractuelles la prime commerciale ne constitue en aucun cas une avance sur la part variable de la rémunération ;
– que compte tenu des chiffres d’affaires communiqués par la SCEA La FERME du BOUYSSOU, la part variable de sa rémunération s’élève au total à 46 924 euros, somme à laquelle il convient d’ajouter l’indemnité compensatrice de congés payés ;
2°) d’infirmer le jugement en ses dispositions limitant la somme indûment déduite du bulletin de salaire du mois de février 2020 à 965,21 euros et de fixer celle-ci à 2356,21 euros bruts, en faisant valoir que l’employeur n’a pas fourni la moindre explication sur la retenue opérée et que l’interprétation des premiers juges est totalement erronée ;
3°) d’infirmer le jugement en ses dispositions relatives à la rupture conventionnelle et de dire et juger celle-ci nulle et devant produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en soutenant :
– que les conditions de validité de la rupture conventionnelle ne sont pas réunies dès lors que le prétendu entretien en date du 6 décembre 2019 n’a jamais existé ;
– que la preuve de l’existence de cet entretien incombe à celui qui s’en prévaut c’est-à-dire en l’espèce à l’employeur, et qu’elle n’est pas rapportée par le simple fait que l’employeur mentionne dans un courrier qu’un tel entretien a eu lieu, alors qu’au surplus ni le lieu, ni l’endroit (sic) où ce prétendu entretien aurait eu lieu n’est précisé et qu’il n’est justifié d’aucune convocation ;
– qu’aucun entretien préalable à la signature n’a eu lieu le 30 décembre 2019 puisque c’est précisément ce jour-là qu’a été signé la convention de rupture conventionnelle ;
– qu’en réalité les documents relatifs à la rupture conventionnelle ont tous été établis par l’employeur et soumis à sa signature le 30 décembre 2019, y compris le courrier daté du 9 décembre 2019 le convoquant à un entretien ;
– qu’au surplus aucun exemplaire de la convention de rupture conventionnelle ne lui a été remis, l’employeur sur qui pèse la charge de la preuve n’en fournissant une nouvelle fois aucune preuve ;
– que celle-ci ne peut être tirée des attestations de Madame [N] et de Monsieur [H] parfaitement mensongères ;
4°) de condamner la SCEA La FERME du BOUYSSOU à lui payer la somme de 36 000 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, majorée de 3 600 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents, et la somme de 21 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en expliquant que du fait de la nullité de la convention de rupture conventionnelle la rupture des relations produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui ouvre droit au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et d’une indemnité de 21 000 euros par application de l’article L.1235-3 du code du travail ;
5°) de condamner la SCEA La FERME du BOUYSSOU au paiement des intérêts sur les sommes allouées à titre de salaire à compter de la saisine du bureau de conciliation et d’ordonner la capitalisation des intérêts ;
6°) de débouter la SCEA La FERME du BOUYSSOU de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive en exposant qu’il a saisi la justice pour faire valoir les termes d’un contrat signé et d’une rupture conventionnelle irrégulière et qu’il était donc parfaitement en droit de le faire et le cas échéant de former appel pour défendre ses droits ;
7°) de condamner la SCEA La FERME du BOUYSSOU aux entiers dépens, y compris les frais de signification et d’exécution en cas d’absence d’exécution spontanée, et au paiement d’une indemnité de procédure de 5 000 euros.
II. Moyens et prétentions de la SCEA La FERME du BOUYSSOU, intimée sur appel principal et appelante incidente
Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la cour le 3 juin 2021, la SCEA La FERME du BOUYSSOU conclut à la confirmation du jugement en faisant valoir :
– que Monsieur [W] est le premier salarié à engager une action judiciaire contre la SCEA La FERME du BOUYSSOU ;
– que l’arrivée de Monsieur [W] dans l’entreprise en tant que directeur commercial a eu l’effet inverse à celui recherché puisqu’au lieu de développer l’activité Monsieur [W] a provoqué une baisse continue de celle-ci jusqu’à son départ ;
– que dans le contrat de travail l’employeur a pris soin de lier la commission de 1 % à un objectif de 4 millions d’euros hors-taxes, que s’il avait voulu accorder 1 % du chiffre d’affaires sans aucune condition il n’aurait jamais fait référence dans la clause de rémunération à l’objectif de 4 millions d’euros hors-taxes ;
– que certes la rédaction de cette clause peut apparaître maladroite aux yeux d’un juriste mais qu’étant exploitant agricole l’employeur a toujours rédigé le contrat de travail en se basant sur la confiance ;
– que contrairement à ce qu’il prétend, M. [W] a signé un contrat de travail conditionnant la commission de 1 % à l’atteinte d’un objectif de 4 millions d’euros hors-taxes qu’il n’a jamais atteint, entraînant la privation logique de la commission de 1 % ;
– que les avenants n’ont pas modifié l’objectif de rémunération de 4 millions d’euros du contrat initial constituant le seuil de déclenchement de la commission de 1 % du chiffre d’affaires ;
– que la retenue de 2356,21 euros sur le bulletin de paie du mois de février 2020 correspond à une simple application du contrat de travail, mais qu’elle a cependant commis une erreur de calcul, la prime de 1 % sur le chiffre d’affaires de 2019 s’élevant à 22 609 euros et le salarié ayant déjà perçu en 2019 chaque mois 2000 euros de sorte que le trop-perçu ne s’élève pas à 2356,21 euros mais seulement à 965,21 euros ;
– que la procédure préalable à la rupture conventionnelle a été parfaitement respectée puisqu’elle a remis un courrier au salarié le 9 décembre 2019 faisant référence à un échange qui s’était déroulé le 6 décembre ;
– que le salarié a reçu en main propre ce courrier du 9 décembre contre décharge pour un entretien fixé le 30 décembre 2019, et l’a signé sans observation ;
– que M. [W] ment quand il affirme qu’aucun entretien préalable n’a eu lieu, remettant en cause des documents qu’il a pourtant signés ;
– que Monsieur [W] s’est bien vu remettre un exemplaire de la rupture conventionnelle après avoir signé celle-ci, remise confirmée par l’attestation délivrée par Madame [N], comptable de l’entreprise, qui a expressément mentionné avoir généré le document en trois exemplaires à l’issue de l’entretien, que ces exemplaires ont été signés par les deux parties et que M. [W] a conservé l’exemplaire qui lui était destiné ;
– que la plainte pour faux témoignage que M. [W] a déposé, à la demande expresse de son avocat qui lui avait conseillé de le faire avant la date d’audience, ne visait qu’à étayer son dossier et qu’elle a été classée sans suite.
La SCEA La FERME du BOUYSSOU demande également à la Cour de condamner Monsieur [W] au paiement de la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, estimant que la procédure a dégénéré en abus de droit de la part de Monsieur [W], sa mauvaise foi caractérisée étant établie.
La SCEA La FERME du BOUYSSOU sollicite enfin la condamnation de M. [W] au paiement d’une indemnité de procédure de 2000 euros et aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
I. SUR L’EXÉCUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL
A. Sur la demande en payement d’un rappel de salaire
M. [W] sollicite la condamnation de la SCEA La FERME du BOUYSSOU à lui verser la somme de 46 924 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de la part variable.
Pour infirmer le jugement entrepris en ses dispositions déboutant M. [W] de cette demande il suffira de relever :
– que si le contrat de travail comporte une clause « objectifs » mentionnant que ‘pour 2018, Monsieur [W] a pour objectif la réalisation de 4 000 000euros HT de chiffre d’affaires’ la clause relative à la rémunération variable stipule que M. [W] ‘percevra en plus de sa rémunération fixe une rémunération variable égale à 1 % du chiffre d’affaires hors-taxes réalisées et factures acquittées par son équipe sur les marchés décrits dans l’objectif de 4 millions d’euros hors-taxes et seulement sur ces marchés là’.
– que cette dernière clause, claire et précise, ne nécessitant donc aucune interprétation de la volonté des parties, ne subordonne pas le bénéfice de la rémunération variable à l’atteinte d’un objectif de 4 millions d’euros, mais fixe seulement l’assiette sur laquelle cette rémunération variable doit être chiffrée, à savoir le chiffre d’affaires réalisé et réglé sur les marchés décrits dans la clause fixant l’objectif de 4 millions d’euros ;
– que les deux avenants établis en janvier et août 2019 n’ont pas modifié les modalités de la rémunération de M. [W], mais portaient exclusivement sur la révision des objectifs de chiffre d’affaires à réaliser ;
– que l’absence de réclamation antérieure de cette rémunération variable ne prive pas M. [W] du droit d’en réclamer le payement, dès lors que sa réclamation n’est pas prescrite ;
– que compte tenu des chiffres d’affaires communiqués par la SCEA la Ferme du Bouyssou pour les marchés décrits dans la clause d’objectifs, soit 2 431 532 euros en 2018 et 2 260 912 euros en 2019, la part variable de la rémunération due à M. [W] s’élevait à 24 315 euros bruts en 2018 et 22 609 euros bruts en 2019 ;
– que la prime commerciale mensuelle de 2000 euros versée à M. [W] ne peut être considérée comme une avance sur la rémunération variable dès lors que son versement est prévu par une disposition particulière du contrat de travail, sans lien avec la rémunération variable, rappelée ci-dessus, que cette disposition n’a pas été modifiée par les avenants, celui signé le 1er août stipulant seulement que la non réalisation au 31 décembre 2019 du nouvel objectif de chiffre d’affaires fixé entraînerait la suppression de la prime commerciale à compter du 1er janvier 2020 ;
– que la SCEA La FERME du BOUYSSOU apparaît donc bien débitrice de la somme brute de 46 924 euros et qu’il y a lieu, réformant le jugement entrepris de ce chef, de la condamner à payer cette somme à M. [W] ;
– que cette rémunération variable constitue un élément de salaire qui ouvre droit au bénéfice de congés payés en application des articles L.3141-1 et suivants du code du travail, et donc au versement d’une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue ;
– que par suite il y a lieu de condamner en outre la SCEA La FERME du BOUYSSOU à verser à M. [W] une indemnité compensatrice de congés payés de 4 692,40 euros ;
– que par ailleurs il y a lieu d’assortir ces condamnations des intérêts au taux légal à compter de l’introduction de la procédure devant les premiers juges, le 13 mai 2020.
B. Sur la demande de restitution de la somme de 2 356, 21 euros
L’examen du bulletin de salaire du mois de février 2020 révèle que l’employeur a retenu sur la rémunération de M. [W] une somme de 2356 euros au titre de la ‘régul (régularisation) de la prime commerciale 2019″.
Pour infirmer le jugement entrepris et condamner la SCEA La ferme du Bouyssou à payer la somme de 2356,21 euros il suffira de relever :
– que c’est vainement que la SCEA soutient qu’elle était en droit de procéder à une retenue dès lors que M. [S] avait perçu en trop une somme, après rectification d’une erreur de calcul, de 1391 euros au titre de la prime sur chiffre d’affaires ;
– que selon la mention figurant sur le bulletin de salaire, cette retenue a été opérée pour régularisation de la prime commerciale ;
– que, ainsi que la cour l’a énoncé précédemment, celle-ci ne constituait pas une avance sur la rémunération variable de M. [W], mais une rémunération distincte de celle-ci ;
– que la somme due à ce titre (2000 euros par mois) était de 24 000 euros pour l’année 2019 et que la somme perçue par M. [W] était précisément de 24 000 euros ;
– qu’il n’y avait donc pas lieu à une quelconque régularisation d’un trop perçu et que c’est à tort que l’employeur a retenu la somme de 2356,21 brut sur la rémunération de février 2020 ;
– qu’il sera donc condamné à verser cette somme, majorée des intérêts à compter de l’introduction de la procédure, le 13 mai 2020.
II. SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL
M. [W] soulève la nullité de la rupture conventionnelle en soutenant que les documents relatifs à celle-ci ont tous été établis par l’employeur et soumis à sa signature le 30 décembre 2019, que les entretiens du 6 décembre et du 30 décembre 2019 n’ont jamais eu lieu, l’employeur n’en rapportant pas la preuve et qu’aucun exemplaire de la convention de rupture ne lui a été remis par l’employeur.
Pour confirmer les dispositions du jugement déboutant M. [W] de sa demande de nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail et de ses demandes en payement d’indemnité de préavis et de congés payés afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il suffira de relever :
– que l’argumentation de M. [W] relative au non respect de la procédure de conclusion d’une convention de rupture en raison de l’absence de tout entretien préalable à sa conclusion manque en fait dès lors qu’il est produit par la SCEA La Ferme du Bouyssou le formulaire de demande d’homologation, faisant état d’un premier entretien le 9 décembre 2019, puis d’un second le 30 décembre 2019, demande revêtue de la signature de M. [W] ;
– que M. [W] ne fait état, et à fortiori ne justifie d’aucune manoeuvre dolosive de son employeur pour l’amener à signer ce document et qu’ainsi la preuve est suffisamment rapportée du respect des dispositions de l’article L.1237-12 du code du travail ;
– que la remise à M. [W] d’un exemplaire de la convention de rupture est un fait juridique dont la preuve peut être rapportée par tout moyen et qu’en l’espèce cette preuve est suffisamment rapportée par l’attestation de Mme [N], comptable de l’entreprise, qui a indiqué qu’à l’issue de l’entretien du 30 décembre 2019, elle avait généré sur la base du formulaire CERFA, la convention de rupture en trois exemplaires, qui avaient été signés par le dirigeant et M. [W] et que ce dernier avait conservé un exemplaire signé de la convention ;
– qu’en l’absence d’annulation de la convention signée le 30 décembre 2019 et homologuée par la DIRECCTE le 14 février 2020, la rupture est fondée sur cette convention et ne peut être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse,, ni ouvrir droit à indemnités de rupture ou à dommages et intérêts.
III. SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
Pour confirmer les dispositions du jugement déboutant la SCEA de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive il suffira de relever que dès lors qu’il est fait partiellement droit aux prétentions de M. [W], la procédure engagée par celui-ci ne peut évidemment pas être qualifiée d’abusive et ouvrir droit à dommages et intérêts.
IV. SUR LES FRAIS NON-RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS
La SCEA La Ferme du Bouyssou, dont la succombance est dominante, sera condamnée aux entiers dépens et débouté de sa demande en payement d’une indemnité de procédure.
Par contre, l’équité justifie la condamnation de la SCEA La Ferme du Bouyssou à payer à M. [W] une indemnité de procédure de 2500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, par arrêt prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris en ses dispositions déboutant M. [W] de sa demande en payement d’un rappel de salaire au titre de la rémunération variable, de l’indemnité de congés payés afférente et de la restitution de la somme indûment retenue ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés ;
CONDAMNE la SCEA La Ferme du Bouyssou à payer à M. [W] les sommes de :
– 46 924 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de la rémunération variable
– 4 692,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur ce rappel de salaire
– 2 356,21 euros bruts au titre de la retenue indûment opérée sur la rémunération de février 2020
avec intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2020 ;
CONFIRME le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SCEA La Ferme du Bouyssou à payer à M. [W] la somme de 2 500 euros à titre d’indemnité de procédure ;
DÉBOUTE la SCEA La Ferme du Bouyssou de sa demande en payement d’une indemnité de procédure ;
CONDAMNE la SCEA La Ferme du Bouyssou aux dépens de la procédure d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président et Chloé ORRIERE, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT