Convention de rupture conventionnelle : 8 novembre 2022 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01706

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Convention de rupture conventionnelle : 8 novembre 2022 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01706

ARRÊT N°

BUL/SMG

COUR D’APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 8 NOVEMBRE 2022

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 13 septembre 2022

N° de rôle : N° RG 21/01706 – N° Portalis DBVG-V-B7F-ENSX

S/appel d’une décision

du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VESOUL

en date du 20 août 2021

Code affaire : 80J

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

APPELANTE

Madame [D] [U], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Pierre-Henri BARRAIL,Postulant, avocat au barreau de HAUTE-SAONE et par Me Julie PICARD, Plaidante, avocat au barreau d’EPINAL, présente

INTIMEE

S.A. 4 MURS sise [Adresse 3]

représentée par Me Françoise PEQUIGNOT, Postulante, avocat au barreau de BESANÇON, et par Me Bertrand MARIOTTE, Plaidant, avocat au barreau de METZ, présent

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 13 Septembre 2022 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 8 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PRETENTIONS

Mme [D] [U] a été embauchée par la société 4 Murs le 8 novembre 2012 par contrat à durée indéterminée pour exercer la fonction de directrice de magasin avec le statut de cadre et a été affectée initialement à [Localité 4].

Mme [D] [U] a ensuite été mutée au Puy en Velay pour travailler à l’ouverture d’un magasin puis a accepté en juin 2016 une proposition du directeur régional de reprendre la direction du magasin de [Localité 5].

Mme [D] [U] a été placée en arrêt maladie du 20 juin au 15 juillet 2019.

Le 24 septembre 2019 elle a été victime d’un accident du travail reconnu comme tel par la Caisse primaire d’assurance maladie.

Mme [D] [U] s’est trouvée à nouveau en situation d’arrêt de travail à compter du 4 novembre 2019.

Le 2 mars 2020, la société 4 Murs a convoqué Mme [D] [U], dans le cadre d’une enquête interne, pour le 11 mars suivant, convocation à laquelle la salariée ne s’est pas rendue en produisant un certificat médical.

Le 25 mars suivant, l’employeur l’a convoquée à un entretien préalable au licenciement pour le 16 avril (correspondant initialement à la fin de son arrêt de travail), convocation à laquelle la salariée n’a pas entendu donner suite compte tenu des circonstances notamment sanitaires (état de santé et confinement).

Le 12 mai 2020 la société 4 Murs lui a notifié non pas son licenciement mais une sanction disciplinaire consistant en une rétrogradation à la fonction de vendeuse au sein du magasin [Adresse 2].

Suite au refus de cette modification de son contrat par la salariée, la société 4 Murs l’a convoquée par lettre recommandée avec avis de réception du 24 juin 2020 à un autre entretien préalable au licenciement pour le 8 juillet 2020, en assortissant la convocation d’une mise à pied conservatoire débutant à l’issue de son arrêt maladie.

Mme [D] [U] ne s’est pas présentée à cet entretien préalable.

Le 13 juillet 2020, la société 4 Murs a notifié à Mme [D] [U] son licenciement pour faute grave fondé sur un management par la peur et une gestion anarchique des plannings de travail générant une souffrance psychique de certains salariés du fait également d’un rythme de travail imposé et de propos dépréciants.

Suivant requête du 29 octobre 2020, Mme [D] [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Vesoul aux fins de voir, au principal, juger son licenciement nul ou à défaut dépourvu de cause réelle et sérieuse et obtenir diverses indemnités.

Par jugement du 20 août 2021, ce conseil a :

– dit que le licenciement de la salariée repose sur une faute grave

– débouté Mme [D] [U] de ses entières demandes

– condamné Mme [D] [U] aux dépens et à une indemnité de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du15 septembre 2021, Mme [D] [U] a interjeté appel de la décision et par conclusions du 17 juin 2022, demande à la cour de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré

– dire son licenciement nul et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse

– condamner la société 4 Murs à lui verser les somme suivantes :

* 75 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse

* 16 114 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement

* 7 260 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

* 726 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents au préavis

* 15 000 € au titre de son préjudice moral pour harcèlement moral

* 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Par conclusions déposées le 16 juin 2022, la société 4 Murs conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de l’appelante à lui verser la somme de 2 000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile en sus des dépens.

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 juin 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur le licenciement argué de nullité à raison du harcèlement moral

Il résulte des dispositions de l’article L.1152-1 du code du travail qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il est par ailleurs constant que, selon les articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail, le licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral est nul en ce compris lorsqu’il a réagi auxdits agissements (Soc. 10 juillet 2019 n°18-14.317).

L’article L.1154-1 précise à sa suite qu’en cas de litige relatif à l’application notamment de l’article L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de supposer l’existence d’un harcèlement.

Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au cas présent, les premiers juges ont retenu en substance que la société 4 Murs avait validé les trois avertissements décernés par Mme [D] [U] à Mme [N] [F] avant de conclure avec cette dernière une rupture conventionnelle l’excluant des effectifs de l’entreprise, en sorte que l’employeur avait observé les prescriptions des articles L.1152-4 et L.1152-5 du code du travail. Ils ont en outre considéré que si l’état dépressif de Mme [D] [U] était avéré, elle n’avait cependant à aucun moment sollicité son employeur ou la médecin du travail afin d’imposer des mesures au sein de l’entreprise.

A l’appui de son appel, Mme [D] [U] expose qu’elle a subi tout au long de l’année 2019 une forte dégradation de ses conditions de travail et été victime d’un harcèlement moral de la part de Mme [N] [F], salariée de longue date du magasin de [Localité 5], qui, n’acceptant pas son arrivée, a été à l’origine d’une insubordination caractérisée, de propos déplacés et de dénigrement à son endroit. Elle déplore qu’alertée de cette situation, sa direction ne l’ait pas soutenue dans cette épreuve, alors qu’elle faisait face dans le même temps à une surcharge de travail importante, qui l’a épuisée physiquement et moralement jusqu’au burn out.

Elle ajoute que son employeur lui a proposé sous réserve de son accord, une sanction sous forme de rétrogradation au poste de vendeuse principale avec mutation à Marsannay (21) avant de prononcer un licenciement pour faits de harcèlement moral, qu’elle conteste vivement, signe d’un acharnement supplémentaire.

Elle estime donc au visa des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail que son licenciement est nul pour être en lien avec la dénonciation de faits de harcèlement dont elle était victime.

La société 4 Murs lui objecte qu’elle n’a fait état d’un harcèlement moral à son préjudice que lorsqu’elle a appris les accusations de ses subordonnés à son égard et qu’il en est de même d’une prétendue surcharge de travail, contredite par les entretiens annuels, qui n’ont révélé aucun dépassement de son forfait jours. Elle rappelle que Mme [D] [U] ne reprochait à Mme [N] [F] qu’une insubordination et non un comportement harcelant à son égard et fait observer que les éléments médicaux invoqués n’établissent aucun lien direct avec un harcèlement moral prétendument subi au travail.

Il convient d’examiner successivement les éléments de fait produits par l’appelante, qui selon elle, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement à son préjudice.

I-1 L’attitude de Mme [N] [F]

L’appelante, qui impute à sa subordonnée, employée en qualité de conseillère de vente au sein du magasin de [Localité 5] depuis plus de 26 ans, des agissements constitutifs d’un harcèlement moral à son endroit, verse aux débats :

– les deux rappels à l’ordre et l’avertissement adressés à l’intéressée en sa qualité de directrice de magasin par pli recommandé ou remis en main propre contre récépissé les 9 août et 26 novembre 2018 et 9 septembre 2019, lesquels ne font cependant état que de l’absence de port de la tenue réglementaire de travail (tablier et badge) et d’une attitude commerciale irrespectueuse

– la convention de rupture conventionnelle consentie à la salariée le 17 janvier 2020 dépourvue de toute référence au motif de la rupture

– son questionnaire dûment rempli adressé à la Caisse primaire d’assurance maladie des Vosges à l’appui de sa demande de reconnaissance d’un syndrome anxio-dépressif en tant que maladie professionnelle, dans lequel elle évoque avoir dû ‘faire face à une employée en poste depuis 25 ans (sa façon de parler, son comportement, sa manière de me tenir tête, manque de respect, son ‘abnégation’ à toujours avoir raison), qui n’avait de cesse que de faire des histoires et monter l’équipe contre moi’

– l’attestation de M. [R] [L], qui témoigne du comportement de Mme [N] [F] et indique qu’elle était ‘très provocatrice envers Mme [U] à plusieurs reprises en la poussant à bout’, étant observé que dans une attestation communiquée par la partie adverse celui-ci révèle qu’ayant eu peur de perdre son emploi il a établi cette attestation à Mme [D] [U] qui lui demandait un ‘témoignage à l’encontre de [N] [F] mettant à charge cette dernière’

– les courriers adressés à son employeur les 9 et 16 mars 2020, dans lesquels elle fait état d’un harcèlement moral à son préjudice et expose ses doléances à l’encontre de sa subordonnée, lesquels interviennent en réalité en réaction à une enquête interne diligentée par l’employeur suite à une alerte émanant du personnel du magasin de [Localité 5] portant sur la dégradation de leurs conditions de travail et sa répercussion sur leur santé mentale, la désignant pour partie comme responsable de cette situation, et à un courrier du 13 mars 2020 dans lequel l’employeur, compte tenu de son impossibilité médicale de se déplacer à l’entretien, l’invitait à lui apporter des précisions sur le harcèlement dont elle se disait victime

La cour relève sur ce premier point que l’appelante ne justifie pas avoir alerté sa hiérarchie au sujet du harcèlement allégué avant les courriers de mars 2020 ni avoir saisi la médecine du travail ou les instances représentatives du personnels de ces doléances, étant observé en outre que compte tenu des postes hiérarchiquement occupés par les deux protagonistes, Mme [D] [U] disposait de moyens pour réagir promptement à un comportement prétendument harceleur de sa subordonnée.

I-2 La surcharge de travail

L’appelante allègue avoir subi une surcharge de travail mais indique spontanément dans son questionnaire adressé à la Caisse primaire d’assurance maladie des Vosges qu’en tant que directrice de magasin sa charge de travail lui ‘semble être normale’.

Elle explique encore qu’à l’occasion d’un sinistre survenu lors d’un jour férié dans le magasin elle s’est montrée particulièrement disponible, afin de parvenir à une remise en état rapide des lieux.

Elle produit l’attestation de son compagnon qui témoigne de son état de surmenage professionnel.

La cour relève à cet égard que, tel que décrite par l’appelante, la charge excessive de travail a fortiori à un poste de directrice de magasin, ne saurait être constitutive d’un harcèlement mais éventuellement d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, sous réserve qu’il en ait eu connaissance.

I-3 L’absence de réaction et de soutien de sa hiérarchie

Mme [D] [U] fait le reproche à son employeur de ne pas l’avoir soutenue dans l’épreuve qu’elle traversait.

La cour relève cependant que ne démontrant pas avoir, avant mars 2020 et les doléances de certains de ses subordonnés évoquant à son encontre un management inapproprié confinant au harcèlement, alerté son employeur sur des agissements constitutifs de harcèlement de la part de Mme [N] [F] à son égard, elle ne peut sérieusement se prévaloir d’un manque de soutien et de réaction de la part de l’employeur, étant observé que toutes les situations de tensions voire de conflit dans l’entreprise ne peuvent recevoir la qualification de harcèlement.

Ainsi, si elle communique le questionnaire ’employeur’ adressé à l’organisme social suite à une déclaration d’accident du travail par Mme [F], duquel il ressort que la société 4 Murs refuse la qualification d’accident du travail en indiquant que le ‘problème comportemental est uniquement causé par Mme [F]’, il n’en résulte pas que l’employeur avait connaissance d’autre chose que du comportement qui a donné lieu aux réponses disciplinaires décernées à son encontre en 2018 et 2019.

L’appelante ne justifie pas davantage avoir alerté son employeur d’une surcharge de travail ou d’un surmenage de nature à porter atteinte à sa santé.

Si elle s’est abstenue de communiquer ses compte-rendus d’entretien annuels portant précisément sur la charge de travail dans le cadre de sa convention forfait jours, il ressort clairement de ceux portant sur les années 2018 et 2019 versés aux débats par l’intimée que sa charge de travail est ‘suffisamment raisonnable pour être absorbée à l’intérieur du forfait annuel jours’, qu’elle respecte suffisamment l’équilibre entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale et qu’elle a été en mesure de prendre tous ses repos quotidiens et hebdomadaires.

Pour en atténuer la portée, l’appelante prétend que ces entretiens étaient purement formels, reposaient sur des formulaires type pré-remplis et qu’elle ne pouvait pas révéler à sa hiérarchie sa surcharge de travail. Or, ces entretiens, qui ont pour vocation de protéger les salariés bénéficiant d’un forfait jours de tout risque de surcharge de travail au détriment de la vie personnelle et familiale, sont au contraire l’occasion d’aborder ces questions.

Si l’intéressée s’est abstenue volontairement d’alerter son employeur sur une charge de travail qu’elle estimait excessive, elle ne peut lui faire le reproche de n’avoir pas réagi à une situation qu’elle avait fait le choix de ne pas lui révéler.

Mme [D] [U] communique enfin la notification d’une sanction disciplinaire par pli recommandé du 12 mai 2020, qui consiste en réalité en une proposition de rétrogradation avec mutation dans un autre magasin, qui requérait l’accord de la salariée compte tenu de la modification substantielle du contrat qu’elle induisait, qui apparaît, au regard de la chronologie de ce litige, constituer une option permettant d’échapper à la sanction du licenciement pour faute grave finalement prononcée comme sanction des faits imputés à la salariée tenant à un management inapproprié.

I-4 La dégradation de son état de santé

Mme [D] [U] verse aux débats trois attestations de proches qui témoignent de son état de santé moral et physique dégradé, d’un stress important lié au travail et à ses responsabilités de directrice de magasin, ainsi que plusieurs certificats médicaux.

Il ressort de ces éléments médicaux que Mme [D] [U] a révélé un symptôme dépressif dès juin 2019, selon le docteur [X], son médecin traitant, qui a motivé un arrêt de travail d’un mois le 19 juin 2019 et un traitement antidépresseur et anxiolytique.

Elle justifie de consultations hebdomadaires courant 2020 avec le docteur [K], psychiatre, et d’une demande de reconnaissance de son syndrome anxio-dépressif en maladie professionnelle, actuellement pendante devant le pôle social du tribunal judiciaire d’Epinal. Ces médecins, reprenant les dires de leur patiente, indiquent que son état dépressif et son anxiété massive sont en lien avec un surmenage au travail mais n’évoquent à aucun moment une situation de harcèlement.

Si l’état de santé dégradé de l’appelante est concomitant à son activité professionnelle sur le site de [Localité 5], elle ne produit aucun élément objectif reliant la dégradation de sa santé à des faits constitutifs de harcèlement moral, la lettre du 16 mars 2020, certes particulièrement circonstanciée, ne constituant pas un élément de preuve admissible puisqu’elle émane de Mme [D] [U] elle-même.

* * *

Les faits ci-dessus examinés, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de supposer l’existence d’un harcèlement moral au préjudice de Mme [D] [U], a fortiori à l’origine de son licenciement, et qui entacherait de nullité la mesure, dès lors que l’employeur n’a été alerté sur le harcèlement censément subi par Mme [D] [U] que postérieurement à l’enquête engagée par lui au sujet de faits de harcèlement qui lui étaient précisément imputés par certains de ses subordonnés.

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté l’intéressée de sa demande de nullité de la mesure de licenciement et de ses demandes pécuniaires subséquentes.

Le jugement querellé mérite, par substitution de motifs, confirmation de ce chef.

II- Sur la faute grave imputée à la salariée

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il incombe à la société 4 Murs d’apporter la preuve de la faute grave qui fonde la mesure disciplinaire querellée et de son imputation certaine à la salariée.

En l’espèce, la lettre de licenciement notifiée à Mme [D] [U] le 13 juillet 2020 est rédigée dans les termes suivants :

‘ Nous tenons à vous notifier votre licenciement. Cette mesure est justifiée au regard du mode de management totalement inapproprié que vous avez adopté à l’égard de trois membres du personnel du magasin de [Localité 5].

En résumé, ces trois personnes, [Z] [E], [V] [T] et [R] [L] (travailleur handicapé) se plaignent :

– De votre management par la peur, notamment en annonçant la fermeture prochaine du magasin et la disparition de 4 Murs ou en indiquant aux salariés de l’équipe que les directeurs volants sont des personnes « méchantes » et qu’ils vont « en baver », ou en utilisant un ton inapproprié, ou en critiquant tout jusqu’à leur tenue vestimentaire

– D’une gestion anarchique des plannings de travail, avec notamment des changements intempestifs de plannings, des demandes d’intervention du personnel en dehors des plannings, voire quand il est en congé, et plus généralement une absence d’organisation du travail avec des consignes pas claires et contradictoires

– Le tout conduisant ces personnes à ressentir une véritable souffrance psychique au

travail, mais également physique (port de charge pour [R] [L] pourtant travailleur handicapé, et rythme effréné). »

Mme [D] [U], qui conteste les propos et les méthodes qui lui sont imputés, prétend pour sa part que l’employeur, sur lequel pèse exclusivement la charge de la preuve en la matière, échoue à établir le management inapproprié qu’il invoque, lequel ne repose que sur les témoignages de trois salariés, encore sous lien de subordination, et non étayés par des éléments objectifs, et fait grief aux premiers juges d’avoir estimé cette preuve suffisamment établie.

Au soutien de la mesure de licenciement pour faute grave, la société 4 Murs produit tout d’abord l’attestation de Mme [P] [W], directrice volante au sein de la société 4 Murs, qui expose qu’alors qu’elle remplaçait Mme [D] [U] en janvier 2020 lors d’un congé maladie de celle-ci, ‘l’équipe constituée de [Z], [R] et [V]’ s’est confiée à elle sur ‘les souffrances, brimades et humiliations qu'[D] puis [A] leur faisaient subir’ et qu’elle leur a conseillé d’écrire leur vécu à l’attention de la direction, ce qu’ils ont fait en dépit d’une crainte de représailles au retour de leur directrice. Elle ajoute avoir ‘constaté une urgence totale à sortir cette équipe de l’étau tyrannique et toxique dans lequel [D] les contraignait’.

Mme [G] [J], nommée directrice du magasin de [Localité 5] à compter de janvier 2021, en remplacement de l’appelante, témoigne que son équipe a souffert du management de son prédécesseur mais est restée fidèle à la société 4 Murs.

L’intimée verse également aux débats le compte-rendu de l’enquête diligentée par la Commission santé, sécurité et conditions de travail ( CSSCT) sous l’égide de Mme [O] [C], membre de la commission, et de M. [B] [S], directeur régional, duquel il ressort que Mme [Z] [E], M. [R] [L] et Mme [V] [T], entendus par les deux enquêteurs, confirment l’intégralité des doléances adressées par écrit à l’employeur et témoignent de façon concordante de méthodes de gestion à tout le moins inappropriées, déstabilisantes et basées sur la peur.

Il résulte ainsi de cette enquête que les trois salariés indiquent que Mme [D] [U] :

– est souvent absente du magasin qu’elle dirige à distance par le truchement de Mme [A] [I], à laquelle elle a transmis ses méthodes de management, qui se comporte en ‘petit chef’ avec l’approbation de leur directrice et leur délègue toutes ses tâches, y compris en période d’affluence

– diffuse des informations anxiogènes selon lesquelles le siège est très mécontent, que ça va mal se passer pour l’équipe, que la société va très mal et risque de fermer dans 4 ou 6 ans, que les directeurs volants sont méchants et que l’équipe va en baver

– modifiait les horaires et les plannings au dernier moment

– ne tenait aucun compte de la qualité de travailleur handicapé de M. [R] [L] qui souffrait de problèmes dorsaux, et auquel incombait seul le port des charges lourdes et était assigné un rythme effréné qu’il ne pouvait suivre

– ne donnait pas de consignes claires et pêchait par manque d’organisation mais ses représailles étaient féroces lorsque cela ne convenait pas

– leur interdisait de solliciter des dépannages, de mettre le chauffage, de faire des pauses

– s’en prenait particulièrement à Mme [Z] [E] sur laquelle elle concentrait ses reproches même vestimentaires, lui donnant des consignes difficiles à tenir pour lui reprocher son inefficacité, lui demandant de revenir au magasin pour quelques heures sur ses repos

Mme [A] [I], également mise en cause dans cette enquête, et Mme [D][U] ne se sont pas présentées à l’entretien prévu par la commission pour leur permettre de répliquer aux doléances des trois salariés du magasin, étant alors toutes deux en arrêt de travail pour maladie.

Si l’appelante produit l’attestation de M. [M] [H], qui témoigne que lors de son stage d’un mois en 2018 puis de deux contrats à durée déterminée en juin 2018 (un mois) et décembre 2018 (une semaine), il n’a pas subi un quelconque harcèlement de la part de Mme [D] [U] qui au contraire a assuré sa formation, ce témoignage n’est pas de nature à contredire les témoignages concordants des trois salariés précités.

Enfin si elle communique deux attestations de Mme [A] [I], qui a été mise en cause par ses trois collègues et a fait l’objet d’un avertissement par sa hiérarchie, la cour relève que celles-ci n’évoquent que sa situation personnelle et ne viennent pas véritablement contredire les doléances des trois salariés susvisés à l’encontre de Mme [D] [U].

Il résulte des développements qui précèdent que, s’ils ne révèlent pas des éléments suffisants pour caractériser des agissements constitutifs d’un harcèlement moral, ils apportent la démonstration d’un management inapproprié, déstabilisant et anxiogène, ayant généré une réelle souffrance au travail endurée par Mme [Z] [E], M. [R] [L] et Mme [V] [T].

Il suit de là que les méthodes de management excessives de Mme [D] [U], relayée par sa coéquipière en son absence, sans constituer une faute grave comme l’ont retenu les premiers juges, constituent en revanche une cause réelle et sérieuse justifiant la mesure de licenciement prononcée à son encontre.

Le jugement déféré sera donc partiellement infirmé de ce chef.

III- Sur les demandes pécuniaires liées au licenciement

Compte tenu de l’issue du litige s’agissant de la mesure de licenciement et de l’absence de démonstration d’un harcèlement moral dont elle aurait été personnellement victime, il ne saurait être fait droit à la demande de dommages-intérêts de l’appelante sur le fondement du licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse et sur le fondement du préjudice consécutif au harcèlement subi. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté ces prétentions.

III-1 L’indemnité conventionnelle de licenciement

Selon l’article 5 de la Convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012, dans sa version applicable en la cause et expressément invoquée par la salariée :

« Tout salarié licencié, que le motif du licenciement soit personnel (sauf faute grave ou lourde) ou économique, perçoit après un an d’ancienneté une indemnité de licenciement calculée comme suit en fonction de son ancienneté (…) : 7 ans : 1/5ème de mois X 7 (…)’

Mme [D] [U] sollicite à ce titre, à partir du calcul précité et manifestement en commettant une erreur, la somme de 16 114 euros.

Sur la base d’un salaire brut mensuel de 2 420 euros, il lui sera alloué la somme de 3 670,34 euros, se décomposant comme suit :

* (2 420 : 5) X 7 ans = 3 388 euros

* ((2 420 : 5) : 12) X 7 mois= 282,34 euros (prorata des 7 mois, en application de l’article R.1234-1 du code du travail)

III-2 L’indemnité compensatrice de préavis

Conformément à l’article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

Mme [D] [U], dont le licenciement est requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse, estime à juste titre qu’elle peut prétendre à une indemnité de préavis de trois mois, conformément à l’article 1er de la convention précitée.

Il sera donc fait droit à sa demande formée à hauteur de 7 260 euros, outre 726 euros au titre des congés payés afférents.

IV- Sur les demandes accessoires

La décision déférée sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles mais confirmée en ce qu’elle a mis les dépens à la charge de Mme [D] [U].

Si l’issue du litige commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles, Mme [D] [U] qui succombe au principal supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il déboute la salariée de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour harcèlement moral et en ce qu’il la condamne aux dépens.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement prononcé à l’encontre de Mme [D] [U] repose sur une cause réelle et sérieuse.

Condamne la SA 4 Murs à payer à Mme [D] [U] les sommes de :

– 3 670,34 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement

– 7 260 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

– 726 euros au titre des congés payés afférents au préavis

Déboute la SA 4 Murs et Mme [D] [U] de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

Condamne Mme [D] [U] aux dépens d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le huit novembre deux mille vingt deux et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,

 


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