Informations privilégiées : 12 septembre 2001 Cour de cassation Pourvoi n° 00-82.564

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Informations privilégiées : 12 septembre 2001 Cour de cassation Pourvoi n° 00-82.564
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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze septembre deux mille un, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, Me A…, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MARIN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

– LA SOCIETE EURO CT,

– LA SOCIETE SG SECURITES PARIS, parties civiles,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 15 mars 2000, qui, après relaxe de Guy X…, Jean-Louis Z… et Jean-Baptiste B…, du chef de délit d’initié, les a déboutées de leurs demandes ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 10-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967, 1382 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

” en ce que la Cour a déclaré les trois prévenus (Jean-Louis Z…, Guy X… et Jean-Baptiste B…) non coupables de délit d’initié, et débouté les parties civiles (les Sociétés Delahaye Finance et SGE Delahaye, devenues SG Euro CT et SC Sécurities) de leur demande indemnitaire ;

” aux motifs, d’une part, que le 12 janvier 1996, Jean-François D… et Gérard Y…, respectivement président du conseil d’administration et directeur général de la Société GENEFIM, filiale de la SOCIETE GENERALE obéissant au régime des SICOMI, conviaient à une réunion Philippe C…, directeur du placement actions et responsable des opérations de bourse pour le compte de la SOCIETE GENERALE ;

que cette réunion avait pour objet, compte tenu de l’évolution du cours du titre de GENEFIM et des observations qu’elle avait suscitées de la part de certains actionnaires, d’étudier la mise en place d’un éventuel contrat d’animation de ce titre ; que Philippe C… a pris l’initiative de demander à Jean-Louis Z…, vendeur sur la table d’actions françaises de la Société de bourse Delahaye, de l’y accompagner, compte tenu de ses connaissances étendues sur cette SICOMI et sur son titre ; que lors de cette réunion, qui s’est tenue le 29 janvier suivant entre les quatre personnes susnommées, ont été abordés la question du contrat d’animation ainsi que, à des degrés et des titres divers, d’autres thèmes tels que le niveau du dividende qui serait distribué par GENEFIM au titre de l’exercice 1995, la composition et la gestion de son parc immobilier ainsi que la possibilité du lancement par la SOCIETE GENERALE d’une OPA ou d’une OPE sur sa filiale ; qu’à l’issue de la réunion, puis le 30 janvier, Z… a fait part téléphoniquement à plusieurs interlocuteurs, dont Guy X…, directeur général adjoint de la maison de titres Delahaye Finance, et Jean-Baptiste B…, gérant de Ofima Patrimoine, de ses convictions et éléments d’analyse sur l’évolution du titre GENEFIM, en les incitant à procéder à des achats ; qu’à la suite de ces entretiens téléphoniques enregistrés par les services d’inspection de la SOCIETE GENERALE, Guy X… a procédé les 29 et 30 janvier à l’acquisition de 8. 308 titres pour le compte de certains de ses clients et Jean-Baptiste B…, pour sa part, a acquis 3. 000 titres le 30 janvier ; que la Commission des opérations de bourse a procédé à une enquête qui a permis d’entendre la plupart des protagonistes de cette affaire et a transmis son rapport d’enquête au parquet de Paris le 18 mars 1997 ; que cette transmission a été suivie d’une plainte de la Société Delahaye à l’encontre de Jean-Louis Z… et d’une plainte de la Société Delahaye Finance à l’encontre de Guy X… (arrêt p. 6 et 7) ; qu’il convient de rechercher si les informations communiquées à Jean-louis Z… au cours de la réunion du 29 janvier 1996 sur le dividende de l’exercice 1995, sur un éventuel projet d’offre publique d’échange ou d’achat ainsi que sur la composition et la gestion du parc immobilier de GENEFIM sont confidentielles, précises, de nature à influer sur le cours de la valeur et déterminantes des opérations réalisées et si elles peuvent ainsi mériter la qualification d’informations privilégiées au sens de l’article 10-1, alinéa ter, de l’ordonnance du 28 septembre 1967 ; qu’en ce qui concerne le montant du dividende de GENEFIM, Jean-François D…, président du conseil d’administration de GENEFIM, a déclaré aux enquêteurs de la brigade financière (PV du 10 décembre 1997) que ce sujet avait été abordé à partir des estimations divergentes des analystes financiers, la majorité d’entre eux prévoyant un montant de 10 francs et un seul l’ayant estimé à 14 francs ; qu’il a souligné qu’il était ” clair que Gérard Y… et moi-même avons mentionné devant nos deux interlocuteurs que cet analyste était dans le vrai ” ; que M. druhen-Charnaux, directeur général de GENEFIM, a pour sa part procédé à une relation comparable des faits aux services d’inspection de la COB le 18 décembre 1996 puis aux enquêteurs de la brigade financière ; qu’il a en outre précisé à ces derniers, sur

interrogation, qu’ils n’avaient jamais dit, ni laissé entendre à (leurs) interlocuteurs que le montant du dividende de l’exercice serait supérieur à 14 francs ; que Philippe C… a de son côté indiqué aux enquêteurs de la COB qu’à partir d’une référence à des estimations d’analystes, Jean-Louis Z… avait demandé à Jean-François D… son point de vue sur l’ordre de grandeur du dividende qu’il situait lui-même à 14 francs, et que celui-ci n’avait pas démenti cette estimation ; qu’il a précisé à ce sujet, ultérieurement, lors de son audition par la brigade financière, que les deux dirigeants ” n’ont pas confirmé explicitement ce chiffre mais laissé penser que c’était possible ” ; qu’enfin, Jean-Louis Z…, pour ce qui le concerne, a déclaré aux enquêteurs de la COB puis aux fonctionnaires de la brigade financière, qu’ayant abordé le niveau du dividende à partir du seuil de 10 francs évoqué par un analyste financier, le dirigeant de GENEFIM lui avait répondu que ce chiffre ne serait pas aussi bas et qu’un analyste de la place était proche de la vérité, sans préciser ni son nom ni le chiffre proposé ; que ces déclarations concordent sur le fait que la question du dividende de GENEFIM, qui ne constituait pas en soi l’objet de la réunion, n’a été abordée qu’à partir des estimations ou des prévisions d’analystes financiers publiées dans le courant du dernier trimestre 1995 par la presse spécialisée ; que les dirigeants de GENEFIM n’ont évoqué explicitement aucun chiffre, se bornant, suivant la relation faite par les uns ou les autres des propos tenus au cours de cette réunion, soit à confirmer soit à ne pas démentir qu’une analyse ” haute ” était proche de la vérité ; qu’une telle analyse est aisément identifiable comme étant celle de M. E… dans un article de l’AGEFI publié le 21 novembre 1995, qui évaluait alors le montant du dividende à 14 francs ; que cependant ce montant, qui n’était pas arrêté en janvier 1996, s’est en définitive élevé à la somme, nettement supérieure, de 16, 40 francs, et qu’il est constant que ce chiffre n’a été à aucun moment évoqué, même à l’aide d’approximations, au cours de la réunion ; que dès lors aucune information précise et confidentielle n’a, en dépit de leurs propos à ce sujet, été divulguée par les dirigeants de GENEFIM sur le montant du dividende (arrêt p. 8 à 10) ;

” 1.) alors que les informations privilégiées visées par la loi pénale sont celles qui sont précises, confidentielles, de nature à influer sur le cours de la valeur et déterminantes des opérations réalisées ; que la Cour constatait que le prévenu Jean-Louis Z… avait appris des dirigeants de GENEFIM que les dividendes à distribuer par cette société pour l’exercice 1995 seraient plus élevés que la plupart des estimations proposées au public par les journaux d’analyse financière, et il en résultait que le prévenu avait eu connaissance du caractère généralement sous-évalué des estimations, seules accessibles au public jusqu’à l’annonce par la Société du dividende effectif ; que cette information, confidentielle jusqu’à la publication du dividende, était précise, puisque révélatrice d’une probable augmentation du cours du titre lors de cette publication, et partant était privilégiée, en sorte que la Cour ne pouvait, pour exclure la culpabilité de Jean-Louis Z…, énoncer qu’aucune information précise, confidentielle et de nature à influer sur le cours n’avait été portée à sa connaissance ;

” 2.) alors, au surplus, qu’en déduisant l’absence de précision, et partant de confidentialité, des informations portées à la connaissance de Jean-Louis Z… de ce que le montant du dividende attaché au titre avait finalement été arrêté par les dirigeants à un chiffre (16, 40 francs) qui n’avait jamais été prononcé au cours de ladite réunion, la cour d’appel a violé, derechef, par fausse interprétation, les textes répressifs susvisés ;

” et aux motifs, d’autre part, qu’en ce qui concerne la composition et la gestion du patrimoine de GENEFIM, il ressort des déclarations de Jean-François D… et Gérard Y… que ceux-ci ont fait état devant leurs interlocuteurs d’une opération consistant à transformer des contrats de location portant sur des hôtels en contrats de crédit-bail ; que Gérard Y… a indiqué pour sa part que cette opération n’a été rendue publique qu’au cours d’une réunion d’avril 1996 et que sa non-réalisation aurait eu une influence directe sur la valeur d’actif de GENEFIM et par là sur le cours du titre ; qu’il est cependant constant qu’à l’occasion de la réunion d’une assemblée générale mixte des actionnaires de GENEFIM tenue le 19 décembre 1995, cette question a été explicitement évoquée ; comme en fait foi le procès-verbal (” NOVOTEL 7 hôtels repris en crédit-bail au travers d’une structure de portage contrôlée conjointement par le groupe SOCIETE GENERALE et ACCOR de sept hôtels détenus précédemment en location simple par GENEFIM “) ; que ce procès-verbal a par ailleurs fait l’objet d’un dépôt en annexe au registre du commerce et des Sociétés le 30 janvier suivant ainsi que cela a été précisé à l’audience de la Cour ; qu’en dépit des consignes générales de confidentialité qui semblent avoir été données par les dirigeants de GENEFIM, ceux-ci ne pouvaient, dès lors, soutenir que cette information sur la gestion du parc immobilier de la SICOMI, divulguée à ses actionnaires depuis plus d’un mois et en cours de publication au registre du commerce, était encore confidentielle le 29 janvier 1996 et n’a cessé de l’être que près de trois mois plus tard (arrêt p. 10) ;

” 3.) alors que, une information ne cesse d’être confidentielle qu’à compter de sa révélation au public par un mode de publication à large diffusion ; que ni la discussion d’une information par l’assemblée générale des actionnaires, ni le dépôt au registre du commerce et des sociétés du procès-verbal de cette assemblée, ne réalisent une large diffusion, de sorte que la Cour ne pouvait en déduire que l’information concernant le parc immobilier n’était plus confidentielle ;

” 4.) alors, en toute hypothèse, que la Cour constatait que la réunion au cours de laquelle avait été évoqué le parc immobilier de la GENEFIM avait eu lieu le 29 janvier 1996 et que Jean-Louis Z… avait conseillé l’achat des titres GENEFIM à divers tiers dès ce même jour, quand le dépôt au registre du commerce et des sociétés du procès-verbal de l’assemblée générale de la GENEFIM traitant cette question n’avait été fait que le 30 janvier 1996, ce dont il résultait qu’à supposer même que ce dépôt ait valu publication de l’information concernée, cette publication était postérieure à la révélation de l’information au prévenu et à l’utilisation que ce dernier en avait faite ; que la Cour ne pouvait donc, pour refuser de retenir la culpabilité, se fonder sur le fait que l’information aurait déjà été divulguée lorsque le prévenu en a eu connaissance ;

” et aux motifs qu’en outre, aucun élément du dossier ne permet de contredire les affirmations des prévenus, fondées sur une analyse précise et chiffrée du rapport annuel de GENEFIM pour 1995, sur l’absence d’incidence de cette information sur le cours du titre ;

que dès lors, la Cour conclut qu’en l’absence de confidentialité et de possibilité avérée d’influer sur les cours du titre GENEFIM, l’information qui vient d’être évoquée ne présentait pas, non plus, les caractéristiques d’une information privilégiée (arrêt p. 10) ;

” 5.) alors que la Cour n’a pas recherché, comme l’y invitaient les parties civiles (conclusions, pp. 13 et 18), si l’absence de réalisation des opérations immobilières concernées, d’un montant global de 100. 000. 000 F, n’aurait pas entraîné une dévalorisation considérable de l’actif immobilier de GENEFIM, auquel il serait alors devenu difficile de trouver un emploi, et donc si l’information concernée n’était pas de nature à influer sur le cours de la valeur, fût-ce seulement en évitant une chute ;

” et aux motifs, enfin, qu’en ce qui concerne l’éventualité d’une offre publique, il ressort des déclarations concordantes de Jean-François D… et Gérard Y…, d’une part, et de Philippe C…, d’autre part, que contrairement à ce que soutient Jean-Louis Z…, une offre publique d’achat ou d’échange était à l’étude, sans qu’un calendrier ait été proposé ; que si une telle information présente bien les caractéristiques permettant de la qualifier de privilégiée, il résulte cependant des transcriptions des entretiens téléphoniques des 29 et 30 janvier 1996 figurant en annexe du rapport de la COB, que Jean-Louis Z… n’a à aucun moment communiqué à des tiers, dont Guy X… et Jean-Baptiste B…, d’éléments sur une offre publique d’achat ou d’échange ; que dans ces conditions, les délits dénoncés par la poursuite ne sont pas caractérisés (. arrêt p. 11) ;

” 6.) alors que l’article 10. 1 de l’ordonnance du 28 mars 1967 incrimine le fait, pour une personne ayant reçu une information privilégiée sur les perspectives ou la situation d’une société émettrice de titres cotés en bourse, de réaliser ou de permettre à des tiers de réaliser des opérations sur ces titres avant que ces informations ne soient connues du public, peu important, en ce dernier cas, que l’initié n’ait pas divulgué aux tiers la nature de l’information en considération de laquelle il les a incités à réaliser ces opérations, en sorte qu’en relaxant Jean-Louis Z… de la poursuite aux motifs qu’il n’était pas établi qu’il avait indiqué à Guy X… et Jean-Baptiste B…, en les incitant à se porter acquéreurs des titres de GENEFIM, que cette Société allait faire très prochainement l’objet d’une offre publique d’achat, information dont l’arrêt tient pourtant pour acquis qu’elle avait été recueillie par Jean-louis Z… lors de la réunion du 29 janvier 1996 (not. jugement p. 8 1), la Cour a violé les textes susvisés ;

” 7.) alors, en tout état de cause, que les parties civiles faisaient valoir (conclusions, p. 20 in fine, p. 21), sur le fondement des transcriptions de conversations téléphoniques, que Jean-Louis Z… avait expressément fait référence au pourcentage détenu par la SOCIETE GENERALE dans le capital de COGEFIM pour justifier le conseil, donné à Guy X…, d’acheter des titres de cette Société ; que la cour, qui a évoqué les entretiens téléphoniques d’une formule générale et abstraite, n’a pas recherché avec précision si l’extrait visé par les parties civiles ne révélait pas une référence à un possible renforcement prochain des liens capitalistiques entre la SOCIETE GENERALE et SOGEFIM, sous forme d’une offre publique d’achat ou d’échange ” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve de l’infraction reprochée n’était pas rapportée à la charge des prévenus, en l’état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant les parties civiles de leurs prétentions ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis.

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Schumacher conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, en remplacement du président empéché, M. Challe conseiller rapporteur, MM. Martin, Pibouleau, Dulin, Mme Desgrange conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM. Soulard, Samuel conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Marin ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

 


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