Convention de rupture conventionnelle : 6 juillet 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05626

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Convention de rupture conventionnelle : 6 juillet 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05626

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

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ARRÊT DU : 06 JUILLET 2022

PRUD’HOMMES

N° RG 19/05626 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LI7L

Monsieur [X] [V]

c/

SAS BDR & Associés en la personne de Maître [I] [Z] en qualité de mandataire désigné pour poursuivre les instances en cours à l’encontre de la liquidation judiciaire de la SAS [Adresse 5]

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. D’ILE DE FRANCE-OUEST

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 septembre 2019 (R.G. n°F 16/02775) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 23 octobre 2019,

APPELANT :

Monsieur [X] [V]

né le 23 Octobre 1956 à MONTRICHARD (41400) de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Nadia BOUCHAMA, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

SAS BDR & Associés en la personne de Maître [I] [Z] en qualité de mandataire désigné pour poursuivre les instances en cours à l’encontre de la liquidation judiciaire de la SAS [Adresse 5], domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]

non constituée

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. d’Ile de France Ouest, prise en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

représentée par Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 mai 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargé d’instruire l’affaire, et Madame Sophie Masson, conseillère

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sophie Masson, conseillère

Monsieur Rémi Figerou, conseiller

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société [Adresse 5], qui exploitait une maison de retraite située [Adresse 6] à [Localité 4], avait été créée à parts égales par M. [X] [V] et Mme [E] [F], sa compagne puis, à compter de 2009, son épouse, et immatriculée au Registre du commerce et des sociétés en juin 1988, sous la forme d’une société à responsabilité limitée.

M. [V] était le gérant de cette société.

Selon procès verbal d’assemblée générale du 15 octobre 2010, à effet au 1er janvier 2011, la société a été transformée en société par actions simplifiées et M. [V] a été nommé président de la SAS.

Par lettre du 31 décembre 2010, M. [V] a informé la société Furtado de sa démission des fonctions de président, à effet du même jour, dans la perspective de la cession à ladite société des actions de la SAS [Adresse 5].

Par acte établi le 17 janvier 2011, M. [V] et Mme [F] ont cédé l’intégralité de leurs actions à la SARL Furtado représentée par M. [U], ‘mandaté par M. [B], directeur général de la société cessionnaire’, cette cession prenant effet rétroactivement au 1er janvier 2011.

En juin 2011, un changement de représentant légal de la société [Adresse 5] a été publié au RCS, la société Beaulieu Patrimoine, présidente depuis le 25 mai 2011 de la société Furtado, devenant également présidente de la SAS [Adresse 5].

Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 14 mars 2016, la société [Adresse 5] a été placée en liquidation judiciaire, la SCP [Z]-Daudé étant désignée en qualité de liquidateur.

Se prévalant de la qualité de salarié de la société depuis le 1er janvier 1995, comme comptable puis en qualité de directeur d’établissement, en vertu d’un contrat de travail écrit du 1er janvier 2011 ainsi que d’une convention de rupture conventionnelle de ce contrat signée le 24 juillet 2015, prévoyant le versement par la société d’une indemnité d’un montant de 60.040 euros, homologuée par la DIRECCTE et ayant pris effet au 15 décembre 2015, M. [V] a déclaré entre les mains du liquidateur une créance à hauteur de la somme de 23.362,73 euros, soutenant que compte tenu du montant de l’indemnité spéciale de rupture convenue, des derniers salaires et de l’indemnité compensatrice de congés payés, il lui était dû, à la date de la rupture du contrat une somme de 63.288,57 euros sur laquelle il n’avait perçu que celle de 39.924,84 euros.

La société [Z]-Daude ès qualités a inscrit cette créance au passif de la liquidation judiciaire

L’UNEDIC Délégation AGS CGEA d’Ile de France Ouest a contesté sa garantie au motif que l’indemnité de rupture conventionnelle était supérieure au minimum légal.

Contestant cette décision, M. [V] a saisi le 14 décembre 2016 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 20 septembre 2019, a :

– jugé que M. [V] n’a pas la qualité de salarié de la société [Adresse 5],

– prononcé la nullité de la rupture conventionnelle,

– débouté M. [V] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté le CGEA Ile de France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [V] aux dépens.

Par déclaration du 23 octobre 2019, M. [V] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée par le greffe aux parties le 24 septembre 2019.

Par jugement du 3 juin 2021, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de la société [Adresse 5] et a désigné la SAS BDR & Associés en la personne de Maître [I] [Z] en qualité de mandataire pour poursuivre les instances en cours.

Par acte d’huissier remis à personne le 15 avril 2022, M. [V] a fait signifier ses dernières conclusions au mandataire ès qualités lui délivrant assignation à comparaître à l’audience du 17 mai 2022 à 14 heures.

L’UNEDIC a également fait signifier ses dernières écritures par acte d’huissier remis à personne le 19 avril 2022.

La société BDR & Associés n’a pas comparu.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 13 avril 2022, M. [V] demande à la cour de réformer le jugement du conseil des prud’hommes de Bordeaux du 20 septembre 2019 en ce qu’il a jugé qu’il n’avait pas la qualité de salarié de la société [Adresse 5], a prononcé la nullité de la rupture conventionnelle, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens et, statuant à nouveau, de :

– fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [Adresse 5] aux sommes suivantes :

* 23.362,73 euros à titre de reliquat d’indemnité de rupture conventionnelle,

* 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens,

– dire l’arrêt opposable au CGEA.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 avril 2022, l’UNEDIC demande à la cour de’:

– déclarer mal fondé l’appel de M. [V],

A titre principal,

– juger que M. [V] n’a pas la qualité de salarié de la société [Adresse 5],

– débouter M. [V] de ses prétentions à l’égard du CGEA d’Ile de France Ouest tendant à le voir condamner à avancer une créance par nature non salariale,

A titre subsidiaire,

– dire nulle la rupture conventionnelle du 25 juillet 2015, conclue en fraude des intérêts

de l’AGS et en violation de l’article L.1231-4 du code du travail,

– rejeter la créance de M. [V] au titre de l’indemnité de rupture et dire non garantie ladite somme,

– condamner M. [V] à payer au CGEA d’Ile de France Ouest la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture, initialement prévue au 14 avril 2022, a été rendue le 12 mai 2022, l’affaire étant fixée à l’audience du 17 mai 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article L. 624-5 du code de commerce confère à l’UNEDIC un droit propre et autonome à contester l’étendue de la garantie instituée par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail.

Sur la qualité de salarié

M. [V] fait exposer qu’il a été engagé par la société [Adresse 5] par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 1995 en qualité de comptable puis de directeur à compter du 1er janvier 2011.

Au soutien de ses affirmations, M. [V] produit notamment :

* un bulletin de salaire pour le mois de juillet 2008 portant la mention ‘payée le 27/07/2016″ ;

* un relevé de carrière du régime général faisant apparaître qu’il a été déclaré salarié en 1988 (sans plus de précision), pour des ’employeurs multiples’ en 1989, pour deux autres entités (cabinet [Y] et Geria France pour les années 1990 et 1991), pour connaître ensuite une période de chômage (1992 à 1994) et, ensuite, de 1995 à 2014 être déclaré par la ‘SARL [Adresse 5]’, pour des salaires déclarés très variables (12.312 euros en 2002, 31.068 euros en 2006, 7.200 euros en 2010 et enfin, 37.548 euros en 2014) ;

* un relevé de carrière de retraite complémentaire (AGIRC / ARRCO) faisant apparaître qu’il a été déclaré salarié de la société Nansouty de mai 1988 à décembre 1989, qu’il a travaillé pour deux autres entités, cabinet [Y] en 1989 et 1990 et SARL Geria France pour les années 1990 et 1991, pour connaître ensuite une période de chômage (1992 à 1994), étant par la suite déclaré de janvier 1995 à décembre 2011 pour le compte de la SARL [Adresse 5],

* des DADS pour les années 2009, 2011 à 2015 ;

* un contrat de travail écrit daté du 1er janvier 2011 établi au nom de la société [Adresse 5] représentée par la SAS Beaulieu Patrimoine, prise en la personne de M. [H] [U], directeur des exploitations et mentionnant un numéro de Siret erroné du fait, selon lui, d’une erreur matérielle ;

* des bulletins de salaire pour les mois de mai et juillet 2011 ainsi que de juillet 2015 portant la mention ‘payée le 27/07/2016’

* un extrait de relevé de son compte bancaire mentionnant à la date du 13 février 2016 : ‘virement sur acompte salaire’ de 207,07 euros et de 3.928,54 euros ;

Il affirme par ailleurs qu’il existait bien un lien de subordination entre lui et M. [B], ce dernier prenant toutes les décisions finales.

M. [V] reconnaît avoir été gérant égalitaire de la société, statut qui ne serait pas une cause d’exclusion de sa qualité de salarié ni pour une SARL (1995-2011) ni pour une SAS (2011).

Le fait qu’il ait été marié à compter du 21 novembre 2009 à l’autre associée égalitaire n’aurait pas non plus selon lui d’incidence.

En outre, M. [V] n’a été président de la SAS que 17 jours, pour les besoins de la cession et a cédé l’ensemble de ses parts sociales par acte du 17 janvier 2011. A cette date, il n’avait plus aucun mandat ou titre au sein de la société.

L’UNEDIC conteste la qualité de salarié de M. [V] et fait valoir que de 2009 (date de son mariage avec la seconde associée égalitaire) à janvier 2011, M. [V] était le gérant majoritaire de la SARL [Adresse 5] et ne pouvait donc en être salarié. Elle souligne notamment que M. [V] signait les contrats d’embauche.

Ensuite, selon l’intimée, de mars 2011 à juin 2011, M. [V] était président de la SAS [Adresse 5] et ne peut donc se prévaloir de la qualité de salarié jusqu’à cette date ni faire remonter son ancienneté à cette date.

L’UNEDIC soutient par ailleurs que le contrat de travail daté du 1er janvier 2011 ne lui est pas opposable car il ne concerne pas la société [Adresse 5], le RCS indiqué étant celui de la société Vauvenargues qui était effectivement dirigée par M. [U].

En outre, les bulletins de paye communiqués portent mention d’un paiement au 27 juillet 2016 alors qu’ils concernent les années 2008, 2011 et 2015 et que c’est M. [V] lui-même qui établissait les bulletins de salaire.

Selon l’UNEDIC, ces ‘constats ruinent la présomption’ dont M. [V] se prévaut.

Il lui appartiendrait donc de démontrer sa qualité de salarié et, par voie de conséquence, la réalité d’un lien de subordination et de l’exécution de fonctions techniques distinctes de la direction générale de l’entreprise.

Or, M. [V] aurait dans les faits continué à assurer seul et sans contrôle la gestion de la société et a d’ailleurs été le seul interlocuteur du liquidateur.

L’UNEDIC ajoute que l’autorité dont disposait M. [V] était renforcée par le fait qu’il demeurait, via la SCI [Adresse 5], le propriétaire des locaux d’exploitation de la maison de retraite exploitée par la SAS [Adresse 5], qui en était locataire en vertu d’un bail conclu le 31 décembre 2010, comportant de surcroît, une clause atypique qui prévoyait que le loyer annuel dû de 79.789,52 euros HT serait diminué de 30.000 euros tant que M. [V] serait salarié

L’UNEDIC invoque à ce titre un détournement du droit du travail, soutenant que ‘les négociations commerciales autour de l’exploitation de la maison de retraite ont été la cause dissimulée de l’octroi du contrat de travail’, détournement qui résulterait encore du fait que, dès le mois de mai 2011, les parties avaient convenu d’une rupture conventionnelle du contrat de travail en cas de cessation d’activité de la résidence, accord transactionnel anticipé établi en violation des dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail.

***

Il sera relevé en premier lieu que, contrairement à ce que soutient l’UNEDIC, même si la modification de la présidence de la société [Adresse 5] confiée à la société Beaulieu Patrimoine n’a été publiée au RCS qu’en juin 2011, M. [V] justifie n’avoir exercé les fonctions de président de la société qu’à compter du 17 octobre 2010 pour en démissionner au 31 décembre 2010, la transformation de la SARL en SAS ayant eu lieu dans le cadre des négociations commerciales en vue de la cession par M. [V] et son épouse des actions qu’ils détenaient, à la société Seniors Santé à laquelle s’est substituée la société Furtado. Cette cession établie par acte du 17 janvier 2011 était, au vu des termes de l’acte, en négociation depuis juin 2008. A la date du 17 janvier 2011, l’assemblée générale de la SAS [Adresse 5] a enregistré la démission de M. [V] et désigné pour le remplacer la société Seniors Santé (pièces 14, 17, 41 et 43 appelant).

En second lieu, ainsi que le fait valoir l’UNEDIC, à compter de son mariage avec Mme [F] (soit le 21 novembre 2009), M. [V] ne pouvait plus relever de l’assujettissement au régime général en sa qualité de gérant majoritaire de la SARL [Adresse 5], puisqu’il doit être fait masse des parts qu’il détenait avec celles de son épouse.

Cependant, la qualité de salarié ouvrant droit au bénéfice de l’assurance garantie des salaires doit être appréciée à la date du fait générateur de la garantie, soit à la date du jugement rendu le 14 mars 2016 par le tribunal de commerce de Paris prononçant l’ouverture de la liquidation judiciaire de la SAS [Adresse 5].

A cette date et de manière certaine, depuis au moins le 17 janvier 2011, M. [V] n’exerçait plus aucun mandat social au sein de la société.

Or, si comme le relève l’UNEDIC, le contrat de travail et les bulletins de paie que produit M. [V] présentent quelques anomalies, pour le contrat, sa date ainsi que l’identité exacte de l’employeur, pour les bulletins, la mention d’un paiement à une date unique, le 27 juillet 2016, soit une date antérieure aux mois concernés, l’existence d’une relation salariale est corroborée par la production à la fois des relevés de carrière de M. [V] mais aussi des DADS qu’il produit, qui font apparaître la société [Adresse 5] en qualité d’employeur.

Il doit donc être considéré que M. [V] justifie d’un contrat de travail apparent et, dès lors, il appartient à l’UNEDIC qui se prévaut de son caractère fictif d’en rapporter la preuve.

Or, le fait qu’après la cession des actions de la société, M. [V] ait poursuivi la direction générale de la maison de retraite et qu’il ait été l’interlocuteur du liquidateur n’est pas la démonstration du caractère fictif de son contrat de travail et de l’absence de lien de subordination, la poursuite de ces missions s’exerçant dans le cadre de son emploi de directeur de l’établissement. Il sera par ailleurs relevé que M. [V] ne disposait pas de tous les pouvoirs de direction ; en particulier, la lettre de licenciement pour motif économique adressée en décembre 2015 à l’une des salariés de l’établissement (pièce 10 intimée) émane de M. [B], président de la société mais aussi président de la SAS Beaulieu Patrimoine.

L’UNEDIC n’apportant pas la preuve du caractère fictif du contrat de travail de M. [V], il sera considéré que celui-ci a la qualité de salarié.

Sur la nullité de la rupture conventionnelle.

L’UNEDIC demande à titre subsidiaire à la cour de déclarer nulle la rupture conventionnelle, qu’elle estime avoir été frauduleusement conclue invoquant à ce titre :

– l’ancienneté de ’27 ans et 6 mois’ visée dans la convention conclue le 24 juillet 2015, à effet au 30 novembre 2015 alors que le contrat de travail produit fait état d’une embauche au 1er janvier 2011 et que les bulletins mentionnent une ancienneté au 1er janvier 1995 ;

– cette ancienneté englobe l’ensemble de l’activité de M. [V], les périodes où il était dirigeant de l’entreprise et celles, durant lesquelles, en sa qualité de gérant majoritaire, il ne pouvait avoir le statut de salarié et ce, alors qu’aucune reprise de la période du mandat social n’était pas convenue ;

– le montant exorbitant de l’indemnité de rupture par rapport aux droits réels de M. [V], 60.040 euros alors que l’indemnité conventionnelle de licenciement due au regard de son ancienneté, 2.828,34 euros révèle une volonté de fraude ;

– M. [B], en sa qualité de président, a reconnu que la rupture avait été négociée sur la base des montants indiqués par M. [V] ;

– cette fraude résulterait encore de la situation financière de la société qui, à la date de la signature de la convention de rupture, était déjà très sérieusement compromise ce que M. [V] ne pouvait ignorer d’autant que la fermeture de la maison de retraite était prévisible puisque le transfert de ses lits vers une autre structure avait été validé par l’ARS quelques jours auparavant, le 15 juillet 2015 ;

– cette situation et les difficultés financières étaient nécessairement connues tant de la société que de M. [V] qui savaient donc que la convention qu’ils signaient ne pourrait être honorée lorsque l’indemnité serait exigible ;

– à ce titre, le liquidateur aurait pu en solliciter la nullité en application des dispositions de l’article L. 632-1 du code de commerce ;

– enfin, la convention serait encore nulle puisque des courriers échangés entre M. [B] et M. [V] démontrent qu’ils avaient convenu par avance d’une rupture transactionnelle de la relation de travail lors de la cessation d’activité de la maison de retraite.

M. [V] fait valoir que c’est à tort que le CGEA tente de remettre en cause la validité de la rupture conventionnelle en soutenant qu’au moment de sa signature il aurait eu l’intention avérée de frauder la garantie AGS.

En effet, le principe de la rupture conventionnelle était acquis dès le début de la négociation entre les parties pour la vente des titres de la SAS [Adresse 5] en 2011 et le montant de l’indemnité de rupture avait été fixé dès octobre 2012. De plus, à la date de signature de la convention de rupture, la SAS [Adresse 5] n’était pas en état de cessation de paiement (date fixée par le tribunal au 15 octobre 2015), les difficultés financières n’étant apparues qu’au début de l’année 2016.

***

La nullité d’une transaction au motif qu’elle a été conclue avant la notification de la rupture par un salarié non protégé est une nullité relative qui ne peut être invoquée que par le salarié.

Par ailleurs, ainsi d’ailleurs que le reconnaît l’UNEDIC dans ses écritures, seul le liquidateur peut exercer l’action en nullité prévue par l’article L. 632-1 du code de commerce.

S’agissant de l’ancienneté figurant dans la convention de rupture, soit 27 ans et 6 mois, (au 30 novembre 2015, date initialement prévue pour la prise d’effet de la rupture), si M. [B] a indiqué que les mentions portées l’ont été sur les indications de M. [V], cette seule affirmation ne saurait conduire à retenir que l’accord de la société aurait été vicié. En effet, d’une part, le contrat de travail daté du 1er janvier 2011 prévoyait déjà une reprise d’ancienneté de 10 ans (article VIII).

D’autre part, les bulletins de paie faisaient état d’une ancienneté au 1er janvier 2015.

Enfin, l’ancienneté qui a été mentionnée dans la convention de rupture correspondait à la date de création par M. [V] et Mme [F] de la société [Adresse 5].

Les parties pouvaient donc convenir de reprendre au titre de l’ancienneté l’ensemble de la période durant laquelle M. [V] s’était investi dans le fonctionnement de celle-ci, que ce soit en qualité de dirigeant ou de salarié.

Par ailleurs, si l’article L. 1237-13 du code du travail impose un montant minimal à l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle, les parties peuvent convenir d’un montant supérieur qui, en l’espèce, compte tenu de l’ancienneté de M. [V] reprise à la date de création de la société et des dispositions de la convention collective de l’hospitalisation privée, ne présentait pas le caractère exorbitant allégué par l’UNEDIC.

Celle-ci doit rapporter la preuve que la convention de rupture a été conclue frauduleusement par les parties et, en particulier, que celles-ci avaient connaissance de ce que le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle convenue ne pourrait pas être acquitté par la société [Adresse 5] à la date d’effet de la rupture.

Or, contrairement à ce que soutient l’UNEDIC, ce n’est pas seulement en juillet 2015 que les parties ont convenu d’une indemnité spécifique de rupture conventionnelle d’un montant de 60.040 euros puisque la société s’était engagée à régler cette somme dans un courrier signé de M. [B] qui avait été adressé à M. [V] le 29 octobre 2012 (pièce 56 appelant).

Or, l’UNEDIC ne justifie ni même n’allègue qu’à cette date, la situation de la société [Adresse 5] était irrémédiablement compromise alors que d’une part, elle affichait au 31 décembre 2011 un résultat bénéficiaire (pièce 47 appelant), le bilan 2012 faisant état d’une perte relativement limitée de 5.895 euros et que, d’autre part, il n’était alors pas prévu la cessation d’activité de la société mais un transfert de celle-ci vers un autre établissement.

La cour relève en outre que si la société Beaulieu Patrimoine, présidente de la société [Adresse 5] avait été placée en procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Paris le 21 août 2013, elle bénéficiait d’un plan de sauvegarde adopté par jugement du 3 avril 2015, qui faisait alors état d’une offre ferme et définitive de rachat des deux sociétés dont elle était l’unique associée (la société [Adresse 5] et la société Chartreuse), offre de nature à lui permettre de rembourser la totalité de ses dettes et, ce n’est que par suite de la rétractation de l’offre d’achat, et seulement le 25 janvier 2016 que la société Beaulieu Patrimoine a été placée en liquidation judiciaire (pièce 38 appelant).

Il ne peut donc être retenu que les parties, en signant la rupture conventionnelle le 24 juillet 2015, ont entendu commettre une fraude destinée à faire supporter une partie de l’indemnité spécifique de rupture par l’assurance garantie des salaires.

Le jugement déféré sera donc infirmé et il sera ordonné à l’UNEDIC de garantir le paiement de la créance déclarée par M. [V], créance ayant une nature salariale, au passif de la liquidation judiciaire de la société [Adresse 5].

L’UNEDIC, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens mais il n’apparaît pas inéquitable de laisser à M. [V] la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que l’UNEDIC Délégation AGS CGEA d’Ile de France Ouest doit garantir, dans la limite du plafond applicable, la créance de M. [X] [V] déclarée au passif de la liquidation judiciaire de la société [Adresse 5] pour un montant de 23.362,73 euros,

Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne l’UNEDIC Délégation AGS CGEA d’Ile de France Ouest aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

 


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