Arrêt n°22/00639
18 octobre 2022
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N° RG 21/00652 –
N° Portalis DBVS-V-B7F-FON6
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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de METZ
12 février 2021
19/00846
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Dix huit octobre deux mille vingt deux
APPELANTE :
Mme [T] [V]
[Adresse 1] (GUADELOUPE)
Représentée par Me Mehdi ADJEMI, avocat au barreau de METZ
INTIMÉ :
AEROPORT [Localité 2] [Localité 3] LORRAINE (EPMNL) pris en la personne de sa Présidente
[Adresse 4]
Représentée par Me Bertrand FOLTZ, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
Mme Laëtitia WELTER, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE
DATE DES DEBATS : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23mai 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère et Mme Laëtitia WELTER, Conseillère
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour pour l’arrêt être rendu le 18 octobre 2022.
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Anne FABERT, conseillère pour la Présidente de Chambre régulièrement empêchée, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS
Mme [T] [V] a été embauchée par l’Établissement Public aéroport de [Localité 2] [Localité 3] Lorraine (ci-après désigné EPMNL), selon contrat à durée indéterminée à compter du 5 janvier 2012, en qualité de cadre groupe II A au service commercial.
La convention collective applicable à la relation de travail est celle du transport aérien et du personnel au sol.
Il a été mis fin au contrat de travail de Mme [V] le 21 mai 2013 au moyen d’une rupture conventionnelle homologuée.
Par acte introductif enregistré au greffe le 27 septembre 2017, Mme [V] a saisi le Conseil de prud’hommes de Metz afin de faire constater une situation de harcèlement moral et de discrimination à son égard.
Par jugement en date du 13 juillet 2018, le Conseil de prud’hommes de Metz a ordonné un sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour d’Appel de Metz saisie du recours contre la décision du tribunal correctionnel de Metz condamnant l’ancienne directrice de l’EPMNL pour des faits de harcèlement moral.
Par acte enregistré au greffe le 11 novembre 2019, Mme [V] a demandé la reprise d’instance et de :
– Juger que la rupture conventionnelle de son contrat de travail est nulle pour avoir été signée dans le cadre de violences morales et psychologiques,
– Dire et juger que la rupture abusive de son contrat de travail est imputable exclusivement à l’EPMNL,
– Requalifier la rupture conventionnelle en un licenciement sans cause réelle et sérieuse aux torts exclusifs de l’employeur;
– Condamner l’EPMNL à lui verser les sommes suivantes :
* 40 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination ;
* 20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de prévention des agissements de harcèlement moral ;
* 35 220,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
Ces sommes seront assorties des intérêts de droit à compter du jugement a intervenir ;
– Condamner l’EPMNL à verser Maître Mehdi ADJEMI, son avocat, la somme de 3 000,00 euros au titre l’article 37 alinéa 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;
– Condamner l’EPMNL aux entiers dépens ;
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Par jugement du 12 février 2021, le Conseil de prud’hommes de Metz, section encadrement, a statué ainsi qu’il suit :
– Prononce l’irrecevabilité de la demande de nullité de la rupture conventionnelle de Mme [T] [V],
En conséquence,
– Déboute Mme [T] [V] de l’ensemble de ses autres demandes,
– Déboute l’Établissement Public aéroport [Localité 2] [Localité 3] Lorraine de sa demande de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile;
– Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.
Par déclaration formée par voie électronique le 12 mars 2021 et enregistrée au greffe le même jour, Mme [V] a régulièrement interjeté appel du jugement.
Par ses dernières conclusions datées du 11 juin 2021, enregistrées au greffe le 14 juin 2021, Mme [V] demande à la Cour de :
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
Prononcé l’irrecevabilité de la demande de nullité de la rupture conventionnelle
L’a déboutée de l’ensemble de ses autres demandes.
– Dire et juger, qu’elle a été victime de harcèlement moral et de discrimination de la part de son employeur.
– Dire et juger que sa rupture conventionnelle du contrat de travail est nulle pour avoir été signée dans le cadre de violences morales et psychologiques.
– Dire et juger que la rupture abusive du contrat de travail est imputable exclusivement à l’EPMNL.
– Requalifier sa rupture conventionnelle en un licenciement sans cause réelle et sérieuse aux torts exclusifs de l’employeur.
– Condamner l’EPMNL à lui verser les sommes suivantes :
* 40.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination.
* 20.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de prévention des agissements de harcèlement moral.
* 35.220,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Ces sommes seront assorties des intérêts de droit à compter du jugement à intervenir.
– Condamner l’EPMNL à verser à Maître Mehdi Adjemi la somme de 3.000,00 euros au titre l’article 37 alinea 2 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
– Condamner l’EPMNL aux entiers dépens.
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Par ses dernières conclusions datées du 10 septembre 2021, enregistrées au greffe le même jour, l’EPMNL demande à la Cour de :
– Confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, en ce qu’il a :
* Déclaré irrecevables les demandes tendant a voir déclarer la nullité de la rupture conventionnelle et des dommages et intérêts pour violation de l’obligation de prévention contre les risques de harcèlement moral,
* Débouté Mme [V] de toutes ses demandes,
A titre surabondant,
– Déclarer mais mal fondées les demandes de Mme [V],
En conséquence,
– Débouter Mme [V] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
– Condamner Mme [V] à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– Condamner Mme [V] aux entiers frais et dépens d’instance.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2021.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur l’irrecevabilité des demandes nouvelles
L’EPMNL soutient que, par l’effet combiné des deux principes fondamentaux qui régissent la procédure prud’homale, à savoir la fin du principe de l’unicité de l’instance et le préalable obligatoire de la conciliation, les demandes tendant à voir annuler la rupture conventionnelle et à obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour violation de l’obligation de prévention contre le harcèlement moral qui ne figuraient pas dans les demandes préalables à la conciliation sont aujourd’hui irrecevables.
Le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 a supprimé la règle de l’unicité de l’instance pour les instances introduites devant les conseils de prud’hommes à compter du 1er août 2016, en abrogeant les articles R. 1452-6 et R. 1452-7 du code du travail.
Par application de l’article 70 du code de procédure civile, il est possible de présenter des demandes additionnelles si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l’espèce, force est de constater que les prétentions formulées dans les conclusions ampliatives de Mme [V] du 4 avril 2018 tendant à déclarer nulle la rupture conventionnelle signée dans le cadre d’un harcèlement moral et de discriminations et à condamner l’employeur au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non respect de l’obligation de prévention du harcèlement moral présentent un lien suffisant avec la demande visée dans la requête initiale du 26 septembre 2017 tendant à la reconnaissance d’un harcèlement moral et de discriminations.
Il y a donc lieu de déclarer recevables les demandes nouvelles de la salariée.
Sur la prescription des demandes
L’EPMNL fait valoir que Mme [V] n’a saisi le Conseil de Prud’hommes que le 27 juillet 2017, soit plus de 4 ans après la rupture du contrat, et n’a demandé l’annulation de la rupture conventionnelle que dans ses conclusions aux fins de reprise d’instance du 12 novembre 2019, soit 6,5 ans après la rupture conventionnelle, et estime que les demandes de Mme [V] sont irrecevables car prescrites.
Mme [V] réplique que la demande de nullité n’a pas été formulée initialement dans les conclusions du 12 novembre 2019 mais dans celles du 04 avril 2018.
Aux termes de l’article L.1237-14 du code du travail, tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention.
En l’espèce, Mme [V] a quitté l’EPMNL le 31 mai 2013 après avoir signé une rupture conventionnelle et a saisi le conseil de prud’hommes de Metz le 27 septembre 2017, soit 4 ans plus tard.
De plus, ses premières écritures ne sollicitaient pas la nullité de la convention de rupture conventionnelle, celle-ci n’ayant été demandée pour la première fois que le 4 avril 2018.
Il en résulte que lorsque la salariée a sollicité la nullité de la rupture conventionnelle, le délai de prescription de 12 mois était expiré.
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont déclaré la demande de nullité de la rupture conventionnelle et les demandes subséquentes irrecevables puisque prescrites.
Sur le harcèlement moral et les discriminations
Mme [V] fait valoir qu’elle a été victime de remarques incessantes, d’écoutes de conversations aux portes, d’humiliations et donc de harcèlement moral de la part de Mme [G].
L’Établissement Public aéroport [Localité 2] [Localité 3] Lorraine réplique que Mme [V] n’apporte aucun élément matériellement et objectivement vérifiable concernant des agissements répétés à son encontre, ni d’ailleurs d’éléments médicaux qui démontrent que ces agissements auraient eu une répercussion sur sa santé physique ou morale.
L’EPMNL ajoute qu’il ignorait tout de la procédure devant le Tribunal Correctionnel et la Cour d’Appel de Metz puisqu’il n’a pas été appelé en la cause.
L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’ « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
S’agissant de la preuve du harcèlement, l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à l’instance en cause, précise que lorsque survient un litige relatif notamment à l’application de l’article L. 1152-1, « le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement » et « au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. »
Par ailleurs, en application du principe de l’autorité de la chose jugée, la faute pénale du préposé, dont résulte la faute civile, ne peut plus être contestée par le commettant, fût-ce à l’occasion d’un procès ayant pour objet la seule action civile, lorsqu’elle constitue le fondement d’une condamnation pénale devenue définitive.
En l’espèce, Mme [V] démontre notamment que, par jugement du tribunal correctionnel de Metz du 01 février 2018, confirmé par arrêt de la Cour d’appel de Metz du 06 juin 2019, Mme [G] a été reconnue coupable à son encontre de faits de harcèlement moral. Cette décision est devenue définitive du fait de la déchéance prononcée, par ordonnance du 07 janvier 2020, du pourvoi en cassation formé par Mme [G].
Les faits de harcèlement moral commis par cette dernière envers Mme [V] ne peuvent donc plus être contestés par l’EPMNL.
Il n’est au demeurant pas pertinent à cet égard que l’employeur n’ait pas été partie aux procédures pénales précitées dès lors que l’infraction de harcèlement moral a été caractérisée par les juges correctionnels en la personne de Mme [G]. S’agissant d’un procès pénal, l’employeur non poursuivi par le ministère public ne pouvait en tout état de cause être partie autrement qu’en qualité de partie civile et Mme [V] ne pouvait l’attraire dans la procédure, de sorte qu’il n’est pas pertinent pour l’employeur de faire valoir son absence dans ce procès.
La Cour relève que les motifs décisoires de l’arrêt de la chambre des appels correctionnels en date du 06 juin 2019 ont retenu les agissements suivants de la part de Mme [G] envers Mme [V] :
« la prise de fonction de cette dernière [[M] [G]] en qualité de directrice générale de l’aéroport de [Localité 2] [Localité 3] Lorraine a conduit à une dégradation importante des conditions générales de travail au sein de l’établissement par un management ressenti en grande majorité comme froid, brutal et dépourvu de considération à l’égard des agents, provoquant chez certains membres du personnel un mal être et chez d’autres une véritable souffrance au travail.
Plus particulièrement en ce qui concerne [T] [V], au delà de la discussion sur la qualité de travail de cette dernière dans l’accomplissement des missions qui lui avaient été confiées par [M] [G] (mails de [H] [A] sur des dossiers non aboutis de [T] [V] ayant conduit [R] [Z] à formuler des appréciations négatives sur la qualité de travail de la salariée) et du droit légitime du supérieur hiérarchique de contrôler et de critiquer en cas d’insatisfaction son subordonné, il apparaît des témoignages de [R] [N], [P] [O], [Y] [W] (« Mme [V] a subi régulièrement en réunion des remontrances de la part de Mme [E] [D]. Son travail n’allait jamais. C’était jamais bien ») et [H] [A] que [M] [G] a outrepassé le cadre normal de ses fonctions en adressant ses remarques et ses critiques à [T] [V] de façon répétée jusqu’à prendre un caractère systématique, la plupart du temps publiquement ce qui ne pouvait qu’humilier la salariée et en des termes jugés blessants et vexatoires par ceux ayant assisté aux échanges entre les deux femmes, ce qui ne pouvait qu’accentuer cette humiliation. (‘)
Les agissements de [M] [G] à l’égard de [T] [V], tels que décrits ci-dessus, caractérisent à eux seuls un abus de la prévenue dans l’exercice de son pouvoir hiérarchique qui constitue, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres faits avancés par [T] [V], l’élément matériel du harcèlement moral ».
Au surplus, Mme [V] produit au soutien de sa demande de nombreux éléments qui confirment l’existence du harcèlement moral invoqué. Ainsi, il est produit :
Un courriel qu’elle a adressé à Mme [A], directrice des ressources humaines, le 2 janvier 2013 dans lequel elle relate les faits qui se sont déroulés à la réunion du 12 décembre 2012 à savoir que « la situation dérape puisque Madame [E] me reproche le manque de suivi du dossier alors que l’équipe en charge du dossier est unanime sur le bon traitement de celui-ci (‘) ce n’est pas tant sur le fond que le reproche est particulier mais bien sur la forme puisque Madame [E] me demande des excuses publiques sur un ton agressif. Selon ses dires, je serais responsable de la perte d’argent, de temps et de moyens des services de la région lorraine sur ce dossier. Je serais aussi responsable du manque de réactivité des services de la région lorraine. Elle me demande ensuite de lui fournir des excuses pour ma non présence à une réunion sur le même dossier. Une réunion à laquelle je n’ai pas été conviée. Je me permets de signaler cet incident parce que ce n’est pas la première fois que je me retrouve confronté aux remarques agressives de Madame [E]. Je dois dire que je ne comprends pas l’intérêt d’un tel comportement vis-à-vis du personne, le motiver ‘ L’humilier ‘ »,
L’attestation de M. [O], ancien salarié de l’EPMNL, qui rapporte que « Madame [E] [D] a régulièrement dénigré le travail et les compétences de Madame [V] (‘) Madame [E] [D] a violemment reproché à Mme [V] dans le cadre d’une réunion de travail avec le direction de la communication de la région lorraine (conseil régional) le retard dans la gestion d’un contrat de prestations publicitaires. Ces retards étaient liés à des faits imputable à Mme [E] [D] »,
L’attestation de Mme [R] [Z], ancienne salariée, qui affirme « avoir assisté à de nombreuses reprises à des comportements inappropriés, injustes et blessants de la part de Madame [G], directrice de l’aéroport, à l’égard de Mademoiselle [T] [V]. (‘) Mme [G] lui adressait à répétition des invectives, des paroles désagréables, des directives floues et exprimées en des termes et formules équivoques, bien souvent irréalisables dans les délais, et des reproches sur la qualité de son travail. Ce type d’attitude offensante et répétée était adoptés soit en public afin d’humilier mademoiselle [V] à l’occasion de la réunion hebdomadaire, soit en plus petit comité bien souvent dans le bureau de Madame [E], visant à l’intimider, à la déstabiliser et à créer un milieu hostile (‘) les travaux présentés par mademoiselle [V] recevaient toujours de la part de Madame [E] une critique non constructive voir même destructive tant sur le fond que sur la forme »,
l’attestation de M. [U] [X], ancien salarié, qui énonce avoir « très rapidement constaté un dénigrement professionnel subjectifs de la directrice concernant (‘) Mme [V] (‘) les faits graves que j’ai pu constater relèvent entre autre de l’humiliation lors de réunion de travail lorsque la directrice dévalorisait systématiquement par des remarques fallacieuses, sournoises Mme [V] devant tous les collaborateurs (…) Par ailleurs, en dehors de ces réunion était pratiquée en continu une politique d’isolement »,
Un courriel de M. [Y] [W], responsable du service technique, en date du 27 mars 2013 qui indique « suite à la demande de Madame [E], je vous informe que vos mails reçus dans votre boite aux lettres professionnelle sont transférés en copie chez Madame [E] à compter de ce jour »,
Un courrier du 10 janvier 2016 de l’inspection du travail qui a relevé des agissements de la part de Mme [E] [D] qui ont contribué à la dégradation des conditions de travail des salariés.
Les attestations concordantes de M. [O] et de Mme [N] qui ont constaté une réelle « détresse morale » de Mme [V].
L’existence des faits de harcèlement moral, pénalement sanctionnés par les juridictions correctionnelles, est donc établie et ne peut être utilement contestée par l’employeur.
Au vu des circonstances décrites ci-dessus et du préjudice subi par la salariée, sachant qu’elle ne verse pas de pièce médicale quant à son état de santé, il y a lieu de condamner l’employeur à verser à l’appelante la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, et d’infirmer le jugement entrepris sur ce point en ce sens.
Par contre, Mme [V] n’apporte pas d’observation quant aux discriminations qu’elle prétend avoir subies et n’invoque notamment aucune caractéristique personnelle qui aurait déterminé la directrice à la traiter différemment de ses collègues si bien qu’en l’absence de fait laissant présumer l’existence d’une discrimination à son encontre, ce grief ne sera pas retenu et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur l’obligation de sécurité et de prévention
Mme [V] soutient que l’employeur a été à la fois acteur et témoin des agissements répétés de harcèlement moral commis par la directrice et sollicite la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de prévention des agissements de harcèlement moral.
L’EMPNL assure qu’à aucun moment il n’y a eu d’alerte quand Mme [V] était en poste.
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés; l’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Cette obligation est considérée, selon le dernier état de la jurisprudence, comme une obligation de moyen renforcée.
En l’occurrence, ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
L’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail et de l’article L. 4121-2 du même code, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices distincts, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.
En l’espèce, en l’absence d’observation sur une éventuelle politique de prévention qui aurait été instaurée au sein de l’EPMNL, il n’est pas démontré que l’employeur ait mis en place des mesures de prévention du harcèlement moral notamment des actions d’information et de formation propres à en prévenir la survenance.
De surcroît, il résulte des pièces du dossier que l’employeur n’a rien mis en ‘uvre pour remédier à la situation de harcèlement moral dont il avait forcément connaissance étant donné que d’une part il s’agissait du management agressif de la directrice de l’aéroport et d’autre part Mme [V] a alerté la directrice des ressources humaines par courriel du 2 janvier 2013 du comportement de Mme [G] à son égard.
Dès lors, le manquement de l’employeur à l’obligation de prévention et de sécurité face au harcèlement moral est établi et a causé à la salariée, indépendamment des conséquences du harcèlement moral, un préjudice que la cour fixe à la somme de 2 000 euros.
Il convient en conséquence de condamner l’EPMNL à payer cette somme à Mme [V] à titre de dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de sécurité et de prévention des risques psychosociaux, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, et d’infirmer le jugement entrepris sur ce chef.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement entrepris sera également infirmé s’agissant de ses dispositions sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.
L’EPMNL qui succombe sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Conformément aux prescriptions de l’article 700 du code de procédure civile, l’EPMNL sera condamné à verser à Mme [V] la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par cette dernière en première instance et en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a déclaré les demandes de Mme [V] de nullité de la rupture conventionnelle et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse irrecevables car prescrites et en ce qu’il a débouté Mme [V] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que Mme [T] [V] a été victime de harcèlement moral.
Dit que l’EPMNL n’a pas respecté l’obligation de prévention en matière de harcèlement moral.
Condamne l’EPMNL à payer à Mme [T] [V] les sommes suivantes qui produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision :
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– 2 000 euros pour non respect de l’obligation de sécurité,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne l’EPMNL aux dépens de première instance et d’appel.
La GreffièreP/ La Présidente régulièrement empêchée
La Conseillère