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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRÊT DU 26 Avril 2011
(n°2, 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S 09/02509
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 22 octobre 2008 par le conseil de prud’hommes de Paris chambre 2 section encadrement RG n° 07/11519
APPELANTE
SOCIÉTÉ SIFIJA venant aux droits et obligations de l’ex-CIDCOM
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Rasseck BOURGI, avocat au barreau de PARIS, toque : M 0964 substitué par Me Eléonore VOISIN, avocate au barreau de PARIS
INTIMÉ
M. [Y] [I]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS,
toque : P 438
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 juin 2010, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Michèle MARTINEZ, conseillère, chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, présidente
Madame Michèle MARTINEZ, conseillère
Madame Dominique LAVAU, conseillère
GREFFIER : Monsieur Eddy VITALIS, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Elisabeth PANTHOU-RENARD, présidente, et par Mademoiselle Céline MASBOU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
Faits et procédure
M. [Y] [I] a collaboré à la rédaction de l’hebdomadaire Jeune Afrique, édité par la société Compagnie internationale d’édition de presse et de communication (la CIDCOM) appartenant au groupe Jeune Afrique (JA), aux droits de laquelle se trouve la Société internationale de financement et d’investissement (la SIFIJA).
Le 11 janvier 2007, M. [I], qui préparait sa retraite, a demandé à la CIDCOM de lui délivrer une attestation d’emploi pour ses périodes d’activité à son service, à savoir en qualité de journaliste pour 1977 à 1980, 1982, 1983, 1986 et 1994, et en qualité de directeur de production à Eco vidéo du 15 au 30 janvier 1985 et du 4 au 14 février 1985.
Le 21 mars 2007, la CIDCOM a adressé à M. [I] l’attestation en question pour les périodes de septembre et octobre 1978 et de janvier à septembre 1986. Elle indiquait qu’au vu des déclarations aux caisses en sa possession, elle n’avait trouvé trace du passage de M. [I] dans la société que pour ces périodes.
En réponse à deux courriers de la CIDCOM,
– la Caisse nationale d’assurance vieillesse lui a adressé le 2 octobre 2007 un relevé de carrière de M. [I] en précisant que celui-ci était déjà titulaire à cette caisse d’une retraite personnelle depuis le 1er août 2007,
– l’organisme de protection sociale Audiens a indiqué dans un courrier du 6 novembre 2007 qu’il avait reçu de la seule société FINCOM, appartenant au groupe Jeune Afrique, des déclarations de pigiste concernant M. [I] pour les années 1982, 1983 et 1986.
Le 30 octobre 2007, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris de demandes tendant en dernier lieu au paiement d’une indemnité de requalification, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, d’une indemnité de licenciement et d’une allocation de procédure, ainsi qu’à la remise de documents de fin de contrat conformes.
Par jugement du 22 octobre 2008, le conseil de prud’hommes, retenant que la collaboration de M. [I] avec la CIDCOM avait été constante de 1972 au 30 septembre 1986 et que celui-ci devait ‘être considéré non comme pigiste mais comme journaliste professionnel (…) salarié de la société CIDCOM’, a :
– condamné la CIDCOM à payer à M. [I] :
– 7 622 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 905,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 190,56 euros au titre des congés payés afférents,
– 8 575,20 euros à titre d’indemnité de licenciement-journaliste,
– les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,
– 450 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– ordonné sous astreinte la remise des documents de fin de contrat conformes,
– débouté M. [I] du surplus de ses demandes.
La CIDCOM a interjeté appel.
La SIFIJA, aux droits de la CIDCOM, demande à la cour d’infirmer le jugement et de :
– déclarer prescrites les demandes de M. [I] en délivrance de certificats de travail pour la période de 1972 au 31 octobre 1977 et en paiement d’une indemnité de préavis et des congés payés afférents,
– débouter M. [I] de toutes demandes,
– de le condamner à lui rembourser les sommes versées en exécution du jugement et à lui payer 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
M. [I] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a requalifié la relation de travail entre lui et la CIDCOM en contrat à durée indéterminée ainsi qu’en ce qui concerne les condamnations prononcées à son profit au titre de la rupture et :
– de dire constituée l’infraction de travail dissimulé,
– de condamner en outre la SIFIJA, aux droits de la CIDCOM, à lui payer :
– 1 905 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive dans l’établissement d’un certificat/attestation de travail conformes,
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile devant la cour.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l’audience.
Motifs de la décision
M. [I] expose qu’il a exercé à compter du 1er mars 1972 les fonctions de journaliste pour le magazine Jeune Afrique, qu’il était payé à la pige et que la relation de travail a été rompue le 30 septembre 1986 sans procédure de licenciement, ni préavis, ni indemnité. Il ajoute que, dans le cadre de la constitution de son dossier de retraite en 2007, il a appris que la CIDCOM, éditrice de la revue, ne l’avait déclaré que pour les années 1978 et 1986.
Il fait valoir qu’il n’était pas pigiste occasionnel pour le magazine mais qu’il travaillait en tant que journaliste professionnel, de façon assidue et constante depuis 1972 avec la société, de sorte qu’il bénéficiait de la présomption de salariat prévue par l’article L.7112-1 du Code du travail et qu’en cessant de lui fournir du travail à compter de septembre 1986, la CIDCOM l’a licencié abusivement.
La SIFIJA, aux droits de la CIDCOM, répond que la collaboration entre elle et M. [I] de 1972 à 1986 a été ponctuée de longues périodes d’interruption et de chômage, qu’elle n’a donc été ni permanente, ni régulière, ni constante, celui-ci étant intervenu uniquement comme pigiste occasionnel, et qu’elle ne constituait pas son activité principale.
La CIDCOM a délivré à M. [I], le 21 mars 2007, une attestation de paiement pour les périodes :
– du 1er septembre au 21 octobre 1978 (29 147.F),
– du 1er janvier au 30 septembre 1986 (10 042.F).
Le 27 juin 2008, elle lui a adressé une nouvelle attestation certifiant qu’elle avait effectué pour son compte des déclarations aux organismes sociaux pour :
– 1982 (17 475.F),
– 1983 (6 700.F).
Selon courrier de son conseil à la CIDCOM du 14 septembre 2007, auquel il se réfère dans ses écritures, repris à cet égard dans l’acte de saisine du conseil de prud’hommes, M. [I] aurait, selon ses affirmations, collaboré en plus au journal Jeune Afrique en tant que journaliste professionnel, mais sans être déclaré :
– du 1er mars au 31 décembre 1972 en qualité de journaliste au service International et économie,
– du 13 janvier au 30 mars 1973 en qualité de journaliste au service International et économie,
– du 1er janvier 1977 au 31 octobre 1978 en qualité d’envoyé spécial, de journaliste à la rédaction générale puis de rédacteur en chef adjoint,
– d’avril au 31 décembre 1979 en qualité de ‘conseil de rédaction’,
– de janvier à octobre 1980 en qualité de ‘conseil de rédaction’,
– du 1er octobre 1982 au 30 avril 1983 au sein de la ‘rédaction générale’.
D’abord, l’article L.761-2 alinéa 4 ancien du code du travail applicable à l’espèce édicte : ‘Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel au sens du premier alinéa du présent article est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties’.
Cette présomption ne bénéficie par conséquent qu’au journaliste professionnel tel qu’il est défini par le même article, dont l’alinéa 1 prévoit qu’est ‘journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources’.
Le statut de journaliste professionnel ne dépend donc ni du choix des parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à l’emploi du collaborateur, ni de la détention de la carte de journaliste, ni des mentions figurant aux bulletins de salaire, ni de la désignation du collaborateur dans la publication en cause, ni de son mode de rémunération. Ce statut est fonction des conditions de fait dans lesquelles l’activité est exercée. Il appartient au juge, tenu de restituer aux faits et actes litigieux leur exacte qualification, de rechercher et, le cas échéant, caractériser ces conditions.
En l’espèce, alors que les relevés de carrière établis par les organismes sociaux et caisses de retraite fournis démontrent que M. [I] a travaillé, sous statut salarié ou non salarié, pour différentes autres sociétés, dont ni l’activité ni le volume de la rémunération qu’elles lui ont versée ne sont connus, et qu’il perçoit d’ailleurs d’ores et déjà une pension de retraite, il n’est versé aux débats aucun élément, tel que notamment déclarations fiscales ou sociales de l’intéressé ou extraits du registre du commerce, permettant d’établir que, pour la période considérée, son activité principale était celle de journaliste et qu’il en tirait le principal de ses ressources.
M. [I] ne peut donc bénéficier de la présomption de salariat édictée par L.761-2 alinéa 4, devenu L.7112-1, du code du travail.
Ensuite, il n’est produit ni écrit constatant un lien de salariat entre la CIDCOM et M. [I], ni, à l’exception d’un bulletin de piges pour mars 1986, bulletins de salaire établis par la première au nom du second.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
Le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.
Outre les deux attestations des 21 mars 2007 et 27 juin 2008 ci-dessus décrites et les relevés de carrière des caisses de retraite, l’intimé produit, pour les années 1972, 1973, 1977, 1978, 1979, 1980, 1982 et 1983, les photocopies d’ours de l’hebdomadaire Jeune Afrique mentionnant son nom et d’articles qu’il a écrits publiés dans cette revue.
Toutefois, non seulement le nombre des ours en question est loin de couvrir toutes les semaines des années concernées, mais les articles fournis n’excèdent pas, pour la meilleure année, le nombre de sept. Surtout, ces pièces ne donnent aucune indication sur les conditions dans lesquelles M. [I] exerçait son activité de rédacteur pour la CIDCOM et ne démontrent pas l’existence d’un lien de subordination entre cette société et lui.
Dans leurs attestations, M. [O], salarié de l’hebdomadaire entre 1980 et 1982, et M. [J], se disant ‘confrère de M. [I] entre 1978 et 1983’, indiquent de façon laconique et en termes quasi-identiques qu’ils ont bien connu M. [I], que celui-ci était ‘salarié à plein temps’ du journal dans les locaux duquel il avait un bureau personnel, qu’il assistait aux réunions de la rédaction, effectuait des reportages et travaillait sous l’autorité du directeur de la publication.
Cependant, ces brèves attestations rédigées en termes généraux ne sont pas circonstanciées. En outre, leurs fonctions respectives telles qu’ils les indiquent, ne donnaient à leurs auteurs vocation à connaître ni les liens juridiques exacts entre la CIDCOM et M. [I], ni le statut de ce dernier au sein de la rédaction de Jeune Afrique. Plus encore, ces attestations ne donnent pas d’information permettant de démontrer matériellement dans les faits l’existence d’un lien de sujétion entre l’intimé et la CIDCOM.
Il s’ensuit que, pour la période considérée, le lien salarial, et partant, le contrat de travail, entre la CIDCOM et M. [I] ne sont pas caractérisés.
Dès lors, et sans qu’il y ait lieu de s’interroger préalablement sur une éventuelle prescription partielle ou totale puisque les demandes de M. [I] portent, selon lui, sur une période ininterrompue, le jugement sera infirmé et l’intimé sera débouté de toutes ses demandes, lesquelles supposent l’existence d’un contrat de travail entre la CIDCOM et lui pour la période concernée.
Les conditions d’application de l’article 700 du Code de procédure civile ne sont pas réunies. Les demandes de ce chef seront rejetées.
Par ces motifs
La cour
Infirme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute M. [I] de toutes ses demandes ;
Condamne, en tant que de besoin, M. [I] à rembourser à la SIFIJA les sommes qui lui ont été versées en exécution du jugement infirmé ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne M. [I] aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE