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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 5
ARRÊT DU 25 Février 2016
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S 15/06440
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Mars 2015 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS RG n° 13/06530
APPELANT
Monsieur [V] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]
comparant en personne,
assisté de Me Michel HENRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099
INTIMÉE
SAS C2D2
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 520 832 759 00028
représentée par Me Catherine COHEN RICHELET, avocat au barreau de PARIS, toque : B1072
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Décembre 2015, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente, chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente
Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère
Madame Marie-Liesse GUINAMANT, Vice-Présidente placée
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Laura CLERC-BRETON, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente et par Madame Laura CLERC-BRETON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
[V] [F] a été engagé par la société C2D2 en qualité de rédacteur en chef du média Slate Afrique selon contrat de travail à durée indéterminée du 17 janvier 2011 après avoir collaboré depuis le 18 février 2009 en qualité de pigiste auprès de la société E2J2 ; licencié pour motif économique le 29 janvier 2013 il a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 16 mai 2013 en réclamant le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Vu le jugement rendu le 16 mars 2015 par le conseil de prud’hommes de Paris qui a débouté [V] [F] de ses demandes.
Vu l’appel formé par [V] [F] contre ce jugement.
Vu les conclusions du 11 décembre 2015 auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet des prétentions et des moyens, reprises oralement à l’audience, sans ajout ni retrait, par l’appelant qui demande à la cour de condamner la société C2D2 à lui payer les sommes de :
– 12 332, 00 euros à titre de solde d’ indemnité conventionnelle de licenciement
– 73 992, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail
– 3 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dans des circonstances vexatoires
– 3 500, 00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Après avoir exposé que les difficultés financières et économiques invoquées par la société C2D2 ne justifient pas le licenciement et que l’obligation de reclassement qui pèse sur l’employeur n’a pas été respectée, [V] [F] soutient que le motif de son licenciement n’est pas un motif économique mais qu’il est fondé sur un motif personnel résidant dans le fait qu’il a soutenu un journaliste que son employeur voulait écarter à cause de sa liberté de ton ; il expose également que son ancienneté au sien de la société C2D2 doit remonter au 18 février 2009, date à laquelle il a collaboré en qualité de pigiste pour la société E2J2 sous le statut d’auto-entrepreneur.
Vu les conclusions du 11 décembre 2015 auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet des prétentions et des moyens, reprises oralement à l’audience, sans ajout ni retrait, par l’intimée qui demande à la cour de débouter [V] [F] de toutes ses demandes et de le condamner aux dépens.
Elle s’oppose à la prise en compte dans l’ancienneté de [V] [F] des années de collaboration avec la société E2J2 en faisant valoir qu’il s’agit d’une société distincte et que [V] [F] se trouvait engagé à l’époque auprès d’un autre employeur, ne travaillant que de manière occasionnelle pour la société E2J2 ; elle invoque l’augmentation de ses pertes entre 2011 et 2012, passées de 602 102 euros à 737 312 euros et fait valoir que le licenciement de [V] [F] et de [K] [P] lui a permis des économies substantielles ; elle expose également que la société E2J2 connaît les mêmes difficultés, que la suppression du poste de [V] [F] s’est imposée dès lors qu’elle s’est orientée vers un autre style d’édition faisant le choix d’un site d’agrégation de contenus dans lequel aucun poste de rédacteur en chef n’est nécessaire.
SUR QUOI
LA COUR
Sur la qualification du licenciement,
il résulte des dispositions de l’article L. 1233-3 du code du travail qu’en cas de coexistence du motif économique et d’un motif personnel du licenciement il convient de rechercher celui qui en a été la cause première et déterminante et d’apprécier le bien fondé du licenciement au regard de cette seule cause.
Alors qu’aux termes de la lettre de licenciement du 28 janvier 2013 le licenciement de [V] [F] est fondée sur un motif économique, le salarié prétend qu’il s’agit d’un licenciement pour motif personnel, la société C2D2 voulant l’écarter pour s’être opposé à sa direction dans sa volonté d’exclure [Z] [I], dont les écrits ne s’inscrivaient pas dans une ligne éditoriale soucieuse de respecter la sensibilité des détenteurs du pouvoir au Maroc.
Les pièces du dossier révèlent que [V] [F] a été recruté par la société C2D2 pour exercer la fonction de directeur de la rédaction et rédacteur en chef ; le contrat de travail précise qu’à ce titre il participe à la définition de la ligne rédactionnelle et à sa mise en oeuvre ; or la cour relève, s’agissant de la décision d’exclure les articles de [Z] [I], que la société C2D2 a pris la décision de mettre un terme à sa collaboration avec ce journaliste fin décembre 2012, que le 28 décembre 2012 la direction de la société C2D2 a fait connaître à [V] [F] ainsi qu’à ses collaborateurs immédiats que ce journaliste ne travaille plus pour la société en ces termes : ‘ [Z] [I] ne travaille plus pour Slate. Ce type est un escroc et nous aura coûté très cher en faisant fuir tous les partenaires marocains avec qui nous avons discuté. On aurait dû prendre cette décision plus tôt’ ; dès le 2 janvier suivant [V] [F] a réagi s’étonnant d’une décision prise sans le consulter et demandant à [B] [H], directeur général de la société C2D2, les raisons du qualificatif utilisé pour évoquer [Z] [I] ; entre ce moment et le 11 janvier 2013, date à laquelle la société C2D2 a adressé une convocation à [V] [F] pour un entretien préalable à son licenciement, la société C2D2 ne justifie d’aucun échange avec son salarié et ce n’est que lors de la réunion du conseil de surveillance de la société E2J2 du 17 janvier suivant que cette dernière a envisagé, pour la société C2D2, un changement de stratégie éditoriale et économique ‘ en vue de réduire les coûts de fonctionnement mais aussi de faire évoluer le modèle éditorial et commercial’ ; ce n’est donc qu’après avoir mis en oeuvre la mesure de licenciement que la société C2D2 a pris les décisions de restructuration qui étaient censées provoquer la suppression de son poste ; quel que soit le bien ou mal fondé des accusations qui ont été portées contre [Z] [I] par [B] [H], il ressort de cette chronologie que le motif premier du licenciement est la divergence d’avis qui opposait [V] [F] à la direction de la société C2D2 sur l’exclusion de ce journaliste ; le licenciement est donc fondé sur un motif personnel.
S’agissant du bien fondé du licenciement,
il résulte des termes de la mission confiée à [V] [F] par le contrat de travail qu’il sera notamment chargé de recruter, diriger et former la rédaction du site d’information sur internet, jouer un rôle majeur dans la définition et l’élaboration du nouveau site, s’assurer de la cohérence et de la qualité rédactionnelle des articles, vidéo, photographies…, participer à la définition de la ligne rédactionnelle et à sa mise en oeuvre ; deux années plus tard, la société C2D2 a décidé d’une nouvelle orientation éditorialiste en émettant des réserves sur la capacité de [V] [F] à passer de la presse écrite à celle d’internet ; aucun des éléments apportés au débat par la société C2D2 ne démontre que [V] [F] a été associé à la recherche d’une solution aux difficultés que rencontraient l’entreprise, et ce, au mépris des responsabilités qui étaient les siennes ; quelle que soit la pertinence de l’opinion émis par [V] [F] sur la question de la collaboration de [Z] [I] aux publications de la société C2D2, il ressort des termes du mail adressé à [V] [F] par [B] [H] le 28 décembre 2015, dont la société C2D2 ne démontre pas qu’ils ont été faussement rapportés, que la décision d’exclure [Z] [I], a été prise sans que le directeur de la rédaction ne soit consulté ni informé préalablement, ce qui conforte l’allégation du salarié selon laquelle il aurait gêné son employeur en lui faisant savoir, après que la décision de l’éloigner ait été prise, qu’il ne partageait pas son analyse sur la collaboration de [Z] [I] ; enfin, dans l’article rédigé par la société C2D2 sur le site Slate Afrique le 4 mars 2013 pour expliquer les raisons de sa nouvelle ligne éditoriale, celle-ci met en avant, de manière claire, le comportement de [V] [F] dans l’accomplissement de sa mission : ‘c’est la conséquence des difficultés économiques que traverse Slate Afrique et aussi de la difficulté de [V] [F] à passer de la presse écrite à celle d’internet et à faire fonctionner harmonieusement sa rédaction. Certains préfèrent détruire leur jouet plutôt que de le voir en d’autres mains’ ; il y a dans ces termes une référence explicite à la manière de travailler de [V] [F] et à sa position face à la décision de sa direction relativement à la ligne éditoriale et à la sélection des auteurs intervenant dans ses pages ; ces motifs, qui constituent les véritables motifs du licenciement de [V] [F], ne figurent pas dans la lettre de licenciement, ce qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Sur l’ancienneté de [V] [F] au sein de la société C2D2,
il résulte de l’article L. 7112-1 du code du travail que toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant une rémunération, le concours d’un journaliste professionnel, est présumé être un contrat de travail ; toutefois, pour pouvoir prétendre à la présomption de salariat prévue par cette disposition, il ne suffit pas qu’une personne apporte à une société éditrice une collaboration constante et régulière ; encore faut-il qu’elle tire de cette collaboration l’essentiel de ses ressources.
[V] [F] expose sans être démenti qu’il a collaboré en tant que pigiste auprès de la société E2J2 à compter de février 2009 ; il y a lieu cependant de relever, d’une part que la société E2J2 est un employeur tiers par rapport à la société C2D2 à laquelle il prétend opposer l’existence d’un contrat de travail antérieur au 17 janvier 2011, d’autre part que [V] [F] ne rapporte aucun élément permettant de démontrer qu’il tirait de cette activité de pigiste, poursuivie sous le statut d’auto-entrepreneur, l’essentiel de ses ressources, alors qu’il est allégué par la société C2D2 qu’il avait à cette époque un autre employeur, ce qu’il confirme en indiquant qu’il a quitté un employeur pour se faire embaucher par la société C2D2 ; dans ces conditions l’ancienneté de [V] [F] au sein de la société C2D2 trouve son origine dans le contrat de travail du 17 janvier 2011 de sorte que le salarié doit être débouté de sa demande relative au solde d’ indemnité conventionnelle de licenciement.
Sur les dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail [V] [F] fait valoir que le licenciement a porté atteinte à sa notoriété journalistique et qu’il a quitté un précédent emploi dans la perspective d’évoluer rapidement au sein de Slate Afrique ; or la cour relève que s’agissant de la libre expression d’opinion, dans un milieu où celle-ci relève de l’éthique professionnelle, [V] [F] ne démontre pas que la publicité de son licenciement lui a causé du tort dans son milieu professionnel ; âgé de 44 ans, [V] [F] comptait 2 années d’ancienneté au moment de son licenciement ; en l’état des éléments de préjudice dont il justifie les dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, l’entreprise ne démontrant pas qu’elle compte moins de 11 salariés, seront fixés, par référence à l’article L. 1235-3 du code du travail, à la somme de 45 000, 00 euros.
Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture dans des circonstances vexatoires,
les circonstances dans lesquelles est intervenu le licenciement ne révèlent aucun caractère particulièrement vexatoire [V] [F] ne démontrant pas l’existence d’un préjudice que ne réparerait pas les dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, même si certains échanges ont pu prendre un caractère plus personnel ; ce chef de demande doit donc être rejeté.
La société C2D2 qui succombe à l’action en supportera les entiers dépens l’équité conduisant à allouer à [V] [F] une somme de 1 000, 00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
statuant de nouveau :
CONDAMNE la société C2D2 à payer à [V] [F] la somme de 45 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
REJETTE les demandes de solde d’ indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement dans des circonstances vexatoires,
CONDAMNE la société C2D2 aux dépens de première instance et d’appel,
CONDAMNE la société C2D2 à payer à [V] [F] la somme de 1 000, 00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT